M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. La commission limitera son avis à une stricte analyse de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

L’article 44 du règlement du Sénat dispose que l’objet de l’exception d’irrecevabilité est de faire reconnaître que le texte en discussion est contraire à une disposition constitutionnelle, légale ou réglementaire. C’est précisément ce qu’a tenté de démontrer M. Karoutchi.

M. Roger Karoutchi. Exactement !

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Les signataires de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité mettent en avant les conditions de discussion et d’examen du présent texte.

Pourtant, les conditions d’examen de ce texte ne sont aucunement contraires à la Constitution. (M. Roger Karoutchi manifeste son désaccord.) Tel est l’avis de la commission, cher collègue.

L’article 45 de la Constitution permet au Gouvernement de recourir à la procédure accélérée – vous l’avez fait par le passé, vous l’avez vous-même reconnu, monsieur Karoutchi !

M. Roger Karoutchi. Certes, mais avec un délai de quinze jours !

M. Jean-Jacques Mirassou. L’ancien gouvernement aimait par-dessus tout les procédures supersoniques !

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Comme l’indiquait, avant même le début de la discussion générale, le président de la commission des affaires économiques, Daniel Raoul, l’article 42 de la Constitution dispose que « la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission (…) ou, à défaut, sur le texte dont l’assemblée a été saisie. » (M. Roger Karoutchi proteste.)

La commission n’était donc en rien obligée d’élaborer un texte.

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Enfin, s’agissant des droits de l’opposition parlementaire, je souligne que les modalités d’examen du texte ont été justement fixées avec l’objectif de permettre à chacun de s’exprimer.

Chaque parlementaire, de la majorité comme de l’opposition, a pu déposer des amendements.

Mme Catherine Procaccia. Mais combien de temps ont-ils eu pour le faire ?

M. Claude Bérit-Débat, rapporteur. Je note que 150 amendements environ ont été déposés, preuve que l’opposition a pu travailler sur ce texte.

En conséquence, monsieur Karoutchi, vous ne serez pas surpris que la commission émette un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Roger Karoutchi. On verra bien ce que dit le Conseil constitutionnel !

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Cécile Duflot, ministre. L’avis du Gouvernement est identique à celui de la commission.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, pour explication de vote.

Mme Mireille Schurch. M. Karoutchi vient de nous exposer les raisons qui motivent sa motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Ainsi, il a indiqué que le présent texte porte atteinte à notre Constitution, ou plutôt à l’esprit de la réforme constitutionnelle qui a conduit, selon ses promoteurs, à renforcer les droits des parlementaires.

Nous avons toujours affirmé pour notre part que cette réforme était en trompe-l’œil et que, loin de renforcer les droits des parlementaires, le fait que ce soit le texte de la commission qui vienne en séance conduisait à un manque de transparence dans l’élaboration de la loi.

Nous ne contestons donc pas le fait que ce soit le texte gouvernemental qui soit examiné en séance, ce qui permet au Gouvernement également d’assumer pleinement la responsabilité de ces dispositions.

À l’inverse, nous considérons que c’est la droite au pouvoir pendant dix ans qui a bafoué la Constitution et nos engagements internationaux.

En effet, le préambule de la Constitution de 1946 reconnaît le droit au logement, de même que nos engagements internationaux.

La France a reconnu ce droit comme un droit fondamental et s’est engagée, notamment au travers de la loi DALO, à le faire respecter.

Toutefois, les politiques menées par la droite ont rendu cet objectif impossible à atteindre. Et cette spirale du déclin conduit à la plus dramatique crise du logement que nous ayons eu à traverser.

Plus de 3 millions de personnes sont aujourd’hui sans logis ou mal logées. Aujourd’hui encore, des personnes dorment dehors, meurent dehors ou dans les flammes de leur logement insalubre en cas de sinistre. Certains se trouvent expulsés sans avoir les moyens de se reloger.

Vous avez laissé sur le banc du pacte républicain toute une partie de nos concitoyens. Nous ne pouvons plus supporter cette brèche dans notre pacte républicain et nous attendons de la gauche qu’elle réussisse en ce domaine.

L’interpellation aujourd’hui de l’association Droit au logement doit être entendue. Ce cri d’urgence marque l’exaspération devant une situation sociale devenue intenable.

Au-delà de la mobilisation du foncier, qui est concrètement l’objet du présent texte, c’est l’ensemble de la politique publique du logement qu’il faut repenser. Il faudra lui donner des crédits suffisants et une ambition à la hauteur des besoins.

Dans ce cadre, il est indispensable à nos yeux de reposer la responsabilité première de l’État en la matière : l’État est le seul garant de l’égalité républicaine et de la solidarité nationale.

Je souhaiterais, pour finir, revenir sur les propos auxquels nous a habitués la droite.

Non, le logement social n’est pas une verrue dans le paysage urbain !

Mme Élisabeth Lamure. Mais qui le prétend ?

Mme Mireille Schurch. Non, garantir la mixité sociale n’entraîne pas une dégradation des relations sociales, mais elle est au contraire une richesse dans nos villes, et une source de cohésion sociale ! (Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

D’ailleurs, ces dernières années, la plupart des villes ont pu bénéficier de programmes de construction de logements sociaux dotés d’une véritable qualité non seulement architecturale mais aussi environnementale.

Alors même que plus d’un tiers de nos concitoyens ont peur de se retrouver à la rue, nous estimons que la discussion de ce projet de loi est utile et urgente.

Nous le prenons comme un premier pas en faveur d’une politique nationale du logement, même si nous restons extrêmement vigilants, notamment sur la question des crédits qui seront réellement affectés dans le cadre de la loi de finances.

Les parlementaires du groupe CRC sont, pour leur part, déterminés à redonner du sens au droit au logement à valeur constitutionnel.

Voilà pourquoi le groupe CRC ne votera pas cette motion de procédure.

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour explication de vote.

Mme Aline Archimbaud. Je livrerai la position du groupe écologiste sur cette motion.

Certes, la procédure accélérée n’est pas idéale. En tant que parlementaires, nous pensons, comme tous ici, qu’il faut respecter le temps législatif, mais nous n’avons aucun doute sur la volonté du Gouvernement de valoriser le Parlement, et nous savons que, si le Gouvernement est aujourd’hui contraint d’utiliser cette méthode, c’est qu’il n’a pas le choix.

Voilà presque un an, ici même, j’interpellais M. Apparu sur la pénurie de logements et l’extrême précarité dans laquelle vivaient, et vivent toujours, des millions de nos concitoyens.

Il manque toujours 900 000 logements ; il y a toujours 3,6 millions de mal-logés en France et 50 000 ménages par an sont contraints de quitter leur logement. Nous connaissons tous ces situations dramatiques : la longueur des listes d’attente pour accéder à un logement social et ces gens, y compris des salariés, qui dorment dans des voitures ou des abris de fortune, parfois au péril de leur vie.

Dans votre argumentation, monsieur Karoutchi, vous dissociez bien évidemment la forme et le fond. Mais, sur le fond, il y a, me semble-t-il, deux urgences absolues.

Première urgence, en tant qu’élue d’une commune de Seine-Saint-Denis qui compte 40 % de logements sociaux, il me semble juste que la loi soit renforcée et établisse une solidarité entre les collectivités locales, afin que toutes fassent l’effort d’accueillir des familles modestes. Sinon, nous ne serons pas à la hauteur du problème.

Les élus locaux attendent, et depuis longtemps, un renforcement de la loi et des obligations de production de logement social, car il faut répartir la charge sur tout le territoire. C’est ainsi que l’on posera les bases objectives qui permettront d’éviter les ghettos et la juxtaposition, sans mixité, de quartiers de riches et de quartiers de pauvres. C’est ainsi que l’on favorisera une réelle mixité sociale et une vraie politique d’aménagement qualitative du territoire, dans la continuité. C’est ainsi que nous ferons émerger ce qui constituera un facteur fondamental de cohésion sociale.

Deuxième urgence absolue : dans certains territoires – j’en connais dans la première couronne de l’Île-de-France, mais il en existe ailleurs –, la spéculation foncière et la flambée des prix sont telles que cela bloque dramatiquement la construction des logements sociaux de qualité. Étant donné le prix du foncier, les communes sont contraintes d’annuler leurs programmes. Dans ces conditions, la mobilisation du foncier public prévue par ce projet de loi et la cession par l’État d’un certain nombre de terrains constituent un espoir considérable, comme j’ai pu moi-même le constater cette semaine dans ma commune.

C’est cet espoir que je veux exprimer ce soir : au nom de cette double urgence absolue, face à l’ampleur de la crise sociale et à la montée massive d’une précarité tout à fait préoccupante, le groupe écologiste votera contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Quand on ne peut pas répondre à une question, il est bien plus simple de parler d’autre chose, notamment du fond du texte. Mais vous ne répondez nullement à mes arguments.

Il me semble qu’ici on dépasse l’imaginable !

Je reconnais que, lorsque j’étais au Gouvernement, j’ai eu recours à la procédure accélérée, qui s’appelait procédure d’urgence avant 2008. Mais, dans le cas présent, vous ne respectez même pas les délais de la procédure accélérée prévus dans la Constitution. Voilà pourquoi, je vous le dis, le texte sera censuré par le Conseil constitutionnel !

Le recours à la procédure accélérée n’était peut-être pas justifié dans ce cas précis. Toutefois, même s’il l’avait été, les délais n’ont pas été respectés. Dès lors, ne venez pas me reprocher d’avoir eu recours à cette procédure en 2008 ou 2009. J’ai assumé son utilisation dans certains cas, et toujours en respectant les délais fixés par la loi fondamentale !

Dans le cas précis qui nous occupe aujourd’hui, les délais ne sont pas respectés. Point final ! La Constitution prévoit en effet deux semaines au minimum, et non pas six jours. De surcroît, les dispositions relatives aux études d’impact n’ont pas non plus été respectées, pas plus que les délais relatifs au droit d’amendement.

Vous mettez en avant l’urgence. Fort bien ! Mais j’ai été longtemps l’élu d’une ville où il y avait plus de 50 % de logements sociaux, et nous nous sommes beaucoup battus pour en construire. Alors, sur les logements sociaux, n’allez pas faire croire que vous avez, vous, le monopole du cœur et que nous sommes, nous, tous d’affreux personnages ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

Vous pouvez parler de l’urgence autant que vous voulez, mes chers collègues. Mais, quand on siège au Parlement, il faut avant tout respecter la Constitution et les institutions républicaines. Voilà le vrai sujet ! Si même ces institutions vous les foulez aux pieds, comment voulez-vous, demain, sur d’autres textes, avec d’autres gouvernements, avec d’autres majorités, vous faire respecter ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)

M. Jean-Jacques Mirassou. De grâce, ne nous faites pas de procès d’intention !

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Inutile d’insister, ce débat me laisse un sentiment de malaise.

Bien évidemment, la plupart des collègues de notre groupe ne rompront pas le fait majoritaire. Cela étant, comme je l’ai souligné tout à l’heure, il me semble important de ne pas renouveler trop souvent le recours à ce genre de méthode.

Certes, il y a urgence. Certes, le texte est utile, et nous considérons sur le fond que, globalement, il va dans le sens que nous avons toujours soutenu en termes d’efforts à réaliser en matière de logement, véritable priorité pour nos concitoyens.

Toutefois, l’urgence était-elle à quinze jours près ? En sens inverse, était-il impossible de faire voter ce texte au mois de juillet ? C’est une question que je livre à la réflexion de l’ensemble de mes collègues.

Oui, il est possible de recourir à la procédure accélérée. Toutefois, je ne doute pas que, si la même méthode avait été utilisée par le gouvernement précédent, moi-même et un certain nombre de mes collègues auraient fait le nécessaire pour que trois motions soient déposées.

M. Jacques Mézard. Je dis les choses telles que je les pense et, en général, je fais ce que je dis.

Il est tout à fait légitime que le Gouvernement veuille initier son action, et la nature des dossiers qu’il entend traiter explique la précipitation. Je crois toutefois qu’il serait souhaitable de ne pas abuser de ce genre de procédure. Comme cela a été dit, le texte a été présenté au conseil des ministres le 5 septembre, et nous en avons parlé à la conférence des présidents dans l’après-midi. Nous avons reçu l’étude d’impact il y a quatre jours, et le rapport de la commission juste avant le début de la séance. Ce sont des faits, et il n’y a rien d’iconoclaste à les rappeler.

Pour autant, nous ne voterons pas cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, et je ne pense pas que cette position suscite des cris d’orfraie à droite de l’hémicycle, car nous savons tous ce qu’il en est des alternances et des positions des uns et des autres.

Nous avons toutefois pour habitude d’essayer d’accorder nos convictions avec la façon dont nous appréhendons concrètement les dossiers. Pour nous, le fond ne doit jamais avoir raison de la forme. Car même si l’on peut toujours trouver une bonne raison d’éluder la forme, l’enjeu n’est autre que le respect des règles de fonctionnement de la démocratie. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur des travées de l'UCR et de l'UMP.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 53, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, dont l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 130 :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 346
Majorité absolue des suffrages exprimés 174
Pour l’adoption 170
Contre 176

Le Sénat n'a pas adopté.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social
Demande de renvoi à la commission

M. le président. Je suis saisi par M. Buffet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire d'une motion n° 2 rectifié.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social (n° 750, 2011-2012).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. François-Noël Buffet, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Desessard. Il n’a encore rien dit !

M. François-Noël Buffet. Un peu de patience, mon cher collègue ! (Sourires.)

Beaucoup de choses ont déjà été dites, notamment par Roger Karoutchi. Nous entendons faire en sorte que les conditions d’un travail sérieux sur ce texte puissent enfin être réunies.

Madame la ministre, grâce à la nouvelle majorité et au gouvernement auquel vous appartenez, nous sommes en train de vivre une situation assez inédite dans notre histoire parlementaire ! Je crois sincèrement qu’il s’agit d’une atteinte sans précédent aux droits du Parlement, et tout particulièrement à ceux du Sénat. Je ne parle même pas ici du fond du texte ; je parle de la méthode employée pour l’élaborer et nous le présenter.

Je rappelle que le projet de loi a été adopté en conseil des ministres le mercredi 5 septembre et inscrit à l’ordre du jour du Sénat le 11 septembre par la conférence des présidents. La commission des affaires économiques du Sénat a disposé de deux heures ce matin pour l’examiner avant sa discussion en séance publique. On n’avait jamais vu cela dans cette assemblée ! Quoi que vous en disiez, mes chers collègues de la majorité, on n’a jamais connu une telle outrance sous la précédente législature ; nous y reviendrons. (M. Ronan Dantec s’exclame.)

Vous avez souvent dénoncé un manque de respect de l’ancien Président de la République à l’égard du Parlement et de l’opposition. C’est pourtant lui qui a voulu la révision constitutionnelle de 2008, laquelle a renforcé le rôle du Parlement, élargi son domaine de compétence et assuré à l’opposition parlementaire un véritable statut, en lui conférant de nouveaux droits. Il est vrai que cette révision constitutionnelle, vous ne l’avez pas votée !

Dans ce contexte inédit, il convient, me semble-t-il, de féliciter nos services, qui ont rendu possible la publication du rapport écrit dans des délais presque inexistants – il nous a été distribué cet après-midi, alors que la séance publique était ouverte depuis quelques minutes – et dans des conditions surréalistes, imposées par un gouvernement déjà en grande difficulté après seulement quelques mois d’existence…

M. François-Noël Buffet. Ce n’est pas très sérieux !

En conséquence, le texte que nous examinerons tout à l’heure, si notre motion devait ne pas être adoptée, sera celui non pas de la commission des affaires économiques, mais du Gouvernement. Ce dernier aura ainsi ignoré l’un des apports majeurs de la révision constitutionnelle de 2008, que nous avons adoptée parce qu’elle constituait une avancée, un progrès important dans la prise en compte du travail du Parlement dans l’élaboration de la loi. Rappelons que, à l’époque, la gauche sénatoriale avait exigé que l’on prévoie des délais beaucoup plus longs pour l’étude des textes législatifs en commission. Manifestement, ce qui était valable hier ne l’est plus aujourd'hui !

Je vous rappelle, mes chers collègues, que c’est la majorité précédente qui a supprimé la procédure d’urgence pour l’examen des textes et encadré strictement les conditions de recours à la procédure accélérée. En cinq ans, alors que plus de 250 lois ont été promulguées, le nombre de fois où des délais aussi courts ont été prévus entre le dépôt d’un projet de loi et son examen en première lecture se compte sur les doigts d’une seule main. Or ce n’est que le troisième texte que ce gouvernement nous présente ! Lorsque le précédent gouvernement a dû procéder de la sorte, c’était dans des circonstances bien précises, qui n’ont aucun rapport avec celles que nous connaissons aujourd’hui. En ce qui concerne le texte relatif à la TVA anti-délocalisations, par exemple, cela tenait au fait qu’il ne restait que quelques jours de session avant la fin de la mandature et qu’il était urgent de prendre en compte les conclusions du sommet social.

Vous n’en êtes, pour votre part, qu’au début de votre quinquennat, mais il est vrai qu’il y a urgence. On peut sans doute regretter que vous n’ayez pas mis à profit la période estivale pour travailler sur ce texte. Au mois de juillet, vous nous avez convoqués en session extraordinaire pour pas grand-chose…

Madame la ministre, vous nous avez dit tout à l’heure que ce texte était essentiel, porteur d’un enjeu national fort, mais vous avez immédiatement atténué votre propos en reconnaissant que, incontestablement, il était imparfait. (Mme la ministre s’étonne.) Ce sont les mots que vous avez prononcés, madame la ministre !

Il faut en tirer les conséquences. Parce que le gouvernement actuel, affecté par des sondages catastrophiques, veut donner le sentiment d’être dans l’action, devons-nous laisser fouler aux pieds sans rien dire les règles fondamentales de notre démocratie parlementaire ? Il n’en est pas question. Nous condamnons fermement cette méthode à la hussarde, qui est le signe que, malheureusement, une grande fébrilité règne au sommet de l’État.

Nous savons tous ici que, pour examiner un tel projet de loi, il nous faut plusieurs heures de travail en commission. Nous avons pris la peine de vous avertir, lors de la dernière conférence des présidents, par la voix de ma collègue Catherine Troendle, que cette précipitation et cette impréparation n’étaient pas de bonne méthode et déboucheraient à coup sûr sur un examen bâclé d’un texte qui pourtant exige un vrai travail de fond. (Mme Catherine Troendle approuve.)

D’ailleurs, la commission des lois, qui, de tradition, se saisit pour avis des textes modifiant le droit de l’urbanisme, n’a pas pu travailler, étant donné les délais. Nous serons donc privés de sa grande expertise juridique. Il est d’ailleurs étonnant que le président Sueur, si sourcilleux en d’autres temps, n’ait pas émis quelque réserve que ce soit, au moins pour la forme.

M. François-Noël Buffet. Cela étant, son absence aujourd’hui signifie peut-être qu’il n’approuve pas la méthode employée…

Ce texte a aussi des conséquences financières considérables. Il s’agit donc d’un projet de loi dont l’examen méritait un vrai travail de fond au Parlement.

Il est tout de même assez extraordinaire que vous jetiez aux orties notre tradition bicamérale, qui veut que la Haute Assemblée soit un lieu de travail, de réflexion et de sagesse. Nous aurions dû nous en douter, d’ailleurs, puisque votre premier fait d’armes, en juillet dernier, a été de faire subir au Sénat une humiliante discrimination en le privant d’une véritable déclaration de politique générale du Gouvernement. En outre, alors que la session extraordinaire a brillé par le vide des textes présentés, reconnu et déploré publiquement par M. Mélenchon, votre allié, vous nous avez refusé une séance de questions d’actualité supplémentaire. La sanction n’a pas traîné : malheureusement pour votre assurance et vos certitudes, le Conseil constitutionnel vous a sèchement rappelés à l’ordre pour le non-respect de la périodicité des séances de questions d’actualité pendant les sessions extraordinaires. Il nous a donné raison, parce que nous demandions tout simplement l’application stricte du dernier alinéa de l’article 48 de notre Constitution : le droit, tout le droit, rien que le droit. Voilà la triste vérité ; votre attitude nous impose de saisir le Conseil constitutionnel pour que vous respectiez nos droits !

Après l’inertie en juillet, c’est la panique en septembre ! Après le détricotage systématique, c’est l’annonce de mesures très lourdes pour toutes nos communes, sans étude préalable, dans la précipitation, sans concertation ou presque, sans travail parlementaire en amont. Cela augure de mauvais jours à venir !

Dois-je citer un autre exemple de cette impréparation ? Le projet de loi que vous présentez aujourd’hui prévoit que l’État ou certains établissements publics puissent céder des terrains aux collectivités locales. Cela a fait la une de tous les journaux télévisés et de toute la presse. Vous avez, madame la ministre, triomphalement annoncé que 930 terrains, soit près de 2 000 hectares, seraient concernés. Or une grande partie de ces terrains, notamment les plus intéressants d’entre eux, sont déjà depuis longtemps la propriété de collectivités… (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.)

On peut citer, à cet égard, les cas des villes du Havre, d’Orléans et de Rennes, des départements du Val-de-Marne ou du Val-d’Oise, et j’en passe. Votre porte-parole a publiquement reconnu que votre liste n’était pas à jour ; celle-ci a été retirée en catastrophe du site internet de votre ministère ! Ce n’est pas sérieux du tout !

Cela montre bien que ce dossier n’a pas été correctement « ficelé » par les services de votre ministère et que vous ne connaissez pas les réalités du terrain. J’en veux pour preuve que les véritables problèmes du logement, tels que la vacance de logements ou le manque de foncier disponible, ne sont jamais évoqués.

Voilà pourquoi il est inadmissible que nos commissions ne puissent pas travailler avec le sérieux qu’on leur connaît, afin de donner de la consistance à un texte qui pourrait alors peut-être constituer un acte fort en ce début de quinquennat. Nous n’acceptons pas de débattre dans ces conditions et nous refusons d’être les otages de votre panique. Ce n’est plus du parlementarisme rationalisé, ce n’est peut-être même plus du parlementarisme du tout !

Madame la ministre, nous proposons de pousser votre logique jusqu’au bout : l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable vous fera gagner un temps précieux, celui du travail, de la réflexion, dont nous avons tous besoin !

Nous ne souhaitons qu’une chose : avoir le temps de débattre, d’approfondir la réflexion sur une question majeure, le logement des Français. On nous dit qu’il y a urgence, mais les dispositions de ce texte ne feront sentir leurs effets qu’à partir de 2016 ! Telle est la réalité !

M. François-Noël Buffet. Tout le monde sait que les mesures relatives au logement n’ont pas d’effet immédiat, sauf peut-être – cela ne vous aura naturellement pas échappé ! – dans les médias…

Le Sénat ne peut raisonnablement pas examiner ce projet de loi dans de telles conditions, que l’on ne peut qualifier de « normales ». Le débat est matériellement impossible. Les commissions n’ont pas pu travailler correctement. Les droits de l’opposition ne sont pas assurés ; ils ont même été bafoués. Nous n’avons même pas eu communication de l’étude d’impact du projet de loi dans les délais réglementaires.

Il n’y a donc pas lieu de poursuivre la discussion de ce texte. Il convient de se remettre au travail sur le fond, au bénéfice de la qualité de votre projet de loi, madame la ministre. En la matière, il faut donner au Sénat les moyens d’accomplir un travail sérieux et efficace. Vous-même avez reconnu que votre texte était imparfait ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)