M. Charles Revet. La France, par la voix de notre ancien ministre de l’agriculture et de la pêche Bruno Le Maire, a déjà fait connaître ses positions. En l’état, les réformes proposées par l’exécutif européen marqueraient la mort de la pêche française et sont donc « inacceptables », avait-il déclaré.

La France et l’Espagne ont demandé une application graduelle de la diminution de la pêche pour permettre au secteur de s’adapter. Nos deux pays seraient favorables à une date butoir plus éloignée et ont évoqué 2020. J’ai cru comprendre tout à l’heure que vous alliez aussi dans ce sens, monsieur le ministre.

L’autre idée phare de Mme Damanaki consiste à créer un marché européen des quotas de pêche. Devant l’opposition de nombreux pays, elle s’est déclarée prête à mettre en place des garde-fous, comme l’exclusion des plus petits bateaux et la restriction des échanges aux cadres nationaux.

L’interdiction des rejets en mer souhaitée par Bruxelles constitue un important point de désaccord. Cette nouvelle contrainte porterait, en effet, un coup fatal à de nombreux pêcheurs qui seraient incapables d’assumer les dépenses de modernisation ou de remplacement des navires.

Il faut que la limitation des rejets de la pêche privilégie l’objectif de résultat et fasse l’objet d’une approche concertée, pêcherie par pêcherie. À cet effet, il convient de donner plus de responsabilités aux acteurs locaux et aux organisations de producteurs, notamment en leur confiant la mission d’identifier des engins de pêche plus sélectifs.

La politique commune de la pêche doit autoriser une meilleure organisation de l’aval de la filière pêche, afin de mieux valoriser les produits de la mer et d’offrir une alternative aux rejets.

Par ailleurs, la proposition de la Commission de mettre en place des concessions de pêche transférables, CPT, dans tous les États membres, avant le 31 décembre 2013, n’est pas non plus acceptable. La mise en place des CPT affaiblirait les organisations de producteurs qui ont aujourd’hui un rôle essentiel de régulation.

La réforme de la politique commune de la pêche doit se faire avec la participation des pêcheurs eux-mêmes et, à cet effet, il convient de conforter et de favoriser les organisations de producteurs.

Je le redis, la gouvernance de la pêche doit permettre une concertation approfondie entre scientifiques et pêcheurs, au niveau tant de l’Union européenne que de chaque région maritime. La pêche n’est pas seulement un secteur économique ; c’est aussi un mode de vie qui structure les régions côtières et leur donne une identité forte, comme le formalise le Grenelle de la mer.

Par ailleurs, doivent être aussi reconnues par la Commission européenne l’importance de la pêche côtière et de la pêche artisanale pour l’équilibre économique et social, et la préservation de l’identité culturelle de régions côtières européennes. Elles justifient qu’une attention particulière leur soit portée.

Enfin, je souhaite que la politique commune de la pêche favorise le développement de la pêche en outre-mer, compte tenu du potentiel des espaces maritimes ultramarins, et permette ainsi de définir un cadre stabilisé pour l’outre-mer, notamment par le biais de délimitations de zones économiques au niveau régional.

Membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, nous avons déposé, le 21 mai dernier, mes collègues Maurice Antiste, Serge Larcher et moi, une proposition de résolution européenne pour contribuer à la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche des départements d'outre-mer.

C’est un sujet essentiel qui, bien que je ne sois pas élu d’outre-mer, me tient particulièrement à cœur. Je l’ai d’ailleurs évoqué x fois dans cette enceinte !

L’objectif de cette proposition de résolution est simple : contribuer à la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche de nos départements d’outre-mer, qui constituent, en droit européen, des régions ultrapériphériques.

Au terme des travaux de la délégation, la conclusion a été évidente : la pêche constitue pour le développement économique des départements d'outre-mer un secteur essentiel dont les réalités ne sont absolument pas prises en compte par l’Union européenne.

Cette proposition de résolution formule plusieurs constats.

Premier constat : la pêche constitue un secteur économique majeur dans les départements d'outre-mer.

Comme chacun d’entre vous le sait, la France dispose de la deuxième surface maritime mondiale, cela grâce aux outre-mer. Et, monsieur le ministre de l’outre-mer, je ne suis pas sûr que, lorsqu’on aura déterminé les zones économiques territoriales que vous évoquiez tout à l’heure, avec Mayotte, notre pays ne soit pas au premier rang avec les États-Unis !

Il faut rappeler, monsieur le ministre, comme vous l’avez fait, ainsi que Philippe Darniche, que plus de 80 % des poissons et crustacés dont nous avons besoin sont importés. C’est un paradoxe tout de même extraordinaire !

La pêche ultramarine constitue une part très importante de la pêche française : les départements d'outre-mer regroupent près de 30 % de la flotte artisanale française et 20 % des effectifs de marins pêcheurs au niveau national. La Martinique constitue ainsi le premier département de France en matière de pêche artisanale.

La pêche joue un rôle économique et social vital dans les départements d'outre-mer. Un exemple : en Guadeloupe, son poids en termes de chiffres d’affaires est proche de celui des filières de la canne à sucre ou de la banane. Le secteur entretient par ailleurs un véritable lien social du fait de son caractère essentiellement vivrier.

Deuxième constat : la pêche constitue un secteur économique d’avenir pour les départements d'outre-mer.

La pêche ultramarine est soumise à des contraintes importantes, comme l’éloignement de l’Europe continentale bien entendu, mais aussi le coût des carburants, les difficultés de financement des entreprises, l’insuffisance des infrastructures portuaires et de structures de transformation, la vétusté des embarcations ou encore, aux Antilles, la pollution des côtes par la chlordécone.

Elle bénéficie cependant d’énormes atouts, le principal étant le fait que les ressources halieutiques relativement abondantes sont bien souvent sous-exploitées. C’est ce que j’ai retenu des rencontres que nous avons eues.

La conclusion est donc claire : la pêche dispose d’un potentiel de développement important en outre-mer. Il en est de même pour l’aquaculture, qui pourrait se développer dans la plupart des départements d'outre-mer, à condition de se structurer.

Troisième constat : l’Union européenne ne tient aucun compte des réalités de la pêche ultramarine française, ce qui freine le développement de ce secteur.

Les dernières réformes de la PCP ont conduit à des restrictions importantes, expliquées par la surcapacité des flottes européennes eu égard à la raréfaction de certaines ressources halieutiques. Or ce constat ne correspond en rien à la réalité ultramarine. La Commission européenne l’a reconnu elle-même puisque, dans une communication de 2008 relative aux régions ultrapériphériques, elle a souligné : « Les RUP possèdent par ailleurs des ressources halieutiques riches et relativement préservées. »

Pourquoi, dans ces conditions, appliquer les mêmes règles en outre-mer et en Europe continentale ? Les règles de gestion de la ressource sont « euro-centrées », c’est-à-dire pensées par et pour l’Europe continentale. L’illustration la plus inquiétante de l’inadéquation des règles européennes est l’application dans les départements d'outre-mer de l’interdiction des aides à la construction de navires.

Les restrictions imposées à la pêche dans les départements d'outre-mer par la PCP sont d’autant plus aberrantes que, dans le même temps, dans le cadre du volet externe de la PCP, l’Union européenne conclut avec certains pays de l’environnement régional des départements d'outre-mer – Serge Larcher l’a rappelé tout à l’heure – des accords de partenariat de pêche, APP, qui la conduisent à subventionner le développement du secteur de la pêche dans ces pays potentiellement concurrents !

Quatrième et dernier constat : la pêche des départements d'outre-mer connaît certaines difficultés liées à l’environnement régional de ces départements.

La pêche ultramarine souffre de la pêche illégale pratiquée par certains pêcheurs en provenance de pays voisins ; cela a été souligné aussi. Il s’agit notamment d’une problématique récurrente et très sensible en Guyane, où les zones de pêche sont soumises à une pression constante des pêcheurs surinamais et brésiliens, avec des conséquences graves dans les domaines économique, écologique et de la sécurité.

Autre entrave au développement de la pêche ultramarine : les accords de partenariat économique conclus par l’Union européenne avec certains pays voisins des RUP. Dans le cadre de ses politiques commerciale et de développement, l’Union européenne conclut, en effet, des accords de libre-échange avec certains pays d’Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique – les pays « ACP » –, c’est-à-dire des pays aux coûts de production très inférieurs et non soumis aux normes européennes. Il s’agit, là encore, d’une menace pour la pêche des départements d'outre-mer.

La délégation a donc estimé que la réforme de la PCP, dont les principaux volets – atteinte du rendement maximal durable pour toutes les espèces dès 2015, interdiction totale des rejets, mise en place des concessions de pêche transférables – ne trouvent pas aujourd’hui à s’appliquer dans les départements d'outre-mer, constituait une opportunité pour faire valoir les réalités ultramarines.

La proposition de résolution demande que soient mises en place, à l’occasion de la réforme de la PCP, de règles spécifiques aux régions ultrapériphériques, sur le fondement de l’article 349 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

La proposition de résolution recommande notamment le rétablissement de la possibilité d’octroyer des aides à la construction de navires dans les RUP. Il s’agit d’une question majeure pour le développement de la pêche ultramarine. Les flottes ultramarines sont artisanales et vétustes : ralentir leur modernisation empêche la mise en service de bateaux plus écologiques, mieux sécurisés et moins destructeurs de lagons.

Elle prône également le maintien des aides aux investissements à bord des navires et leur adaptation aux réalités des RUP. Les aides au remplacement des moteurs sont aujourd’hui inadaptées à ces réalités : seuls les moteurs de plus de cinq ans sont éligibles, alors que les conditions d’utilisation dans les eaux tropicales conduisent à une usure plus rapide.

Il est également nécessaire d’autoriser les subventions au fonctionnement, et notamment de rétablir le financement public des dispositifs de concentration de poissons – DCP –ancrés collectifs, qui consistent à recréer artificiellement la chaîne alimentaire.

Telles sont les observations que je souhaitais faire aujourd’hui à cette tribune.

Je tiens à rendre un hommage tout particulier à notre excellent rapporteur Bruno Retailleau, avec qui j’ai eu grand plaisir à travailler – ainsi d’ailleurs qu’avec tous mes autres collègues – dans le cadre du groupe de travail constitué entre les commissions des affaires économiques, du développement durable et des affaires européennes du Sénat.

Je conclurai donc mon propos en rappelant les considérations de notre proposition de résolution sur la proposition de réforme de la Commission européenne : un diagnostic de la situation de la pêche européenne discutable ; …

M. le président. Il faut conclure !

M. Charles Revet. … une proposition de règlement de base inadaptée ; une proposition inacceptable de mise en place de concessions de pêche transférables dans tous les États membres avant le 31 décembre 2013 ; une interdiction des rejets irrecevable.

Monsieur le ministre, je sais qu’il y a eu des avancées et des discussions. Mais il est nécessaire que vous soyez extrêmement vigilant : c’est le sens de notre démarche et de nos débats. (MM. Philippe Bas et Philippe Darniche, ainsi que Mme Bernadette Bourzai applaudissent.)

M. le président. Je demande instamment à chacun des orateurs de bien vouloir respecter son temps de parole, tel qu’il a été arrêté par la conférence des présidents.

La parole est à M. Michel Vergoz.

M. Michel Vergoz. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je salue le travail accompli par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, sous l’autorité de son président Serge Larcher et de ses co-rapporteurs, Maurice Antiste et M. Charles Revet, au travers des nombreuses et riches auditions qu’ils ont conduites sur la politique commune de la pêche.

À la lumière de ces échanges, nos interlocuteurs nous ont souvent fait part des nombreuses inadéquations entre les mesures prises par la Communauté européenne, à partir de situations hexagonales spécifiques, et leur application sans discernement dans les DOM, régions ultrapériphériques de l’Europe à statut pourtant particulier.

Je prendrai trois exemples.

Que l’on réduise la flotte de pêche en Europe continentale par suite d’une surcapacité, et nous voilà, dans les RUP, condamnés à la même sentence, alors que la pression sur nos stocks de poissons est loin d’être identique et que nos flottilles locales sont naissantes.

Il est tout aussi difficile d’admettre que des bateaux battant pavillon européen obtiennent des droits de pêche dans nos zones sans que le développement local de nos territoires en retire un juste retour – j’allais dire un juste profit. Je pense là notamment au groupe Intermarché et à son unité de transformation en mer, dans l’océan Indien. Je pense aussi à ces unités qui pratiquent la pêche thonière tropicale et qui débarquent leurs prises aux Seychelles ou à Maurice, où une usine de traitement du poisson a été construite, à deux pas de la Réunion, pourtant région ultrapériphérique de l’Europe. Il existe même une entreprise, la Sapmer, pourtant basée à la Réunion, cotée en bourse, qui débarque ses captures à Maurice !

Si l’on ne peut certes voir là de la provocation, on ne peut s’empêcher de penser que cela révèle tout de même un certain mépris à l’égard de nos populations, qui souffrent d’un affaiblissement de leur cohésion sociale. À la Réunion, le taux de chômage est supérieur à 30 %, et à 60 % chez les jeunes. Des frustrations légitimes peuvent naître de telles situations.

Deuxième exemple : la modernisation des bateaux n’est plus à l’ordre du jour au niveau de l’Europe et le non-renouvellement des aides européennes est décidé pour les RUP, même pour l’achat de simples moteurs destinés à de modestes embarcations utilisées pour la seule petite pêche côtière. De quoi alimenter encore une considérable frustration !

Enfin, troisième exemple, que les DCP dérivants ne soient plus, à juste titre, subventionnés par l’Europe, et voilà nos « DCP maison », nos DCP ancrés, frappés de la même sanction depuis 2008, alors qu’ils n’ont rien à voir avec les premiers cités. Encore des sources d’immense frustration !

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, alors que le traité de Rome fut signé en 1957, il a fallu attendre 1978 pour que la Cour de justice européenne indique, dans l’arrêt Hansen, que « les DOM font partie intégrante de la République française et que l’ensemble du droit s’y applique ».

Un pas décisif sera fait en 1997, soit vingt ans plus tard, au travers de l’article 299-2 du traité d’Amsterdam, lequel actait la nécessité de prendre en compte les spécificités des RUP et la possibilité de leur appliquer des mesures dérogatoires au droit commun.

Depuis, tous les traités ont confirmé cette décision, et l’article 349 du dernier traité sur le fonctionnement de l’Union européenne n’y déroge pas. Trente-quatre ans après l’intégration européenne des RUP, le cœur de notre débat porte encore sur la simple application de la loi.

L’histoire ne s’est que trop enlisée. Il est permis d’espérer qu’elle se mette enfin en marche. Dans une communication de la Commission européenne du 20 juin dernier, on peut lire que, « dans le cadre de cette approche régionalisée, la Commission examine avec le Parlement européen et le Conseil la manière de garantir que les parties prenantes dans les RUP prennent réellement part au processus de consultation et à l’élaboration de mesures de conservation, notamment en créant un conseil consultatif pour les RUP, afin que leur contexte spécifique soit davantage pris en considération ».

Écrire nos particularismes ? C’est fait, et depuis longtemps ! Les défendre, les mettre en œuvre et les faire vivre dans l’intérêt de nos populations : cela reste à faire Les injustices n’ont que trop duré. Il est enfin permis d’espérer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les enjeux de la réforme de la politique commune de la pêche sont multiples, aussi bien environnementaux ou économiques que sociaux. Nous ne pourrons trouver de réponses satisfaisantes si nous les mettons en concurrence ou en opposition, comme tente de le faire la Commission européenne.

La proposition de résolution européenne adoptée par le Sénat arrive, me semble-t-il, à un équilibre entre défense des ressources halieutiques, d’une part, et pérennité de l’activité, d’autre part.

Nos pêcheurs en sont conscients, la gestion durable des stocks est la garantie d’un revenu constant pour eux et pour les communautés littorales directement liées à cette activité. À titre d’exemple, les ligneurs de la pointe de Bretagne ont décidé eux-mêmes d’un arrêt biologique d’un mois pour le bar en début d’année.

La Bretagne est aussi une terre de pêcheurs. Je me réjouis donc, avec l’accent de la Bretagne méridionale – j’ai beaucoup entendu l’accent méditerranéen tout à l’heure ! – que le Sénat et le Gouvernement aient des positions communes et s’opposent clairement à la volonté de la Commission de réduire les aides pour le renouvellement de la flotte, d’instaurer des quotas individuels transférables ou encore d’imposer un rendement maximum durable dans des délais insoutenables ; autant de mesures qui se font au détriment de la pêche artisanale. Ainsi, comme le notait le rapporteur Bruno Retailleau, « la mise en place du rendement maximum durable à échéance 2015, en France, obligerait à fermer dès à présent 50 % de nos pêcheries ».

C’est de cette pêche artisanale que je souhaite plus particulièrement parler aujourd’hui.

Pour nous, élus locaux, qui avons vu reculer l’activité de nos pêcheries, alors que la pérennité de l’activité de nos ports est mise en danger par les réformes européennes, il est fondamental de faire entendre aujourd’hui la voix de nos territoires. C’est dans ce sens que j’entends souligner la nécessité d’associer étroitement à nos débats les acteurs de la pêche artisanale. Cette dernière regroupe près de la moitié des marins pêcheurs français et 80 % de nos bateaux de pêche. Au niveau européen, elle représente 65 % des emplois directs et 83 % de la flottille.

Le groupe CRC a déposé en commission des affaires économiques un amendement en ce sens. Adopté à l’unanimité, il rappelle la nécessaire prise en compte des spécificités de la petite pêche et de la pêche côtière et montre à quel point l’ensemble des élus de cette assemblée restent attachés à cette question.

Il nous a semblé également important de préciser que la définition européenne de la pêche artisanale doit être moins restrictive. En effet, la petite pêche et la pêche côtière, pour lesquelles les sorties en mer sont inférieures, respectivement, à vingt-quatre heures et à quatre jours, sont essentielles à l’équilibre de la pêche en France. Or la Commission européenne, en considérant que tous les navires de plus de 12 mètres ou plus petits mais équipés d’engins remorqués, tels le chalut, relèvent de la pêche industrielle, ne prend pas en compte la réalité de nos outils de pêche.

De plus, les enjeux économiques et sociaux de la pêche artisanale sont immenses. Sur 23 000 pêcheurs, près de la moitié ressortit à la pêche artisanale. En Bretagne, où l’on dénombre 5 244 marins pêcheurs et 1 359 navires de pêche, 80 % des bateaux, souvent vieux de plus de vingt ans, polyvalents et de moins de 12 mètres, font de la petite pêche.

Lorient est le deuxième port de pêche français pour le tonnage de poissons débarqués et le premier pour la valeur ajoutée. Alain Desgré, directeur du Groupement des pêcheurs artisans lorientais, qui gère les comptes de 58 bateaux en activité, indiquait récemment que le chiffre d’affaires de la flottille avait augmenté de 11 % de 2010 à 2011. Il déplorait pourtant le manque d’accessibilité des nouvelles générations à leur outil de travail. L’aide à l’installation sous condition d’investissement dans une autre activité, telle qu’elle est proposée, est un non-sens pour la profession.

Une activité existe, vectrice d’emplois, de liens culturels, d’empreinte positive sur l’aménagement du territoire. Elle est d’autant plus importante que la balance commerciale de la France est structurellement déficitaire dans ce domaine.

Les artisans pêcheurs sont inquiets et nous partageons leur inquiétude face aux politiques conduites par l’Europe, celles-ci semblant confirmer pour demain une réduction des aides au renouvellement de la flotte. Ces aides sont pourtant essentielles pour mettre en œuvre de nouvelles technologies moins énergivores et répondre aux enjeux environnementaux et économiques ; je pense ici à la consommation de carburant et à son coût.

À cet égard, le Conseil économique, social et environnemental a préconisé la modernisation de la flotte pour répondre à l’exigence d’une plus grande sélectivité des engins de pêche, d’une amélioration des conditions de vie et de travail à bord. Nous aimerions connaître sur ce point particulier les propositions du Gouvernement et celles qu’il portera avec exigence au niveau européen.

Je souhaite que le Gouvernement, qui partage nos appréciations et propositions, exerce une pression d’autant plus forte sur la commissaire européenne que celle-ci est réputée rigide, si j’ai bien compris les propos tenus par notre rapporteur Bruno Retailleau. C’est indispensable si nous voulons rapprocher l’Europe des citoyens, car le fossé est immense. Ne la laissez pas noyer le poisson ! (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.

M. Philippe Bas. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la pêche française connaît, hélas ! un lent déclin. À en croire les auteurs du Livre vert européen de 2009, ce déclin, qui est celui de la pêche artisanale européenne dans son ensemble, serait inexorable. Pis, il serait nécessaire. Nous n’aurions plus qu’à l’accompagner. Il faudrait même l’accélérer ! Les seuls problèmes subsistants seraient la surpêche et la surcapacité des flottes.

Le développement durable à bon dos !

Il va de soi que, pour nous aussi, la protection de la ressource halieutique est un impératif majeur. Nous ne divergeons avec la Commission que sur les moyens de le faire respecter, sur la mesure de la menace et sur le modèle économique à mettre en œuvre, soucieux que nous sommes de préserver des équilibres humains, sociaux et territoriaux essentiels pour le développement durable.

On ne peut fonder une nouvelle politique de la pêche sur le seul paramètre du « rendement maximal durable », alors que tant d’autres facteurs doivent être pris en compte. Et on ne peut s’en remettre au jeu de la concurrence, à la baisse des prix et à la hausse des coûts pour éliminer du marché les plus petits producteurs.

Pourquoi la pêche devrait-elle être l’une des seules activités économiques où l’Europe des consommateurs continuerait à dicter sa loi à l’Europe des producteurs ?

Pour que ce débat soit utile, il faut qu’il nous permette d’atteindre ensemble un objectif : rendre plus forte la position de la France dans les discussions du Conseil européen par l’expression unanime du Sénat et, je l’espère, du Parlement en faveur de positions à la fois fermes face aux projets de la Commission européenne, raisonnables du point de vue de la gestion de la ressource, respectueuses du modèle familial et artisanal qui est le nôtre et ambitieuses pour l’avenir de la pêche française.

S’il apparaît que telle est bien l’intention du Gouvernement, et je veux le croire, nous serons au rendez-vous, cela va de soi !

À cet égard, je me réjouis de la continuité qui se manifeste déjà dans l’expression de la politique française de la pêche. C’est pour moi l’occasion de saluer ainsi l’action de Bruno Le Maire, qui fut votre prédécesseur au titre de la pêche, monsieur le ministre.

J’estime que le compromis obtenu lors du conseil des ministres de l’Union européenne en charge de la pêche des 12 et 13 juin dernier est positif puisqu’il va dans le sens des propositions de résolution que notre commission des affaires européennes a adoptées au même moment et des recommandations formulées dans l’excellent rapport de notre non moins excellent collègue Bruno Retailleau.

M. Charles Revet. Eh oui ! (Sourires.)

M. Philippe Bas. Nous voulons une politique de la pêche exigeante sur le plan environnemental, mais aussi plus dynamique, plus volontariste, plus proche des réalités économiques et humaines de la pêche artisanale que ne l’est le projet de réforme de la Commission.

Le Parlement européen doit maintenant se prononcer. Nul doute qu’il appuiera et, je l’espère, amplifiera les inflexions récemment obtenues à Bruxelles.

La politique de la pêche est pour nous un enjeu national de premier plan. La France compte encore 22 000 marins pêcheurs embarqués. C’est dire l’importance économique et sociale de ce secteur, sans compter son impact sur l’équilibre des territoires dans les principaux secteurs portuaires de notre pays et les emplois induits, au nombre de 20 000. C’est dire que, pour chaque marin embarqué, il y a pratiquement un autre emploi sur la terre ferme.

L’idée selon laquelle nous pêchons trop doit être réexaminée, et pas seulement pour nos territoires ultramarins : elle n’est pas vraie dans l’absolu ; elle est relative à certaines des espèces pêchées dans certaines eaux, à des degrés divers selon les espèces.

M. Bruno Retailleau, rapporteur, et M. Charles Revet. Tout à fait !

M. Philippe Bas. Tout ne peut reposer sur une telle approche, excluant les autres paramètres que sont les réalités humaines, économiques, territoriales et sociales. C’est cela, le développement durable !

Or notre pêche est en butte à de nombreuses difficultés qui la rendent vulnérable et menacent son avenir.

Difficultés économiques : la hausse tendancielle du prix du fuel est telle qu’il faut désormais un litre de gazole pour pêcher un kilo de poisson.

Difficultés liées à l’ancienneté des bateaux – vingt-cinq ans en moyenne –, sinon parfois à leur vétusté, avec de multiples conséquences : insécurité, consommation excessive de carburant, mauvaises conditions de travail, capacités de pêche insuffisantes.

Difficultés, aussi, liées à certains excès de la réglementation européenne ou même nationale. Ces réglementations ont toujours un coût pour le pêcheur, et ce coût s’ajoute à des charges déjà lourdes qui ne cessent de croître.

À cet égard, monsieur le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, nous sommes nombreux à souhaiter la remise en cause d’un décret de janvier dernier qui impose aux patrons pêcheurs de faire appel à des sociétés privées, qu’ils devront évidemment rémunérer, pour assurer les contrôles de franc-bord aux lieu et place de l’administration maritime. C’est une dépense supplémentaire, c’est une journée de pêche perdue, avec, en prime, un dépérissement de la compétence administrative dans un domaine, la sécurité, qui relève à l’évidence de la sphère régalienne ! Il est indispensable d’abroger ce texte avant même qu’il n’entre en application.

Depuis quinze ans, nous avons perdu plus de 30 % de notre flottille de pêche, et le rythme s’accélère. Face à ces difficultés, la politique européenne de la pêche a jusqu’à présent été appliquée avec une raideur tout à fait excessive.

Les aides nationales consenties voilà quelques années pour faire face à la hausse continue des prix du carburant ont dû être remboursées et, malgré leur intérêt, les projets de financements innovants pour le renouvellement de la flottille de pêche ont, quant à eux, avorté les uns après les autres parce qu’ils étaient contraires aux règles européennes.

Compte tenu de la gravité de la situation, on attendait de l’Union européenne une meilleure écoute des pêcheurs et une attention plus soutenue à leurs difficultés, pour mettre en place les instruments nécessaires au soutien et au développement de la filière. La réforme de la politique commune de la pêche devait en fournir l’occasion. Mais, tel que Mme Damanaki et ses services l’ont conçu, le projet de réforme a, hélas ! retenu l’orientation inverse, jetant une lumière crue sur les objectifs de la Commission, qui sont d’ailleurs pleinement assumés, clairement affichés et non dissimulés.

Il s’agit pour la commissaire aux affaires maritimes et à la pêche, d’une part, de réduire drastiquement d’ici à 2015 les prélèvements sur les stocks halieutiques et, d’autre part, de diminuer radicalement le nombre de bateaux.