M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. C’est vrai !

M. Christian Bourquin. … mais les lobbies sont là. Monsieur le ministre, écoutez les présidents des régions littorales, car plusieurs d’entre eux sont prêts à aller de l’avant. Sachez que les parlementaires et les présidents de région sont à vos côtés, et ils constituent une force non négligeable !

J’en viens à ma conclusion.

Les pêcheurs attendaient, je le sais, la création d’un grand ministère de la mer. Le rattachement du secteur de l’économie maritime à celui de l’écologie les a, dans un premier temps, quelque peu inquiétés, d’autant que l’ancien ministre de l’agriculture et de la pêche a qualifié ce choix de « vraie erreur », un avis que je ne partage pas ; au contraire, il s’agit là d’un signe très positif.

Je n’ignore pas, pour l’avoir constaté dans ma région, à quel point les relations entre les pêcheurs et les défenseurs de l’environnement ont pu être difficiles, voire, parfois, conflictuelles, et ce en dépit du fait que leurs intérêts ne sont pas divergents. Mais l’équilibre de la ressource ne va-t-il pas de pair avec la survie de l’activité économique ? Bien sûr que oui. Les choses changent, et c’est heureux !

La pêche artisanale, qui représente 80 % de la flottille, en France, a récemment fait le choix de s’associer aux associations de défense de l’environnement ou de rechercher leur soutien pour défendre ses droits. Concernant l’harmonisation entre économie et environnement, permettez-moi de vous apporter des arguments de terrain.

Le premier parc naturel marin en Méditerranée, dont j’assure la présidence depuis un peu plus d’un mois, qui est le second parc naturel de la métropole, après celui de la mer d’Iroise, …

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !

M. Christian Bourquin. … et le troisième de France, est un atout.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Christian Bourquin. Dans le droit-fil de cette initiative, sera mis en place, avant la fin de l’année, ainsi que je vous l’avais dit, monsieur le ministre, un parlement de la mer, une originalité de la Méditerranée, qui permettra à tous les résidents de la mer de débattre et d’échanger pour faire avancer les choses. C’est au sein d’une telle instance que l’on pourra faire en sorte que le lien entre environnement et économie soit assuré.

M. le président. C’est terminé, mon cher collègue.

M. Christian Bourquin. J’en viens à ma vraie conclusion, monsieur le président ! (Sourires.)

Monsieur le ministre, relayez cet accent méditerranéen de la République française ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. Joël Guerriau, rapporteur. N’oublions pas l’Atlantique !

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous évoquons aujourd’hui la politique commune de la pêche à l’échelle européenne. Rentrant de Rio de Janeiro, je vous en dirai quelques mots, en lien avec le sujet qui nous occupe aujourd'hui.

Si la déclaration finale du sommet de la Terre à Rio de Janeiro a été décevante, témoignant d’un manque d’ambition notoire eu égard aux enjeux, elle a néanmoins, enfin, intégré le rôle des océans, lesquels recouvrent les quatre cinquièmes de la planète. C’est une première étape, même si les intentions restent, pour le moment, au stade de simples « bonnes intentions ».

Cependant, les États signataires se sont engagés à traiter en urgence, avant 2014, le problème de la préservation et de l’usage durable de la diversité biologique marine dans les zones situées au delta des juridictions nationales.

Ils se sont également engagés à « intensifier les efforts pour atteindre l’objectif de 2015 visant à maintenir ou à restaurer les stocks de poissons à des niveaux de protection durable maximum et à réduire de façon significative d’ici à 2025 la quantité de déchets en mer », et ce à l’échelle mondiale.

Alors que l’on peine déjà à trouver des accords à l’échelle européenne, il faudra pourtant en venir rapidement à une régulation mondiale, à une gouvernance mondiale, tout comme dans d’autres domaines où l’intérêt planétaire est en jeu.

Dans le cadre du programme international sur l’état des océans, les scientifiques spécialistes de la biodiversité marine ont dressé, dans leur dernier rapport, un constat particulièrement alarmant de l’état des océans, si l’on considère l’effet cumulatif de ce que l’humanité fait subir à ce milieu, qui est à la fois immense et fragile : « Surpêche, destruction des habitats, pollution durable des eaux par des substances chimiques toxiques, notamment pesticides et antibiotiques, par des milliards de micro-déchets en plastique, algues toxiques, développement d’espèces invasives. »

Devant ce constat extrêmement préoccupant, les experts scientifiques en appellent à l’adoption urgente d’un meilleur système de gouvernance des eaux internationales, qui ne sont encore que très peu protégées alors qu’elles représentent la majeure partie des océans du monde.

Je tenais à faire ces remarques préalables pour souligner que le principe de lucidité doit guider nos propositions, un principe qui conduit au principe de responsabilité qui est le nôtre.

Aux jeunes générations, aux générations futures, nous n’aurons pas le droit de dire que nous ne savions pas !

Le texte qui a été adopté par la commission des affaires économiques est équilibré. Il prend la mesure de certains enjeux, celui du refus des concessions de pêche transférables, celui de la nécessité de financer la recherche scientifique ou encore celui de lutter contre la disparition de la pêche artisanale.

Cependant, même si l’on retrouve dans de nombreux discours l’objectif d’aller vers une pêche durable, on ignore encore ce que contiendra le référentiel « pêche durable » dans le futur « paquet législatif » sur lequel le Parlement européen devra se prononcer. Or c’est bien là un enjeu fondamental de la réforme de la politique commune de la pêche.

Dans le cadre de ces négociations, les écologistes défendent un certain nombre de positions.

Tout d’abord, l’Union Européenne doit amorcer dès maintenant les mesures visant à lutter contre la surpêche et la pêche illégale afin de parvenir, au plus tard en 2020, à un niveau de rendement maximal durable pour les espèces pour lesquelles des données scientifiques existent. Cela implique que les recherches scientifiques soient financées à la hauteur des enjeux.

Ensuite, nous demandons que soient mis en place des plans de gestion de la ressource à long terme et que soient fixées des règles de contrôle claires afin de rendre la surpêche illégale et d’empêcher que les quotas soient supérieurs à ceux qui sont conseillés par les scientifiques. Nous avons besoin de données scientifiques plus précises, notamment quant à l’âge et à la taille du début de reproduction par espèce.

À ce titre, je citerai les pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, une ville que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Ceux-ci regrettent qu’il soit actuellement autorisé de pêcher des cabillauds dès 36 centimètres, alors que les fileyeurs ont les moyens de ne retenir que ceux qui mesurent au moins 50 centimètres.

L’Union européenne doit également faire de la protection environnementale une condition préalable. Davantage de ressources halieutiques est synonyme d’emplois socialement et économiquement durables pour les pêcheurs. On doit privilégier les objectifs à long terme et non pas les gains économiques à court terme. Aussi faut-il mettre en place une politique volontariste pour réduire autant que faire se peut les rejets en mer. Ce terrible gaspillage doit cesser ou, à tout le moins, diminuer de manière drastique.

Cela implique que les financements publics aident à la reconversion des flottes de pêche. II faut mettre un terme aux subventions qui conduisent à la surpêche. Les aides doivent donc en premier lieu permettre d’assurer la nécessaire transition vers une activité de la pêche durable. Il convient de financer des mesures d’intérêt commun, comme le contrôle et la collecte de données scientifiques, de contribuer au financement d’engins de pêche sélectifs ou encore d’adopter des pratiques de pêche moins destructrices de l’environnement, en interdisant l’utilisation de dragues à dents, qui endommagent gravement les fonds ainsi raclés et l’écosystème qui y vit ou en dépend.

II est également impératif de donner un accès prioritaire aux bateaux qui pêchent en causant le moins de dégâts à l’environnement et qui sont créateurs d’emplois. Cela veut dire que les quotas ne devraient pas être accordés sur la base des captures antérieures, qui ne font que récompenser ceux qui ont déjà contribué à la surpêche. Les stocks de poissons sont des ressources publiques, des biens publics, inaliénables, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Leur exploitation doit profiter à la société dans son ensemble.

N’oublions pas que la pêche artisanale regroupe encore – c’est une chance ! – 50 % des marins et représente 80 % de la flotte française.

En ce sens, nous soutenons la déclaration constructive proposée par la petite pêche artisanale française, conjointement avec les associations Greenpeace et WWF, que nous considérons comme des partenaires et non comme des adversaires : « Nous sommes favorables à la construction d’une alternative à la politique commune de la pêche par la mise en place d’un régime d’accès à la ressource basée prioritairement sur des critères environnementaux, sociaux et territoriaux. L’attribution des droits de pêche doit se faire préférentiellement aux pêcheurs ayant des pratiques à faible impact sur les écosystèmes, un faible taux de rejet, un taux maximum d’emploi généré par kilos de poissons débarqués. »

J’achèverai mon propos en affirmant la nécessité de décentraliser la prise de décision. D’autres acteurs se sont mobilisés sur cet enjeu de la politique commune de la pêche ; je pense notamment aux régions, qui prônent une gouvernance à plusieurs niveaux, car un tel système serait mieux adapté aux spécificités des divers territoires. La région Bretagne s’est fortement impliquée en faisant intervenir des acteurs essentiels : les pêcheurs eux-mêmes, cela va de soi, mais aussi les scientifiques ou encore les élus locaux. Le message envoyé est clair : l’avenir de la pêche bretonne nécessite le maintien de toutes ses composantes, de la petite pêche à la pêche hauturière, mais il passe également par un soutien privilégié à la pêche artisanale, ce qui implique de cesser d’encourager la concentration capitalistique par des aides diverses.

Pourquoi parler de la Bretagne ? Parce que cette région, comme d’autres, a ses spécificités et que c’est en croisant les savoir-faire locaux et les connaissances des différentes parties prenantes, en étant au plus près des réalités de ces territoires, que l’on pourra décliner efficacement, sur chacun d’entre eux, cette politique commune européenne qui sera d’autant plus légitime que tous les acteurs concernés auront pu contribuer à son élaboration.

Quant aux aspects ultramarins de la question, que je ne néglige pas, c’est ma collègue Aline Archimbaud qui les évoquera dans la suite de la discussion générale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Joël Guerriau, rapporteur. Vive la Bretagne !

M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette Herviaux. Vous avez pu remarquer, messieurs les ministres, que la Bretagne, ou plutôt, pour être encore plus précis, le Morbihan, était très bien représenté ce matin, puisque les trois sénateurs élus dans ce département prendront la parole.

Je profite de cette intervention pour vous dire combien je suis heureuse de vous voir assis sur ce banc et vous féliciter de vive voix, puisque c’est la première fois que nous nous rencontrons. Je me réjouis d'ailleurs que cette rencontre intervienne à l’occasion d’un débat sur la politique commune de la pêche.

Je partage les analyses dont vous ont fait part les différents rapporteurs, et je ne reviendrai donc pas sur tous les points qu’ils ont soulevés : je me contenterai d’insister sur certains d’entre eux. J’ajoute que, si je n’aborde pas moi non plus les questions ultramarines, mon collègue Serge Larcher peut témoigner que j’y suis très attentive.

Je concentrerai mon propos sur deux points : d'une part, la nécessaire cohérence entre les différentes politiques européennes et, d'autre part, l’article 349.

Un certain nombre de propositions concrètes de la future politique commune des pêches méritent, en dépit de leur caractère réaliste, d’être adaptées aux exigences d’un véritable développement durable ; vous l’avez souligné vous-même, monsieur le ministre. Je pense en premier lieu au fameux rendement maximal durable, le RMD : si l’on ne peut que souscrire à cette approche, dont on parle depuis bien longtemps sans pour autant qu’elle ait été mise en œuvre, qui peut accepter qu’on l’envisage de manière abrupte, sans tenir compte d’une meilleure connaissance des ressources, du coût social et de la réalité économique ?

De nombreux chercheurs et économistes, dont un prix Nobel d’économie en 2009, ont montré que, partout dans le monde et à toutes les époques, la gestion des pêcheries avait été plus efficace lorsqu’elle était réalisée par les communautés de pêcheurs elles-mêmes. Il était absurde de fixer la date butoir du rendement maximal durable à 2015 pour l’ensemble des pêcheries et des espèces : si certains stocks surexploités exigeront peut-être des décennies pour se reconstituer, d’autres stocks sont encore mal évalués. Surtout, il existe une variabilité naturelle importante et des interactions parfois très complexes entre les diverses espèces d’un écosystème. Je prendrai un exemple que j’ai moi-même observé sur le terrain : nos pêcheurs de thon blanc constatent depuis quelque temps une diminution de leur stock mais trouvent en revanche du thon rouge en abondance ; ils ne peuvent toutefois pas pêcher ces derniers, en l’absence de quotas. Cependant, ces thons rouges, présents en grande quantité dans des zones inhabituelles, consomment la même chose que les thons blancs, réduisant d’autant les ressources alimentaires de ces derniers et contribuant ainsi à leur disparition.

Il y a donc bien d’autres facteurs que la pêche qui influent sur la mortalité des poissons : certes des erreurs peuvent être commises par des scientifiques ou des gestionnaires de pêche, mais peut-on condamner une activité à cause de pratiques anciennes qui ont, sinon partout disparu, du moins favorablement évolué ? Il faut tenir compte également de facteurs importants comme les pollutions marines et terrestres et le changement climatique, sans parler de l’inégalité de traitement des pêcheries au niveau mondial ; je pense tout particulièrement à l’hypocrisie de certaines réglementations, comme celle de la pêche à la baleine, ou encore aux pratiques de certains pays bien connus…

J’en viens à mon deuxième point : la question des rejets. Fixer un pourcentage trop faible, et d’une manière uniforme, c’est à mon avis l’erreur la plus grave pour l’avenir de notre pêche nationale ; c’est aussi la décision la plus contestable socialement, économiquement et même écologiquement, pour tous les types de pêche. En effet, non seulement la fixation d’un tel pourcentage risque de réduire à néant tous les efforts faits pour la sélectivité des engins, mais en outre elle est incompatible avec l’amélioration de la sécurité de nos marins, certains navires n’étant pas prévus pour ramener toute la pêche ; vous l’avez d'ailleurs souligné, monsieur le ministre.

Par exemple, ces captures accessoires non souhaitées représentent pour nos chalutiers, qui ont agrandi depuis longtemps leurs maillages pour être plus sélectifs, 25 % au plus des captures totales et non 40 %, comme certains se plaisent à le répéter ; par ailleurs, 90 % de leurs prises accessoires concernent une seule espèce, le mulet noir, dont les scientifiques considèrent qu’elle demeure abondante et qui est très difficile à valoriser à cause de la teneur en eau de sa chair.

Je ne vois pas ce qu’il y aurait de durable à favoriser une filière minotière qui est loin d’avoir fait ses preuves environnementales dans d’autres pays, alors que nos différents systèmes de pêche sont parmi les plus encadrés et ont déjà contribué à créer des partenariats efficaces avec les scientifiques. C’est ce qui a permis au Conseil international pour l’exploration de la mer, le CIEM, de recommander pour 2013 et 2014 des niveaux de captures de certaines espèces, comme le grenadier de roche, la lingue bleue et le sabre noir, supérieurs aux quotas autorisés en 2011 et 2012.

M. Bruno Retailleau, rapporteur. En effet.

Mme Odette Herviaux. Personne ne peut remettre en cause ces expertises qui font autorité. Cet organisme scientifique formule à l’intention de l’Union européenne des recommandations pour la définition des totaux admissibles de capture, les TAC, et des quotas fixés au titre de la politique commune de la pêche. Il serait donc appréciable qu’on l’écoute davantage car, comme on a pu récemment le lire dans la presse, la catastrophe annoncée pour la pêche profonde n’aura pas lieu.

M. Bruno Retailleau, rapporteur. Exactement.

Mme Odette Herviaux. La position du CIEM démontre que l’on assiste à une reconstitution de certains stocks et donc que l’on atteint déjà pour eux un niveau de rendement maximal durable. Que ce résultat ait été obtenu grâce aux efforts de la profession ou grâce à l’amélioration des connaissances scientifiques par des prélèvements plus nombreux et une meilleure collaboration entre les différents acteurs, il n’en reste pas moins qu’il prouve que l’on peut envisager la continuité du modèle d’exploitation actuel sans mesures trop brutales, trop rapides ou trop arbitraires.

J’en arrive à mon dernier point : celui qui fâche... Vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, combien la commissaire européenne à la pêche est opposée à la pêche de grand fond et au chalut, et ce malgré les résultats dont je viens de parler. Je trouve cependant regrettable – je pèse mes mots –qu’elle ait diffusé, via le site internet de la direction générale des affaires maritimes et de la pêche, la DG MARE, de fausses informations mettant en cause un grand distributeur dont les navires sont essentiellement basés à Lorient.

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est scandaleux !

Mme Odette Herviaux. Je sais bien que, comme on dit chez nous, quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage…

M. Bruno Retailleau, rapporteur. En l’espèce ce n’est pas le chien qui a la rage !

Mme Odette Herviaux. Mais faire croire à l’ensemble des citoyens européens, à la suite d’un jugement du Jury de déontologie publicitaire, que cette enseigne avait induit les consommateurs en erreur par la mise en évidence des expressions « pêche durable » et « pêche responsable », c’est au mieux de la désinformation et au pire un mensonge. En tout cas c’est une faute, car les attendus de la décision du jury de déontologie publicitaire sont totalement contraires à ces fausses informations. Je tiens à citer le texte exact : « Il apparaît donc au regard de ces précisions que [cette centrale] ne se prévaut pas de manière injustifiée ou abusive des termes “pêche durable” et “pêche responsable” ».

Monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour faire entendre raison à Mme la commissaire : si la pêche de grand fond n’a pas toujours été une pêche durable, elle a beaucoup évolué à tous points de vue, y compris s'agissant de la gestion durable des stocks, comme le CIEM l’a constaté. En outre, c’est un secteur viable économiquement : dans mon département, il génère, outre les postes d’équipage, plus de 200 emplois en aval. C'est pourquoi, je le répète, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour demander instamment à Bruxelles de ne plus s’arc-bouter sur des a priori dépassés. Nos deux résolutions n’ont d’autre but que d’alerter le Parlement européen et de l’informer sur nos positions, ainsi que de vous soutenir dans vos prochaines négociations. Nous vous souhaitons bon courage ! (Applaudissements sur de nombreuses travées.)

M. le président. La parole est à M. Charles Revet.

M. Charles Revet. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la politique commune de la pêche est, avec la politique agricole commune, la plus ancienne et la plus intégrée des politiques communautaires. La décision fondatrice remonte en effet à 1970, lorsque la Communauté décida de donner à tous les pêcheurs des États membres un égal accès aux zones de pêche, à l’exception d’une bande côtière réservée aux nationaux. En 1983, la première véritable politique commune de la pêche fut orientée vers l’accroissement des capacités de production, jusqu’à ce que la Communauté constate une surcapacité de ses flottes et une surexploitation de la ressource.

La réforme de 2002 a donc visé à favoriser une exploitation durable de la ressource, fondée à la fois sur la limitation de l’effort de pêche par l’arrêt des subventions, la limitation des périodes de campagnes de pêche et un dispositif de restriction des captures via une organisation articulée autour de deux notions cruciales : les totaux admissibles de capture, les TAC, et les droits à produire, autrement dit les quotas. Les TAC sont fixés au niveau communautaire par zone de pêche, hors Méditerranée, et par espèce ; les quotas sont répartis entre les États membres selon un principe dit de stabilité relative, hérité d’un partage historique lié aux captures effectuées au milieu des années 1970.

Cependant, le système se montra très vite défaillant. On s’aperçut tout d’abord que, à quelques exceptions près, la réglementation était mal respectée et peu contrôlée. À la suite d’un rapport de la Cour des comptes européenne publié en 2007, le régime des quotas fut assoupli par un système d’échanges entre les États, autorisant ces derniers à échanger leurs quotas de pêche d’une espèce dans une zone contre des quotas de pêche d’une autre espèce dans une autre zone : par exemple, la France échangea avec l’Espagne ses quotas d’anchois dans le golfe de Gascogne contre un quota de soles en mer du Nord. L’ensemble resta toutefois figé sur des références dépassées, ce qui entraîna de nombreuses lourdeurs administratives, voire des frustrations. Les pêcheurs qui pêchent trop ou trop vite sont en effet obligés de rester à quai tandis que d’autres continuent à pêcher.

Il y eut ensuite une difficulté scientifique. Les totaux admissibles de capture, les TAC, sont fixés par le Conseil de l’Union européenne sur proposition de la Commission européenne, mais également après avis du Comité scientifique, technique et économique de la pêche, le CSTEP. Or je ne connais pas de secteur où les avis scientifiques soient si controversés, entre les scientifiques eux-mêmes mais également entre ceux-ci et les pêcheurs, qui passent leur vie en mer, et les biologistes, qui y font quelques prélèvements.

C’est la raison pour laquelle, en 2010, lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, j’avais fait approuver, en ma qualité de rapporteur du titre IV, l’orientation générale consistant à rapprocher les points de vue des scientifiques et des professionnels sur l’état des ressources halieutiques et les mesures destinées à maintenir les conditions d’une pêche durable. J’avais alors souligné que les règles limitant la pêche dans certaines zones ne seraient acceptées que si leurs fondements étaient partagés, si les analyses des scientifiques étaient confrontées aux constatations de terrain. J’avais également émis le souhait que des méthodologies communes puissent être élaborées dans le cadre du comité de liaison scientifique et technique, afin de rapprocher les études scientifiques des constats faits par les pêcheurs lors de leurs sorties en mer.

La pêche est un secteur politiquement très sensible. Il faut reconnaître que les États ont souvent exercé des pressions pour augmenter ou préserver les possibilités de pêche. Plusieurs réformes ont donc fait évoluer la politique commune de la pêche dans le sens d’une plus grande rigueur face à la menace pesant sur les stocks de poissons, tendance à l’œuvre aussi bien en Europe que dans de nombreuses autres zones maritimes du monde. La dernière réforme, effectuée en 2002, avait prévu une révision de cette politique au bout de dix ans pour ce qui est des chapitres relatifs à la conservation de la ressource et aux capacités de pêche.

La Commission européenne a donc présenté, en avril 2009, un Livre vert sur la réforme de la politique commune de la pêche, dans lequel elle formule une analyse du fonctionnement actuel de la PCP, de ses enjeux, et propose les pistes d’une nouvelle réforme qui pourrait entrer en vigueur à partir de 2013.

Durant la deuxième moitié de l’année 2009, ce Livre vert a été soumis à un processus de concertation très large, dont la Commission a effectué la synthèse en avril 2010.

La France a apporté sa contribution sous la forme d’un mémorandum, partageant le constat de la Commission de la nécessité d’une réforme.

Si la tendance générale est une baisse des capacités de pêche, il existe des spécificités fortes selon les États membres. Aussi semble-t-il plus pertinent de parler des pêcheries européennes plutôt que de la pêche en général, tellement celles-ci sont diverses par la taille des navires, les techniques de pêche pratiquées et les zones concernées.

La raréfaction des ressources halieutiques constitue le défi principal de la politique de la pêche depuis une vingtaine d’années. La question n’est donc pas tant de répartir l’espace maritime entre Européens que d’organiser de manière rationnelle l’exploitation de la ressource dans les eaux européennes.

Comme il est rappelé dans le Mémorandum français relatif à la réforme de la politique commune de la pêche, de décembre 2009, la PCP a ainsi pour but « le maintien d’une filière dans l’Union durable et économiquement viable dans l’ensemble de ses composantes (pêche côtière et hauturière, transformation, distribution) ».

La politique commune de la pêche se trouve donc à la confluence de préoccupations environnementales – le maintien de la biodiversité marine –, économiques – permettre l’exploitation des ressources de la mer – et sociales – assurer un revenu décent aux professionnels de la filière pêche.

En 2010, j’avais eu l’honneur de rapporter une première proposition de résolution sur la politique commune de la pêche, déposée par mes collègues de la commission des affaires européennes. À l’époque, le Sénat avait déjà réagi vigoureusement par rapport au Livre vert de la Commission européenne.

Vous est présentée aujourd’hui une nouvelle proposition de résolution européenne, je dirais actualisée par rapport à la proposition de réforme de la Commission européenne présentée au Conseil et au Parlement européen le 13 juillet 2011.

Cette proposition de résolution est présentée par les membres du groupe de travail mis en place en avril dernier, dont j’ai eu l’honneur de faire partie avec notre collègue Bruno Retailleau notamment, et dont l’objectif est d’arrêter et de présenter la position du Sénat.

En effet, nous sommes en phase terminale du processus législatif mis en place en 2009, le Parlement européen arrivant prochainement au terme de son examen des propositions de règlement avant le vote qui doit intervenir à l’automne.

L’objectif global de la réforme est de faire en sorte que les activités de pêche et d’aquaculture soient soumises à des règles garantissant l’équilibre écologique à long terme et favorisant la sécurité de l’approvisionnement alimentaire. Il est important d’en parler, monsieur le ministre, car on l’a beaucoup oublié !

Sur le fond, les Vingt-sept et la Commission sont d’accord sur la nécessité de réformer la politique commune de la pêche et de la rendre plus respectueuse des ressources marines. Mais, sur la forme et l’application des nouveaux principes, il y a encore du chemin à parcourir pour trouver un accord. Les États membres ont affiché leurs divergences.

Mme Maria Damanaki, commissaire européenne pour les affaires maritimes et la pêche, souhaite appliquer la réforme dès 2015. Selon elle, la situation halieutique serait catastrophique en raison d’une surexploitation quasi générale des stocks.

Je n’étais pas présent lors de la rencontre qui a été évoquée tout à l’heure par notre collègue Philippe Darniche, mais je sais que, toutes tendances confondues, les participants sont ressortis estomaqués par la présentation qu’elle a faite !