Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, nous sommes très heureux de pouvoir débattre, dans cet hémicycle, des conclusions du rapport de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique.

Je veux le souligner, le rapport a été adopté à l’unanimité des membres de la mission et totalement soutenu par la commission des affaires sociales. Cette unanimité est d’ailleurs à l’image des travaux extrêmement constructifs et fort éclairants qui ont été conduits sur ce que je considère, j’y reviendrai, comme un véritable enjeu de société.

Nous ne voulions pas de polémiques inutiles, car cette mission d’information, souvenons-nous-en, est née d’un drame humain, celui de l’affaire des prothèses mammaires PIP, un drame dont nous découvrons d’ailleurs, chaque jour, l’ampleur croissante, puisque, vous le savez, les taux de rupture de ces prothèses sont très supérieures aux estimations initiales.

Malgré les Cassandre dénonçant le principe de précaution, nous ne pouvons que saluer la décision du précédent gouvernement de proposer l’explantation préventive à toutes les femmes porteuses de ces prothèses.

Pour autant, à l’occasion des différentes auditions, nous avons bien noté les difficultés auxquelles sont confrontées les victimes, qui dénoncent les pratiques parfois abusives de certains chirurgiens. Aussi avons-nous demandé à l’exécutif qu’il missionne l’Inspection générale des affaires sociales pour dresser le bilan de cette crise sanitaire et faire toute la lumière sur les conditions d’explantation. Madame la ministre déléguée, je souhaiterais avoir des éclairages sur la prise en compte de cette demande par l’actuel gouvernement.

Vous le savez, la mission commune d’information n’était pas une contre-enquête sur l’affaire PIP. Nous avons donc voulu que son champ d’investigation soit extrêmement élargi. Nous nous sommes concentrés sur les dispositifs médicaux dits « implantables », parce que jugés les plus à risque, ce qui recouvre une gamme de produits très large, allant des prothèses mammaires aux prothèses de hanche, en passant par les stents et les pacemakers.

Nous avons tenu à ouvrir encore plus notre réflexion pour y inclure l'ensemble des interventions à visée esthétique, qui, elles, vont du travail des esthéticiennes jusqu’à la chirurgie esthétique.

L’affaire PIP renvoyait en effet aux délicates questions, d'une part, du risque acceptable pour des interventions à visée purement esthétique et, d'autre part, de la place des pouvoirs publics pour déterminer un tel niveau de risque.

Je veux d’abord insister sur l’enjeu. En effet, à l’évocation du titre de cette mission commune d’information, d’aucuns nous ont parfois regardés avec un petit sourire. Pourtant, l’enjeu de santé publique est réel.

Pour les seuls dispositifs médicaux, le nombre de références aujourd'hui recensées oscille entre 160 000 et 800 000, soit un gap important tout autant qu’une incertitude extrêmement préoccupante ; le marché serait, selon l’IGAS, de 21 milliards d'euros.

De plus, chaque année, 300 000 actes de chirurgie et médecine esthétique sont pratiqués, marché en très forte progression. Autre chiffre intéressant, dans la perspective du débat qui va s’ouvrir, je précise que 16 % de la population française fréquente des cabines de bronzage à ultraviolets, dites cabines UV.

Si je mentionne ces quelques données, c’est pour bien montrer que nous sommes face à un problème de société, dépassant le simple choix individuel d’une prise de risque.

Nous avons donc travaillé sur un sujet élargi avec une approche elle-même élargie. Avec l’aide d’une équipe remarquable de fonctionnaires du Sénat, conduite, je tiens à le dire, par un remarquable administrateur, nous avons mené plus d’une cinquantaine d’auditions. Nous sommes intervenus auprès des instances européennes et nous sommes rendus aux États-Unis, au Danemark et en Suède. Nous aurions bien voulu aller en Australie, mais nous nous sommes contentés d’interroger les autorités locales par courrier, ce qui était plus respectueux des finances du Sénat !

Nous avons rencontré les spécialistes de la santé, les professionnels et les autorités sanitaires. Afin d’avoir véritablement une vision globale d’un tel enjeu de société, nous avons également pris contact avec des psychologues, des sociologues et des historiens. Nous tenions à dépasser les aspects purement techniques et sanitaires de ce type de débat pour privilégier une approche extrêmement large, afin d’en éclairer les enjeux sociétaux, qui ont toute leur place dans notre hémicycle.

Force est de constater que l’apparence physique, aujourd’hui, n’est pas seulement une question de bien-être mais qu’elle constitue une véritable norme de société, aux impacts concrets et mesurables, par exemple, sur les taux d’embauche.

En outre, la mission commune d’information s’est inscrite dans un calendrier opportun. Son rapporteur, M. Bernard Cazeau, ira plus loin tout à l’heure dans l’analyse des dispositifs de sécurité sanitaire existants et nos recommandations. Vous verrez alors combien nous sommes dépendants des règles européennes, qui ont, jusqu’à présent, plutôt privilégié la libre circulation des biens et l’harmonisation par rapport à la sécurité sanitaire.

Nous avons la chance de nous inscrire dans un calendrier opportun, disais-je, puisque lesdites règles européennes sont aujourd'hui en cours de révision et donc de rediscussion.

À nous d’être force de proposition dans ce cadre. Nous pouvons proposer une voie médiane entre le système européen actuel et le système américain : le premier est parfois trop libre-échangiste mais se révèle un facteur d’innovations ; le second, que certains voient comme la solution idyllique, s’il laisse tout de même lui aussi passer de nombreux scandales, est plus sécurisant mais peut-être moins favorable à l’innovation. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’exigence d’innovation et l’impératif de sécurité.

Sécurité et innovation sont les termes clés de notre débat, deux principes qui doivent guider notre réflexion cette après-midi. La question est de savoir comment faire en sorte que des interventions non vitales soient encadrées de la plus haute exigence de sécurité, tandis que les interventions absolument vitales, elles, pourraient intégrer une prise de risque quelque peu supérieure.

Allant sur le terrain des propositions qui, normalement, sont du ressort de M. le rapporteur, je voudrais mentionner un sujet qui me tient à cœur : les perturbateurs endocriniens.

Voilà un peu plus d’un an, notre collègue Gilbert Barbier a consacré un rapport à ce sujet au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’en citerai simplement le titre : Perturbateurs endocriniens, le temps de la précaution.

On a coutume de dire que les dispositifs médicaux ne sont pas mieux encadrés que les jouets. C’est vrai pour le marquage « CE ». En matière de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, ou CMR, la situation est même pire : celles-ci sont interdites dans les jouets, y compris dans certains produits ludiques pour adultes, mais entrent toujours dans la fabrication des dispositifs médicaux.

Nous disposons aujourd’hui d’études précises, présentées par le docteur Cicolella dans le cadre des auditions que nous menons actuellement au Sénat sur la proposition de loi relative au bisphénol A, études soulignant l’impact sanitaire catastrophique de ces produits, tout particulièrement sur les fœtus et les nourrissons, donc sur les prématurés.

Aussi, lors de l’examen de ce texte, je vous proposerai qu’un tel produit soit exclu des dispositifs médicaux, notamment ceux qui touchent les prématurés et les nourrissons.

Je dirai un dernier mot sur l’esthétique.

Ce que nous avons découvert tout au long de nos travaux est assez inquiétant, pour ne pas dire parfois effrayant, en termes de pression sociale, de normalisation, de stratégies marketing. Cela ne fait que confirmer, malheureusement, ce que j’avais déjà souligné dans le cadre d’un précédent rapport consacré à l’hypersexualisation des enfants.

On pourrait s’interroger longtemps sur les motivations des personnes qui ont recours à la chirurgie ou à la médecine esthétiques. Nos auditions l’ont montré très clairement, toute moralisation est inutile et même totalement injuste. Je tiens vraiment à rappeler ce point au moment où s’ouvre le débat : la volonté de modifier les corps a existé de tout temps ; loin d’être un phénomène des temps modernes, un problème de sociétés « riches », il se développera inévitablement avec le vieillissement de la population et il faut même souhaiter que les techniques puissent être améliorées.

Il nous revient cependant, dans cet hémicycle, d’éclairer l’opinion, de clarifier les frontières entre l’esthétique et la médecine. Nous ne devons pas hésiter à interdire quand le risque sanitaire est avéré.

Mes chers collègues, je vous invite à un débat ouvert et pragmatique autour des propositions de M. le rapporteur, que je qualifie de très audacieuses : elles améliorent la sécurité sanitaire sans entraver les innovations « vitales », et la réglementation sans verser dans la moralisation. Une fois de plus, je n’en doute pas, le Sénat va montrer qu’il a un temps d’avance ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, ce débat vient, en quelque sorte, couronner le travail de la mission commune d’information sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, mission créée sur l’initiative de notre collègue Chantal Jouanno.

Vous ne l’ignorez pas, à l’origine de cette mission se trouve l’émotion suscitée par le scandale des prothèses PIP. Notre rapport a d’ailleurs montré combien cette triste affaire dépassait le simple cadre d’une fraude au gel de silicone pour atteindre l’ampleur d’un véritable scandale sanitaire. Les dernières données de matériovigilance publiées en juillet par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, nous apprennent que, au fur et à mesure des explantations, apparaissent des cas d’anomalies et de réaction inflammatoire plus importants que ceux qui étaient estimés. À la fin du mois de juillet, 12 345 Françaises – sur les 30 000 potentiellement concernées – avaient fait retirer leurs prothèses, dont 8 460 à titre préventif. Des anomalies ont été constatées dans 22 % des cas, soit près du quart des opérations. C’est beaucoup plus que ce qui avait été annoncé lorsque le scandale a éclaté.

Voilà qui n’est pas de nature à rassurer toutes les femmes qui souffrent, d’autant que la question de leur indemnisation n’est toujours pas réglée !

De nombreuses autres raisons justifiaient que le Sénat s’intéresse aux dispositifs médicaux. Lors de la discussion de la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, plusieurs de nos collègues avaient prédit qu’ils seraient au cœur du prochain scandale sanitaire. Les faits nous ont malheureusement rapidement donné raison.

C’est donc avec la volonté de prévenir un nouveau scandale sanitaire que notre mission s’est attelée à un travail de fond. En l’espace de quatre mois, nous avons auditionné plus de cinquante institutions, associations ou entreprises, qui nous ont fait part de leurs préoccupations ou suggestions.

Vous le savez, l’autre versant du champ de compétence de notre mission concernait les interventions à visée esthétique. À ce titre, l’ampleur inédite de l’affaire PIP, qui s’est traduite par une couverture médiatique internationale sans précédent, a montré combien l’apparence et la beauté – fussent-elles artificielles – étaient devenues les préoccupations majeures, sinon essentielles, d’un grand nombre de nos contemporains.

Au-delà des interrogations relatives aux méthodes et aux enjeux du contrôle des dispositifs médicaux, cette affaire des prothèses PIP nous a donc conduits à nous interroger sur la réglementation des interventions à visée esthétique.

Au fil de nos travaux, et à force de constatations mettant en évidence, selon les cas, un caractère absurde, dramatique ou désolant, notre mission s’est attachée à formuler des propositions concrètes, avec un mot d’ordre : faire prévaloir la sécurité dès lors qu’il est question de santé publique.

On a déjà beaucoup parlé de notre recommandation visant à interdire les cabines de bronzage. Je n’en dirai donc qu’un mot : ces cabines sont aujourd’hui reconnues comme un facteur d’augmentation des pathologies cutanées, notamment de la plus grave d’entre elles, le mélanome. D’aucuns expliqueront que cette pratique provoque moins de morts que d’autres activités, comme la chasse ou la baignade. Les cabines, poursuivront-ils, sont moins nocives que le tabac, que personne n’a proposé d’interdire jusqu’à présent. C’est exactement le genre d’arguments entendus au Brésil lorsque ce pays a pris la décision d’interdire les cabines, à la fin de 2009 ! Les intérêts en jeu sont, il est vrai, loin d’être négligeables mais, comme l’a considéré la justice brésilienne, le droit à la santé doit prévaloir sur le droit au libre exercice de l’activité économique. Et l’interdiction est toujours en vigueur, en dépit de ce que certains voudraient nous faire croire…

Il faut donc placer la sécurité en tête de nos préoccupations. Mais comment faire ?

S’agissant des dispositifs médicaux implantables, la réponse n’est pas toujours évidente, car les nouvelles technologies contribuent à sauver des vies et à améliorer la qualité des soins. Je pense, par exemple, à l’essor de la cardiologie interventionnelle, qui permet de traiter des pathologies graves dans des conditions beaucoup moins lourdes que les techniques chirurgicales traditionnelles. Lorsqu’il y va de la vie du patient, sans doute faut-il privilégier la rapidité de mise sur le marché des dispositifs innovants, quitte à procéder à leur évaluation approfondie après implantation.

Cependant, hormis ces cas d’urgence, la sécurité doit prévaloir. L’exemple des prothèses PIP ou des prothèses de hanche DePuy a montré les graves défaillances des mécanismes de contrôle.

La Commission européenne a engagé une vaste réforme des directives relatives aux dispositifs. D’abord annoncée pour le printemps, cette révision de la réglementation européenne a abouti la semaine dernière, ce qui est important.

Je passe sur la proposition de règlement relative aux dispositifs de diagnostic in vitro, lesquels n’entraient pas dans le champ de la mission.

Pour ce qui est des dispositifs médicaux en général, sous réserve d’une analyse plus précise de la proposition de règlement, je note avec satisfaction que la Commission européenne partage les préoccupations exprimées par notre mission. Au début du mois de juin, Mme Jouanno et moi-même nous étions d’ailleurs rendus à Bruxelles pour nous entretenir avec le cabinet du Commissaire à la santé et avec les fonctionnaires de la direction générale intéressée. À cette occasion, nous leur avions fait part de notre volonté de voir la rigueur s’imposer à tous les niveaux afin de garantir la sécurité des malades.

D’une manière générale, la Commission reprend ce qui fut le leitmotiv de la mission tout au long de nos travaux : « renforcer sensiblement les contrôles pour garantir que seuls des dispositifs sûrs sont placés sur le marché de l’Union européenne et, dans le même temps, favoriser l’innovation et préserver la compétitivité du secteur des dispositifs médicaux ».

Les recommandations que nous avions faites sont reprises pour l’essentiel sous une forme ou sous une autre par la Commission.

Je citerai, notamment, la surveillance renforcée des organismes d’évaluation – jusqu’alors, ils faisaient un peu ce qu’ils voulaient ! - la multiplication des visites inopinées chez les fabricants – auparavant, ils étaient prévenus huit jours à l’avance, ce qui a permis l’affaire des prothèses PIP - l’accroissement des pouvoirs des organismes notifiés - ils exerceront des responsabilités et seront, semble-t-il, plus particulièrement surveillés - l’ouverture aux professionnels de santé et, élément très important, au public de la base de données européenne Eudamed à des fins d’information et de transparence sur les produits disponibles.

Je citerai également le renforcement de la traçabilité par l’introduction d’un système d’identification unique des dispositifs médicaux – pratique aujourd’hui très répandue, y compris aux États-Unis - l’intensification des exigences relatives aux preuves cliniques – en effet, faire des dispositifs médicaux sans jamais avoir de preuves cliniques va légèrement à l’encontre du dispositif sanitaire habituel !- l’amélioration de la coordination entre autorités nationales de surveillance, l’institution de règles de nature à prévenir le forum shopping, c’est-à-dire la possibilité offerte à un fabricant de changer d’organisme notifié comme bon lui semble - dans l’affaire des prothèses PIP, il y a eu changement d’organisme en cours de notification…

Dans le projet de la Commission, le changement nécessiterait un accord signé par les trois parties : le fabricant, l’ancien organisme notifié et le nouveau. L’accord emporterait l’abrogation du marquage de conformité délivré par l’ancien organisme notifié. Ce changement serait notifié à la Commission.

Encore une fois, attendons d’avoir le texte précis entre nos mains, mais le rapporteur que je suis ne peut s’empêcher de penser que nous avons fait œuvre utile.

Reste que l’objectif de la Commission européenne est d’aboutir à l’adoption du règlement d’ici à deux ans, pour une entrée en vigueur progressive entre 2015 et 2019, preuve que, à l’échelon européen, le rythme est encore plus lent que chez nous !

Ce qui ne nous empêche pas, madame la ministre déléguée, d’agir dès à présent, car tout ne se joue pas à Bruxelles, ce serait trop facile !

En matière de suivi des dispositifs après leur implantation, nous ne pouvons incriminer la réglementation communautaire. Si les défauts de conception des prothèses de hanche DePuy ont été détectés en Australie et en Suède, et non en France, c’est parce que nous ne tenons pas de registres exhaustifs des dispositifs.

Il est donc indispensable et urgent de repenser le système en rendant le recueil de données plus simple et en rappelant les professionnels de santé à leurs responsabilités en la matière. Car ils traînent des pieds ! On nous a opposé que la création de registres exhaustifs se heurtait aussi à des difficultés d’ordre juridique mais, nous l’avons vérifié, elles peuvent être surmontées.

Madame la ministre déléguée, quelles initiatives le Gouvernement entend-il prendre en ce domaine, qui me paraît fondamental ?

Dans le même ordre d’idées, il faut simplifier la déclaration d’incidents graves et accroître la transparence des liens d’intérêt, même si, en matière de dispositifs médicaux, les choses ne sont pas aussi simples que dans le domaine du médicament. En effet, les nouveaux matériels sont souvent développés en concertation avec une équipe médicale, voire sur son initiative. La loi « médicament » précitée contient des dispositions intéressantes ; on l’a vu cet été avec l’avertissement lancé par l’ANSM sur les sondes de stimulation cardiaque Somedics, apparemment commercialisées en dépit du retrait ou du non-renouvellement des certificats de marquage « CE » par son organisme notifié. Je souhaite bonne chance à ceux qui en sont porteurs !

D’ailleurs, preuve que les mécanismes existants peuvent fonctionner, l’ANSM a demandé, le mois dernier, la mise en quarantaine de l’ensemble des sondes de ce fabricant que les établissements de santé pourraient avoir en stock.

En outre, madame la ministre déléguée, je vous pose de nouveau la question : dans quel délai pourrons-nous disposer du rapport sur la sécurité des dispositifs médicaux prévu à l’article 41 de cette loi ?

J’en viens maintenant à l’esthétique.

Pour ce qui est de la chirurgie esthétique, la France fait figure d’exemple. Le délai de réflexion de quinze jours, l’interdiction de la publicité, l’encadrement des interventions sont des éléments essentiels dont plusieurs pays cherchent à s’inspirer.

En revanche, en matière de médecine esthétique, c’est la jungle ! Le marché est en forte croissance et de nouvelles techniques apparaissent sans cesse. Il y a quelques jours encore, un nouvel appareil est arrivé sur le marché, la « brosse vibrante antirides »…

M. Bernard Cazeau, rapporteur. … qui facilite, pour tout vous dire, madame, « la pénétration de la crème de jour ».

Mme Nathalie Goulet. Sans blague !

M. Bernard Cazeau, rapporteur. Bel exemple de marketing qui surfe sur la volonté universelle de retarder les effets de l’âge !

La frontière s’estompe entre les actes accomplis par les professionnels de santé – les médecins voire, dans certains cas, les dentistes, qui commencent à sortir du strict champ de leur compétence, car c’est « juteux » ! – et ceux qui sont réalisés par les esthéticiennes.

Il est difficile d’y voir clair, d’autant que, si certains dangers sont avérés, d’autres risques ne sont que potentiels, ce qui fait peser une incertitude juridique sur les mesures susceptibles d’être décidées. C’est ce qui s’est produit l’année dernière avec les techniques de lyse adipocytaire, dont la suspicion de nocivité n’était que potentielle. Le décret pris par le Gouvernement en avril 2011 a été en partie invalidé. Peut-être nous préciserez-vous, madame la ministre déléguée, comment le Gouvernement entend reprendre ce dossier, tout en garantissant la solidité juridique des dispositions prises ?

En tout état de cause, il faut clarifier les choses et faire prévaloir la sécurité en agissant dans plusieurs directions.

La première exigence consiste à réserver les actes potentiellement dangereux aux seuls médecins. Ce devrait être le cas des procédés de dépilation, lasers ou lampes à lumière pulsée au-delà d’une certaine puissance.

Mme Nathalie Goulet. Absolument !

M. Bernard Cazeau, rapporteur. De toute manière, en deçà, elles sont inefficaces, et tout le monde peut donc s’amuser avec !

Il nous faut aussi préciser les conditions de formation des médecins esthétiques. La médecine esthétique ne doit pas constituer une spécialité à part entière, mais les praticiens doivent disposer d’une véritable capacité. Il faut donc créer en la matière, comme nous le proposons, un diplôme d’études spécialisées complémentaires, ou DESC. Sur ce sujet, nous vous laissons la possibilité de vous rapprocher de votre collègue chargée de l’enseignement supérieur puisque, dans ce domaine, les deux ministères sont concernés.

Instituer un marquage « CE » propre à l’esthétique permettrait de « faire le ménage » parmi tous ces produits. Il n’y a aucune raison de disposer, en France, d’une centaine de produits à base d’acide hyaluronique, alors qu’une dizaine seulement de tels produits sont sur le marché aux États-Unis.

M. Gilbert Barbier. Six, très exactement !

M. Bernard Cazeau, rapporteur. Chacun propose « sa petite recette » sans justification précise, bien au contraire.

Il faut également constituer une base de données de tous les dangers de ces produits ou des actes proposés, de sorte que les consommateurs les choisissent en pleine connaissance de cause.

Cette véritable « esthéticovigilance » passe enfin par la création d’un carnet de soins esthétiques destiné à éviter que les personnes qui recourent à ces techniques ne multiplient pas les actes de manière imprudente, voire dangereuse.

Telles sont, madame la ministre déléguée, quelques-unes des pistes de réflexion que nous avons dégagées dans un esprit de responsabilité assez unanime.

Pour conclure, je tiens à souligner que nous n’avons perdu de vue ni l’incidence économique des secteurs concernés ni la nécessité de ne pas entraver l’innovation. Il est toutefois nécessaire de replacer la sécurité au premier rang des priorités. Comme le dit le vieil adage : primum non nocere. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la mission commune d’information applaudit également.)

Mme Nathalie Goulet. Primum non nocere, deinde curare !

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Madame la ministre déléguée, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à dire combien je suis satisfaite que nous puissions aborder ce sujet à la suite du débat sur le financement des hôpitaux, en lui accordant une place importante dans nos échanges. Il relève, en effet, lui aussi, d’un enjeu fondamental de notre système de santé.

L’émotion suscitée depuis près d’un an par le scandale des prothèses mammaires PIP justifiait pleinement la création de cette mission commune d’information, élargie à l’ensemble des dispositifs médicaux implantables et aux interventions à visée esthétique.

Les nombreuses auditions organisées par cette mission ont été de qualité et permettent aujourd’hui d’avancer un certain nombre de propositions de bon sens qui faisaient pourtant cruellement défaut jusqu’à présent.

Je tiens donc à remercier Mme Chantal Jouanno, présidente de la mission commune, pour le travail réalisé et M. Bernard Cazeau pour son rapport.

Ce nouveau scandale sanitaire, après celui du Mediator, a mis une nouvelle fois en lumière l’existence de dysfonctionnements en matière de réglementation et le fait que les intérêts financiers peuvent parfois primer la santé des patients. Il n’est pas acceptable que les lacunes du système puissent permettre à quelqu’un, par appétit financier et souci de rentabilité, de déjouer pendant vingt ans tous les contrôles.

Selon le bilan réalisé en juillet dernier par l’ANSM, plus de 3 000 cas de rupture ont été détectés chez des porteuses françaises et plus de 12 000 femmes, sur 30 000 concernées, ont « bénéficié » d’un retrait préventif. Cela nous montre l’ampleur des dégâts. Nous savons la souffrance tant physique que psychologique vécue par ces femmes, et cela doit effectivement nous interroger sur les mesures à prendre pour éviter que de tels événements ne se reproduisent.

Le rapport montre très bien comment, malgré des moratoires successifs de commercialisation de cette technologie depuis longtemps controversée, malgré des signaux d’alerte, les années ont pu s’écouler sans qu’il y ait retrait ou suspension de la mise sur le marché et de l’utilisation de ces implants mammaires fabriqués par la société PIP.

Je suis donc favorable à l’une des préconisations de la mission qui, pour le Gouvernement, consiste à demander à l’Inspection générale des affaires sociales de dresser un bilan détaillé de la gestion de cette crise sanitaire. Je crois que cette transparence, même a posteriori, est essentielle pour les victimes, et demain pour de futures patientes.

Il me paraît tout aussi important de renforcer strictement les contrôles effectués sur les dispositifs médicaux implantables dès leur mise sur le marché et durant toute leur durée d’utilisation. En effet, chacun le sait, contrairement aux médicaments, dont la mise en vente est conditionnée et subordonnée à l’autorisation de mise sur le marché, les dispositifs médicaux peuvent être vendus même en l’absence de tests.

Nous avons voulu renforcer cette pharmacovigilance via la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Les dispositifs médicaux font également partie de cette loi ; or, six mois après la promulgation de la loi, les décrets d’application des articles concernés ne sont toujours pas parus. Peut-être Mme la ministre pourra-t-elle nous éclairer sur ce point ?

Notons toutefois avec intérêt que la Commission européenne vient de réviser la réglementation sur les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro. Les propositions de la Commission visent, selon le commissaire européen chargé de la santé et de la politique des consommateurs, John Dalli, « à renforcer sensiblement les contrôles pour garantir que seuls des dispositifs sûrs sont placés sur le marché de l’Union européenne et, dans le même temps, à favoriser l’innovation et à préserver la compétitivité de ce secteur ». Figurent en outre parmi ces dispositions une traçabilité totale des dispositifs les plus sensibles et une surveillance accrue du marché.

C’est une décision importante, même si l’on peut regretter qu’il n’y ait toujours pas de véritable autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs à haut risque.

Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !

Mme Laurence Cohen. Les investigations de la mission nous ont également permis de nous interroger sur ce que l’on appelle les « interventions à visée esthétique ». Ces nouvelles pratiques, de plus en plus nombreuses, recèlent ou peuvent recéler de nouveaux dangers. Il est de notre responsabilité de les anticiper pour les éviter.

Il s’agit d’un véritable enjeu de société à part entière et d’un secteur économique florissant, puisque plus de 11 millions de soins de beauté et de bien-être auraient été réalisés en France en 2011. Les femmes en sont le public majoritaire.

Notre rapport au corps, au vieillissement, à la beauté, entraîne un recours de plus en plus fréquent et banalisé à ces nouvelles techniques séduisantes, sans que l’on pense à leurs conséquences à plus long terme, ou tout simplement parce que l’on croit ces pratiques sont très encadrées, et donc sans danger.

Il est certes difficile de démontrer le caractère dangereux d’une pratique esthétique en l’absence de données scientifiques ou de statistiques fiables et objectives. À l’inverse, on sait pertinemment que certaines pratiques sont dangereuses. Ainsi ne pouvons-nous ignorer les dangers, aujourd’hui scientifiquement avérés, des cabines de bronzage.

J’approuve donc la proposition de la mission visant à interdire ces cabines de bronzage, hors usage médical. Certes la mesure est radicale et sans doute impopulaire, mais elle est nécessaire si l’on veut éviter un futur scandale sanitaire.

Sans revenir sur chacune des trente-huit propositions formulées par la mission, nous devons, d’une manière générale et pour l’avenir, répondre à trois priorités.

Nous devons, tout d’abord, bien définir les responsabilités en matière d’évaluation, de contrôle et de surveillance des dispositifs médicaux. À ce titre, l’ANSM doit pouvoir pleinement jouer son rôle de gendarme sanitaire en centralisant tous les signalements.

Il faut, ensuite, créer les conditions d’une formation qualifiante des professionnels. Cette demande est revenue très souvent au cours de nos auditions.

Il convient, enfin, de disposer d’un statut bien défini qui s’inscrive dans les frontières, pourtant assez floues, délimitant le médical de l’esthétique.

Selon nous, et nous ne le répéterons jamais assez, il est impératif de mettre fin aux conflits d’intérêt qui peuvent exister et de renforcer les contrôles et les inspections réalisés par les organismes notifiés.

Ces organismes doivent avoir les moyens de remplir leurs missions, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle, les fabricants pouvant décider eux-mêmes des modalités de certification et d’évaluation. Une harmonisation par le haut est donc nécessaire au niveau européen, tout comme une indépendance renforcée de ces structures de contrôle.

Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour redire combien il est primordial de protéger les lanceurs d’alerte – c’est prévu, là encore, dans la loi relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé ! – pour éviter les attaques virulentes dont les professionnels de santé peuvent être victimes dans de telles situations.

En conclusion, nous partageons pleinement la philosophie de ce rapport, bien résumée dans son titre : Santé, beauté, une priorité : la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme la présidente de la mission commune d’information applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.