compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Boyer,

Mme Marie-Noëlle Lienemann.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et aux biens qui en font l’objet, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2012 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Décision du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 23 février 2012, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi organique relative au remboursement des dépenses de campagne de l’élection présidentielle.

Acte est donné de cette communication.

5

Modification de l'ordre du jour

M. le président. Par lettre en date du 23 février 2012, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour des jeudi 1er et vendredi 2 mars de la proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire et de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à modifier le régime de responsabilité civile des pratiquants sportifs.

Pour ces deux propositions de loi, le temps accordé dans la discussion générale aux orateurs des groupes pourrait être d’une heure.

Il n’y a pas d’opposition ?...

En conséquence, l’ordre du jour des jeudi 1er et vendredi 2 mars 2012 s’établit comme suit :

Jeudi 1er mars 2012

À 9 heures 30 :

- Suite du projet de loi relatif à la majoration des droits à construire ;

- Sous réserve de sa transmission, proposition de loi relative aux mesures conservatoires en matière de procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;

À 15 heures et le soir :

- Questions d’actualité au Gouvernement ;

- Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à modifier le régime de responsabilité civile des pratiquants sportifs ;

- Suite de l’ordre du jour du matin ;

Vendredi 2 mars 2012

À 9 heures 30, à 14 heures 30 et le soir :

- Suite de l’ordre du jour de la veille.

6

Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 24 février 2012, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2011-224 QPC).

Acte est donné de cette communication.

7

Renvoi pour avis

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la majoration des droits à construire (n° 422, 2011-2012), dont la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.

8

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 du règlement.

En tant que vice-présidente du groupe d’amitié France-Arabie Saoudite-Pays du Golfe, je tiens à appeler l’attention du Sénat sur la situation de Hamza Kashgari, bloggeur saoudien, qui vient d’être condamné à mort pour avoir adressé trois tweets – assez indélicats, je l’avoue – à Allah, dont il n’a, évidemment, pas reçu de réponse.

Pour ces tweets malheureux, après avoir été victime à la fois d’une arrestation et d’une procédure d’extradition en Malaisie, où, se sentant menacé et craignant pour son intégrité physique, il s’était rendu, il est maintenant emprisonné en Arabie Saoudite et nombreux sont ceux qui s’inquiètent pour son sort.

Nous respectons tous la liberté du culte, mais ce type d’acte ne mérite vraisemblablement pas la peine de mort, raison pour laquelle j’ai souhaité attirer aujourd'hui l’attention de notre Haute Assemblée sur la situation de ce bloggeur. Je profite de l’occasion pour rappeler que, s’il n’est plus sous les feux de l’actualité et n’intéresse donc plus personne, le cas de Sakineh, menacée de lapidation, n’est toujours pas réglé.

M. le président. Madame Goulet, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

9

 
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Discussion générale (suite)

Exécution des peines

Rejet d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, de programmation relatif à l’exécution des peines (projet de loi n° 386, rapport n° 399).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines
Question préalable (début)

M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le président, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il ne peut y avoir de politique pénale efficace sans exécution des peines. C’est le fondement même de la justice.

Les magistrats font leur travail, je le dis souvent et c’est la vérité, avec sérieux et conviction ; ils appliquent strictement les lois que vote le Parlement. Pour la crédibilité même de la justice, il est indispensable que les sanctions qu’ils prononcent soient exécutées, d’où l’importance de ce projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, qui vient poursuivre et amplifier l’effort engagé, depuis déjà plus d’an, avec le plan national d’exécution des peines.

Lors de la précédente lecture de ce texte par votre Haute Assemblée, nous avons constaté que le Gouvernement soutenu par la majorité présidentielle, d’une part, et la majorité sénatoriale, d’autre part, avaient deux visions assez opposées en la matière. L’échec de la commission mixte paritaire a montré que ces positions ne pouvaient être rapprochées.

Je regrette cependant que la commission des lois ait choisi, par la présentation d’une question préalable, de ne pas poursuivre le débat sur ce texte. Les enjeux de la loi de programmation sont, en effet, primordiaux, tant pour garantir la célérité et l’effectivité de l’exécution des peines que pour renforcer nos capacités de prévention de la récidive et améliorer la prise en charge des mineurs délinquants.

Tout d’abord, je crois que chacun de nous reconnaît la nécessité de lutter contre la surpopulation carcérale et de mener une « politique dynamique d’aménagements de peine […] afin de favoriser la réinsertion et […] mieux lutter contre la récidive », pour reprendre les propres termes de Mme le rapporteur.

Toutefois, les moyens pour y parvenir doivent être adaptés à la réalité des besoins et répondre aux exigences fondamentales de notre droit et de notre procédure pénale.

Le numerus clausus et l’automaticité en matière d’aménagement de peine ou de libération conditionnelle, introduits par le Sénat, soulevaient des difficultés de principe et, surtout, n’étaient pas de nature à répondre aux enjeux de l’exécution des peines ou de la surpopulation carcérale.

L’aménagement de peine ne peut en aucun cas être conçu comme une variable d’ajustement pour lutter contre la surpopulation carcérale : son objectif est de préparer à la réinsertion de la personne condamnée, conformément aux conditions posées par la loi du 24 novembre 2009. En l’occurrence, l’automaticité est sans nul doute contraire aux principes posés par cette loi. Ce sont, je le rappelle, la personnalité, le profil et la qualité du projet du condamné qui doivent fonder la décision, toujours prise par un magistrat, d’aménagement de peine.

Depuis le début du quinquennat, contrairement à ce que certains ont avancé, le Gouvernement s’est résolument engagé dans cette voie. Aujourd’hui, 10 700 condamnés bénéficient d’un aménagement de peine sous écrou, sous forme de surveillance électronique, de semi-liberté ou de placement extérieur : c’est 125 % de plus qu’en mai 2007 !

Je veux rappeler aussi qu’une politique pénale et pénitentiaire responsable passe d’abord par l’individualisation de la peine et donc par la recherche d’un équilibre entre l’incarcération et l’aménagement de la peine : ni « tout carcéral », ni aménagement de peine automatique ne peuvent être satisfaisants.

Ensuite, augmenter la capacité du parc pénitentiaire n’est pas mettre en place une politique du « tout carcéral », mais bien répondre à la réalité des besoins. C’est permettre de résorber le stock de peines d’emprisonnement en attente d’exécution, stock que nous avons déjà réduit, mais 85 000 personnes condamnées à la prison ferme sont encore en attente d’exécution de leur peine.

Porter à 80 000 le nombre de places de prison, à l’horizon 2017, comme le prévoit le projet de loi de programmation, nous donnera les moyens pour que soient respectées les exigences fondamentales de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, auxquelles le Gouvernement et le Parlement sont très attachés.

Chacun de nous sait bien, en effet, l’importance qui s’attache à la lutte contre le surencombrement de nos prisons pour garantir la dignité des détenus et pour permettre un véritable travail de réinsertion.

La création des nouvelles places de prison nous permettra d’atteindre un taux d’encellulement individuel conforme aux objectifs de la loi pénitentiaire.

À cet égard, je veux souligner que les nouvelles places résulteront de la construction de nouveaux bâtiments mais aussi du réaménagement de prisons existantes. Je me suis rendu, voilà quelques jours, dans la Manche et j’ai pu constater qu’il était tout à fait nécessaire de conserver, à côté de la prison neuve en construction à Saint-Lô, les prisons de Coutances et de Cherbourg.

Ces deux prisons vont être réaménagées et contribueront naturellement à atteindre le chiffre de 80 000 places, comme celles d’Aurillac ou de Lure,…

Mme Nathalie Goulet. Celle d’Alençon !

M. Michel Mercier, garde des sceaux. … et bien d’autres que nous avons conservées, notamment parce qu’elles correspondent au fonctionnement de certains tribunaux.

Faute de places suffisantes et faute d’établissements adaptés, nous ne pourrons faire en sorte que la détention, au-delà de la peine, soit aussi une période de réinsertion, ce qui permettait de mieux lutter contre la récidive. C’est pourquoi nous avons inscrit dans le projet de loi de programmation la création d’établissements pour courtes peines. Je rappelle que, sur les 85 000 peines d’emprisonnement ferme qui sont aujourd’hui en attente d’exécution, plus de la moitié ont une durée inférieure ou égale à trois mois.

J’en suis d’accord, il serait tout aussi illusoire de croire que toutes ces peines sont éligibles à un aménagement de peine que de penser qu’elles devront toutes être exécutées en prison. Nous avons donc créé des établissements pour courtes peines qui apporteront une réponse adaptée aux objectifs de la loi pénitentiaire.

Je rappellerai simplement les termes de ce texte : la peine d’emprisonnement ferme doit être le « dernier recours », mais, pour autant, dans certains cas, « la gravité de l’infraction, la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire ».

La loi n’a pas entendu prévoir un aménagement systématique des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement. Cet aménagement est laissé à l’appréciation du juge, au regard des garanties sérieuses de réinsertion dont justifie le condamné. C’est à cette condition que nous respectons le principe d’individualisation des peines et que nous permettons aux condamnés de bénéficier d’un véritable parcours d’exécution de peine.

Par ailleurs, dire que nous n’avons pas veillé au renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation et que le projet de loi de programmation ignore cet objectif essentiel ne correspond d’aucune manière à la réalité de notre action. C’est faux !

Je rappelle que, depuis 2007, les SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, ont vu leurs effectifs s’accroître de plus de 1 100 postes et qu’ils comptent aujourd’hui près de 4 100 personnels, soit plus de 40 % d’augmentation. Cette croissance a été plus forte que celle du nombre de personnes placées sous main de justice, ce qui a permis d’améliorer la qualité du suivi effectué par les conseillers d’insertion et de probation.

Le projet de loi de programmation, qui prévoit la constitution d’équipes mobile dans les SPIP et confie au secteur associatif habilité des enquêtes pré-sentencielles, permet aussi de recentrer l’action des personnels des SPIP sur leur cœur de métier, à savoir le suivi et la réinsertion des condamnés.

Avec ce texte, 132 conseillers seront réaffectés sur le suivi post-sentenciel des condamnés, 88 postes de conseillers d’insertion et de probation mobiles seront créés et 103 psychologues seront recrutés pour mettre en place la pluridisciplinarité dans les services. Cela correspond, au total, à plus de 300 équivalents temps plein travaillé supplémentaires pour les SPIP.

La prévention de la récidive constitue depuis 2007 un objectif majeur de l’action du Gouvernement. La politique de réinsertion en demeure un volet essentiel, mais elle doit s’accompagner d’autres outils qui garantissent le meilleur suivi des condamnés, tels que l’évaluation de la dangerosité, le développement des soins en détention et l’échange d’informations.

Le projet de loi de programmation nous permet de franchir un nouveau pas dans ce sens.

Ainsi, supprimer les dispositions relatives à l’évaluation de la dangerosité des personnes détenues, comme vous l’aviez fait en première lecture, mesdames, messieurs les sénateurs, conduirait à priver les acteurs de la chaîne pénale d’outils indispensables à une meilleure identification des risques de récidive. Je sais que vous n’étiez pas opposés, par principe, à ces outils.

Avec la généralisation du diagnostic à visée criminologique, nous mettons en place une évaluation pluridisciplinaire et systématique des condamnés.

La création de trois nouveaux centres d’évaluation, aux côtés de ceux de Fresnes et de Réau, permet de développer également l’évaluation des condamnés à de longues peines, qui présentent un degré de dangerosité supérieur. Le nombre de condamnés pouvant être évalués annuellement sera ainsi porté à 1 600.

Quant aux dispositions relatives au partage de l’information, l’Assemblée nationale les a rétablies dans leur intégralité.

On sait l’importance d’un tel échange d’informations entre la justice et le médecin dans le cadre d’une obligation de soins ou d’une injonction de soins, ou encore entre l’institution judiciaire et les responsables d’établissements scolaires ou les personnes qui accueillent des mineurs placés sous contrôle judiciaire, pour des crimes ou délits violents ou de nature sexuelle.

L’actualité nous a montré l’urgence de revoir nos règles en la matière. Il est bien évident que, afin d’atteindre cet objectif, nous avons recherché un échange d’informations permettant non seulement de prévenir le renouvellement des infractions particulièrement graves et de garantir ainsi la sécurité de nos concitoyens, mais aussi de veiller au respect des droits du condamné ou du mis en cause.

Enfin, le texte renforce le suivi des soins en détention. Il permettra de s’assurer, dans le respect des exigences du secret médical, que le condamné suit de façon régulière le traitement proposé par le juge de l’application des peines, après expertise médicale concluant à la possibilité d’un traitement. Les attestations délivrées par le médecin traitant et remises par le condamné au juge de l’application des peines permettront à ce dernier de se prononcer en connaissance de cause sur le retrait des réductions de peine, l’octroi de réductions de peines supplémentaires ou d’une libération conditionnelle. Là encore, nous prenons les mesures nécessaires à une action plus efficace de prévention de la récidive.

La meilleure prise en charge des mineurs délinquants constitue le troisième volet du projet de loi de programmation.

L’accroissement du nombre de centres éducatifs fermés, qui s’inscrit dans la continuité de la loi du 10 août 2011, laquelle a élargi les possibilités de placement en centre éducatif fermé, et que l'Assemblée nationale a rétabli dans le texte, ne s’opère pas au détriment des autres structures d’accueil des mineurs. Madame le rapporteur, je crois tout comme vous que nous devons offrir au juge des instruments diversifiés, qui permettent d’adapter la réponse pénale et éducative à la diversité des profils des mineurs. Cela étant, je crois aussi que ces structures, par la prise en charge renforcée et adaptée qu’elles offrent, ont démontré toute leur utilité. Je souhaite donc les développer.

Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte qui vous est aujourd'hui soumis prévoit-il la création de 20 centres éducatifs fermés supplémentaires, portant la capacité d’accueil dans ces structures à 721 places pour 785 places dans des établissements de placement classique.

En exonérant la direction de la protection judiciaire de la jeunesse de la procédure d’appel à projet pour créer les établissements de placement qu’elle gère en régie, nous permettons que cinq de ces nouveaux établissements puissent ouvrir dès la fin de cette année.

Les moyens de ces structures seront en outre renforcés, notamment en matière de suivi pédopsychiatrique, afin d’offrir une prise en charge parfaitement adaptée des mineurs présentant des troubles du comportement, qui sont nombreux dans ces établissements.

Il est par ailleurs absolument essentiel, pour qu’elle garde tout son sens, qu’une mesure judiciaire prononcée à l’encontre d’un mineur soit exécutée dans un temps très proche de la commission des faits. Le délai maximum de cinq jours imposé entre la date du jugement et la première convocation du mineur et de ses parents devant le service éducatif constitue une avancée incontestable. C’est pourquoi 120 postes d’éducateurs seront créés pour accompagner cette mesure.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi de programmation se fixe des objectifs essentiels, nous donnant les moyens, aujourd’hui et pour l’avenir, d’améliorer le taux et les modalités d’exécution des peines. Il apporte des solutions adaptées à la poursuite de deux priorités majeures de toute politique pénitentiaire et pénale que sont la réinsertion et la prévention de la récidive.

Une fois encore, je regrette que la Haute Assemblée ait fait le choix de déposer une motion tendant à opposer la question préalable, alors que je sais combien le Sénat s’est mobilisé en faveur de la réinsertion et de la lutte contre la récidive. Le projet de loi de programmation a fixé des objectifs ambitieux en matière d’exécution des peines, il s’est donné les moyens de les atteindre. Ne nous privons pas de cette chance de renforcer l’efficacité de notre justice et d’améliorer notre politique pénitentiaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est appelé à se prononcer, en nouvelle lecture, sur le projet de loi de programmation relatif à l’exécution des peines, adopté par l’Assemblée nationale le 20 février dernier, après que la commission mixte paritaire, réunie le 14 février, a échoué à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion.

En nouvelle lecture, les députés ont supprimé les nouveaux articles introduits par le Sénat, à l’exception de l’article 7 ter, relatif à la réalisation des expertises psychiatriques par les praticiens hospitaliers. Sans doute faut-il vous remercier, monsieur le garde des sceaux : je suppose que vous leur avez donné votre accord. Si le décret d'application sur les conditions d’organisation de ces expertises va dans le bon sens, tant mieux pour les psychiatres. Pour le reste, les députés ont rétabli le projet de loi de programmation, à peu de chose près, dans le texte du Gouvernement.

L'Assemblée nationale et le Gouvernement, d’une part, la majorité sénatoriale, d’autre part, défendent deux visions opposées, voire contradictoires, de la politique pénitentiaire. Le Gouvernement, soutenu par la majorité des députés, s’inscrit dans la perspective d’une augmentation continue du nombre de personnes détenues et entend accroître les capacités du parc pénitentiaire. La majorité sénatoriale souhaite, quant à elle, dans le prolongement de la loi pénitentiaire, encourager une politique dynamique d’aménagements de peine et, de ce fait, la réduction du nombre des incarcérations, afin de favoriser la réinsertion des personnes condamnées et, ainsi, de mieux lutter contre la récidive, puisqu’il est établi que les aménagements de peines permettent d’éviter nombre de récidives.

La commission des lois a vivement regretté que plusieurs des dispositions adoptées par le Sénat, pourtant susceptibles de faire l’objet d’un compromis entre les deux assemblées, aient été rejetées à l’issue d’un examen souvent expéditif de la part de la majorité de l’Assemblée nationale.

Il en est ainsi des modalités d’information du chef d’établissement sur les antécédents judiciaires d’un élève. Le dispositif adopté par le Sénat permettait de préserver la présomption d’innocence et de définir, de manière plus précise, le nombre de personnes destinataires de l’information. L’Assemblée nationale a préféré s’en tenir au texte du Gouvernement, dont le champ d’application, très large, ne manquera pas de soulever des difficultés juridiques et pratiques.

Il en va de même des dispositions relatives à l’atténuation de la responsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur faculté au moment des faits. Pourtant, nous avions repris ces mesures d’une proposition de loi de notre collègue Jean-René Lecerf, adoptée à la quasi-unanimité du Sénat. Le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Jean-Paul Garraud, s’est borné à observer, contre les témoignages concordants des différents acteurs de la chaîne pénale, sur lesquels s’appuyait le texte de Jean-René Lecerf, qu’il manquait d’« éléments d’information sur la prétendue aggravation des peines prononcées à l’encontre des personnes atteintes d’un trouble mental ». Il est pourtant indispensable d’élaborer de nouvelles réponses face à l’accroissement du nombre de personnes atteintes de troubles mentaux en prison.

La commission des lois déplore également que les positions du Sénat aient été souvent déformées lors de l’examen du texte en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale et que l’esprit de polémique ait prévalu sur les arguments. Le rapporteur de l'Assemblée nationale a par exemple affirmé que la majorité sénatoriale avait fait preuve d’une véritable indifférence à l’égard des personnes incarcérées dans les établissements surpeuplés. Je tiens à rappeler que nous avons toujours plaidé, souvent en vain, pour l’augmentation du nombre de cellules individuelles, conformément aux prescriptions de la loi pénitentiaire.

Nous avons aussi indiqué que la cible de 80 000 places dépasse de loin cet objectif, puisque le nombre de personnes détenues au 1er février dernier s’élève à 65 699 – il a aujourd'hui dépassé les 66 000 –, niveau qui n’avait pourtant jamais été atteint jusqu’à présent. Le projet du Gouvernement se fonde donc non pas principalement sur l’amélioration des conditions de détention, mais bien sûr la volonté de mettre en œuvre une politique de détention plus systématique qui augmentera inexorablement le nombre de détenus.

Compte tenu du rétablissement du texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, la commission des lois ne peut que réitérer les principales objections que soulève ce projet de loi de programmation.

Tout d’abord, nous contestons le postulat sur lequel repose ce texte, à savoir l’augmentation des nécessités d’incarcération. Aucune réponse ne nous a été apportée sur ce point, tant sur la réalité du stock que sur les raisons de la non-exécution des peines ou du délai tardif de leur exécution. Nous en concluons de nouveau que la réalisation d’un parc pénitentiaire de 80 000 places traduit une priorité donnée sur l’incarcération par rapport aux aménagements de peine.

Cette mesure n’est pas conforme à la volonté affirmée par le législateur en 2009. Elle préjuge indiscutablement, à l’orée d’échéances électorales à l’occasion desquelles nos concitoyens se prononceront, des législations et politiques pénales qui seront menées d’ici à 2017. Elle n’aura, au surplus, aucun effet sur le délai d’exécution des peines, dont l’accélération dépend de bien d’autres facteurs, notamment des possibilités d’aménager rapidement un certain nombre de peines, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, souvent faute de moyens.

Ce projet de loi de programmation sert avant tout d’habillage législatif aux déclarations du Président de la République, qui, contre toute attente, le 13 septembre 2011, annonçait la nécessité pour notre pays de disposer de 80 000 places de prison en 2017. Nous lui en laissons la responsabilité.

Ensuite, la mise en place de structures spécifiques pour les courtes peines n’est à notre avis pas compatible avec le principe de l’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement posé par la loi pénitentiaire. Même si toutes les peines de moins de deux ans ne font pas l’objet d’un aménagement, le fait de créer des établissements de courtes peines en grand nombre signifie que le choix du Gouvernement est plutôt celui de l’incarcération.

En outre, la décision de mener le programme de construction en partenariat public-privé, dont l’intérêt n’est pas démontré par rapport au recours à la maîtrise d’ouvrage publique et sur lequel les critiques sont de plus en plus vives, reporte le poids de la dépense sur le moyen terme. Il conduit au paiement obligé de loyers sur de longues périodes – par exemple trente ans – et rigidifie de manière structurelle le budget du ministère de la justice, notamment au détriment des dépenses de fonctionnement, sauf à vouloir forcer les gouvernements futurs à doubler, tripler, voire quadrupler le budget de ce ministère,...

M. Michel Mercier, garde des sceaux. Oh oui, il en a bien besoin !