Mme Michèle André. À d’autres !

Mme Catherine Morin-Desailly. Les deux alinéas suivants sanctionnent d’une pénalité équivalente à 1 % du montant de la masse salariale les employeurs qui ne transmettraient pas le rapport de situation comparée à l’inspecteur du travail.

Dans la mesure où la négociation d’un accord prévu par le premier dispositif repose nécessairement sur le constat et les propositions contenus dans le second, est-il nécessaire de cumuler ces deux sanctions ?

Il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité de la première de ces deux sanctions, telle qu’elle est formulée. En effet, les femmes elles-mêmes pourraient en être les premières victimes. Leurs salaires étant souvent faibles, elles bénéficient grandement des dispositifs d’allégements de charges.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Ce sont les employeurs qui en bénéficient, pas les salariées !

Mme Catherine Morin-Desailly. N’y aurait-il pas un paradoxe à pénaliser très fortement les entreprises qui les emploient ?

Enfin, dans le texte que vous proposez, chers collègues, les entreprises ne pourront conserver leurs allégements de charges que si elles sont couvertes par un accord d’égalité salariale.

Dans la pratique, les négociations de ce type peuvent se dérouler de manière moins simple. Que se passerait-t-il si aucune des organisations syndicales ayant pris part à une négociation n’acceptait au final de signer l’accord ? Il ne s’agit pas d’un simple cas d’école : une telle situation pourrait concerner des accords de très bonne qualité.

Autrement dit, il nous semble qu’il faut être plus pragmatique. Avec ma collègue Valérie Létard, nous vous proposerons un amendement en ce sens, tendant à ce que les allégements de charges ne soient supprimés que pour les entreprises qui n’auront pas mis au point un projet d’accord, que ce dernier ait ou non été signé.

Au-delà, il me semble important d’insister sur la nécessité de réécrire le décret d’application du 7 juillet 2011, dans le sens d’une plus grande fermeté, conformément à la volonté exprimée par le législateur lors des débats parlementaires.

En effet, il importe que, du fait de la latitude d’appréciation laissée à l’autorité administrative, les entreprises ne soient pas amenées à penser que le montant de la sanction serait toujours négociable ou évitable. De même, un large panel de leviers d’action doit être pris en compte pour évaluer la situation de l’entreprise, le nombre de ces leviers devant être proportionnel à la taille de celle-ci.

Madame la ministre, j’aimerais que vous puissiez nous apporter des assurances quant à la réécriture de ce décret, dont, le 20 décembre dernier, vous aviez ici même souligné l’importance, en déclarant qu’« un peu de contrainte ne nuit pas à la conviction ».

Nous ne doutons pas de votre mobilisation sur le sujet ; vous nous l’avez encore prouvée tout à l'heure. Cela me laisse d'ailleurs penser que vous n’avez sans doute pas été assez entendue au moment de l’arbitrage interministériel…

Il est désormais impératif que le Gouvernement s’engage à publier un décret « offensif », qui corresponde véritablement à ce que les parlementaires ont voulu, et ont voté.

Mes chers collègues, il me semble que nous disposons aujourd'hui de l’arsenal législatif nécessaire et qu’il nous faut privilégier l’efficacité des mesures déjà votées – très récemment, d'ailleurs – par rapport à l’inapplicabilité d’un texte dont Mme la ministre vient de souligner l’inconstitutionnalité.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après l’examen, ce lundi, de la proposition de résolution sur les violences faites aux femmes, la thématique du droit des femmes est, pour la deuxième fois cette semaine, à l’ordre du jour de notre assemblée, et ce quelques jours avant la fin de nos travaux en séance publique.

C’est la preuve que ce thème sera au cœur des campagnes à venir et, surtout, qu’il y a, en la matière, encore beaucoup à faire.

En effet, alors que Nicolas Sarkozy promettait en 2007 de faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes, force est de constater que, dans ce domaine comme dans tant d’autres, et contrairement à ce qu’a dit Mme la ministre, le bilan est maigre, pour ne pas dire inexistant. D'ailleurs, si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas réunis cet après-midi pour débattre de cette proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes.

La droite a aggravé la situation des femmes de notre pays : manque de moyens pour faire appliquer la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes ; recul de la parité au travers de la terrible et antidémocratique réforme des collectivités ; recul sur le droit à disposer de son corps via l’attaque de notre système de santé et la fermeture de maternités et de centres d’interruption volontaire de grossesse ; aggravation des conditions de vie du fait de la crise et des politiques libérales, dont les premières victimes sont les femmes ; retrait de la date butoir pour la suppression des différences de rémunération entre les femmes et les hommes. Et je pourrais citer d’autres exemples.

Dès lors, il n’est pas étonnant de constater que, selon le rapport annuel du Forum économique mondial consacré à la question des inégalités entre les sexes, la France vient une nouvelle fois de rétrograder, passant, pour les écarts de salaire, du cent vingt-septième au cent trente et unième rang – sur cent trente-cinq pays ! – et, entre 2009 et 2011, pour l’accès des femmes à l’éducation, la participation économique et les responsabilités politiques, de la dix-huitième à la quarante-huitième position.

Mme Laurence Cohen. Le moins que l’on puisse dire est que l’on n’avance pas sur cette question. On peut même dire que l’on recule… (Mme la ministre manifeste un certain découragement.)

Mme Laurence Cohen. Je voulais, par ces quelques exemples, restituer le contexte peu glorieux dans lequel nous débattons de la proposition de loi déposée par nos collègues socialistes.

Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité des auditions réalisées au sein de la commission affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes.

Si certains peuvent penser secrètement qu’il s’agit encore d’une énième loi pour l’égalité salariale, c’est bien parce que nous sommes toujours loin du compte, malgré, effectivement, une certaine abondance législative en la matière. La loi Roudy a marqué en ce sens une importante étape historique et fondatrice, malheureusement peu suivie d’effets. Les chiffres que mes collègues ont déjà cités illustrent à l’envi la situation d’inégalité professionnelle que vivent les femmes.

Ce leitmotiv de l’égalité salariale, ce serpent de mer, cette arlésienne est tout sauf la lubie de quelques féministes, c’est un droit, une nécessité pour le bien-être de chacun et de chacune !

Comme le souligne l’économiste Françoise Milewski, le « soupçon » qui pèse sur les femmes d’être avant tout des mères, ou de futures mères, amène l’employeur à considérer que leur motivation professionnelle serait diminuée ou qu’elles auraient tendance à interrompre temporairement ou définitivement leur emploi. Et pourtant, une étude de la DARES montre que les femmes qui n’ont jamais arrêté de travailler perçoivent un salaire horaire brut inférieur de 17 % à celui des hommes présentant également un parcours continu, en dépit du fait qu’elles sont en moyenne un peu plus diplômées que les hommes. L’essentiel de cet écart n’est donc pas explicable par des différences de caractéristiques effectives.

La proposition de loi de nos collègues est donc doublement intéressante : d’une part, parce qu’elle prévoit, en cas de défaut de transmission du rapport de situation comparée, une pénalité d’un montant fixé à 1 % de la masse salariale de l’entreprise ; d’autre part, parce qu’elle fixe une date butoir, le 1er janvier 2013, et formalise, pour la première fois, une sanction financière.

Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, notre groupe avait d’ailleurs fait adopter un amendement similaire, qui visait à supprimer les exonérations sociales pour les entreprises qui ne respectent pas l’égalité salariale.

À l’Assemblée nationale, nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine s’étaient également saisis de cette question salariale, en mars 2011, en déposant une proposition de loi visant à instaurer un montant de pénalité « fixé au maximum à 10 % des rémunérations et gains », en cas de non-respect de l’égalité.

Je le disais tout à l’heure, l’égalité entre les femmes et les hommes contribuerait à l’amélioration de la situation de tous et toutes. J’illustrerai mon propos en m’appuyant sur une étude de l’INSEE de 2008 qui démontre que la sécurité sociale perd plus de 52 milliards d’euros de cotisations en raison des inégalités salariales entre les femmes et les hommes. Ainsi, la résorption des inégalités salariales permettrait de réduire de moitié le déficit cumulé de la sécurité sociale qui, je vous le rappelle, s’élève à 100 milliards d’euros !

M. Roland Courteau. Voilà qui est intéressant !

Mme Laurence Cohen. Notre groupe votera donc cette proposition de loi, relayant les batailles menées par les féministes. Je pense notamment à la belle campagne nationale intitulée « Égalité des salaires maintenant », une campagne menée sur l’initiative de Femmes Égalité et soutenue par de nombreuses organisations associatives, syndicales et politiques. Elles organisaient un colloque samedi dernier ; il fut riche de témoignages, d’expériences sur le vécu des femmes salariées, vendeuses, femmes de ménage, caissières, assistantes maternelles, aides soignantes. Toutes ont dénoncé la pénibilité de leur travail, un travail sous-rémunéré et peu reconnu ; toutes ont appelé au respect et à la dignité, ces mêmes femmes qui commencent à se faire entendre et qui luttent – les dernières semaines ne manquent pas d’exemples, je pense aux caissières de DIA d’Albertville ou aux salariées de Lejaby.

Il nous apparaît donc essentiel non seulement de voter cette proposition de loi, mais encore de mener une grande campagne en faveur de la nécessaire sensibilisation à la mixité des métiers, à la lutte contre les stéréotypes, à l’égalité d’accès aux filières de formation, à la lutte contre la précarité du travail des femmes, à la création d’un service public de la petite enfance, à une reconnaissance des compétences des femmes avec des équivalences entre les métiers, à un meilleur accès aux emplois.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Laurence Cohen. Il conviendrait en fait d’aller plus loin, en lançant un débat sur la réorganisation du travail et en menant une autre grande campagne sur le véritable partage des tâches dans la sphère privée : ce seraient autant de propositions qui contribueraient, enfin, à une amélioration des conditions de travail et à une véritable égalité dans tous les domaines de la vie entre les femmes et les hommes.

Je ne sais pas si nous sommes tous et toutes d’accord, mais, si nous le sommes, il faut voter cette proposition de loi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprime aujourd’hui au nom de ma collègue Françoise Laborde, vice-présidente de la délégation aux droits des femmes, qui a dû partir prématurément et vous prie de l’excuser.

Je suis certain que, dans cette assistance très féminine, vous ne verrez aucun inconvénient à ce que le porte-parole du RDSE soit un homme…

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Personne n’est parfait (Sourires.)

M. Jean-Claude Requier. … et que ce groupe, l’ancien groupe de la Gauche démocratique, le plus ancien du Sénat, soit ainsi à l’avant-garde sur les questions de société.

Pour commencer, je tiens à saluer l’initiative de notre collègue Claire-Lise Campion, soutenue par le groupe socialiste, qui a déposé cette proposition de loi relative à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes avec l’intention d’envoyer un signal fort aux entreprises, vingt-neuf ans après la loi Roudy, qui a posé les premiers jalons en matière d’égalité professionnelle. Le texte qu’elle nous propose d’adopter aujourd’hui vise à mettre fin à la bienveillance dont bénéficient les entreprises qui ne respectent pas l’esprit de cette loi.

Plusieurs lois ont d’ailleurs été adoptées depuis 1983, je pense notamment à la loi Génisson – je salue ici l’auteur – qui a rendu obligatoires les négociations annuelles sur l’égalité professionnelle dans les entreprises, ou encore à la loi de 2006 qui, notamment, fixait au 31 décembre 2010 la date butoir pour la suppression des écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

Au fil des décennies, la France a véritablement mis en place une politique incitative en matière d’égalité professionnelle et s’est dotée d’un arsenal législatif de plus en plus renforcé. Mais que risquent les entreprises qui ne respectent pas la loi ? En réalité, presque rien !

En effet, si l’article 99 de la loi portant réforme des retraites a institué une sanction financière pour les entreprises d’au moins cinquante salariés non couvertes par un accord relatif à l’égalité professionnelle, son décret d’application énumère de nombreux motifs de défaillance que l’entreprise peut invoquer pour justifier son inaction en matière d’égalité professionnelle.

Mme Samia Ghali. Il est nul, ce décret !

M. Roland Courteau. Il est inopérant !

M. Jean-Claude Requier. Il est trop tôt, cependant, pour établir un bilan, car ce décret n’est effectif que depuis le 1er janvier 2012.

Force est de constater qu’en l’absence de sanctions sérieuses la situation professionnelle des femmes est encore aujourd’hui marquée par l’inégalité salariale, phénomène qui aurait même tendance à s’amplifier ces dernières années.

Les chiffres publiés par le Forum économique mondial, en novembre dernier, dans son rapport annuel sur les inégalités entre les sexes, sont excessivement sévères pour la France. Classée en dix-huitième position en 2009, puis en quarante-sixième en 2010, la France continue sa dégringolade, pour s’afficher au quarante-huitième rang cette année.

Cette chute s’explique principalement par la mauvaise place qu’occupe notre pays en matière d’écarts de salaire : selon une récente étude de l’Observatoire des inégalités, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes, à poste et expérience équivalents, en tout début de carrière, serait ainsi de 10 %.

L’égalité professionnelle semble être une marotte sur laquelle tout le monde s’accorde, mais pour laquelle personne ne fait quoi que ce soit : des lois, des déclarations, des promesses et, au final, toujours la même réalité !

Madame la ministre, cette proposition de loi nous donne, vous donne l’occasion de lancer une réflexion plus globale sur la société et de prendre des engagements collectifs en ce sens. Il est évident que l’égalité salariale ne pourra devenir une réalité sans une évolution des mentalités et que la discrimination positive n’est pas forcément la meilleure solution. (Mme Chantal Jouanno s’exclame.)

Je regrette que les tâches domestiques et l’éducation des enfants soient, encore aujourd’hui, l’affaire des femmes, souvent contraintes de mettre leur vie professionnelle entre parenthèses. Les mères sont en permanence tiraillées entre leur volonté de s’épanouir au travail et leurs obligations à la maison.

Si les études récentes affichent un écart moyen de rémunération de 27 % entre les hommes et les femmes, c’est que ces dernières connaissent des interruptions de carrière plus fréquentes. Elles travaillent cinq fois plus souvent que les hommes à temps partiel et sont victimes du « plafond de verre ».

Je déplore que beaucoup de femmes soient contraintes de se retirer du marché du travail parce qu’elles n’ont pas trouvé de solution de garde pour leurs enfants ; le congé parental est alors vécu comme un choix forcé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : après une naissance, 22 % des femmes actives cessent de travailler et 12 % d’entre elles réduisent leur temps de travail ou leurs responsabilités, faisant ainsi passer leur carrière professionnelle au second plan.

Peu d’entreprises mettent en place des aménagements qui permettent aux femmes de concilier maternité et progression de carrière. La loi doit inciter à faire évoluer les mentalités en la matière. S’il existe de meilleures solutions pour opérer cette mutation, nous devons nous rendre à l’évidence, mes chers collègues, notre pays n’a pas encore réussi à les inventer ni à mobiliser les ressources nécessaires et suffisantes pour les mettre en œuvre : le financement du congé de paternité en est un bon exemple.

Il est nécessaire, je le répète, de changer les mentalités et nous devons mener un combat de chaque instant en ce sens ! Cela impose, notamment, de modifier le partage des tâches parentales au sein de la famille, de mettre en place des actions pour augmenter l’offre de garde des jeunes enfants, de favoriser le télétravail, mais aussi d’inciter les entreprises à développer leurs propres crèches, ou encore à supprimer les nombreuses réunions, indispensables ou présentées comme telles, programmées après dix-huit heures.

Pour toutes ces raisons, la majorité des sénateurs du groupe RDSE votera ce texte avec résolution ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno. (MM. Jacques Gautier et Alain Gournac applaudissent.)

Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les présidentes, chères et chers collègues, le principe fondamental de la République, son essence même, est la méritocratie. Nous avons tous les mêmes droits et nous réussissons uniquement en fonction de nos talents, de nos compétences. Les précédents orateurs l’ont rappelé, ce principe de base est bafoué par la discrimination, qui touche grosso modo la moitié de la population.

Oui, madame Campion, comme vous, nous sommes indignés devant la permanence de cette situation et l’hiatus entre les discours, car aucun ne conteste le principe de l’égalité salariale, et la stagnation constatée sur le terrain.

Mme Chantal Jouanno. Je trouverai toujours des critiques pour me rétorquer que c’est faux, que les femmes sont en train de prendre la place des hommes et que les choses changent dans la réalité. Malheureusement, les chiffres, comme les faits, sont extrêmement têtus.

Par sympathie, j’éviterai le terrain de la politique, celui du sport, des administrations ou même des médias, pour me concentrer sur l’économie et les entreprises. Les chiffres ont été rappelés : les écarts de rémunération perdurent et sont de l’ordre de 25 % à 27 %, dont dix points, selon le Conseil économique, social et environnemental, semblent relever de la discrimination pure.

Pourtant, vous l’avez tous rappelé, le principe d’égalité salariale entre les hommes et les femmes est inscrit depuis 1972 dans notre code du travail et quatre grandes lois ont été adoptées depuis : la loi Roudy de 1983, la loi Génisson de 2001, la loi Zimmerman-Copé de 2006 et, enfin, la loi de 2010.

La loi est claire, elle est limpide, ses dispositions sont même assez fortes. Nous déplorons donc non pas un vide législatif, mais une carence dans l’application concrète de la loi, par tous les acteurs confondus. Mme la ministre l’a rappelé tout à l’heure, les représentants syndicaux eux-mêmes ne s’investissent pas suffisamment sur le sujet.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres concernant les rapports de situation comparée ou les accords de branche, ils ont déjà été cités. Il est frappant de constater que si nombreux sont ceux qui s’empressent d’approuver le principe de l’égalité salariale, ils le sont beaucoup moins à le défendre effectivement, à l’exception des femmes et de quelques hommes dans cet hémicycle. En effet, être féministe aujourd’hui, c’est s’exposer à être assimilée à une « femme à problèmes » – je sais de quoi je parle !

Comment expliquer cette situation ? Nous nous heurtons à une réalité sociétale, donc à une réalité qui n’est pas uniquement économique. En témoigne, par exemple, le fait que seulement 10 % des ingénieurs sont du genre féminin… J’ai lu dans un rapport qu’il s’agit d’un « plafond d’acier » culturel, d’un « corset invisible » intégré par les jeunes filles dès leur plus jeune âge,…

Mme Catherine Génisson. Il s’agit du rapport de Mme Grésy !

Mme Chantal Jouanno. … phénomène dont j’ai malheureusement le sentiment qu’il se renforce actuellement, comme je peux le constater dans le cadre de la mission que m’a confiée Mme Bachelot-Narquin – je vous bénis tous les jours, madame la ministre ! (Sourires.)

Pour autant, je veux considérer cette proposition de loi comme un texte d’appel, utile pour ouvrir un débat dans notre hémicycle et, plus largement, au niveau national. Vous comprendrez bien, cependant, que nous ne puissions pas la voter, puisqu’il nous est impossible de cautionner vos assertions sur l’inaction du Gouvernement, d’autant moins que l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 prévoit des sanctions extrêmement fortes, uniques en Europe. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Courteau. Et le décret ?

Mme Catherine Génisson. La loi est vidée de sa substance par le décret d’application !

Mme Chantal Jouanno. Oui, le décret et la circulaire d’application ont trop tardé…

Mme Catherine Génisson. Non, ce n’est pas le problème !

Mme Chantal Jouanno. … – je ne doute pas que des pressions ont été exercées – et ils peuvent vraisemblablement être améliorés.

Toutefois, plutôt que d’adopter cette proposition de loi, qui reviendrait à faire payer aux entreprises le prix d’une carence de l’administration, évaluons dans un délai d’un an, comme je vous l’avais proposé, la mise en application des dispositions existantes. À ce moment-là, nous en rediscuterons.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais cela fait dix ans qu’on évalue !

Mme Chantal Jouanno. Cela fait même quarante ans, madame Borvo Cohen-Seat !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes. Justement !

Mme Catherine Génisson. C’est trop !

Mme Chantal Jouanno. Le Gouvernement prévoit un système d’appréciation pour moduler les sanctions en fonction des efforts : cela relève du bon sens. Nous aurions peut-être dû privilégier une appréciation collective et non pas uniquement administrative, mais je ne peux cautionner les propos affirmant que le Gouvernement n’a rien fait !

Les accords de branche ont quadruplé depuis 2006. Le Gouvernement s’est attaqué aux fondamentaux, tout particulièrement à la question de l’orientation initiale. À cet égard, madame la ministre, il serait utile que vous nous dressiez le bilan de la convention interministérielle pour le développement de la mixité au sein des filières de formation initiale.

Convenez que l’instauration de quotas au sein des conseils d’administration et, demain, au sein de la fonction publique est très positive.

J’ajoute que cette proposition de loi pose un problème de fond, sur lequel je m’étais déjà exprimée et dont j’aimerais que nous puissions débattre de manière constructive.

Votre principe est de supprimer des exonérations de charge sur des bas salaires si l’égalité salariale n’est pas respectée ou pas engagée, ce qui présuppose une mise en balance entre des emplois peu qualifiés et la féminisation des entreprises. Je préfère très largement l’idée d’une sanction assise sur la masse salariale telle qu’elle a été votée en 2010 ou sur d’autres critères financiers, voire – pourquoi pas ? – sur les rémunérations des dirigeants.

Pour conclure, je souhaite que ce débat soit constructif. Nous sommes confrontés à un véritable problème de société, qui perdure, qui progresse, mais qui s’exprime inconsciemment.

Un précédent orateur soulignait que les femmes devaient trouver un équilibre entre leurs obligations professionnelles et domestiques. Mais les hommes aussi ont des obligations domestiques ! Le rapport sur l’hypersexualisation des petites filles sur lequel nous travaillons souligne la culpabilisation des mères : ce sont elles qui n’habillent pas leurs filles correctement, qui cèdent devant elles, etc. Ce sont toujours les mères que l’on culpabilise en cas de problème à la maison. Le phénomène, tout à fait inconscient, est bien ancré dans les esprits.

Nous ne ferons donc bouger les lignes que par des mesures désagréables, qu’il s'agisse de discrimination positive ou de quotas temporaires. Il s’agit certes d’un aveu d’échec de la société, mais nous en sommes rendus là.

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est même antirépublicain !

Mme Chantal Jouanno. Nous ferons également bouger les lignes, je l’espère, avec les travaux en cours au sein de la délégation aux droits des femmes qui sont consacrés à la question des femmes et du travail, dans une acception très large. Je précise d'ailleurs que j’ai adhéré à la grande majorité des recommandations de la délégation aux droits des femmes.

Madame Campion, je vous remercie d’avoir porté ce débat dans l’hémicycle, de nous avoir rappelé à toutes et à tous que nous avons aujourd'hui un devoir d’indignation, …

M. Roland Courteau. Cela ne suffit pas !

Mme Chantal Jouanno. … que nous n’avons pas à nous cacher, à nous excuser de revendiquer ce droit et qu’il faudra sans doute se montrer plus incisif et rompre l’ignorance des médias. Sur ce dernier point, je ne puis que vous renvoyer à l’excellent rapport sur l’image des femmes dans les médias remis à Mme la ministre, qui formule des propositions extrêmement intéressantes. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Bravo !

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les présidentes, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, comme l’ont souligné les précédents intervenants, il ne s’agit pas ici de créer une nouvelle législation concernant le salaire des femmes – nous disposons déjà d’un certain nombre de lois à cet égard – mais d’en assurer, enfin, l’application.

En effet, nous en sommes réduits à chercher les moyens de faire appliquer des lois existantes, ce qui est tout de même préoccupant pour une démocratie ! La présente proposition de loi a justement pour objet de proposer des avancées concrètes afin de permettre cette application. C’est pourquoi nous la soutiendrons.

Je ne citerai pas toutes les lois antérieures, mais j’en analyserai à mon tour brièvement quelques-unes pour montrer qu’elles sont précises. La loi Roudy du 13 juillet 1983 crée le fameux rapport de situation comparée, dit RSC, que les employeurs doivent élaborer sur les conditions d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans les entreprises, puis transmettre pour avis au comité d’entreprise ou, à défaut, aux délégués du personnel.

Les exigences du contenu de ce RSC ont été complétées par la loi Génisson du 9 mai 2001, et je salue ma collègue pour le travail réalisé, qui correspondait largement à une volonté d’instaurer des indicateurs pertinents, des éléments chiffrés permettant une analyse plus lisible de la situation.

Mes chers collègues, vous avez évidemment évoqué la loi de 2006.

Enfin, je citerai le célèbre article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, instaurant une sanction financière à l’encontre des entreprises d’au moins cinquante salariés qui n’auraient pas conclu d’accord sur l’égalité professionnelle.

Cet article a été vidé de sa portée par le décret d’application du 7 juillet 2011, qui permet à l’entreprise mise en demeure de disposer d’un délai de six mois pour se mettre en conformité avec la loi, qui instaure des pénalités applicables uniquement après ce délai sans effet rétroactif et autorise la modulation de la sanction en fonction « des efforts constatés », sanction dont l’entreprise peut même être totalement dispensée…

Dès lors, nous connaissons les faits : en 2010, seules 45 % des entreprises ont transmis un RSC à l’inspection du travail, seules 37 branches professionnelles sur plus de 1 000, soit 3,7 %, sont parvenues à un accord et seules 2 000 entreprises ont conclu un accord spécifique ! Tout semble fait pour que cette mesure ne soit jamais appliquée.

Oui, ce Gouvernement s’est largement désengagé de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, et ce n’est pas le budget pour 2012 entérinant une baisse de 5 % des crédits du programme 137 consacré à l’égalité entre les hommes et les femmes, dont une diminution de 13,7 % des crédits de l’action « Égalité entre les femmes et les hommes dans la vie professionnelle, économique, politique et sociale », qui prouvera le contraire.

Par conséquent, les lois existent, mais rien n’est fait pour qu’elles soient appliquées, ni dans les entreprises ni, ne l’oublions pas, dans la fonction publique, ce qui est inadmissible.

L’écart de salaire entre les femmes et les hommes, après s’être réduit au cours des années quatre-vingt, stagne depuis le milieu des années quatre-vingt-dix et reste au niveau très élevé et inadmissible de 27 %.

Certes, me diront certains, mais les femmes représentent 83 % des emplois à temps partiel, donc comparons ce qui est comparable. Toutefois, le salaire brut horaire total d’une femme est inférieur de 16 % à celui d’un homme et de 13 % si l’on prend en compte uniquement le salaire horaire de base, et ce alors que le niveau moyen d’éducation des femmes a dépassé celui des hommes. Par exemple, le salaire horaire des femmes cadres est inférieur de 19,4 % à celui des hommes.

Si l’on écarte les effets de structure liés à la nature des postes qu’occupent les femmes, la discontinuité des carrières due notamment au fait que les femmes assument 80 % des tâches domestiques – ce qui représente dix-neuf semaines de travail supplémentaires sur une année – et occupent 60 % des postes en contrat à durée déterminée, l’écart résiduel des salaires de dix points ne peut s’expliquer que par des pratiques inégalitaires et discriminatoires.

Au classement du World Economic Forum réalisé pour 134 pays, la France arrive en 127e position en ce qui concerne les écarts salariaux.

J’évoquais la part des femmes employées à temps partiel et en CDD. Dans l’ensemble de l’Union européenne, une femme sur trois travaille à temps partiel, contre un homme sur dix. En France, 80 % des emplois précaires sont occupés par des femmes. Une femme salariée sur quatre perçoit un bas salaire, contre un homme sur dix.

Le temps partiel subi représente près de la moitié des temps partiels des femmes, qui sont surtout présents dans quatre secteurs, par ailleurs fortement féminisés : la grande distribution – 84% des caissiers –, les services personnels et domestiques – 74% des agents d’entretien –, la santé et l’action sociale – 91 % des aides-soignants, 99 % des assistants maternels – ainsi que l’hôtellerie et la restauration.

Ces emplois peu qualifiés sont principalement occupés par des femmes jeunes et peu diplômées. Les horaires sont imposés dans 74 % des cas et le plus souvent atypiques.

Face à cette situation, il est plus qu’urgent d’agir vraiment pour que les lois soient enfin respectées, mises en application, et pour que l’égalité entre les femmes et les hommes, aujourd'hui formelle, devienne réelle. Cela implique, selon nous, de véritables sanctions incitant réellement les entreprises à équilibrer les salaires.

Nous, écologistes, proposons également d’introduire une clause d’égalité salariale obligatoire pour tout marché public ou toute aide publique aux entreprises et de réserver l’exonération de charges sociales aux emplois en contrat à durée indéterminée de plus de trente heures par semaine.

Cela implique également de favoriser l’investissement des hommes dans la sphère privée, de mettre en place une politique éducative et de prévention ambitieuse passant par la formation initiale et continue aux inégalités de genre de tous les acteurs de l’éducation, de la petite enfance à l’université, de réformer les congés de parentalité, de lutter contre les stéréotypes et d’obtenir, enfin, la création d’un grand ministère d’État de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Cela passe aussi, selon nous, par des changements législatifs qui imposent la parité effective – une parité de résultat et non pas seulement d’intention – dans les partis politiques, dans l’ensemble des assemblées territoriales et législatives. Nous ne pouvons plus accepter, c’est une nécessité démocratique, que les femmes ne représentent en France qu’un parlementaire sur cinq !

Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera en faveur de cette proposition de loi fixant des délais clairs, des objectifs chiffrés, des dates butoirs, bref, marquant un premier pas dans la bonne direction ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)