M. Robert Hue. C’est un meeting de campagne !

M. Christian Cambon. À ceux qui critiquent avec facilité notre partenaire allemand, à ceux qui pensent qu’il sera aisé de lui imposer notre passion nationale pour la dépense publique, je souhaite des lendemains qui chantent !

Il reste, je le sais, que l’Europe ne va pas bien. Les difficultés de la zone euro ont montré que l’Europe avait besoin d’une intégration plus étroite de ses économies, et pas simplement d’une monnaie unique.

M. Christian Cambon. Toutefois, c’est finalement dans le domaine de la politique étrangère et de défense que la situation de l’Europe est la plus paradoxale.

Tous les sondages montrent que les citoyens européens souhaitent une politique étrangère et une défense communes. Pour peser face aux États-Unis, à la Chine, aux pays émergents, il faut une politique étrangère commune, un outil de défense solidaire. C’est le bon sens. Pourtant, le constat est tout autre : l’Europe s’illustre moins à définir une stratégie de défense commune qu’à fixer la hauteur des cages à poules. Certes, il ne faut pas mésestimer l’importance des cages à poules, mais leur taille ne constitue peut-être pas une question essentielle ! (Sourires.)

De même, elle s’est dotée d’un service européen d’action extérieure. Il paraît même qu’il existe un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité… En 1970, Henry Kissinger lançait son célèbre : « L’Europe, quel numéro de téléphone ? » Aujourd’hui, l’Europe a un numéro de téléphone, certes, mais elle n’a toujours pas de politique étrangère.

De ce point de vue, la crise est peut-être une chance pour la construction européenne. Vu l’état de nos finances publiques, nous n’aurons bientôt plus que ce choix : mutualiser nos politiques ou renoncer à en avoir. Il faut espérer que l’Union européenne sortira plus forte de l’épreuve qu’elle traverse.

Aujourd’hui, l’enjeu est de faire renaître un désir d’Europe là où trois décennies de crise économique ont conduit au scepticisme. Il faut renforcer l’efficacité de l’Europe. Monsieur le ministre d’État, vous qui êtes un praticien averti des sommets européens à vingt-sept, ne croyez-vous pas que nous irons, à terme, vers une Europe à géométrie variable ?

Cette Europe unie, plus efficace, mieux intégrée, serait certainement bien utile pour faire face aux défis que pose l’émergence des printemps arabes, afin de favoriser l’enracinement de la liberté et de la démocratie autour de la Méditerranée et sur tout le continent africain.

Lorsque le Président de la République a lancé cette initiative forte de l’Union pour la Méditerranée, combien de commentaires grinçants n’avons-nous entendus ! Et pourtant, qui peut nier aujourd’hui la nécessité de voir s’organiser une véritable concertation, peut-être même un jour une entente, pour tenter d’apporter à cette région du monde les solutions de paix et de développement dont elle a tant besoin ?

Bien sûr, les choses ne vont pas au rythme que nous aurions souhaité. Le conflit du Moyen-Orient est à l’origine de bien des tensions qui demeurent au-delà d’Israël et de la Palestine.

Néanmoins, nous avons été fiers, et la France a connu un bref moment de consensus, lorsque notre pays s’est engagé militairement et diplomatiquement pour sauver les populations de Benghazi du carnage qui leur avait été promis.

Il n’était pas facile d’obtenir un accord sur le principe d’une intervention et d’assurer la cohésion avec nos alliés. Il n’était pas aisé non plus de calmer les inquiétudes des uns et les peurs des autres. Pourtant, monsieur le ministre d’État, vous avez su assurer ces missions, qui ont contribué à l’image de la France autant que le succès des opérations militaires. Notre intervention au bénéfice de la population libyenne nous a préservés de l’élargissement, qui se serait irrémédiablement produit, du fossé entre l’Europe et le monde musulman.

Maintenant, se pose la question de l’après : aux dictateurs corrompus ou sanguinaires des bords de la Méditerranée ont succédé des régimes encore incertains, qu’il va falloir aider. Quel que soit notre jugement sur les majorités sorties des urnes, quelles que soient nos interrogations légitimes sur le respect des libertés, le droit des femmes, la place des religions dans l’État, nous devons faire preuve à la fois de vigilance et de réalisme.

Vous l’avez bien compris en instituant le partenariat de Deauville qu’évoquait le président Carrère et qui marquera, j’en suis sûr, une étape importante dans les relations entre le nord et le sud de la Méditerranée. Au-delà des 40 milliards de dollars mobilisés pour aider la Tunisie et l’Égypte à offrir à leur jeunesse les emplois auxquels celle-ci aspire, c’est surtout une aide à la transition démocratique que nous devons apporter à des pays avec lesquels nous partageons une amitié liée tout autant à la géographie qu’à l’histoire.

Au Maroc, le roi Mohamed VI a su mettre en œuvre les réformes démocratiques nécessaires. Aussi a-t-il assumé, avec une grande habileté, une transition exemplaire vers une monarchie parlementaire et la coexistence avec des partis certes religieux, mais qui semblent respecter les institutions de ce grand pays.

Toutefois, on le voit bien, derrière ces printemps arabes, c’est tout le continent africain qui est entré en résonance. L’Afrique, si souvent laissée pour compte dans les affaires internationales, est en passe de montrer qu’elle va faire irruption dans le débat mondial. On ne pourra pas la cantonner longtemps dans les seules questions du développement et de la coopération. Là aussi, les populations ont compris que leur propre développement passait par des modes de gouvernance plus conformes aux principes de la démocratie.

L’exemple de la Côte d’Ivoire, où la France a su, avec lucidité, apporter son concours pour faire respecter le résultat des élections, devrait être médité au Sénégal, où un vieux lion historique s’accroche vainement au pouvoir. La France, elle, a su renouveler sa politique africaine.

Monsieur le ministre d’État, vous appartenez au premier gouvernement à avoir rendu publics et soumis au Parlement tous nos accords de défense avec les pays africains, au premier gouvernement aussi qui ait associé le Parlement à l’élaboration d’une stratégie d’ensemble de coopération au développement, grâce au ministre chargé de la coopération, Henri de Raincourt.

La France va vivre, ces prochains mois, un moment de démocratie d’une extrême importance. Compte tenu des défis internationaux que notre pays devra affronter, nous espérons que la politique étrangère fera l’objet d’un véritable débat national. Notre groupe abordera ce dernier, au regard du bilan du Président de la République et de son ministre des affaires étrangères, avec confiance et fierté.

Dans des circonstances particulièrement difficiles, la France a su jouer pleinement son rôle en Europe et dans le monde. Le quinquennat qui est devant nous ne risque pas d’être plus calme que le précédent. Dans un monde instable, notre pays aura besoin d’une politique étrangère forte et inspirée. Nous savons que, avec vous et avec le Président de la République, la France saura maintenir le cap. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.

Mme Leila Aïchi. Tout d’abord, monsieur le ministre d’État, malgré nos nombreuses divergences, je tiens à saluer votre position sur la loi relative au génocide arménien. En effet, l’Histoire ne saurait être instrumentalisée à des fins bassement politiciennes, surtout lorsqu’il s’agit d’exactions d’une telle portée. Au demeurant, en tant que républicaine, je crois plus à la confrontation des idées qu’au choc des civilisations…

En l’état, le bilan du quinquennat, en politique étrangère comme dans d’autres domaines, n’est pas satisfaisant.

Monsieur le ministre d’État, le 31 janvier 2012, l’Inde a annoncé qu’elle serait susceptible de rééquiper sa flotte aérienne de combat avec le chasseur-bombardier Rafale, et ce à hauteur de 126 appareils. En outre, comme par enchantement, nous apprenons le 3 février 2012 que les Émirats arabes unis seraient proches d’un accord portant sur l’achat de 60 Rafale, retournant soudain une situation très compromise.

Il est vrai que de telles nouvelles détonnent dans une période où la balance commerciale française affiche des performances peu reluisantes, voire calamiteuses. Vous conviendrez que l’année 2011 aura été celle d’un bien triste record en la matière puisque le déficit extérieur se situera vraisemblablement dans une fourchette comprise entre 70 milliards et 75 milliards d’euros.

Toutefois, au-delà de ces simples données comptables, de nombreuses interrogations subsistent.

Tout d’abord, l’Inde a seulement annoncé que nous étions en phase finale de discussion. L’accord n’est donc pas finalisé, et il serait par conséquent prématuré de se réjouir d’un contrat à ce jour virtuel. En ce qui concerne les Émirats arabes unis, la vente serait conclue en mars prochain, sans que plus de détails nous soient donnés. Donc, monsieur le ministre d’État, gare aux annonces non suivies d’effets ! Elles vous ont joué bien des tours par le passé. Je vous rappelle que la confirmation officielle de la commande brésilienne portant sur 36 appareils se fait toujours attendre et que le Président de la République a tenté de vendre quelques avions à M. Kadhafi en 2007 !

De plus, les conditions du contrat de vente restent pour le moins vagues. Combien d’appareils seront fabriqués en France ? Qu’en est-il du transfert des technologies ? Nous ne savons rien de la teneur des négociations. Certes, il semble que la transparence totale dans ce domaine soit impossible. Cependant, l’exigence démocratique appelle une meilleure accessibilité aux informations concernant les tractations industrielles, surtout lorsque ces dernières touchent à la sécurité de notre pays.

Or, s’agissant de ce dossier, nous sommes dans un flou quasi complet. La représentation nationale devrait être associée beaucoup plus en amont à tous les processus de ce type. Vous devriez avoir à cœur, me semble-t-il, de dépasser les seules déclarations tonitruantes de marketing politique, notamment durant les périodes électorales.

Au demeurant, je pense que notre politique étrangère ne devrait pas faire la part si belle aux ventes de matériels militaires. En effet, monsieur le ministre d’État, la promotion du droit humanitaire international et du multilatéralisme devraient être au centre de nos réflexions sur les relations internationales.

Dans ce contexte, notre groupe exprime sa plus vive inquiétude au regard des faits d’une extrême gravité qui se sont déroulés ces derniers jours – et qui menacent sérieusement la paix civile et la démocratie au Sénégal : cinq personnes ont péri de mort violente et l’on compte de nombreux blessés par balles depuis le 27 janvier dernier.

Pourtant, de nombreux signes avaient alerté l’opinion internationale sur les dérives d’un président octogénaire, Abdoulaye Wade, qui détient le pouvoir depuis douze ans et qui cherche à manipuler la constitution sénégalaise pour le conserver plus longtemps encore.

La situation est d’autant plus préoccupante que le scrutin présidentiel du 26 février 2012 approche. Dans un rapport publié jeudi 26 janvier, Amnesty International énumère pour l’année 2011 toute une « série d’attaques contre la liberté d’expression, le recours persistant à la torture par les forces de sécurité et l’impunité dont bénéficient les auteurs de violations ».

La décision du 27 janvier dernier, par laquelle le Conseil constitutionnel a validé la candidature du président sortant et invalidé trois autres candidatures, dont celle de Youssou N’Dour, a mis le feu aux poudres et déclenché la spirale de la violence : des manifestations publiques ont été durement réprimées et des personnalités actives dans le domaine des droits de l’homme ont été inquiétées, avant qu’un manifestant ne soit tué, le 31 janvier dernier, lorsque la police a chargé pour disperser un rassemblement pacifique.

Le Sénégal risque d’être entraîné dans un cycle de brutalités dégénérant en un chaos sans fin. Monsieur le ministre d’État, quelle est votre position face à ce drame prévisible ?

Plus généralement, ne serait-il pas opportun que le Gouvernement use de toute son influence pour soutenir les forces démocratiques et la société civile dans les pays qui exigent la démocratie, ce qu’il n’a pas su faire lorsque le peuple tunisien s’est soulevé contre la dictature ? Cela vaudrait mieux que de revisiter de manière bien hasardeuse et douteuse l’histoire de l’homme africain… Contrairement à ce qu’a dit le Président de la République dans son discours de Dakar, en juillet 2007, l’Afrique est bien entrée dans l’Histoire !

En Syrie, la situation est dramatique. Selon l’Organisation des Nations unies, près de 5 000 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations, en mars 2011. Le Conseil national syrien, qui regroupe la plupart des courants de l’opposition, a affirmé que, dans la seule nuit du samedi 4 février, plus de 260 civils avaient été tués à Homs – ce qui ferait de ce massacre l’un des plus terrifiants depuis le commencement de la révolte contre le régime de Bachar Al-Assad.

Monsieur le ministre d’État, vous conviendrez que l’invitation faite à ce dernier d’assister au défilé du 14 juillet 2008 sur les Champs-Élysées paraît rétrospectivement bien mal inspirée…

Que fait donc la France, de manière concrète, pour contrer les veto chinois et russe au Conseil de sécurité de l’ONU ?

Et que dire de l’Afghanistan, où nos soldats combattent et meurent sans savoir au juste quel est le sens de cette guerre. Pour quel enjeu risquent-ils leur vie ? Où est, en l’occurrence, la cohérence de notre politique extérieure ?

Monsieur le ministre d’État, vous l’aurez compris, ce qui est en cause, c’est le manque désespérant de vision géopolitique d’avenir dont fait preuve cette présidence.

J’en vois, hélas, une illustration dans le peu de publicité dont fait l’objet la Conférence des Nations unies pour le développement durable, également dénommée « Rio+20 », qui se tiendra du 20 au 22 juin 2012. Où en est la préparation de ce sommet ? Quelles sont les propositions de la France dans le domaine de l’économie verte ? Quelles actions innovantes sont entreprises pour éradiquer la pauvreté ? Quel cadre institutionnel est envisagé pour organiser le développement durable ? Que faites-vous pour mobiliser les Français ? Enfin, comment assurer la transition environnementale de nos forces armées et développer des initiatives de génie écologique, tout en répondant à la nécessité de procéder à des interventions rapides, notamment dans le cadre de l’anticipation de conflits ?

Monsieur le ministre d’État, notre pays a besoin de cohérence et d’une vision géopolitique et stratégique de long terme. C’est particulièrement vrai lorsqu’on songe à la montée en puissance des pays émergents. Or la politique menée depuis cinq ans, loin d’apporter des réponses aux inquiétudes des Français, les a amplifiées.

Monsieur le ministre d’État, je veux vous le dire clairement : M. Sarkozy est un problème en matière de politique étrangère… Combien de temps encore sa coûteuse cuistrerie diplomatique va-t-elle nuire à l’image de notre pays ? (M. Christian Cambon proteste.) Combien coûtera-t-elle aux Français, ce qui est plus grave encore, sur le plan économique et en matière d’emploi ? Telles sont les questions qui me semblent centrales à l’heure où il convient de dresser le bilan de M. Sarkozy.

M. Christian Cambon. Un peu de tenue !

M. Yves Pozzo di Borgo. C’est sûrement Mme Joly qui détient les réponses !

Mme Leila Aïchi. Décidément, monsieur le ministre d’État, un changement s’impose… Ce sera, je l’espère, dans quelques semaines ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la crise que le monde traverse est le symptôme de la mondialisation en cours, que nous peinons quelquefois à maîtriser.

Cette crise a de multiples visages : pour nous, c’est une crise financière ; au sud de la Méditerranée, ce sont les révolutions arabes – qui font aussi partie, selon moi, du processus de la mondialisation.

Face à cette tempête, ou plutôt à ce rapprochement des grands mondes, un constat s’impose : l’Europe est condamnée à exister ; elle n’est plus un idéal à atteindre, mais une nécessité dans tous les domaines. N’est-ce pas grâce à l’intervention massive de la Banque centrale européenne, qui est la plus fédérale de nos institutions, que la crise de la zone euro commence d’être calmée ?

L’Europe doit parler. Elle doit le faire d’une seule voix, d’une voix que l’on écoute et que l’on respecte.

La consolidation de l’édifice européen et la sécurité pour tous les peuples de la Méditerranée passeront nécessairement par l’Europe de la défense – un idéal dont nous sommes loin… L’Europe économique et l’Europe militaire sont les deux faces de la même pièce de monnaie.

Nous le savons tous, nos marges de manœuvre budgétaires sont particulièrement étroites. La crise de nos finances publiques retardera certainement la réalisation de l’objectif, fixé en 2008 par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, de consacrer 300 milliards d’euros aux dépenses militaires à l’horizon 2020. Cela doit nous pousser plus avant dans la construction d’un ministère européen de la défense, le renforcement de l’appareil diplomatique de l’Union européenne et l’approfondissement de nos relations avec l’OTAN.

Au sud de la Méditerranée, un autre monde se met en place. Mais, à l’inverse d’une Europe qui n’a plus le choix, le monde arabo-musulman est à un carrefour : l’islamisme larvé y fait face à des autoritarismes sourds.

Les résultats des dernières élections en Tunisie et au Maroc, pour lesquels j’ai été observateur, sont encourageants. Nous pouvons nous féliciter que les opérations de vote se soient déroulées de façon très démocratique. Mon expérience d’observateur électoral m’a montré la nécessité pour nous d’avoir plus de contacts avec les partis qui représentent l’islam politique, comme Ennahda, les Frères musulmans ou l’AKP de Turquie, qui a une très forte influence intellectuelle dans ce champ de sensibilité. Par le biais de fondations, telle celle que vous dirigez, monsieur Robert Hue, mais aussi, bien sûr, de leurs administrations des affaires étrangères, les pays européens doivent entretenir des relations plus étroites avec tous ceux qui animent ce courant de l’islam politique.

Malheureusement, comme on a pu le constater en Libye, la chute des dictateurs n’a pas fait place à des démocraties conformes à nos standards. L’Égypte est, quant à elle, dans une situation intermédiaire. Quoi qu'il en soit, une inquiétude demeure, que l’on peut mesurer à travers le traitement réservé aux minorités chrétiennes. Dans l’ensemble du monde arabe, en effet, les chrétiens sont rejetés et massacrés : c’est notamment le cas en Irak, au Liban, pour une part, en Égypte et au Nigéria.

L’affrontement que connaît la Syrie entre un islamisme larvé et un autoritarisme sourd s’étendra très certainement aux pays du Golfe, les plaçant à la merci d’une déstabilisation. Le Koweït illustre cette situation, même si le processus se déroule sous une forme démocratique : le Parlement est dominé par les islamistes, les quatre femmes députées n’y siègent plus et la famille régnante est obligée de laisser le pouvoir.

C’est en Syrie, monsieur le ministre d’État, que l’affrontement dont je parle est à l’œuvre de la manière la plus visible. Ce pays, qui compte 20 % de chrétiens, était le seul parmi les pays arabes où Noël était fêté comme les fêtes musulmanes ! Aujourd’hui traversé par une crise sanglante, il a sans aucun doute été la cible d’une déstabilisation wahhabite encouragée par l’Arabie Saoudite et le Qatar.

Aux troubles il a été répondu par la stupidité et par l’horreur. Monsieur le ministre d’État, vous avez raison : Bachar Al-Assad est un tyran indéfendable. En s’attaquant à son propre peuple, il ne s’est pas comporté en chef d’État responsable et digne d’être écouté. Mais nous savons bien, depuis la fin de l’intervention en Libye, qu’il ne suffit pas de s’opposer à un dictateur pour gagner ses galons de démocrate… Or, pour ce qui concerne nos rapports avec l’opposition syrienne, je me permets de penser, monsieur le ministre d’État, que nous naviguons à vue, sans bien savoir à qui nous nous adressons vraiment.

Interrogeons-nous, dès lors, sur la position de la Russie, laquelle rencontre des problèmes similaires avec ses populations du Caucase : sa position est-elle aussi tranchée et caricaturale qu’on le dit ?

Bien sûr, Assad doit partir. Mais par quoi et par qui son régime et lui-même seront-ils remplacés ? L’aveuglement n’est pas une solution face à l’horreur qui règne et aux périls qui menacent la région. Il ne suffit pas de regarder la Russie avec des yeux effarouchés de démocrates satisfaits !

La Russie est notre partenaire naturel. En juin dernier, lors de la publication de mon rapport d’information « Pour un partenariat stratégique spécifique entre l’Union européenne et la Russie », j’ai rappelé que nous avions intérêt à renforcer nos liens avec la Russie. Nos frontières, nos approvisionnements en gaz et en pétrole, notre défense et notre sécurité sont concernés. La géographie a toujours déterminé une histoire commune entre l’Europe et la Russie.

Certes, les dernières élections législatives ont constitué un scandale au regard du respect des libertés fondamentales, l’exécutif russe cautionnant des tricheries qu’il faut condamner. Pourtant, la Russie change. Alors qu’elle est démocratique depuis seulement vingt ans, cinq candidats se présenteront à l’élection présidentielle du 3 mars prochain. Les clivages politiques entre eux se rapprochent de ceux que l’on connaît dans l’ouest de l’Europe. Enfin, les manifestations qui sont organisées à Moscou et ailleurs sont le signe de l’émergence d’une société civile et de la constitution d’une opinion publique.

Monsieur le ministre d’État, face à cet arc révolutionnaire qui s’étend de Tunis à Moscou, nous avons besoin d’une Europe mieux intégrée, d’une défense commune efficace et d’une diplomatie européenne plus alerte. Surtout, nous avons besoin de la Russie, peut-être autant qu’elle a besoin de nous.

La France a un rôle historique à jouer : elle doit devenir le fer de lance d’une politique étrangère plus adaptée et mieux intégrée, pour que l’Europe puisse faire face aux vagues de la mondialisation qui façonne le monde d’aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP. – M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à quelques semaines de la suspension de nos travaux et trois mois à peine avant la fin du mandat présidentiel, ce débat de politique étrangère arrive in extremis.

Je le regrette, car il doit permettre de montrer que, malgré le talent et les qualités qu’on vous reconnaît, monsieur le ministre d’État, la politique extérieure menée sous l’impulsion du chef de l’État manque de principes et de lignes directrices claires.

Cela étant, l’action de la France sur la scène internationale reste fondamentalement marquée par un manque d’autonomie diplomatique et stratégique, lié à l’alignement atlantiste du Président de la République.

À propos de l’Afghanistan, en premier lieu, la succession des événements et des décisions des quinze derniers jours a illustré de façon saisissante l’absence de contrôle exercé par le Parlement sur les objectifs, la stratégie et les opérations de la France.

Il aura fallu que quatre soldats français de plus soient tués dans des circonstances dramatiques pour que le chef de l’État évoque enfin l’hypothèse d’un retrait anticipé de nos troupes – que seule la gauche, en particulier notre groupe, réclamait jusqu’ici.

Mais nous ne sommes pas dupes. Le chef de l’État n’a pas subitement pris conscience du fiasco que représente ce conflit, dans lequel nous ne sommes que les supplétifs des États-Unis : il est en période électorale et il lui faut tenir compte de l’impopularité de cette guerre…

Sa décision est imprécise et ambiguë, car elle reporte les solutions de sortie de crise après le départ des troupes de la coalition. Certes, son annonce a eu le mérite de provoquer une discussion sur le calendrier de la transition en Afghanistan. Ainsi, lors de la dernière réunion des ministres de la défense de l’OTAN, le secrétaire d’État américain, Leon Panetta, a annoncé que la mission de combat de son pays laisserait plus tôt que prévu – c'est-à-dire avant la date butoir de 2014 – la place à une mission de formation et d’assistance auprès des forces afghanes de sécurité.

Reste que cette décision ne remet aucunement en cause la stratégie élaborée en 2009 au sommet de l’OTAN à Lisbonne. Or c’est précisément elle qu’il faut revoir ! La représentation nationale devrait en débattre en urgence. Monsieur le ministre d’État, le Gouvernement est-il prêt à engager ce débat avant le prochain sommet de l’OTAN à Chicago ?

Comment peut-il être question d’accepter implicitement de prolonger notre présence en Afghanistan après le retrait de nos troupes sans exiger et obtenir des États-Unis qu’ils clarifient leurs objectifs pour sortir de ce guêpier ?

Dans ce contexte, conditionner le départ de nos troupes à la capacité du régime afghan, corrompu et discrédité, à assurer la sécurité et la stabilité ne peut que nous mener dans une nouvelle impasse.

Pour notre part, afin de trouver une solution politique assurant la stabilité de ce pays, nous proposons de tout remettre à plat en réintégrant l’ONU dans la résolution du conflit. Nous demandons que la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, prenne l’initiative de l’organisation d’une conférence régionale pour définir précisément les conditions d’une paix négociée et durable en Afghanistan. Celle-ci devrait réunir des voisins immédiats, comme l’Iran ou le Pakistan, mais aussi associer l’Inde, la Chine, la Russie, la Turquie et, bien sûr, les diverses composantes du peuple afghan. Pour être efficace, cette conférence pourrait être parrainée par des représentants des États-Unis et de l’Union européenne.

L’actualité immédiate, c’est aussi la situation en Syrie.

Monsieur le ministre d’État, avec notre représentant à l’ONU, vous avez déployé de grands efforts pour tenter de faire adopter par le Conseil de sécurité une résolution condamnant le régime de Bachar Al-Assad et soutenant un plan de sortie de crise plus facilement acceptable par la Russie et par la Chine que celui qui avait été initialement présenté par la Ligue arabe.

Le veto de ces deux pays a bloqué toute action de la communauté internationale dans ce sens. Ils portent ainsi une lourde responsabilité dans la poursuite du massacre de la population civile et de la dégradation de la situation en Syrie.

La France doit poursuivre ses efforts en faveur d’une résolution qui débouche sur des actions efficaces.

Mais il faut aussi mesurer que les Russes et les Chinois, au-delà de la défense d’intérêts strictement stratégiques, se souviennent de la façon dont la résolution qui avait autorisé l’intervention de l’OTAN en Libye a été détournée de son objet initial, la protection des populations s’étant transformée en opération de renversement d’un dictateur.

Poursuivre dans une voie consensuelle est également indispensable pour obtenir l’approbation, ou une neutralité consentante, de pays comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud ou le Pakistan. Ces pays sont, souvent à juste titre, très méfiants envers ce qui leur paraît être des initiatives défendant exclusivement les intérêts américains, ceux des Européens et de leurs alliés.

Monsieur le ministre d'État, après l’échec de samedi à l’ONU, quelles nouvelles initiatives prendrez-vous maintenant pour faire pression sur le régime syrien et trouver une solution viable à cette crise ?

En évoquant le Proche-Orient, je ne peux m’empêcher de déplorer, à titre personnel puisque ce n’est pas la position majoritaire de mon groupe, les conséquences négatives sur nos relations avec la Turquie de l’adoption de cette loi, voulue par le Président de la République, pénalisant la négation du génocide arménien.

Dans cette affaire, on ne peut que s’inquiéter que d’étroites considérations électoralistes aient si gravement dégradé nos relations avec ce pays et contribuent à la perte d’influence de notre diplomatie dans sa région.