M. Robert Hue. Notre pays s’est privé de marges de manœuvre internationales sans pour autant aider à la reconnaissance du génocide arménien et à la réconciliation entre la Turquie et l’Arménie.

M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai !

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. Robert Hue. On sent d’ailleurs combien s’attirer l’hostilité de la Turquie à notre égard complique la recherche de solutions dans la crise syrienne, avec l’Iran ou bien encore Israël.

Avec l’Iran, contrairement aux apparences, la Turquie jouait un rôle modérateur par rapport aux attitudes provocatrices de ce pays. Elle pouvait assurer un équilibre face à ses velléités hégémoniques sur la région. Lui permettre de continuer à jouer ce rôle aurait peut-être évité d’en arriver aux mesures prises par l’Union européenne et les États-Unis, comme l’embargo pétrolier et les sanctions contre la banque centrale iranienne, mesures destinées à assécher le financement du programme nucléaire, mais qui risquent de toucher avant tout la population.

Enfin, un an après ce que l’on a pu appeler les « printemps arabes », la situation au Maroc, en Tunisie et en Égypte est pour le moins inquiétante. La constante paraît être, outre un effondrement économique de la Tunisie et de l’Égypte, la déception des sociétés civiles et des éléments progressistes dont les mouvements ont été détournés avec succès par les forces de l’islamisme politique.

Face à ces situations, et pour ne pas réitérer les erreurs d’appréciation précédentes, quelle sera, monsieur le ministre d’État, la politique de la France envers ces pays, en concertation avec l’Union européenne, pour les aider à surmonter leurs difficultés et les accompagner économiquement ?

En dernier lieu, je ne ferai qu’évoquer la politique européenne.

La signature du traité dit d’« union budgétaire » suscite dans notre pays de fortes oppositions, la nôtre en particulier.

On peut en effet penser qu’il s’agit d’une capitulation devant les exigences des marchés, contraignant les membres de l’Union européenne à la seule voie de l’austérité pour maîtriser leurs finances publiques.

La discussion sur les conséquences de ce traité, fortement inspiré par la conception allemande de la discipline budgétaire, au détriment de la souveraineté des États, sera certainement l’un des principaux sujets de confrontation en matière de politique étrangère durant la prochaine période. Nous appellerons à son rejet, qui nous paraît absolument nécessaire, lorsqu’il sera soumis à ratification.

Telles sont, monsieur le ministre d'État, les appréciations dont je souhaitais vous faire part sur la politique que vous menez. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, au regard du peu de temps qui m’est imparti, j’ai décidé de consacrer la totalité de mon intervention à la situation en Syrie.

Le président syrien a choisi de ne pas entendre les aspirations légitimes que son peuple exprime depuis plus d’un an. Pis, il a choisi la répression, dans sa forme la plus irrémédiable, celle de « crimes contre l’humanité ». C’est ainsi que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a qualifié à plusieurs reprises le déchaînement de violence orchestré par Bachar Al-Assad et ses partisans, qui a déjà coûté la vie à plus de 6 000 Syriens. Les derniers bombardements et massacres d’Homs en sont l’illustration tragique.

Monsieur le ministre d’État, vous l’avez dit, et vous avez eu raison, la France ne doit pas baisser les bras face au martyre syrien.

Certes, le rejet, pour la seconde fois, par Moscou et Pékin, d’un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant les violences en Syrie est un échec pour la diplomatie internationale, la position sino-russe devenant d’ailleurs irresponsable et intolérable au regard de l’ampleur des violences.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Jean-Michel Baylet. Mais nous savons aussi, mes chers collègues, combien la persévérance est payante. La gestion de la crise libyenne l’atteste.

C’est une évidence : il faut poursuivre les efforts entrepris depuis plusieurs mois par la communauté internationale pour parvenir à trouver rapidement une issue à ce drame.

Très sensibles au sort des Syriens et, d’une façon plus générale, très soucieux du respect des droits de l’homme, les radicaux de gauche souhaitent voir accentuer la pression, et notamment celle que vous exercez, monsieur le ministre d'État, sur le régime syrien.

Plus particulièrement, nous devons continuer à soutenir le plan de la Ligue arabe, sous réserve que celui-ci conserve ses fondamentaux quant à la recherche d’un règlement pacifique, qu’il faut persister à espérer.

À cet égard, les amendements proposés par les Russes tendaient, il faut bien le dire, à l’inverse, en particulier celui qui visait sournoisement à désarmer les opposants, qu’ils appellent, et c’est révélateur, les « bandes armées ». Disons-le clairement, il s’agit pour les Russes, ainsi que pour les Chinois, de laisser l’armée loyaliste écraser la rébellion.

M. Roland Courteau. Effectivement !

M. Jean-Michel Baylet. Cependant, sans chercher querelle, j’ajouterai que l’interprétation tout de même extensive de la résolution 1973 concernant la Libye a peut-être rendu les Russes méfiants à l’égard d’une intervention militaire qui, rappelons-le, ne visait pas la destitution du colonel Kadhafi.

Monsieur le ministre d’État, la position de la France est-elle clairement définie quant à l’avenir de Bachar Al-Assad ?

En tout cas, le dialogue doit se poursuivre au sein de la communauté internationale, car il faut agir vite. Comme vous le savez, la guerre civile gagne la Syrie dans sa totalité. Plus le bilan des victimes s’alourdira, plus les contestataires chercheront à venger leurs morts.

Bachar Al-Assad ne semble pas avoir mesuré la dimension sacrificielle des Syriens, en particulier des sunnites, prêts à tout pour se libérer de quatre décennies de domination du clan alaouite. Mais ce face à face est terrifiant pour la Syrie et son peuple.

Cette réalité doit donc nous inciter à renforcer les pressions sur le régime syrien, notamment sur le plan financier.

Le 23 janvier, l’Union européenne a adopté des sanctions supplémentaires, qui s’ajoutent à celles concernant l’embargo sur les armes et les importations de pétrole. C’est une bonne chose, à condition, bien sûr, que les décisions soient respectées. Je pense notamment à l’Iran, qui, en violation des résolutions 1747 et 1929 du Conseil de sécurité, aurait livré des armes au régime. La France doit donc rester attentive à toutes les implications régionales de la crise syrienne.

Mes chers collègues, les radicaux de gauche regrettent que le Président de la République ait reçu Bachar Al-Assad – comme il avait précédemment reçu le colonel Kadhafi –, avec tous les honneurs, lors du défilé du 14 juillet 2008. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca. Ça, il fallait tout de même le faire !

M. Jean-Michel Baylet. Nous voyons bien aujourd’hui qu’il s’agissait d’une faute grave.

Néanmoins, nous nous félicitons du rôle central que la France joue dans la lutte contre les exactions menées par un régime devenu fou et nous espérons que les Syriens, quelles que soient leur confession ou leur position sociale, se retrouvent autour d’un projet politique empreint de liberté, de justice et de fraternité. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, l’« arc de crise » bouge, mais une constante demeure. Je veux parler de la centralité de deux problèmes : le conflit israélo-palestinien et le nucléaire en Iran.

Les « printemps arabes » ont par ailleurs fait naître des incertitudes et des questions, et la crainte se développe chez certains : peur du changement, de l’alternative ou encore du radicalisme…

Dans le magazine Courrier international, qui cite un article paru le 2 février dans le Washington Post, on peut lire que Leon Panetta, le secrétaire d'État américain à la défense, « pense qu'il est hautement probable qu'Israël attaque l'Iran en avril, mai ou juin […] avant que les Iraniens [aient] commencé à construire une bombe nucléaire ».

En la matière, nous partageons pleinement, monsieur le ministre d'État, les préoccupations que vous avez exprimées lors des vœux de la presse, en janvier dernier : « Nous n’accepterons jamais un Iran doté de l’arme nucléaire. […] Les États-Unis et l’Europe viennent de décider des embargos financier et pétrolier sans précédent […] Plus vite le régime de Téhéran comprendra le message qui lui est adressé, plus vite il renoncera à ses programmes illégaux et à sa rhétorique guerrière, plus vite nous pourrons reprendre avec lui des relations normales. »

Vous ajoutiez, vous aussi : « Le risque, pour l’heure, c’est que l’exaspération et l’inquiétude conduisent certains à une solution militaire aux conséquences imprévisibles. »

Je me permets de reprendre vos propos, monsieur le ministre d'État, car je crois qu’il faut revenir à une appréciation précise de la réalité des faits : nous y avons droit.

J’esquisserai brièvement le contexte politique.

L’Iran est un grand pays, avec une grande histoire ; aujourd'hui, il veut se positionner à l’avant-garde du monde musulman et de l’opposition à l’impérialisme des États-Unis et d’Israël.

Il a un sentiment d’encerclement et d’isolement, sentiment qui correspond à une réalité, et il estime – comme d’autres – que le nucléaire peut assurer la sécurité et que la dissuasion peut être une arme efficace.

Je veux rappeler que le nucléaire s’est développé en Iran depuis 1950 – sous le Shah –, donc depuis plus de soixante ans, et que ce pays a signé le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 1970, soit voilà plus de quarante ans. Cela ne justifie rien aujourd'hui, mais, pour autant, je souhaiterais préciser, monsieur le ministre d’État, ce qui, jusqu’à maintenant, était légal.

L’Iran a, je l’ai dit, signé le TNP en 1970 et son programme a été contrôlé par l’AIEA, l’Agence internationale de l’énergie atomique : c’était légal.

Israël, le Pakistan et l’Inde, qui ont la bombe, n’ont pas signé le TNP… Est-ce légal ?

M. Didier Boulaud. Très bien !

Mme Josette Durrieu. Je ne me lasserai jamais de revenir sur ce point, car on traîne cela comme un boulet ! La politique du « deux poids deux mesures » nous décrédibilise et nous empêche peut-être de jouer notre rôle. L’Iran dénonce une attitude discriminatoire et sélective qui prive certains États de leurs droits. Or c’est un peu vrai…

Par ailleurs – vous êtes sûrement informé et assurément très vigilant, monsieur le ministre d’État –, Israël développerait actuellement, sans contrôle, c'est-à-dire clandestinement, des armes nucléaires plus « sophistiquées ». Tout cela est assez inquiétant !

Qu’est-ce qui est légal ? Le programme nucléaire civil iranien, contrôlé par l’AIEA, est légal ; on en a peur, mais il est légal. L’enrichissement de l’uranium a commencé il y a vingt ans, en 1990 ; ça ne nous plaît pas, mais c’est également légal tant que l’enrichissement ne dépasse pas 5 %. À partir de 20 %, on frémit, mais c’est nécessaire pour la recherche médicale ! L’Iran a des centrifugeuses, il enrichit l’uranium, notamment à Natanz.

Monsieur le ministre d’État, je voudrais vous interroger sur un problème qui m’a beaucoup préoccupée. En tant que membre de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, j’ai rédigé un rapport sur le nucléaire en Iran, où je me suis rendue plusieurs fois. Je travaillais à ce rapport lorsque, en mai 2010, la Turquie, le Brésil et l’Iran ont conclu un accord, ce qui était à la fois surprenant et intéressant. L’Iran acceptait de transférer à l’étranger – en Turquie – 1 200 kilogrammes de son uranium faiblement enrichi – à 3,5 % –, soit tout son stock connu, contre la livraison, un an plus tard, de 120 kilogrammes d’uranium enrichi à 20 % pour son réacteur de recherche médicale. Cet échange devait être réalisé sous le contrôle de l’AIEA.

Il semblerait – vous nous direz ce qu’il en est – que le président Obama en était dûment informé et qu’il était entièrement d’accord. Toutefois, dans le même temps, Mme Clinton, qui ne croyait pas à la possibilité d’un tel accord et voyait là un « piège », développait une politique de sanctions.

L’accord entre la Turquie, le Brésil et l’Iran a été conclu le 17 mai 2010 ; le lendemain, le 18 mai, une résolution prévoyant des sanctions à l’encontre de l’Iran a été adoptée par l’ONU, avec le soutien de la Russie et de la Chine. Ce fut un revers humiliant pour les uns et les autres. Que s’est-il exactement passé, monsieur le ministre d’État ? J’aimerais d’autant plus le savoir qu’on évoque, à propos de l’Iran, cette possibilité d’un enrichissement « à l’étranger » de l’uranium.

Allons un peu plus au fond des choses. Vous avez parlé, avec raison, d’un Iran doté de l’arme nucléaire dont nous ne voulons pas. L’AIEA est plus nuancée dans ses déclarations.

M. Alain Juppé, ministre d'État. Elle n’est pas du tout nuancée !

Mme Josette Durrieu. Et je citerai les propos qu’a prononcés M. Clapper, directeur du renseignement national américain, devant le Sénat des États-Unis, le 31 janvier dernier : « Nous estimons que l’Iran garde ouverte l’option du développement d’armes nucléaires, […] mais nous ne savons pas si l’Iran décidera finalement de fabriquer des armes nucléaires. »

Oui, il existe une menace, mais elle n’est pas immédiate. Nous avons une crainte : qu’un engin soit prêt – c’est probable –, même si, apparemment, aucun essai n’a encore été réalisé. Il n’a pas non plus été démontré, pour le moment, que cet engin était adapté à un missile.

Bref, où est la réalité, monsieur le ministre d’État ? Existe-t-il un programme nucléaire militaire en Iran ?

M. Alain Juppé, ministre d'État. Oui !

Mme Josette Durrieu. Les autorités iraniennes ont-elles seulement cette ambition ?

Nous partageons les mêmes craintes, mais je pense – et je pèse mes mots – qu’il ne faut pas exagérer la menace immédiate au risque de créer une spirale anxiogène qu’on ne maîtrisera pas et de légitimer, voire de nourrir une exaspération qu’on ne pourra pas contrôler.

On mesure toutes les conséquences de frappes militaires ou d’une guerre !

J’en viens à la question des sanctions, qui, je crois, ont été adoptées en dehors de l’ONU.

Selon l’agence Reuters, douze navires venant d’Ukraine et transportant 400 000 tonnes de céréales – soit 10 % des importations annuelles – sont bloqués dans les ports iraniens, car leur cargaison n’a pas été payée à cause de l’embargo contre le système bancaire iranien. Il faut effectivement serrer les cordons de la bourse des Pasdaran, puisque ce sont eux qui contrôlent le système bancaire. L’Ukraine ne fournira donc plus l’Iran.

Selon l’Agence France-Presse, le constructeur Peugeot, principal vendeur de voitures en pièces détachées, n’est plus payé et a donc arrêté ses livraisons. De ce fait, une centaine de salariés sont au chômage technique à Vesoul : il s'agit, semble-t-il, d’une conséquence collatérale.

Monsieur le ministre d’État, nous savons que les sanctions économiques connaissent des résultats très divers, et pas nécessairement ceux que l’on attendait. Beaucoup ont rappelé à juste titre que la Syrie était sous embargo depuis 1978… Ce qui est certain, c’est que ces mesures exaspèrent et font souffrir les populations ; qui pis est, elles consolident souvent les régimes.

Des menaces existent, qui vous effraient. Elles nous effraient aussi : nous partageons votre inquiétude. Nous devons être vigilants et cohérents. Nous devons calmer le jeu, apaiser les inquiétudes des Israéliens. Il faut protéger la paix. Des négociations sont sans doute encore possibles ; il semble que le président Ahmadinejad fasse de nouveau des ouvertures ; peut-être est-ce, après tout, un effet des sanctions !

Le 2 mars prochain, les Iraniens voteront lors des élections législatives.

M. Alain Juppé, ministre d'État. Librement ?

Mme Josette Durrieu. Oui, apparemment.

Des divisions existent entre les représentants du monde religieux et politique. C’est le meilleur moment pour que le peuple iranien s’exprime ; il veut prendre sa revanche sur l’élection présidentielle confisquée de juin 2009. Comme vous, je souhaite que le régime actuel tombe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Didier Boulaud. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Monsieur le ministre d’État, je me joins à mes collègues pour vous remercier de participer à ce débat. En effet, nous connaissons tous votre calendrier débordant d’activités, votre engagement et votre action sur tous les fronts de l’actualité diplomatique.

Je vous remercie au nom de mes collègues mais aussi des Français qui s’intéressent à la politique étrangère de la France et, parmi eux, des deux millions de nos compatriotes qui résident à l’étranger et que j’ai l’honneur de représenter dans cette assemblée. Ceux-ci sont plus particulièrement intéressés par votre politique, car ils sont souvent directement concernés par les événements qui appellent votre intervention, et sont donc attentifs aux réactions qui se font jour dans leur pays de résidence. C’est le cas même pour ceux qui vivent en Europe, et qui se demandent peut-être si la politique européenne de la France est toujours considérée comme un élément de la politique étrangère.

Mes chers collègues, la politique étrangère est l’expression normale de la nation sur la scène internationale. C’est ainsi que le fondateur de la Ve République la concevait. Pendant près de trente ans, Charles de Gaulle a conduit une politique étrangère particulière, fondée sur une « certaine idée » de l’intérêt national et de l’ordre européen. Certains des principes qui ont commandé sa politique étrangère sont intangibles : l’indépendance de la Nation, la souveraineté des États, la liberté des peuples.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Et le refus d’être lié par l’OTAN ?

M. Robert del Picchia. L’action internationale de notre pays reste guidée par la conviction que la France a un rôle particulier à jouer sur la scène internationale. Toutefois, le monde a évolué depuis l’époque du général de Gaulle : la mondialisation nous oblige à mener une politique étrangère plus complexe, plus difficile.

Le rôle de l’Europe dans le monde en témoigne. Ce rôle est croissant, et doit s’accentuer encore par la volonté des États membres d’exprimer d’une seule voix leurs valeurs communes. L’ambition d’une existence internationale de l’Union européenne n’était pas présente lors de sa fondation. Néanmoins, l’Union européenne est aujourd’hui contrainte à l’action.

Le dossier syrien en est une malheureuse illustration. Ce pays reste au centre d’une actualité explosive et la situation est inacceptable pour la communauté internationale Tous les efforts, et en particulier ceux de la France, pour trouver une solution au sein du conseil de sécurité de l’ONU, ont échoué à cause – nous le savons tous – de la position intransigeante de la Russie, alliée ferme du régime de Damas, et, dans une moindre mesure, de la Chine, qui a pris la même position que la Russie, pour d’autres raisons.

Il reste que le « devoir de protéger » reconnu par l’ONU, que notre président a évoqué tout à l'heure, ne se traduit pas dans les faits. Nous savons que vous n’abandonnez pas, que vous continuez à faire beaucoup d’efforts. Nous nous tournons également vers l’Union européenne, mais celle-ci a-t-elle les moyens d’agir ? Quelles sont ses possibilités, monsieur le ministre d’État ?

Dans les pays où elle ne peut plus « avancer », l’ONU délègue souvent son action à une puissance régionale. L’Union européenne a été sollicitée à plusieurs reprises ces dernières années. Est-ce une tendance qui va s’amplifier à l’avenir, et, si tel est le cas, comment pourrons-nous répondre à ces nouvelles demandes ?

Conformément à l’intérêt de la France et à sa place dans le concert des nations, face à une construction européenne dont le renforcement est une urgence, et pas seulement du point de vue économique, l’action déterminée du chef de l’État confirme le rôle plus que jamais moteur de notre pays sur le continent européen. C’est bien la solidité des liens avec nos partenaires européens qui garantit notre indépendance politique.

La force d’initiative du couple franco-allemand a été déterminante ces derniers mois. La finance – appelons-la par son nom –, nouvelle menace pour l’indépendance des États en ce début de siècle, doit être maîtrisée. C’est grâce à une union menée par la France en coopération avec l’Allemagne que nous avons apporté des éléments de réponse qui nous permettent de restaurer petit à petit la confiance dans une construction européenne ébranlée. La signature d’un traité à vingt-cinq constitue une autre victoire, car elle envoie un message fort : celui de l’action commune. Encore faut-il qu’elle soit pérenne et crédible pour tous, et que la signature de l’État soit respectée aujourd'hui et à l’avenir, proche ou lointain.

Le même engagement au niveau diplomatique conduirait sans nul doute à renforcer l’action internationale de la France. L’union diplomatique serait un allié précieux de notre pays, et soutiendrait votre engagement, monsieur le ministre d’État.

Une Europe forte, qui inspire confiance à ses partenaires, pourrait également lancer des actions là où l’ONU échoue aujourd’hui. Une voix commune serait le gage de sa détermination. C’est pourquoi la nécessité d’un ministre des relations extérieures de l’Union européenne s’était faite particulièrement pressante lors du second conflit irakien. C’est pourquoi, aujourd'hui, il nous faut faire entendre notre voix commune, car nous disposons désormais de la structure institutionnelle qui nous faisait auparavant défaut.

La voix de l’Europe constituerait-elle, alors, une menace pour la place de la France et son rôle si particulier dans le monde ? On peut se poser la question ! Tant que nous aurons des propositions à formuler, la volonté et le courage de les défendre, nous continuerons à entraîner le reste de nos partenaires européens, je n’en doute pas. Telle est certainement la force de notre diplomatie, et au-delà de notre nation : convaincre, réunir autour de nos convictions.

Le courage, la détermination à ne pas agir seule, la France peut les mettre en œuvre avec son partenaire allemand et le reste des États membres de l’Union européenne. Ne peut-il s’agir d’une alternative efficace à des instances internationales qui échouent souvent dans la recherche d’un consensus illusoire ?

La coopération avec les autres États nations est la clef de voûte de notre politique extérieure. Aujourd’hui encore, il est indispensable de ne pas tomber dans la caricature de clivages nouveaux et trop simples. La France n’a jamais eu intérêt à se fondre dans la masse d’alliances figées, face au reste du monde ; c’est encore vrai aujourd’hui.

La mondialisation oblige notre pays à trouver un équilibre entre les cinq membres du conseil de sécurité de l’ONU, l’Union européenne, la Méditerranée et les pays émergents. Ce pourrait être, me semble-t-il, l’aboutissement géopolitique et économique de notre rôle.

Ce rôle, nous devons le jouer par le biais d’une diplomatie équilibrée entre, d’une part, la défense des peuples et de la démocratie, comme en Afrique ou en Birmanie, d'autre part, la fermeté face à l’Iran ou la Syrie, mais aussi par l’action ou l’intervention, comme en Libye, où l’aviation française n’a pas suivi les alliés mais a été – rappelons-le – la première à agir.

Il existe des axes géographiques, historiques et économiques qui nous permettent de développer des coopérations qui nous paraissent fondamentales. L’accord de coopération militaire avec la Grande Bretagne en matière de défense nucléaire est un exemple, certes peu connu du grand public, mais important pour notre politique de dissuasion.

L’Union pour la Méditerranée est un autre exemple. En effet, si le processus de Barcelone semble aujourd'hui piétiner, il n’en demeure pas moins capital de réinvestir ce champ d’action. La Méditerranée, berceau de la civilisation occidentale, est depuis des décennies au cœur des conflits les plus importants.

La difficulté de faire asseoir à la même table Israël et les pays arabes, ainsi que les révoltes des peuples en Égypte et en Tunisie, où avaient été choisis nos interlocuteurs privilégiés, ont, c’est vrai, donné un coup d’arrêt à cette coopération naissante. Il faut reprendre ce projet, sur lequel la France doit conserver l’initiative.

Si nous parvenons à développer des intérêts communs entre l’Europe et le sud de la Méditerranée, à bâtir une union économique, éventuellement sur le modèle de l’ancêtre de l’Union européenne, peut-être parviendrons-nous à neutraliser les conflits actuels. Le général de Gaulle avait imaginé l’Europe des nations contre la guerre. Nous pouvons aujourd’hui regarder la Méditerranée avec cette même ambition. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, c’est certes au nom des droits de l’homme que nos forces armées participent à la coalition internationale en Afghanistan, mais la véritable raison réside dans la solidarité que nous avons voulu manifester aux États-Unis, frappés au cœur de leur citadelle économique de New York et de leur forteresse politique et militaire de Washington DC.

En trois semaines, la coalition a pulvérisé les forces talibanes, mais, dès que la guerre est devenue asymétrique, les progrès et les reculs se sont neutralisés. Après onze ans de présence, la majorité de la population nous considère désormais comme une force d’occupation.

Admettons-le, c’est un échec, dans le droit fil des retraits britannique et soviétique des siècles passés. Dans chaque débat sur l’Afghanistan, j’ai souligné inlassablement que, si l’effort militaire était indispensable, c’était en installant l’eau et l’électricité dans les villages, en construisant des écoles, en procurant aux Afghans l’accès à l’internet et en leur donnant ainsi le sentiment d’appartenir à la communauté internationale que l’on gagnerait la guerre. Notre action en la matière n’a pas été suffisante.

Maintenant, que faire ?

Le retrait d’Afghanistan apparaîtra comme une victoire de l’islam fondamentaliste sur l’Occident. Nos actions vis-à-vis des talibans et de ceux qui les soutiennent directement ou par réaction doivent impérativement s’exercer sans la moindre faiblesse pour éviter l’effet domino. Envoyons un message sans équivoque aux financiers des talibans.

Mettons enfin la pression sur Israël, dont la politique inacceptable en Palestine, faisant fi du droit international et des résolutions de l’ONU, alimente le très fort ressentiment des musulmans et donne des prétextes à la violence. Le risque pour Israël d’un embargo sur les produits agricoles et les armes, dont il est le quatrième exportateur, devrait le rendre plus sensible aux pressions européennes.

Il faut avoir conscience de la réalité d’un monde indo-persan pour aborder le problème afghan. Le commandant Massoud me disait que ses seuls appuis provenaient de l’Iran, de l’Inde et de la Russie. Ces trois pays sont toujours les protagonistes indispensables du containment du prosélytisme taliban.

L’Iran, qui partage une communauté linguistique et culturelle avec l’Afghanistan et qui a accueilli plus de 2 millions de réfugiés, ne veut pas de forteresse salafiste sur son flanc est. Nous avons là un intérêt commun.

Le mandat du président Ahmadinejad prendra fin l’année prochaine. Il faut dès à présent préparer l’avenir. Une coopération sur l’Afghanistan permettrait de renouer le dialogue, en particulier sur la question nucléaire.

L’Inde, dont la montée en puissance crispe le Pakistan, pourrait et devrait assouplir sa politique au Cachemire. Cela permettrait peut-être une politique pakistanaise moins complice à l’égard des talibans.

Les pays d’Asie centrale, autrefois perses, qui constituent aujourd'hui les marches de la Russie, ont vu, dès l’annonce du retrait allié, des attentats-suicides se répéter. Il n’y en avait jamais eu auparavant !

Les talibans me l’avaient affirmé : ils veulent transformer les républiques d’Asie centrale en émirats. Cette zone eurasiatique stratégique, qui abrite notamment 7 % des réserves mondiales de pétrole et qui est devenue le premier exportateur mondial d’uranium, est extrêmement préoccupée par sa sécurité. Nous devons absolument répondre à cette inquiétude par une diplomatie active au plus haut niveau.

Nous avons, ces dernières années, nommé d’excellents ambassadeurs dans ces pays, mais, monsieur le ministre d’État, il est indispensable que vous vous rendiez sur place, ainsi que M. le ministre de la défense. Ces pays souhaitent une coopération plus étroite avec nos entreprises de défense, mais nous manquons parfois de pragmatisme et de réactivité.

À titre d’exemple, l’Ouzbékistan, avant d’être mis sous embargo européen voilà six ans, avait conclu des contrats avec des entreprises françaises. Après la levée de l’embargo, aucun des contrats annulés n’a été renouvelé. Pourquoi ? J’ajoute que le survol de l’espace aérien ouzbek, non acquis aujourd’hui, devient un enjeu essentiel pour nos forces armées. Monsieur le ministre d’État, soyez attentif à ces dossiers lors de la commission mixte franco-ouzbèke du 8 avril prochain.

Nous étions en Afghanistan pour défendre les droits de l’homme. Nous devons en partir ; nous allons le faire. Mais les femmes afghanes connaîtront de nouveau l’esclavage, les petites filles voulant s’instruire courront le risque de se faire vitrioler et on n’entendra plus de musique dans les montagnes afghanes. (Mme  Muguette Dini et M. Jean-Pierre Chevènement applaudissent.)