M. Claude Jeannerot. Il n’en résulte qu’un bricolage de dispositifs, sans aucune vision d’ensemble, avec tous les dangers que comporte pareille méthode.

Selon nous, cette façon de légiférer n’est ni efficace ni pertinente. Pis, elle contredit la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a évoqué l’objectif à valeur constitutionnelle « d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi » dans sa décision du 16 décembre 1999 et consacré le principe de « clarté de la loi » dans celle du 13 janvier 2005. Le Conseil constitutionnel, qui a pourtant interdit les lois « portant diverses dispositions », n’a manifestement pas été entendu : bien que l’intitulé du texte ait changé, le fond reste tout aussi incohérent.

Si certaines simplifications sont anodines, d’autres emportent de lourdes conséquences, dissimulées sous des arguments techniques, notamment en matière de droits des salariés ou de droit de la santé.

J’illustrerai mon propos par un exemple emprunté au droit du travail : l’article 46 du texte, qui prévoit que l’employeur rédige un document unique d’évaluation des risques à une fréquence inférieure à un an dans les entreprises de moins de onze salariés, est symptomatique de ce risque d’incohérence. En effet, les salariés des très petites entreprises doivent être aussi bien traités que ceux des grandes sociétés, d’autant que, nous le savons, leurs salaires ne sont pas toujours aussi élevés et que leurs conditions de travail sont souvent moins favorables. Or cette disposition, qui n’est qu’un exemple parmi d’autres, comporte des risques réels de rupture d’égalité dans la protection des travailleurs.

Enfin, et c’est la quatrième raison qui nous conduit à rejeter cette proposition de loi, il nous est demandé d’examiner ce texte dans la précipitation. Quelle que soit la qualité du rapport, qui est réelle, je déplore de telles conditions de travail, car elles ne sont pas dignes de nos fonctions et de notre responsabilité. Nous restons à la surface des choses, sans pouvoir mesurer les conséquences de dispositions adoptées à l’aveugle.

M. Maurey soulignait tout à l'heure que le Sénat devait demeurer un lieu de sagesse et de réflexion. C’est précisément parce que nous voulons le considérer comme tel que nous refusons cette manière de travailler, qui nous semble incompatible avec les exigences de la démocratie représentative !

Pour toutes ces raisons, nous avons considéré que ce texte méritait d’être rejeté. Ce faisant, nous rejoignons Portalis lorsqu’il affirmait que la loi « permet ou elle défend », qu’« elle ordonne, elle établit, elle punit ou elle récompense ». Rendons donc à la loi la force et la clarté qu’elle mérite et qu’elle exige ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.

Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, me voilà une nouvelle fois amenée à intervenir sur un texte dont j’aurais voulu qu’il fût autre, un texte dont mes prédécesseurs à cette tribune ont dit que, de simplification et d’allégement, il était devenu un texte de complexification et d’alourdissement de tous les dispositifs législatifs concernés.

Je ne saurais mieux dire que ceux qui sont intervenus avant moi combien la profusion des textes législatifs, souvent de pure opportunité ou utiles à la seule communication, nuit à l’image du Parlement tout entier et des parlementaires, qui perdent leur crédibilité aux yeux de leurs concitoyens quand ils adoptent des lois incompréhensibles, confuses et, plus grave encore, inapplicables. (M. Ronan Kerdraon applaudit.)

J’avais en d’autres temps, en d’autres lieux, alors que j’occupais d’autres fonctions, alerté qui de droit sur les raisons de la prolifération de ces mouvements dits « citoyens » qui, dans les faits, se substituent à la parole des élus, des parlementaires tellement décriés, moqués et mis chaque jour un peu plus devant leurs contradictions.

Aujourd’hui, parlementaire moi-même, je me refuse à être considérée comme œuvrant pour rien, à être tenue pour l’une de celles ou ceux qui ignorent tout de la réalité du terrain et s’ingénient à voter des lois inapplicables et inappliquées, certaines relevant d’ailleurs beaucoup plus du pouvoir réglementaire que du pouvoir législatif.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui appartient à cette catégorie de textes dont on perçoit mal l’objet ou dont, au contraire, on voit parfaitement que, derrière une apparente nécessité, ils cachent des desseins compliqués, voire peu avouables.

M. Claude Domeizel. Très juste !

Mme Anne-Marie Escoffier. Je voudrais souligner le talent de nos excellents rapporteurs, au fond ou pour avis, qui ont tous cherché à justifier la part de texte qui leur revenait. Ils ont eu en cela un mérite que je tiens à saluer.

J’adresse tout naturellement mes compliments à Mme Procaccia, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Avec un art consommé, elle a donné du sens aux dispositions du texte qui relèvent du champ de compétence de cette commission, en les regroupant par thèmes.

Je citerai la situation des salariés, qu’il s’agisse de ceux qui sont privés d’emploi pour inaptitude d’origine non professionnelle, de ceux qui peuvent bénéficier d’un salaire pendant les jours fériés chômés, de ceux qui sont soumis à des risques professionnels dans les très petites entreprises, ou encore de leur situation au regard du droit à congés payés.

Je prendrai aussi l’exemple de la négociation collective, comprenant les obligations de négocier dans différents cas, les accords de modulation du temps de travail, le mandatement dans les toutes petites entreprises de presse, la certification des comptes incombant aux partenaires sociaux et au comité d’entreprise.

Je n’oublierai pas les infractions à la législation du travail, non plus que la définition et l’encadrement du télétravail, les droits et obligations des employeurs agricoles et de leurs salariés en matière de régime de retraite.

Dans le domaine de la sécurité sociale, je citerai l’utilisation de la voie électronique, la déclaration sociale nominative, dont a parlé Muguette Dini, le rescrit social, les contrôles administratifs.

Dans le secteur de la politique de la famille et de l’enfance, je mentionnerai les unions régionales des associations familiales, les moniteurs de colonies de vacances.

J’ai volontairement repris tous les points qui, dans le rapport soumis à la commission des affaires sociales, ont fait l’objet d’un développement et de propositions dont le bien-fondé est incontestable. Mais, mes chers collègues, vous n’aurez pas manqué, d’une part, de relever le caractère disparate des mesures annoncées et, d’autre part, de noter que beaucoup de ces dispositions, de par la nature même des sujets abordés, nécessiteraient de vrais débats.

Mme le rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales nous a bien assurés avoir pris langue avec les organisations et organismes représentatifs des salariés. Mais qui peut, dans cette enceinte, imaginer que, sans débat de fond, l’on traite, par exemple, du temps partiel ou encore du télétravail, de la déclaration sociale nominative, et cela dans le cadre de la procédure accélérée ? Ne serait-ce pas une faute de notre part d’accepter purement et simplement de voter des dispositions dont nous aurions été dans l’incapacité de mesurer la portée ? Nos concitoyens seraient en droit de nous reprocher un travail non réfléchi, bâclé.

Ne serait-ce pas trahir l’engagement qui est le nôtre, à savoir servir loyalement, avec rigueur, la République et de pouvoir, la tête haute, justifier auprès de nos électeurs nos prises de position ?

En aucun cas, je ne me sens autorisée à prendre pareille responsabilité dans ce contexte, face à un véritable patchwork, qui n’a rien d’artistique, mais qui présente certaines petites pièces utiles, voire indispensables. Je pense à la disposition relative aux moniteurs de colonies de vacances qui, bien qu’essentielle au bon fonctionnement de celles-ci, ne sera pas votée. Mais pourquoi avoir attendu cette proposition de loi chaotique, alors que cette disposition aurait certainement pu opportunément trouver sa place, et depuis longtemps, dans un autre texte ? (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.)

Dans ces conditions, je ne peux que joindre ma voix au concert de ceux et de celles de mes collègues qui ont refusé d’examiner, dans les conditions qui ont été rappelées, cette proposition de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’UCR, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous étions censés commencer aujourd’hui l’examen de la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives. À mon tour, je regretterais vivement que nous ne puissions nous y atteler, dès lors que le Sénat adopterait la motion tendant à opposer la question préalable.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Tout n’est pas perdu : peut-être va-t-il éviter de commettre cette erreur !

M. André Reichardt. Certes, comme cela a été indiqué, ce texte n’est pas parfait ; il est jugé trop disparate par certains, trop régressif par d’autres. Mais tout l’intérêt est d’en discuter afin de l’améliorer !

J’en suis moi aussi certain, ce texte est utile à la simplification de notre droit. Il s’inscrit dans la démarche de simplification de l’ordonnancement juridique national engagée depuis plusieurs années et vise les normes qui pèsent sur les forces économiques de notre pays.

On le sait, et M. le secrétaire d’État en a fourni tout à l'heure des illustrations, la complexité administrative affecte durement le dynamisme, la compétitivité et l’efficacité de nos entreprises. La simplification des normes se révèle donc être un enjeu majeur pour l’avenir de celles-ci. Nous ne sommes pas sans savoir que les PME représentent un grand potentiel d’emploi.

Pour respecter l’objectif de compétitivité de nos entreprises, de croissance et d’emploi dans notre pays, il est de notre devoir, mes chers collègues, de dépasser les querelles partisanes, de faire abstraction un instant des échéances électorales à venir et de nous mettre d’accord sur des mesures nécessaires et jugées comme telles par les acteurs des différents secteurs économiques.

Quel que soit le côté de l’hémicycle où nous siégeons, nous sommes tous convaincus de la nécessité d’aider les PME et de trouver les meilleurs outils juridiques possibles.

Dans ces conditions, le choix de la commission des lois de déposer une motion tendant à opposer la question préalable afin de ne pas examiner cette proposition de loi est, à mon sens, éminemment regrettable.

En commission, l’opposition sénatoriale a proposé d’éluder les articles à caractère politique et de n’aborder que les points techniques répondant aux attentes de nos concitoyens. Je déplore vivement que la majorité sénatoriale ait rejeté cette proposition.

Si je prends la parole en cet instant, à la fin de la discussion générale, c’est parce que, malgré tout, chers collègues siégeant sur la gauche de cet hémicycle, je ne désespère pas de vous amener à changer d’avis.

Pour monter à quel point la présente proposition de loi est utile, je voudrais revenir sur des amendements que j’ai déposés sur ce texte et qui répondent à des attentes fortes de certains secteurs d’activité.

Le premier thème que je souhaite aborder est celui de la qualification professionnelle dans l’artisanat. Comme a bien voulu le rappeler M. le secrétaire d’État, c’est un secteur que je connais bien.

La loi du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat confie au décret le soin de déterminer les diplômes, les titres ou la durée de l’expérience professionnelle qui justifient la qualification à établir. Or la validation des acquis de l’expérience fait désormais l’objet d’une réglementation spécifique et applicable à tous les métiers sanctionnés par un diplôme ou un titre. Le diplôme pouvant être acquis par l’expérience, la disposition relative à la durée de l’expérience professionnelle est devenue inutile. Par conséquent, il semble souhaitable d’en faire une simple disposition complémentaire, de telle sorte que le décret puisse imposer une telle expérience, si cela s’avère nécessaire, en plus du diplôme ou du titre requis, et non à leur place.

Par ailleurs, la liste fixée à l’article 16 de cette même loi vise tantôt une activité définie de façon très large – telle que « le bâtiment » –, tantôt une activité réduite à un seul métier. Si, dans ce dernier cas, l’application de la loi ne pose pas de difficulté, il n’en est pas de même lorsque l’activité est définie de façon très large. La doctrine administrative considère, en effet, qu’un diplôme ou une expérience suffisante dans l’un des métiers faisant partie de cette activité qualifie son détenteur dans tous les autres. Un peintre serait ainsi qualifié pour effectuer des travaux de charpente, un poissonnier pourrait ouvrir une pâtisserie…

Cette application littérale de la loi, que personne ne comprend, pourrait aisément être corrigée par une simple modification qui préciserait que le décret déterminant le niveau des qualifications requises doit le faire métier par métier.

Mes chers collègues, ces simples modifications à caractère strictement technique sont très attendues par les organisations professionnelles et nous pourrions aujourd'hui leur donner satisfaction.

Le deuxième point que je souhaite développer concerne une forte attente des artisans et commerçants de ma région, l’Alsace-Moselle : il s’agit de clarifier la situation des anciens commerçants et artisans au regard de la faillite civile d’Alsace-Moselle.

Mes chers collègues, c’est bête comme chou ! À compter de la cessation de leur activité professionnelle, ces personnes n’ont plus la qualité de commerçant ni d’artisan. Pour autant, elles sont soumises au droit commun des procédures collectives. Or le passif des personnes retirées de la vie des affaires est très souvent composé d’anciennes dettes professionnelles et de dettes de la vie privée.

De ce fait, le traitement du passif relève de deux types de procédures, à savoir la procédure de surendettement des particuliers pour les dettes non professionnelles et les procédures collectives commerciales pour les dettes professionnelles.

Une telle situation n’est pas heureuse au regard de la lisibilité ; elle l’est encore moins du point de vue de la simplicité de la règle de droit. Pour le débiteur, elle complexifie l’exercice du droit à bénéficier d’une procédure d’apurement de son passif. Il serait donc nécessaire de traiter globalement, par le biais de la procédure de faillite civile, toutes les dettes du débiteur, professionnelles et non professionnelles.

Une telle mesure pourrait être votée aujourd'hui, si tant est, chers collègues des travées de gauche, que vous vouliez bien renoncer à opposer la question préalable.

J’espère vous avoir prouvé à partir de ces exemples strictement techniques que la présente proposition de loi a véritablement pour objet de simplifier le droit et présente une réelle utilité pour nos concitoyens et pour de nombreux secteurs d’activité.

Dans le texte que nous propose notre collègue député Jean-Luc Warsmann, figurent beaucoup d’autres dispositions tout aussi bonnes que celles que je viens d’évoquer. Je pense au coffre-fort numérique, qui vous est cher, monsieur le secrétaire d'État, à la simplification du bulletin de salaire, à la déclaration sociale unique, dont même un âne verrait l’utilité, ou à l’extension du rescrit dans le champ social.

Dès lors, je vous en conjure, mes chers collègues, vous pouvez encore changer d’avis et permettre que le débat se prolonge. Je suis persuadé que M. le président de la commission des lois est, lui aussi, convaincu de l’intérêt de cette proposition de loi, mais qu’il n’ose le reconnaître.

Je vous engage donc tous et toutes à suivre ma position et à ne pas adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUCR.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les dispositions de cette proposition de loi sont pour le moins disparates, comme nombre d’orateurs l’ont indiqué cet après-midi.

Nous avons bien compris l’activisme du Gouvernement en cette période politiquement difficile, activisme qui ne s’embarrasse guère du strict respect du droit, use et abuse des cavaliers législatifs. Nombre de mes collègues ont dénoncé avant moi cette véritable cavalerie.

Finalement, nous sommes presque étonnés de ne pas trouver dans ce texte des dispositions sur la TVA sociale ou sur le projet d’instaurer une sorte de taxe Tobin à visée non plus internationale, mais nationale. (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Monsieur le secrétaire d'État, c’était une belle occasion, je le reconnais. Je suis donc un peu déçu que vous nous priviez d’un tel débat dans l’hémicycle cet après-midi, mais nous comptons sur votre frénésie législative pour revenir rapidement sur ces deux points. (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)

On trouve néanmoins, dans ce texte fourre-tout, bien des indications sur vos objectifs politiques, à commencer par les limitations apportées à la publication du bilan social et environnemental des entreprises. L’idée d’exonérer les filiales des grands groupes de l’obligation de publier ce rapport est significative de votre approche des enjeux du développement durable : un monde où de grands groupes pourraient dissimuler dans des filiales peu surveillées leur manque d’ambition en la matière, voire leurs atteintes aux droits sociaux et environnementaux, pendant que leurs maisons mères brilleraient en société en vantant leurs réalisations exemplaires.

À travers cet amendement de soutien à un greenwashing institutionnalisé, vous nous dépeignez un monde – votre monde – où une communication volontariste aurait constamment pour fonction de dissimuler la réalité de faits bien moins glorieux. Ce texte est finalement assez représentatif d’une époque, bientôt révolue nous l’espérons, où le dire et le faire auront souvent été en opposition, cette dernière étant même érigée en système de gouvernance.

Il faut encore souligner, s'agissant toujours de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE, que cette séquence parlementaire aura été placée par le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur Lefebvre, sous le signe du détricotage systématique des engagements du Grenelle de l’environnement, du point de vue tant financier que réglementaire. Mais, comme l’a dit l’actuel Président de la République, « l’environnement, ça suffit » !

Je prendrai un second exemple, celui de l’article 72 bis, qui, faisant suite à un décret du 17 janvier 2011, vise à inscrire dans la loi le relèvement de la norme maximale du poids total autorisé des véhicules sur nos routes à 44 tonnes pour cinq essieux.

Cette disposition est évidemment un exemple type de cavalier législatif : on peut légitimement se demander ce que l’augmentation du tonnage vient faire dans une proposition de loi dite de « simplification du droit ».

En outre, cette disposition constitue une aberration économique, compte tenu des implications de la circulation des poids lourds de 44 tonnes à cinq essieux sur l’état des routes. Comme l’a souligné Martial Bourquin, rapporteur pour avis de la commission de l'économie, le surcoût d’entretien des chaussées pourrait représenter entre 400 et 500 millions d’euros par an ! Voilà une somme conséquente qui ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, même mené par un cavalier législatif… (Sourires.)

Le décret du 17 janvier 2011 a été adopté avant même la publication des rapports prévus par la loi Grenelle 1. Selon le Gouvernement, le fait de porter « la limite du poids total autorisé en charge des poids lourds de 40 à 44 tonnes » permettrait « d’améliorer la compétitivité du secteur des transports et de réduire le nombre des poids lourds utilisés pour le transport de marchandises pondéreuses et, par voie de conséquence, les émissions de CO2 ».

L’intention est louable sur le papier, mais, en réalité, elle se situe bien loin des engagements du Grenelle de l’environnement, qui visait notamment à soutenir les modes de transport alternatifs à la route ! Avec ce décret, il s’agit encore et toujours de privilégier le transport routier au détriment du fret ferroviaire, fluvial et maritime. De manière significative, la part du fret ferroviaire a été divisée par deux en dix ans en France, alors qu’elle doublait en Allemagne sur la même période.

Cet article est en totale contradiction avec les récentes déclarations du Gouvernement et les engagements, nourris par ce même « volontarisme du dire », pris lors des Assises du ferroviaire sur le nécessaire rééquilibrage des modes de transport au profit du fret. Il s’agit là d’une nouvelle atteinte à l’esprit du Grenelle, mais nous savons que cet esprit n’anime plus le Gouvernement depuis longtemps, monsieur le secrétaire d’État !

Sur la forme comme sur le fond, ce texte est donc « indigne » – le mot a été employé dans cet hémicycle – d’un travail parlementaire sérieux. Par conséquent, mes chers collègues, je ne puis répondre favorablement à la demande que vient de formuler André Reichardt : vous l’aurez compris, les écologistes voteront cette motion tendant à opposer la question préalable. De fait, nous sommes convaincus que le Sénat ne devrait plus avoir à discuter de ce type de textes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de remercier l’ensemble des sénatrices et sénateurs qui se sont exprimés dans ce débat. Chacun a pu préciser les points de la proposition de loi auxquels il était favorable ou défavorable.

Après vous avoir écouté les uns et les autres – j’ai également lu les rapports, comme je l’ai précisé dans mon intervention liminaire –, je pense que ce débat est absolument essentiel. En effet, beaucoup de sujets ont été ouverts par les rapporteurs et par un certain nombre de sénateurs appartenant tant à la majorité qu’à l’opposition sénatoriales. Nous pouvons nous retrouver sur un certain nombre de points, nous expliquer sur d’autres. Dans tous les cas, nous devons engager un débat de fond.

De fait, j’ai bien noté que chacun d’entre vous souhaitait engager ce débat, soit parce qu’il regrettait telle ou telle disposition, soit parce qu’il soutenait telle ou telle autre. C'est la raison pour laquelle j’ai bon espoir que la motion soit finalement rejetée.

Monsieur Michel, je vous remercie du travail que vous avez accompli. En tant que rapporteur, vous avez conduit quatre-vingt-dix auditions, me semble-t-il. Votre soutien à la motion tendant à opposer la question préalable me paraît en décalage avec ce travail effectué minutieusement au nom de la commission des lois.

Je voudrais souligner combien j’ai apprécié la mention, dans votre rapport, de votre attachement à la « nécessaire » simplification du droit. Je pense comme vous que cette simplification est nécessaire.

Vous considérez également que certaines mesures de cette proposition de loi sont « de bonnes choses », notamment la création, prévue par l’article 57, d’un fichier national automatisé des interdits de gérer. Permettez-moi de vous inviter, monsieur le rapporteur, à mesurer l’importance d’aller au fond du débat : les entrepreneurs n’attendent pas de nous que nous exprimions des points de vue ; ils attendent des faits, des décisions. Tel est précisément l’objectif de cette proposition de loi.

À mon sens, l’argument selon lequel certaines dispositions de ce texte constitueraient des cavaliers législatifs ne devrait pas empêcher le débat d’avoir lieu.

Vous critiquez la volonté du Gouvernement de mettre en œuvre une armoire sécurisée numérique, mais cette initiative est attendue par les acteurs économiques, qui doivent produire jusqu’à soixante-dix fois les mêmes informations. J’espère que vous mesurez à quel point le débat est essentiel.

Mme Nicole Bricq, rapporteur pour avis de la commission des finances sur cette proposition de loi, a indiqué qu’elle soutenait la motion. Pourtant, étant donné l’importance des enjeux de simplification du droit pour nos entrepreneurs, il me semble que cette proposition de loi aurait mérité plus d’intérêt.

Mme Bricq dit regretter la dynamique que le Gouvernement souhaite enclencher à travers ce texte. Je me permets au contraire d’insister sur le fait que le temps politique doit rejoindre le temps économique.

J’ai entendu beaucoup de critiques sur la méthode : le choix d’une loi de simplification, l’insuffisance du temps pour discuter, le passage d’un sujet à l’autre, d’un code à l’autre, d’une loi à l’autre… Vous avez déclaré que cela compliquait le travail des parlementaires. Cependant, imaginez à quel point il est compliqué pour les acteurs économiques de devoir quotidiennement passer d’un texte à l’autre, d’une disposition à l’autre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est l’arroseur arrosé !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. C'est la raison pour laquelle nous vous proposons, à travers ce texte, de simplifier et d’alléger les charges des entreprises.

Je me joins aux membres de la commission des affaires sociales pour saluer l’excellent travail que vous avez accompli, madame Procaccia. La reconnaissance de la qualité de votre rapport constitue d’ailleurs mon seul point d'accord avec l’intervention de Mme Escoffier, qui n’est visiblement pas convaincue de la nécessité de simplifier le droit.

Comme vous, Madame Procaccia, je suis déterminé à faire en sorte que le pragmatisme – c’est le mot que vous avez employé – puisse triompher. Vous avez cité nombre de dispositions utiles souhaitées tant par les syndicats que par les entrepreneurs. Vous avez également insisté sur l’extrême difficulté dans laquelle se trouveraient un certain nombre d’acteurs économiques ou de citoyens – vous avez notamment mentionné le cas des organisateurs de colonies de vacances – si la proposition de loi n’était pas adoptée. J’en appelle donc à la responsabilité de chacun.

En tout cas, madame Procaccia, vous avez démontré votre détermination à aller au fond des dossiers, et je tiens à vous en remercier.

M. Claude Domeizel, rapporteur pour avis de la commission de la culture, soutient également la motion tendant à opposer la question préalable. Il a déclaré être prêt à empêcher la discussion d’avoir lieu sur ce texte, tout en souhaitant que celui-ci soit amélioré… Mais le meilleur moyen d’amender un texte est encore d’en discuter !

Monsieur Bourquin, vous avez dit regretter, en tant que rapporteur pour avis de la commission de l'économie, le dépôt de cette proposition de loi, et vous avez évoqué un certain nombre de dispositifs. Pour ma part, je regrette votre choix de soutenir la motion. Vous avez dit très justement qu’il fallait mettre un coup d’arrêt à la complexité du droit et à la dérive des lois de simplification. Je comprends votre position, mais ce que veulent les entrepreneurs de notre pays, c’est avant tout que l’on porte un coup d’arrêt à l’opacité du droit. Je pense que vous vous trompez de combat, et ce au détriment des entreprises.

Lorsque j’ai entendu votre dernière phrase, je n’ai pu m’empêcher de sourire, car elle sonnait comme un aveu. Ainsi, il serait « politiquement nécessaire » de rejeter cette proposition de loi. (M. Martial Bourquin proteste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La politique est nécessaire !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout le monde ici fait de la politique !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Cela résume parfaitement la position adoptée par une partie des sénateurs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et vous, vous ne faites pas de politique ?

M. Jean-Michel Baylet. Le Sénat est une assemblée politique !

M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Bien évidemment, je regrette cette position et je répète ce que j’ai dit au début de mon intervention : à situation exceptionnelle, attitude exceptionnelle.

Nous faisons face à une crise mondiale qui touche les acteurs économiques. J’ai évoqué les questions de compétitivité en ouverture de mon propos. J’ai bien compris que, s'agissant du nucléaire, qui est pourtant l’un de nos atouts, vous n’aviez pas l’intention de revenir sur les propositions que vous avez faites, alors même que leur application nuirait à nos entreprises. J’ai compris également que, pour ce qui est de l’allègement des charges sociales, dont le niveau est l’un de nos points faibles, vous ne vouliez pas que nous ouvrions le débat. Toutefois, permettez-moi de regretter que vous ne souhaitiez pas davantage ouvrir le débat sur la complexité du droit, car l’objectif de simplification devrait rassembler la gauche et la droite.

Je voudrais dire à Hervé Maurey, rapporteur pour avis de la commission de l’économie, que je suis entièrement d'accord avec lui : cette motion tendant à opposer la question préalable est une erreur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’est pas là !