M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Claude Peyronnet. Cette vérité doit pouvoir évoluer en fonction des interprétations nouvelles qui pourraient découler, par exemple, de la découverte de nouvelles sources.

Comme Madeleine Rebérioux l’a fort bien écrit, « le concept même de vérité historique récuse l’autorité étatique ». Et elle ajoutait : « la loi ne saurait dire le vrai. » (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle, sur l’article.

M. Philippe Madrelle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention sera brève, beaucoup de choses ayant été dites.

Le génocide arménien est une réalité indéniable : aucune ambiguïté ne demeure sur ce point. Mais, comme beaucoup d’autres, je considère qu’il n’appartient pas aux parlementaires français de criminaliser la négation de ce génocide et d’écrire l’histoire. D’ailleurs, que je sache, les parlementaires ne sont pas élus à l’aune de leurs connaissances historiques.

Mme Nathalie Goulet et M. Roger Karoutchi. Heureusement !

M. Philippe Madrelle. Ce énième texte de loi est dangereux, inutile, opportuniste et inopportun. Je ne reviendrai pas sur la question préjudicielle de constitutionnalité majeure qu’il soulève, valable pour toutes les lois mémorielles, que Robert Badinter qualifie de « compassionnelles ».

Cela étant, je voterai contre l’article 1er et contre cette proposition de loi dangereuse, qui risque de ruiner tous les efforts et les travaux entrepris sur un travail de mémoire en Turquie par les deux communautés.

Grâce à l’initiative de nombreux intellectuels,…

Un sénateur du groupe socialiste. Non, c’est grâce à la pression exercée !

M. Philippe Madrelle. … une demande collective de pardon a été adressée à la communauté arménienne ; la société civile s’est enfin emparée de ce passé douloureux, qui n’est plus tabou.

Je voterai contre cette proposition de loi inutile, dont l’adoption risquerait d’envenimer durablement les relations bilatérales entre nos deux pays. Le Président Sarkozy n’a eu de cesse de montrer son opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne. (M. Roger Karoutchi fait un signe de dénégation.)

Je le répète, je voterai contre l’article 1er et contre ce texte de circonstance lié à une échéance politique. Ce n’est pas de cette façon que l’on peut assurer le respect dû au passé tragique de telle ou telle communauté. Cet acte irresponsable va à l’encontre de la défense et de la protection des intérêts du peuple arménien ; il ne manquera pas de pousser un peu plus au communautarisme.

Une attitude digne de notre pays et de son histoire ne consisterait-elle pas plutôt à encourager et à accompagner les efforts de réconciliation entre les deux communautés ? Et je n’oublie pas le rôle essentiel que la Turquie va être amenée à jouer dans le conflit syrien et dans toute la région de la Méditerranée orientale.

M. Philippe Madrelle. Pour toutes ces raisons, je voterai contre l’article 1er et contre la présente proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste, du CRC, de l’UCR et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article.

M. Roger Karoutchi. M. Peyronnet, entre autres, a évoqué la sacralisation, en quelque sorte, du rôle des historiens. Comme d’autres collègues présents dans cet hémicycle, je me sens quelque peu concerné et je voudrais que l’on en revienne à des choses plus simples.

C’est une évidence, il revient aux historiens de faire le travail d’analyse, d’étude, d’approfondissement. Ce n’est pas le rôle du Parlement de déterminer si tel ou tel événement s’apparente à un massacre ou à un génocide.

En revanche, il n’appartient pas aux historiens – ils connaissent du reste des désaccords, ce qui est normal dans la mesure où les écoles historiques diffèrent partout, y compris en France –, après avoir reconnu un génocide, de prendre ensuite les mesures de lutte contre sa négation. Ainsi, tous les historiens ont admis l’existence de la Shoah. Mais ce ne sont évidemment pas eux qui vont édicter les dispositions étatiques nécessaires pour lutter contre le négationnisme en ce domaine. Ils n’en ont ni le pouvoir ni la capacité.

Les historiens sont des mains transparentes, des esprits savants, qui, par définition, ne peuvent pas concrètement protéger. Tel n’est pas leur rôle.

À l’échelon international, comme cela a été indiqué tout à l’heure, trois génocides sont reconnus, dont celui des Tutsis commis au Rwanda. Si, demain, le Parlement français voulait en reconnaître un autre, à quel titre le ferait-il ?

Au regard de la Shoah, la France est naturellement concernée, la communauté juive étant en cause. D’aucuns soutiennent que tel n’est pas le cas pour le génocide arménien, qui n’a pas eu lieu sur notre territoire et dont notre pays n’est pas responsable. Pour ma part, je n’ai jamais soutenu le contraire, fort heureusement.

Quoi qu’il en soit, sur notre territoire résident 500 000 ou 600 000 Français d’origine arménienne. Je ne me livre à aucune attaque contre l’État turc, auquel je ne demande pas d’avancer aussi vite que nous. Je soutiens seulement que les politiques doivent prendre les mesures de précaution et de protection nécessaires. Quelles que soient toutes les analyses auxquelles peuvent procéder les historiens, ils n’adopteront pas des dispositions de cette nature. Il revient au Parlement français de les édicter.

Oui au travail des historiens aussi approfondi qu’on le souhaite. Non à l’immixtion du Parlement dans un travail d’historien qui ne serait pas abouti. Mais lorsqu’un tel travail historique a été réalisé, il faut bien que des décisions politiques soient prises ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais intervenir en cet instant en ma qualité non seulement de sénateur socialiste, mais aussi de président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sauf avis contraire de votre part, monsieur Karoutchi…

M. Francis Delattre. Roger Karoutchi n’a rien dit !

M. Roger Karoutchi. Monsieur Carrère, d’habitude, c’est vous qui m’interrompez ! Quant à moi, je n’ai rien dit.

M. Jean-Louis Carrère. Certaines expressions du visage sont éloquentes !...

M. Francis Delattre. Je vous écoute, monsieur le président, avec abnégation ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Carrère. Je voudrais d’abord souligner la qualité du débat de ce jour sur les questions importantes soulevées par la présente proposition de loi.

Moi aussi, je condamne évidemment toute forme de négationnisme, qui constitue une atteinte odieuse à la mémoire des disparus et à la dignité des victimes. Un génocide a eu lieu, et je tiens à exprimer, au nom de la commission que je préside, notre respect pour le peuple arménien et les terribles épreuves qu’il a endurées.

Je ne reviendrai pas sur les interrogations que suscitent les lois dites « mémorielles », quelles qu’elles soient. La proposition de loi que nous examinons revêt, selon certains orateurs, ce caractère, contrairement à ce que soutiennent d’autres. Certains intervenants ont brillamment souligné les avantages et les inconvénients de ce type de textes. Selon moi, le Parlement ne peut se transformer en tribunal.

M. Jean-Louis Carrère. Je voudrais surtout souligner en cet instant le contexte géopolitique dans lequel nous discutons aujourd’hui du présent texte.

Nous vivons dans un monde où les incertitudes stratégiques se sont rapprochées de la rive Sud de la Méditerranée.

M. Roger Karoutchi. C’est vrai !

M. Jean-Louis Carrère. Il y a, bien sûr, le conflit israélo-arabe, qui n’a aucunement perdu de son intensité.

Il y a les printemps arabes, qui ont été des moments heureux, qui ont eu pour conséquence des progrès en termes de liberté et de démocratie, mais qui, dans l’actuelle phase de transition, ont débouché sur une situation d’incertitude majeure. Je pense, en particulier, à l’Égypte, mais aussi à la Syrie, qui est au bord de la guerre civile.

M. Jean-Louis Carrère. Dans ce contexte incertain, nous avons plus que jamais besoin d’entretenir une relation étroite, confiante avec la Turquie, tout comme celle-ci a besoin de nous.

Que l’on me comprenne bien, je déplore les réactions disproportionnées qu’a suscitées ce texte de part et d’autre. Je voudrais cependant rappeler que la Turquie constitue depuis longtemps, au sein de l’OTAN, un partenaire fiable, un allié sûr, et, aujourd’hui, une puissance émergente incontournable au Moyen-Orient, dans le Maghreb et dans le Caucase.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère. Au-delà de la question de l’adhésion ou non de la Turquie à l’Union européenne, je regrette que le Président de la République ait, tout au long de son quinquennat, multiplié les faux pas et, ici ou là, les humiliations à l’égard d’un grand pays avec lequel nous aurions dû tisser un partenariat stratégique. En effet, mes chers collègues, j’ai la conviction que, pour assurer la sécurité de la France et de l’Europe, il nous faudrait tisser des partenariats structurels avec la Turquie et avec l’Algérie. Or la politique d’à-coups et sans vision de long terme menée jusqu’à présent ne nous aura permis d’avancer ni dans un sens ni dans l’autre.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Louis Carrère. Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, je crains que nous ne fassions un pas supplémentaire dans la mauvaise direction. C’est pourquoi je ne voterai ni l’article 1er ni l’ensemble du texte que nous examinons.

Je comprends les préoccupations des uns et des autres. Loin de moi la volonté de minimiser l’ampleur du génocide arménien et la nécessité de préserver la mémoire des disparus. Par ce vote, je souhaite simplement rappeler les intérêts à long terme de la France et le contexte géopolitique particulièrement préoccupant dans lequel nous vivons actuellement.

Cet hémicycle n’est pas le lieu pour réfléchir à ce que devrait être une politique étrangère rénovée. Mais il m’arrive de penser que nous pourrions mieux protéger les intérêts de la France si nous arrivions à donner un contenu à notre politique à l’égard de la Méditerranée, dans laquelle la Turquie aurait évidemment une place majeure. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du CRC, ainsi que sur les travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. Philippe Madrelle. Où est Alain Juppé ?

M. Jean-Louis Carrère. Il est d’accord avec moi !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.

M. Jean-Pierre Caffet. Monsieur le président, je souhaite obtenir des éclaircissements sur la procédure, car un problème technique se pose à moi.

Le rejet des amendements de suppression déposés sur l’article 1er vaudra-t-il adoption de ce dernier ou serons-nous obligés ensuite de voter l’article ? Mon groupe n’étant pas unanime, dans ce dernier cas de figure, je solliciterai une suspension de séance de dix minutes afin de pouvoir préparer les bulletins de vote.

M. le président. J’avais l’intention d’évoquer cette question à l’issue du vote des trois premiers amendements identiques de suppression, afin d’éviter la multiplication des scrutins publics puisque six demandes ont été déposées.

Mes chers collègues, je vous propose de considérer que le vote sur ces amendements identiques de suppression vaudra vote sur l’article 1er et sur l’article 2, sur lequel les amendements de suppression seraient retirés. Ensuite, nous procéderions directement au vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

Sur l’article 1er, je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 4 rectifié est présenté par M. Mézard et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social européen.

L'amendement n° 6 est présenté par M. Gorce.

L'amendement n° 7 est présenté par Mme N. Goulet.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié.

M. Jacques Mézard. Cela vient d’être rappelé, le présent débat a été de qualité. Il n’en reste pas moins qu’il a été souvent surréaliste.

M. Gérard Larcher. C’est vrai !

M. Jacques Mézard. Il laissera très certainement des traces importantes pour notre pays, ce qui est profondément regrettable.

M. Jacques Mézard. Nous sommes convaincus que les conséquences du texte que nous examinons n’ont pas été bien mesurées. Les propos que nous venons d’entendre illustrent bien ce que j’ai déjà dit à plusieurs reprises depuis le début de l’après-midi. Et force est de constater que mon opinion correspond à la stricte réalité : la prochaine échéance présidentielle a vicié ce débat.

J’en viens à l’amendement de suppression de l’article 1er.

Cet article, qui modifie de manière importante la loi de 1881 sur la liberté de la presse, comme l’a rappelé Catherine Tasca, dispose : « Les peines prévues à l’article 24 bis sont applicables à ceux qui ont contesté ou minimisé, de façon outrancière, […] l’existence d’un ou plusieurs crimes de génocide défini à l’article 211-1 du code pénal ».

Or, je l’ai déjà indiqué, la notion de « minimisation de façon outrancière » est une véritable aberration juridique. Il est bien évident que son introduction dans notre droit aboutirait à des difficultés d’application fondamentales.

Indépendamment des problèmes que pose cette notion, une loi ainsi libellée signifierait que toute démonstration qui tendrait à établir, par exemple, qu’un massacre impitoyable et méthodique a eu lieu mais que celui-ci ne paraît pas relever de la catégorie juridique du génocide pourrait donner lieu à des poursuites. Je fais très clairement référence aux explications qu’a exposées, à juste titre, notre collègue Jean-Claude Peyronnet. Ce n’est pas raisonnable !

Pour le dire différemment, si la loi a reconnu un génocide, aucune autre qualification ne sera plus possible, sous peine de sanctions pénales. Or le Conseil constitutionnel a toujours considéré, s'agissant de la liberté proclamée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que « cette liberté implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ». L’énoncé de cet article 1er n’est donc pas neutre, et son adoption aurait des conséquences pour des principes fondamentaux de notre République. C'est pourquoi la suppression de cet article est parfaitement justifiée. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour présenter l'amendement n° 6.

M. Gaëtan Gorce. Je voudrais d'abord rendre un hommage tout particulier au travail de notre rapporteur, qui n’a pas été suffisamment salué. Ce dernier a fait tout à l'heure une démonstration juridique sur laquelle je n’insisterai pas, mais qui mérite la considération de notre assemblée, notamment du groupe auquel il appartient.

Par ailleurs, dans la mesure où je fais partie de ceux qui voteront contre cette proposition de loi et en faveur des amendements de suppression de l’article 1er, je voudrais dire à la fois l’émotion que nous pouvons ressentir devant ce qu’éprouvent nos compatriotes d’origine arménienne, et la colère que peuvent parfois nous inspirer l’absence de reconnaissance par le gouvernement turc de cette réalité tragique et les pressions exercées sur les uns et les autres ces dernières semaines, qui, à mon avis, n’ont pas servi la cause de la Turquie.

Au-delà de ces considérations, la question qui nous est posée, et qui n’a pas été abordée dans ce débat, est celle du rapport que nous entretenons avec notre nation. C’est bien cette question qui nous est posée car, en légiférant sur des sujets historiques, nous touchons à quelque chose de particulièrement sensible, qui est au cœur même de l’idée que nous nous faisons de la nation, dont nous sommes les représentants dans cette assemblée.

La nation s’est construite au fil du temps et des épreuves. Elle est donc l’élément d’une mémoire, mais cette mémoire est distincte de l’histoire. L’une des erreurs que vous commettez en votant ce texte, c’est de prétendre faire l’histoire en rappelant une mémoire. Il faut distinguer l’une de l’autre, surtout si l’on veut faire l’histoire par la mémoire au moyen du droit et de la loi.

Au-delà de notre rapport à la nation, ainsi posé, c’est notre rapport à notre mémoire nationale qui est en jeu. Notre mémoire ne sépare pas, elle ne distingue pas, elle n’est pas le résultat ou l’addition de mémoires partielles ; elle est constituée à la fois d’une mémoire paysanne et d’une mémoire ouvrière, que l’on n’oppose pas, d’une mémoire religieuse, depuis le baptême de Clovis, et d’une mémoire laïque, celle de la loi de séparation des Églises et de l’État, d’une mémoire monarchique, celle des sacres de Reims, et d’une mémoire républicaine, qui commence sitôt après la Révolution et qu’illustre par exemple Gambetta appelant à la défense nationale depuis le balcon de l’hôtel de ville de Paris puis de celui de Tours.

Tout cela, c’est notre mémoire ! Elle synthétise, elle ne catégorise pas ! Elle réunit, elle ne sépare pas ! Elle n’invite pas chaque membre de la communauté nationale à en revendiquer une part, mais à y prendre toute sa part.

En votant des textes qui conduisent à séparer les mémoires des uns et des autres, en laissant entendre que notre mémoire nationale ne serait que cette addition, nous prenons le risque d’opposer les mémoires les unes aux autres.

Quand je voyais tout à l'heure, devant le Sénat, nos compatriotes d’origine arménienne d’un côté et nos compatriotes d’origine turque de l’autre, j’avais sous les yeux la preuve que cette proposition de loi était malvenue, puisque son examen avait pour conséquence que des Français d’origine différente se disputaient sur un élément de leur histoire et de leur mémoire, et interpellaient la représentation nationale sur la façon dont elle allait les interpréter. C’est une faute que nous commettons aujourd'hui !

Naturellement, il faut enrichir notre histoire ; nous en avons la responsabilité. Cependant, cela doit se faire non par la loi mais par le mouvement des idées et des choses. Nous devons, par exemple, enrichir cette histoire en y incorporant celle de tous nos compatriotes immigrés, qui ont beaucoup à dire sur le rapport à la nation et les conditions dans lesquelles celle-ci a été prise en compte.

Nous pouvons bien entendu enrichir cette histoire en y intégrant la mémoire de nos compatriotes d’origine arménienne mais, si nous le faisons, faisons-le, comme cela a été proposé, par la résolution et la commémoration, en leur indiquant la place symbolique qui est la leur et que leur reconnaît la nation, et non par la loi et la sanction pénale, par des moyens répressifs qui n’ont rien à voir avec ce débat.

J’ajoute qu’une nation qui passe son temps à se retourner sur son histoire, et même sur celle des autres, pour se disputer et se déchirer, est une nation qui démontre à l’envi qu’elle ne sait plus écrire l’histoire. C’est justement parce que nous devons aller de l’avant pour vivre l’histoire présente que nous devons cesser de nous disputer sur la mémoire et l’histoire passée, qui est derrière nous et qui appartient aux historiens, c'est-à-dire à la vérité scientifique, et non – n’en déplaise à M. Karoutchi – aux politiques. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, du groupe CRC, de l’UCR et de l’UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour présenter l'amendement n° 7.

Mme Nathalie Goulet. À ce stade du débat, je ne m’attarderai pas sur cet amendement de suppression, puisque tout a été dit.

En outre, tant les propos du ministre que nos débats m’ont quelque peu rassurée. J’ai la faiblesse de penser que Robert Badinter et Pierre Nora ont raison ; j’ai la faiblesse de penser que le Parlement n’est pas un tribunal. J’avais le sentiment que l’adoption de cette proposition de loi emporterait la loi du 29 janvier 2001 par un effet domino. Or il n’est pas du tout dans mes intentions de nier la réalité du génocide arménien. Par conséquent, afin d’éviter ce jeu de dominos, tel que je le comprends et tel qu’il a été exposé brillamment par Jean-Pierre Sueur et, avant lui, par Jean-Jacques Hyest, j’avais déposé cet amendement de suppression.

Dès lors que le ministre m’a assuré que l’examen par le Conseil constitutionnel de la présente proposition de loi n’aurait pas d’effet domino sur la loi du 29 janvier 2001 et que cette dernière était en quelque sorte protégée par nos débats de cet après-midi – pour être franche, je n’en crois pas un mot –, je retire mon amendement de suppression et me rallie à l’amendement n° 4 rectifié de M. Mézard. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 4 rectifié et 6 ?

M. Jean-Pierre Sueur, rapporteur. La commission est bien entendu favorable à ces deux amendements.

En effet, j’ai exposé les raisons très fortes pour lesquelles nous pensons que cette proposition de loi est inconstitutionnelle. Nous n’avons pas emporté l’adhésion de la majorité du Sénat lors du vote sur les motions de procédure, mais nous considérons que ce texte doit être rejeté. Aussi sommes-nous, fort logiquement, favorables à ces deux amendements de suppression.

Je tiens à souligner que les derniers orateurs ont encore ajouté, si cela était nécessaire, des arguments à l’appui de notre position. Il m’arrive de regretter qu’un certain nombre de nos collègues n’aient pas pu les entendre. En effet, lors d’un débat parlementaire, on devrait se forger peu à peu sa conviction finale en entendant les arguments des uns et des autres. C’est la logique du débat. Je ne développe pas ce point, mais chacun sent bien que cette logique du débat existe, comme l’ont fait remarquer Jean-Claude Peyronnet et d’autres collègues.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Patrick Ollier, ministre. Je suis bien entendu défavorable à ces amendements de suppression.

Monsieur le rapporteur, vous avez raison de dire qu’il faut rester jusqu’au bout du débat pour entendre les arguments de chacun, mais ce que je regrette sincèrement, c’est d’entendre, après six heures et demie de débats, exactement les mêmes arguments qu’au début.

Plusieurs membres du groupe CRC. Vous aussi vous répétez les mêmes choses !

M. Patrick Ollier, ministre. Cela signifie que je n’ai pas été suffisamment convaincant ! Je vais donc répéter deux ou trois vérités, puisque nous sommes ici pour faire le droit.

M. Jean-Louis Carrère. Si Alain Juppé avait été là, le débat aurait été encore plus riche !

M. Patrick Ollier, ministre. Je sais que vous êtes d’accord avec lui ! Vos origines lycéennes communes y sont peut-être pour quelque chose…

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On a déjà tout entendu !

M. Patrick Ollier, ministre. J’ai entendu, au sujet de l’article 1er, des arguments auxquels il me faut répondre.

Cet article renvoie à l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. La loi Gayssot – je le dis à l’intention de ceux qui ont utilisé cet argument – renvoie elle aussi à cet article. Par conséquent, celles et ceux qui affirment que l’article 1er n’est pas acceptable au motif qu’il s’agit d’une loi mémorielle soutiennent que la loi Gayssot ne devrait pas être appliquée. Être contre cet article 1er, cela revient à être contre la loi Gayssot ; c’est important de le répéter. Le souci du parallélisme des formes nous conduit simplement à effectuer une harmonisation pénale et à combler un vide juridique concernant le génocide arménien.

J’ai entendu ce que vous avez dit, monsieur Gorce, sur les différentes mémoires, monarchique, chrétienne, républicaine… Mais que faites-vous de la mémoire juridique ? La loi Gayssot prévoit la sanction du négationnisme. Il est normal que nous en conservions le souvenir, et cela nous conduit aujourd'hui à sanctionner la négation du génocide arménien reconnu par la loi.

Je ne répondrai pas à vos arguments, monsieur Carrère, car je ne suis pas chargé des affaires étrangères. Vos propos concernent un autre débat.

Pour toutes ces raisons, je souhaite, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous rejetiez ces amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Je ne peux laisser M. Ollier développer l’argument de la similitude avec la loi Gayssot pour la énième fois sans réagir. Cela a été dit expressément par M. le rapporteur : pour ce qui est du génocide juif, nous disposons d’une base juridique fournie par le procès de Nuremberg et les conventions internationales qui l’ont accompagné. La répression peut être exercée à partir de cet élément.

Quelle que soit la compassion que j’éprouve pour la souffrance du peuple arménien, et même si rien ne me fera penser que l’on peut établir une hiérarchie quelconque entre les souffrances, celle qu’a subie le peuple juif à travers la Shoah ne peut être comparée à aucune autre.

Mme Natacha Bouchart. De tels propos sont scandaleux !

M. Gaëtan Gorce. La destruction systématique des Juifs dans des camps d’extermination, au nom d’une idéologie qui a menacé la liberté de l’ensemble de notre continent, qui conduisait à brûler les livres et qui, dans son principe constitutif, mettait en cause l’existence même d’êtres humains, ne peut être mise en balance avec rien.

Mme Natacha Bouchart. C’est honteux !

M. Gaëtan Gorce. Que l’on cesse de mettre sur le même plan ce qui a été la honte de notre civilisation et les souffrances qu’ont subies les uns et les autres ! Je ne peux pas le laisser faire ! (Vives protestations sur certaines travées de l’UMP.) En effet, cela reviendrait à oublier ce qui est la spécificité terrible, dramatique de la Shoah, dont nous portons tous la marque ! N’oublions jamais ce que cela a représenté ! Ne banalisons pas ce débat ! (Protestations renouvelées sur les mêmes travées.) Même si nous n’établissons aucune hiérarchie entre les souffrances, ne faisons jamais de telles comparaisons !

M. Jean-Claude Gaudin. Taisez-vous maintenant !

M. Christian Poncelet. Il est temps que cela s’arrête !

M. Jean-Claude Gaudin. Un million et demi de morts, cela ne vous suffit pas ?

M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que nous étions convenus que le rejet des amendements identiques de suppression de l’article 1er emporterait adoption de cet article, que les amendements identiques nos 5 rectifié et 8 déposés à l’article 2 seraient, par voie de conséquence, retirés par leurs auteurs,…

Mme Nathalie Goulet et M. Jacques Mézard. Tout à fait !

M. le président. … que cela vaudrait également adoption de l’article 2 et que nous procéderions ensuite au vote sur l’ensemble de la proposition de loi.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié et 6.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)