Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Je vais tenter de rappeler les buts que nous souhaitons atteindre en la matière et le chemin sur lequel nous nous sommes engagés. Certes, nos objectifs ne sont pas encore tous atteints, mais un certain nombre d’entre eux sont mentionnés dans une feuille de route sur laquelle nous allons nous pencher de nouveau au cours des semaines et des mois qui viennent.

Ce que l’on a nommé l’union bancaire, ce sont trois éléments très précis, que je rappellerai brièvement dans un souci de clarté.

Premièrement, c’est la volonté de faire en sorte que les dépôts soient garantis. Il s’agit d’assurer aux déposants qu’ils peuvent maintenir leur confiance envers le système bancaire dans la mesure où celui-ci sera capable de continuer à assumer son rôle, précisément grâce à la sécurité des dépôts des financeurs de l’économie réelle.

Deuxièmement, c’est le dispositif de résolution des crises bancaires dont nous avions besoin compte tenu de l’ampleur des crises subies, de leur répétition et du fait qu’elles devenaient de plus en plus graves et profondes.

Troisièmement, c’est le système de supervision. De fait, on le comprend aisément, dès lors que l’on souhaite réguler l’activité bancaire, il faut établir des règles permettant d’éviter les errements du passé. En outre, lorsqu’on envisage la recapitalisation des banques via le Mécanisme européen de stabilité, il importe que la supervision garantisse que les actions menées ne seront pas accomplies en pure perte.

Voilà les trois piliers qui structuraient ce que l’on a nommé l’union bancaire.

Au terme des discussions qui sont intervenues et qui ont abouti aux conclusions du sommet, il a été décidé de commencer par la supervision, en liant d’ailleurs celle-ci à l’intervention du Mécanisme européen de stabilité, ce qui nous convient car nous n’envisageons pas un instant que l’on puisse recapitaliser les banques sans supervision, puisqu’il s’agit de défaire ce lien très funeste entre dettes souveraines et crises bancaires, qui accroît le risque de déstabilisation profonde des économies.

Donc, les modalités de ce dispositif de supervision, qui serait exercé par la Banque centrale européenne, doivent être précisées. C’est la raison pour laquelle il est prévu, dans les conclusions du sommet de la semaine dernière, qu’au mois d’octobre des propositions précises seront formulées, qui permettront de définir concrètement les modalités de la supervision, pour s’assurer de son efficacité, et les modalités d’intervention, dans le cadre de la supervision, du Mécanisme européen de stabilité.

Il m’est difficile d’en dire plus sur ce que seront les modalités de la supervision puisque nous attendons précisément que la Commission formule, au mois d’octobre, des propositions en la matière. Tout le dispositif de consolidation de l’union bancaire et de l’union monétaire sera profilé dans la feuille de route confiée aux quatre acteurs que sont le président de la Commission, le président de la BCE, le président de l’Eurogroupe et le président du Conseil européen. Je ne peux évidemment pas vous dire aujourd’hui quel sera le résultat des travaux que nous leur avons confiés. Sinon, à quoi servirait-il de leur avoir confié ces travaux ?

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l’heure que les parlementaires de la Manche aimaient la précision ; je m’efforcerai donc d’être très précis. (Sourires.)

Je souhaite revenir sur la problématique de la convergence et de la cohérence entre nous et nos principaux partenaires de l’Union européenne.

Nos prédécesseurs ont créé l’union monétaire, avec les imperfections que l’on sait. Nous sommes en train de parfaire aujourd’hui l’union budgétaire, et nous nous en réjouissons. Tout cela pour arriver au troisième stade qui est l’union économique. Vous-même, monsieur le ministre, et un certain nombre de collègues de la majorité l’ont très clairement dit : nous avons besoin d’une union économique et monétaire.

Or les engagements pris par la France lors du Conseil européen des 28 et 29 juin et le fait que la Commission ait formulé un certain nombre de recommandations que vous avez prises en compte sont, à mon sens, « en incohérence » – ce n’est pas vous faire injure que de dire cela – avec les deux premières mesures prises par le gouvernement Ayrault, c’est-à-dire le retour à la retraite à 60 ans, l’augmentation du SMIC et, prochainement, la suppression de la TVA sociale ainsi que l’augmentation du nombre de fonctionnaires : autant de signes à l’adresse de notre principal partenaire, l’Allemagne, et à l’adresse des marchés.

Comment allez-vous procéder pour engager cette convergence entre les deux principales économies, à savoir l’économie française et l’économie allemande ? Cette question a, du reste, été également soulevée tout à l’heure par notre collègue Richard Yung.

Par ailleurs, je tiens à dire que je voterai le TSCG, tout simplement parce que j’avais, avant, décidé de le voter.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. Jean Bizet. Mais il y a deux façons de voter, monsieur le ministre : soit avec enthousiasme, soit avec résignation. Pour le voter avec enthousiasme, j’aimerais savoir comment vous allez procéder pour engager les réformes structurelles dont notre pays a besoin.

Un certain nombre de membres de l’UMP auront, me semble-t-il, cette même interrogation. Donc, répondez-nous assez rapidement, avant que nous n’abordions la ratification du traité. Comme l’a dit M. le président de la commission des finances, à l’époque, si je ne me trompe pas, monsieur le président Sutour, le parti socialiste n’avait pas voté le MES. Nous, a priori, nous voterons le TSCG parce qu’il y va de l’intérêt de la France et de l’Europe.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Monsieur le sénateur, Tocqueville, qui a passé beaucoup de temps dans le département de la Manche et qui disait que les habitants de notre département sont « violemment modérés », trouverait dans votre obstination, vous sénateur de la Manche, à développer des arguments ne correspondant pas à la réalité, une forme d’éloignement de son esprit. Cela ne vous ressemble pas ! (Sourires. – M. Jean Bizet marque son étonnement.)

Je voudrais donc vous convaincre d’arrêter d’utiliser des arguments qui ne correspondent pas à la réalité, ce que je vais essayer de vous démontrer, parce que je n’avance pas cela sans avoir l’envie de vous persuader et sans être sûr d’y parvenir.

Quelle situation avons-nous trouvée ? Une aggravation de la dette publique de 600 milliards d’euros : elle s’élevait à 1 200 milliards d’euros en 2007, elle est aujourd'hui de 1 800 milliards d’euros. Cette situation de dégradation des déficits vous a conduits, sans vous préoccuper hier de la rigueur budgétaire autant que vous vous en préoccupez aujourd’hui, et alors que le Premier ministre déclarait au début du quinquennat précédent que le pays était en faillite, à mettre en place un dispositif de politique fiscale en faveur de ceux qui n’avaient nul besoin de ces largesses, au détriment des équilibres budgétaires de notre pays et de ses comptes publics.

Vous avez mis en place un dispositif d’exonérations multiples de charges qui n’ont en rien restauré la compétitivité de notre économie puisque, le quinquennat passé s’est soldé par une augmentation de un million du nombre de chômeurs, qu’il a vu la destruction de 450 000 emplois industriels et la disparition de pans entiers de notre industrie. Et si la compétitivité d’une économie se mesure à sa capacité à exporter ses produits, nous héritons d’une situation où le déficit du commerce extérieur s’élève à 75 milliards d’euros quand les Allemands affichent 150 milliards d’euros d’excédent.

M. Jean Bizet. Justement : convergeons !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Donc, tout ce qui a été fait au cours des cinq dernières années a consisté à nous faire diverger profondément de l’objectif de justice sociale, de rétablissement des comptes publics et de compétitivité. Alors que nous sommes là depuis quelques semaines seulement, que notre objectif est de rétablir l’équilibre des finances publiques, voilà que l’on nous demande presque des comptes sur les effets de dix ans de politique dont vous, vous êtes comptables !

M. Jean Bizet. Non, ce n’est pas ça !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Permettez-moi de vous le rappeler !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Eh oui !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Cela étant précisé, monsieur le sénateur, je veux maintenant vous dire comment nous allons procéder concrètement.

Vous mentionnez les mesures qui ont été prises et vous en citez trois. D’ailleurs, comme tous les parlementaires de l’opposition les citent systématiquement dans les mêmes termes, j’imagine que vous devez tous avoir des fiches bien préparées…

M. Jean Bizet. Non, je raisonne par moi-même !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les trois mesures évoquées de manière itérative sont : premièrement, la retraite, deuxièmement, l’augmentation du nombre de fonctionnaires et, troisièmement, l’augmentation du SMIC.

M. Richard Yung. Ils ne manquent jamais d’invoquer aussi les 35 heures !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ces trois mesures représentent un volume global de 800 millions d’euros, intégralement financés et contrebalancés, ce qui n’est pas le cas des 1,2 milliard d’euros de dépenses non gagées dont fait état la Cour des comptes et qui ont été, dans le budget 2012 dont nous héritons, mises sur le métier par la précédente majorité sans qu’il y ait en face le moindre euro de financement.

Comment allons-nous faire converger nos économies ?

Nous créerons, d’abord, les conditions de la compétitivité, en essayant de mettre en œuvre la politique qui est la nôtre et qui n’a pas vocation à être nécessairement la même que l’Allemagne. Après tout, il peut y avoir des chemins divers pour faire de la compétitivité, et nous ne sommes pas obligés de construire l’Europe en plagiant les autres ; il y a aussi en France un modèle, des entreprises, une économie justifiant que l’on mette en place des solutions qui correspondent à notre tissu économique, à notre tissu social et à notre ambition pour notre pays.

Quelles sont ces mesures pour la compétitivité ?

C’est d’abord la création de la banque publique d’investissement, qui permettra de mettre en place les moyens de financement de l’activité des PME-PMI innovantes, moyens qui n’existaient pas jusqu’à présent.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Amen !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. C’est ensuite l’institution d’un contrat de génération visant à maintenir dans les entreprises des ressources humaines qui sont un facteur de compétitivité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Amen !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous avons en outre l’intention d’engager une réforme de l’impôt sur les sociétés que vous n’avez jamais voulu faire, au point que le Président de la République précédent a découvert à la fin de son quinquennat que les grands groupes ne payaient pas d’impôts, comme si, pendant les cinq ans qui s’étaient écoulés, il n’avait pas eu le temps de s’en rendre compte… Nous, nous voulons faire en sorte que l’impôt applicable aux entreprises soit juste et efficace et qu’il permette l’investissement et l’innovation.

Si vous considérez que la mesure consistant à baisser significativement l’impôt sur les sociétés prélevé sur les PME et les PMI innovantes et à taxer davantage les grands groupes qui spéculent est marginale, je considère quant à moi que c’est une véritable mesure en faveur de la compétitivité. En effet, la compétitivité, cela suppose aussi que les entreprises qui font de l’innovation technologique, qui organisent la montée en gamme de leurs produits – car c’est également cela, la compétitivité d’une économie – puissent bénéficier d’une fiscalité incitative.

Voilà autant d’éléments qui permettront, à terme, d’aligner notre compétitivité sur celle des autres pays.

Quant à la trajectoire de finances publiques, on verra bien le résultat. On connaît le vôtre ! On pourra apprécier le nôtre à mesure que nos politiques se déploieront.

Nous avons indiqué que nous aurions 3 % de déficit en 2013 - nous sommes à 4,5 % – et que nous voulions parvenir à l’équilibre en 2017. Nous prenons, dans le projet de loi de finances rectificative, des mesures de nature à nous engager sur ce chemin et il y aura un projet de loi de finances initiale pour 2013 qui conduira ce gouvernement à prendre ses responsabilités pour atteindre ces objectifs.

Vous nous posez des questions précises, je vous apporte des réponses précises. Dès lors que ces réponses vous sont apportées, vous pourrez, me semble-t-il, non seulement voter le traité que vous semblez vénérer, mais aussi tout ce qui en corrige les effets et permet d’avoir une politique globale où la discipline budgétaire, la croissance, le financement du budget de l’Union européenne, la régulation des marchés financiers, la supervision bancaire sont inscrits dans un ensemble qui forme un tout cohérent et qui permet d’assurer le redressement dans la croissance et la justice.

Mme la présidente. La parole est à Mme Claudine Lepage.

Mme Claudine Lepage. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera sur un point que l’on pourrait qualifier d’annexe parmi ceux qui ont été adoptés par le Conseil européen.

En effet, à côté des décisions sur la stabilité financière et le pacte pour la croissance et l’emploi, le Conseil s’est félicité de l’adoption du cadre stratégique de l’Union européenne en matière de droits de l’homme et de démocratie, ainsi que du plan d’action y afférent.

Le conseil Affaires étrangères du 25 juin avait aussi insisté sur l’importance qu’il y avait à nommer un représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, dans le but de restaurer la crédibilité de l’Union sur la scène internationale, d’améliorer l’efficacité et la visibilité de sa politique en matière de droits de l’homme. Il a clairement exprimé le souhait que cette nomination ait lieu rapidement.

Trois favoris sont en lice : le Grec Stavros Lambrinidis, la Finlandaise Astrid Thors et le Français François Zimeray, qui dispose pour sa part d’une réelle expérience dans le domaine des droits de l’homme puisqu’il a été nommé ambassadeur pour les droits de l’homme en 2008 et confirmé dans ce rôle par Laurent Fabius.

Les eurodéputés déclarent que ce nouveau représentant des droits de l’homme doit posséder une expertise avérée dans ce domaine et bénéficier d’un mandat fort, indépendant et flexible, qui ne devrait pas être défini par des responsabilités spécifiques.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire davantage sur le champ de compétences de ce haut représentant pour les droits de l’homme et, éventuellement, sur les chances de chacun des candidats ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame le sénateur, je vous confirme l’importance que le gouvernement français attache à la mise en place d’un haut représentant chargé des droits de l’homme auprès de Mme Ashton. Celle-ci a d’ailleurs engagé les auditions en vue du recrutement de ce haut représentant.

Il y a, comme vous l’avez indiqué, plusieurs candidats, dont l’ambassadeur français pour les droits de l’homme, François Zimeray. Dès sa prise de fonctions et à plusieurs reprises au cours des dernières semaines, Laurent Fabius est intervenu pour faire en sorte que la candidature de François Zimeray puisse être prise en compte par les autorités qui auront à décider de la désignation du haut représentant ; une lettre leur a été adressée à cette fin.

Le haut représentant chargé des droits de l’homme doit, comme vous l’avez indiqué, disposer de l’expérience, de l’équation personnelle et aussi du réseau lui permettant d’être utile et de donner à cette responsabilité, qui peut être extrêmement importante au sein de l’Union européenne et tout à fait valorisante pour elle, le relief qu’elle doit avoir dès lors qu’on souhaite que l’Union européenne puisse jouer un vrai rôle sur ces sujets, conformément au vœu des institutions européennes et de Mme Ashton.

J’ai moi-même, à la faveur de mes rencontres avec mes homologues européens, qui m’ont parfois sollicité à ce propos, eu l’occasion d’exprimer la position du gouvernement français.

Je ne veux pas vous indiquer quel est l’état des chances des uns et des autres. La décision appartient à Mme Ashton et nous n’avons pas à décider à sa place ni à exercer sur elle des pressions qui seraient malvenues. Il reste que, tout en respectant ses prérogatives et le choix qu’elle sera, seule, amenée à faire, nous avons souligné les grandes qualités de l’ambassadeur François Zimeray, notamment son expérience, qui feraient de lui un excellent représentant de l’Union européenne pour les droits de l’homme.

Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.

Mme Bernadette Bourzai. Sans tomber dans un excessif optimisme, je me réjouis, comme mes collègues, des décisions et orientations du sommet européen des 28 et 29 juin. J’en félicite le Président de la République, de même que je vous félicite, monsieur le ministre, pour la clarté et la cohérence de vos réponses à nos questions.

Ces orientations répondent aux exigences du court terme, grâce à l’adoption du pacte de croissance. Pour le plus long terme, elles tracent la voie à suivre en vue de renforcer l’Union économique et monétaire.

Nous sommes bien sûr conscients que tout n’est pas réglé, et nous devons songer à la manière de financer à plus long terme des mesures pour une croissance durable.

Pour ce faire, nous devons assurer à l’Union européenne un budget à la hauteur de ses ambitions. Mon propos visera donc les négociations en cours sur les perspectives financières 2014-2020, auxquelles vous avez fait allusion tout à l’heure, monsieur le ministre, en évoquant les 1 000 milliards d’euros à répartir sur sept ans.

Je serai plus particulièrement intéressée par vos réponses sur la position française en matière de politique agricole commune et de politique de cohésion.

Toutefois, étant donné que le temps presse et que plusieurs collègues n’ont pas encore eu le temps de poser leurs questions, je comprendrais très bien, monsieur le ministre, que vous répondiez plus précisément à mes interrogations lors de votre audition commune par la commission des affaires étrangères et la commission des affaires européennes.

Il semble que, lors du Conseil européen des 28 et 29 juin, les débats relatifs aux perspectives financières aient été compliqués. J’aimerais donc que vous puissiez malgré tout dès aujourd’hui nous donner quelques indications sur la position française et sur l’état de la négociation, si possible de manière générale, mais aussi s’agissant des deux politiques que j’ai plus particulièrement évoquées.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice.

Comme je l’indiquais tout à l’heure en réponse à M. Gattolin, ces sujets qui concernent les perspectives budgétaires 2014-2020 sont extrêmement importants, notamment au regard de l’objectif consistant à générer de la croissance.

Je le rappelle, le précédent gouvernement avait considéré qu’il fallait diminuer de 200 milliards d’euros la contribution de la France au budget de l’Union européenne. Toutefois, cette baisse devait s’accompagner d’une sanctuarisation, que nous souhaitons également, des crédits alloués à la politique agricole commune – j’y reviendrai. Avait aussi été affichée la volonté de ne pas trop minorer les crédits consacrés à la cohésion, qui permettent à un certain nombre de pays de cheminer vers la convergence et de faire de la croissance. Il restait donc finalement très peu de ressources, dans un contexte où les piliers budgétaires étaient sanctuarisés, pour faire de la croissance, de l’innovation et de la recherche.

On voit bien d’ailleurs que, sur ce point, nous évoluons sous contrainte.

Toutefois, à cette heure, je ne suis pas encore en mesure de vous dire exactement quelle sera la position de la France dans la négociation qui doit se dérouler dans les mois qui viennent et qui se prolongera jusqu’à la fin de l’année 2012, voire au-delà. Nous sommes en effet engagés dans un processus interministériel d’analyse de la « boîte de négociations » présentée par la présidence danoise, analyse qui doit être croisée avec nos propres contraintes.

Nous devons notamment faire face au cruel dilemme devant lequel nous met la Commission européenne : d’une part, elle nous dit qu’elle veille au respect par l’ensemble des pays des trajectoires budgétaires qu’ils ont présentées et que nous devons à cet égard nous conformer aux recommandations qu’elle nous adresse ; d’autre part, elle nous demande de contribuer au budget de l’Union européenne de telle sorte que, si l’on suivait ses propositions, notre contribution passerait de 18 milliards à 23 ou 24 milliards d’euros. Les deux demandes sont difficiles à satisfaire simultanément. Nous devons donc adopter une position équilibrée et raisonnable afin d’essayer, dans la cohérence, d’utiliser le budget de l’Union pour faire de la croissance.

Ce je peux vous dire d’ores et déjà, c’est que ce travail interministériel doit nous permettre d’arrêter une position susceptible de matérialiser cette cohérence.

Par ailleurs, j’ai eu l’occasion d’indiquer lors des deux conseils Affaires générales auxquels j’ai participé qu’il n’était pas question pour nous d’accepter les amendements présentés par certains États à la « boîte de négociations » au sujet des crédits alloués à la politique agricole commune. En effet, un certain nombre de textes proposés par des États membres préconisaient de diminuer massivement les aides directes à la politique agricole.

Nous pensons, pour notre part, qu’il ne faut pas affecter un secteur d’activité qui souffre déjà beaucoup de la crise. Nous pouvons envisager des évolutions comme le verdissement de la politique agricole commune, qui peut apparaître souhaitable. Nous pouvons également envisager de procéder à des réorientations au sein des deux piliers de la politique agricole commune – les aides directes et l’accompagnement du monde rural. Mais nous ne souhaitons pas qu’on touche au principe des aides directes, à leur volume et au budget de la politique agricole commune. C’est la raison pour laquelle j’ai, à plusieurs reprises, pris des positions extrêmement claires sur les amendements qui étaient proposés par un certain nombre de pays en la matière.

Quant aux crédits de la cohésion, encore une fois, nous avons bien conscience qu’ils sont importants pour la croissance. Mais il faut qu’ils soient utilisés à bon escient. C’est dans cet esprit que nous nous sommes positionnés contre le filet de sécurité et pour le filet de sécurité inversé.

Le filet de sécurité permet à un certain nombre de régions qui bénéficiaient de la cohésion, et qui ne sont pas nécessairement dans les pays de la cohésion, de préserver les deux tiers de leur dotation dans le cadre des trajectoires budgétaires à venir. Nous considérons que ce sujet doit être débattu et nous ne sommes pas nécessairement favorables à ce filet de sécurité. Le filet de sécurité inversé constitue, quant à lui, un dispositif qui permet de maîtriser l’évolution des budgets alloués à un certain nombre de pays de la cohésion en fonction de l’évolution de leur PIB.

Telles sont les précisions que je peux vous apporter cet après-midi. Elles sont, me semble-t-il, suffisantes pour vous montrer que l’on travaille, mais je ne peux pas vous en dire trop non plus à un moment où les arbitrages interministériels sont en cours.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je me réjouis tout d’abord de ce débat, qui a été conduit sur l’initiative de notre collègue Simon Sutour.

En écoutant certains propos tenus cet après-midi, j’ai pensé, monsieur le ministre, à la fable de La Fontaine le Renard et les raisins.

Car enfin, que n’a-t-on entendu sur la faiblesse des résultats obtenus, sur le fait que ces 120 milliards d’euros pour la croissance étaient vraiment insuffisants, que les 60 milliards d’euros de prêts, qui engendreront 180 milliards d’euros d’investissements privés, constituaient un chiffre médiocre, que la taxation des transactions financières était finalement très modérée ?

Je tiens, pour ma part, à dire que nous sommes fiers de ce qui a été obtenu au Conseil européen par le Président de la République et le Gouvernement, monsieur le ministre. On peut certes dire que c’est insuffisant. Mais vous avez impulsé le mouvement, créé le précédent, déclenché l’effet de levier.

Mes questions seront simples.

Premièrement, par rapport aux mesures pour la croissance que j’ai rappelées, quelles dispositions allez-vous prendre afin que cet élan, qui est enfin donné, en faveur d’une nouvelle politique économique en Europe, se prolonge dans le temps, qu’il soit un commencement présageant de nouvelles avancées, que vous obtiendrez mois après mois, année après année ?

Deuxièmement, pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, à quelles orientations vous pensez s’agissant des investissements ? Très concrètement, quels investissements pourraient être financés par cet effort de croissance que nous jugeons tellement bienvenu ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vous remercie de cette question, monsieur Sueur.

Je dirai d’abord quelques mots sur notre état d’esprit après ce sommet, puisque vous évoquiez les commentaires parfois durs faisant état de l’insuffisance de ce qui a été obtenu.

Je constate d’ailleurs que nombre de ceux qui jugent les résultats obtenus insuffisants sont les mêmes qui, hier encore, expliquaient que ce que nous voulions obtenir n’était pas utile…

M. Alain Richard. Et par ailleurs impossible à obtenir !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Impossible et inutile, cela faisait en effet beaucoup !

Nous avons réussi à le faire. Certes, ce n’est pas suffisant, et nous nous efforçons nous-mêmes de ne pas être suffisants au regard de ce que nous avons obtenu. C’est aussi une forme de changement puisque, ces derniers temps, chaque sommet était devenu un « sommet de la dernière chance », qui aboutissait à des opérations de communication en forme d’autocongratulations. Ce n’est absolument pas notre manière de procéder.

Le sommet qui vient de se tenir n’était pas un sommet de la dernière chance, mais seulement une étape d’un processus qui en appelle d’autres. Nous sommes engagés sur un chemin difficile, qui exigera de toute façon beaucoup de mobilisation dans les mois et les années qui viennent.

Nous ne nous glorifions pas du résultat que nous avons obtenu, mais nous considérons simplement qu’il constitue une étape utile pour atteindre le but que nous voulons pour l’Europe, à savoir plus de solidarité, plus de croissance et plus d’efficience des outils dont l’Union européenne se dote afin que les peuples ne soient pas condamnés à l’austérité.

Nous ne sommes pas dans une mise en scène, servie par une communication tonitruante, dont le Président de la République serait seul en situation de tirer profit, en expliquant qu’il aurait vaincu tout le monde pour atteindre son objectif.

Le Président de la République a d’ailleurs expliqué lui-même avec beaucoup de précision que personne n’avait « gagné » lors de ce sommet, sauf l’Europe, que nous n’avions pas « gagné » face à l’Allemagne tout simplement parce que nous étions engagés avec ce pays dans le même combat du sauvetage de la zone euro et du redressement face à la crise.

Je veux redire ici que le couple franco-allemand est sorti conforté de ce sommet, justement parce que nous nous sommes dit les choses avec beaucoup de franchise. On ne bâtit aucun compromis solide sur des ambiguïtés. Lorsque Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing ou Helmut Kohl et François Mitterrand étaient confrontés à des étapes et des échéances importantes, c’est dans la franchise des propos qu’ils se tenaient les uns aux autres qu’ils bâtissaient des compromis solides qui permettaient à l’Europe d’avancer. Ils le faisaient avec pragmatisme, lucidité et modestie.

C’est tout à fait l’état d’esprit du Président de la République. Nous ne sommes pas là pour vaincre qui que ce soit ; nous sommes là pour aider l’Europe à progresser sur le chemin de la croissance et du redressement pour surmonter la crise.

Ce qui a été obtenu est une étape. C’est moins que ce que nous voulions, mais c’est plus que ce que l’on nous avait dit qu’il était possible d’obtenir voilà quelques semaines encore.

En conséquence, comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, nous devons poursuivre résolument ce travail. Comment y parvenir ?

Poursuivre ce travail consiste d’abord à suivre de près les effets de ce qui a été engrangé. Le Président de la République souhaite que les décisions prises soient concrètement mises en œuvre et, à cet égard, certaines questions que vous avez posées nous incitent à être extrêmement méthodiques et vigilants.

Cela veut dire qu’il nous faut mobiliser la Commission, les régions, les entreprises et les institutions financières françaises. Cette mobilisation générale, où chacun doit jouer son rôle, doit permettre de faire en sorte que les fonds soient affectés aux projets qui peuvent faire la croissance de demain.

Par ailleurs, il existe une feuille de route, celle de M. Van Rompuy, celle de la Commission, face à laquelle nous devons être extrêmement déterminés pour pouvoir aller plus loin dans le renforcement de l’Union économique et monétaire, afin que, à chaque étape de la construction de celle-ci, il y ait une composante d’intégration européenne qui permette à l’Europe d’être plus forte. C’est ce que le Président de la République a appelé l’« intégration solidaire ».

Étape après étape, nous viendrons devant le Sénat, l’Assemblée nationale et les commissions spécialisées des deux chambres pour rendre compte, répondre à vos questions et cheminer avec vous.

Vous me posez ensuite la question des projets que nous souhaitons voir prévaloir. Il s’agit bien entendu des projets qui assureront la croissance et l’emploi durables, qui engageront l’Europe dans l’innovation, la recherche, les transferts de technologie, la transition énergétique, et l’Europe a besoin d’une politique énergétique européenne davantage intégrée. Il y a là des gisements d’emploi et d’activité extraordinaires. D’ailleurs, vous pouvez le constater, la transition énergétique souhaitée par le Président de la République, qui avait été tant décriée par l’opposition, constitue aujourd'hui un formidable enjeu de développement de l’Europe s’articulant autour de la croissance verte et du développement de demain.

Tels sont les sujets sur lesquels nous souhaitons nous mobiliser, mais cet immense travail ne se fera pas sans le concours des parlements. Aussi avez-vous, monsieur le président de la commission, un rôle déterminant à jouer pour que nous puissions atteindre ces objectifs le plus harmonieusement et le plus rapidement possible.