M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai, il faut le dire !

M. Pierre Hérisson. Je souhaite d’ailleurs que nous puissions prochainement voter un texte pour faire évoluer cette loi.

Ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Je vous renvoie à cet égard aux derniers travaux du CAHROM, qui participe à l’élaboration de la position européenne sur le sujet, à savoir la budgétisation d’une véritable politique de développement et d’inclusion de ces populations dans leur pays d’origine, chaque fois que cela est possible. Développer le programme européen destiné à favoriser l’inclusion de ces populations en Roumanie et en Bulgarie doit être notre priorité absolue.

La Roumaine et la Bulgarie doivent respecter leurs engagements et assumer leurs responsabilités. Ces pays doivent mettre en place ces programmes, dans l’application desquels on note pour le moins de grandes lacunes. Lorsque je me suis entretenu à Bucarest avec l’ancien ministre de l’intérieur roumain et le secrétaire d’État chargé de la réinsertion des Roms, j’ai enfin compris la situation : si ces deux membres du gouvernement roumain sont attachés au respect des décisions européennes conditionnant leur future intégration à l’Union européenne, ils ne m’ont jamais répondu quant à l’utilisation des crédits européens dédiés à l’amélioration des conditions de leurs minorités ; cela est proprement inadmissible !

Aussi, malgré les bonnes intentions qui sous-tendent cette proposition de résolution, l’adopter serait véritablement contre-productif. Le signal envoyé aux États bulgare et roumain ne serait autre que celui-ci : « En dépit des millions d’euros que vous percevez grâce aux contribuables européens, ne faites rien pour gérer vos minorités, car la France s’occupe de tout et endosse la responsabilité à votre place. »

Adopter votre proposition de résolution reviendrait à décrédibiliser l’Europe, puisque vous reniez les mécanismes qui ont été mis en place avec nos partenaires européens et qu’il nous faut respecter.

Adopter votre proposition de résolution, c’est avoir la prétention de croire qu’une initiative nationale française peut se substituer au travail mené avec nos partenaires en faveur de ces populations. Je rappelle que l’Espagne vient de réduire les possibilités d’accès au travail. La crise est une évidence, là-bas sans doute plus que chez nous.

Adopter votre proposition de résolution, c’est désacraliser le nécessaire respect des engagements auxquels doivent se conformer les États candidats ou en phase d’intégration. C’est tout simplement décrédibiliser le processus d’adhésion et d’intégration à l’Union européenne, dans ses principes et dans le respect des engagements. Enfin, c’est laisser croire aux associations et à ces populations que nous sommes en capacité de les accueillir dignement et de nous dispenser de solutions qui ne peuvent être qu’européennes et transitoires.

Aussi, madame Archimbaud, si louables que soient vos intentions, vous comprendrez que le groupe UMP vote contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, l’Union européenne s’est vu attribuer le prix Nobel de la paix. Ainsi, l’une des plus formidables constructions politiques de l’après-guerre était récompensée pour avoir institué en Europe un espace de paix et de sécurité définissant une citoyenneté européenne garantissant des droits fondamentaux comme la liberté de circulation et d’installation.

Force est de constater que cette construction fragile, complexe ne va pas de soi, qu’elle provoque lors de chaque phase d’intégration des moments de crainte et de doute. Ces moments sont encore plus difficiles, voire risqués, lorsque la situation économique et sociale est douloureuse, engendrant d’inévitables tensions. Il était toutefois historiquement symbolique et politiquement nécessaire de ne pas laisser de côté une partie significative de « l’autre Europe », après le grand élargissement de 2004.

Cette conviction a dominé l’ensemble des négociations d’entrée dans l’Union européenne de la Roumanie et de la Bulgarie. Néanmoins, intégrer ces États, dont le PIB atteint 25 % de la moyenne des PIB des États membres de l’Union européenne, représentait un enjeu économique et administratif important.

Lorsque l’on regarde aujourd’hui les situations politiques en Hongrie et en Roumanie d’une part, en Ukraine de l’autre, on mesure combien ce volontarisme politique était indispensable pour éviter tout retour en arrière sur le plan démocratique.

Comme en 2004, avec les vagues migratoires de Pologne et des pays baltes vers l’Irlande et le Royaume-Uni surtout, la libre circulation a vite engendré une inquiétude : les Roumains et les Bulgares n’allaient-ils pas déferler sur des marchés de l’emploi déjà très tendus et engendrer un mouvement de baisse des salaires ? C’est pour face à cette crainte que des États membres ont souhaité mettre en place des mesures transitoires de protection de leur marché du travail.

C’est encore le cas aujourd’hui pour la France, comme pour l’Allemagne et l’Espagne. Pourtant, un rapport de la Commission européenne au Conseil européen sur le fonctionnement des dispositions transitoires sur la libre circulation des travailleurs en provenance de la Bulgarie et de la Roumanie, remis le 11 novembre 2011, a évalué l’impact de ces mesures transitoires tant pour la Bulgarie et la Roumanie que pour les pays de migration. C’est à cette date la seule étude d’impact de référence sur la question.

Quelles sont les conclusions de cette étude ?

Indépendamment de leur participation au marché du travail, on estime à environ 2,9 millions de personnes le nombre de ressortissants bulgares et roumains installés dans l’un des 25 autres États membres de l’Union européenne, cette mobilité étant antérieure à la date d’adhésion de ces pays, en 2007. L’Italie, l’Espagne et l’Allemagne hébergent plus de 75 % de l’ensemble des travailleurs bulgares et roumains.

Les flux de mobilité suivent bien évidemment les périodes de croissance économique. Ainsi, l’arrivée de travailleurs bulgares et roumains s’est fortement ralentie depuis 2009. Quand l’Espagne a réintroduit des restrictions, le 22 juillet 2011, plus de 50 % des travailleurs migrants provenant de Bulgarie et de Roumanie avaient déjà quitté ce pays, car ils étaient privés d’emploi°!

Les profils professionnels des travailleurs migrants sont rarement qualifiés et les métiers qu’ils occupent restent directement liés à la conjoncture économique : construction, services domestiques, hôtellerie, restauration... Pourtant, comme le montrent en France des études réalisées par Pôle emploi, plusieurs de ces métiers font aujourd'hui l’objet de nombreuses offres d’emploi non pourvues.

Au-delà de la simple étude statistique, ce rapport tire des conclusions importantes pour l’analyse de la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui : « Toutefois, il est clair que les citoyens mobiles récemment arrivés en provenance [de Bulgarie et de Roumanie] ont joué un rôle très mineur dans la crise du marché du travail des différents pays. Par exemple, en 2010, ils représentaient seulement 1 % de l’ensemble des personnes au chômage (âgées de 15 à 64 ans) dans les pays de l’UE-15, contre 4,1 % pour les ressortissants de pays tiers récemment arrivés.

« La vaste majorité des citoyens mobiles récemment arrivés de Bulgarie et de Roumanie participent au marché du travail dans la même mesure que la population moyenne, voire de manière plus importante. Dans l’ensemble, ils ont joué un rôle positif pour les économies des pays d’accueil... »

Ce sont ces conclusions qui ont incité le Parlement européen à adopter, le 15 décembre 2011, une résolution sur la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne. Cette résolution a été votée aussi bien par le PPE et le PSE que par les Libéraux et les Verts européens. Il en avait été de même de la résolution sur les mesures d’encouragement de la mobilité des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne adoptée le 25 octobre 2011.

Il faut souhaiter, mes chers collègues, que notre attachement à la construction européenne nous conduise à faire aujourd'hui un choix similaire. Notre collègue Aline Archimbaud nous demande de voter une proposition de résolution relative aux ressortissants de nationalités roumaine et bulgare. Beaucoup ont voulu y voir un texte essentiellement destiné à favoriser l’insertion en France des migrants roms ; c’est en partie vrai.

À ce stade, plusieurs remarques doivent être faites. La proportion de migrants d’origine rom est conforme à leur part – plus ou moins 10 % – dans la population de leurs États d’origine. Grâce à la liberté de prestation de service dans l’Union européenne, il est déjà possible de travailler en France en toute légalité quand on vient de Bulgarie ou de Roumanie. Dans ce cas, les cotisations sociales des employés détachés en France ne sont pas payées en France mais dans le pays d’origine de l’entreprise. La CGT ne faisait-elle pas remarquer l’année dernière que Bouygues Construction employait sur le chantier de l’EPR à Flamanville un tiers d’ouvriers roumains par le biais d’entreprises sous-traitantes roumaines ? Notons que cette main-d’œuvre a l’avantage d’être payée neuf euros de l’heure et de n’être pas syndiquée... En outre, les cotisations sociales sont payées en Roumanie.

On retrouve le même type de montage dans certaines de nos entreprises de transport, qui emploient des chauffeurs routiers bulgares sur des cycles de quatorze jours. Donner aux ressortissants roumains et bulgares d’autres possibilités de travailler légalement en France participera au relèvement des droits sociaux des migrants européens et de leurs salaires, comme cela a été le cas pour les États ayant intégré l’Union européenne en 2004.

Il existe en France des filières d’emploi qui fonctionnent de façon clandestine : outre les 15 000 à 20 000 Roms qui vivent dans des conditions indignes, ce sont plusieurs dizaines de milliers de Bulgares et de Roumains qui occupent des emplois dans le BTP, l’hôtellerie ou la restauration. Ce sont ces travailleurs qui font la fortune des marchands de sommeil.

En demandant la suppression des mesures transitoires, les auteurs de cette proposition de résolution formulent une solution alternative au détachement de personnels, système dans lequel aucune cotisation sociale n’est payée en France. Cela ôterait toute justification à ceux qui emploient de manière illégale de la main-d’œuvre bulgare ou roumaine en France, en exploitant leur précarité et leur illégalité.

Il convient aussi de rappeler que la Roumanie et la Bulgarie ont respecté, dans leur processus d’adhésion, l’esprit des traités européens sur la liberté de circulation et d’installation, en n’imposant aucune réciprocité aux mesures transitoires demandées par la France, contrairement à ce qu’avait fait la Pologne en 2004. En effet, ce pays avait estimé que ces mesures transitoires étaient discriminatoires et contraires à l’esprit des traités et avait donc instauré par réciprocité des barrières à l’embauche pour les ressortissants des États ayant mis en œuvre de telles mesures. Ces barrières ont été levées en même temps que les mesures transitoires visant les ressortissants polonais, sans aucun effet négatif pour l’emploi. Du reste, qu’aurait dit la France si Renault avait dû affronter ce type de situation avec l’administration roumaine dans la gestion de ses expatriés travaillant sur le site de l’usine Dacia à Pitesti ?

Quel est l’objet de la proposition de résolution qui nous est présentée ? Elle s’inscrit dans la volonté de la nouvelle majorité de marquer une rupture avec la politique de stigmatisation et de refus d’intégration des migrants dont le discours de Grenoble a constitué le néfaste point d’orgue. Ce discours fut à la fois une justification et une théorisation du refus des valeurs républicaines.

Toutefois, depuis son dépôt en juin dernier, cette proposition de résolution a perdu une partie de son actualité grâce à l’action du Gouvernement. La circulaire interministérielle du 26 août 2012 marque en effet la volonté du gouvernement de Jean-Marc Ayrault d’avoir une vision intégrée des enjeux liés à l’apparition et au démantèlement de lieux de vie indignes, ainsi qu’à l’insertion des populations y habitant. Cette circulaire souligne que l’intégration se fait par le travail et l’école. Conformément à la demande formulée dans la présente proposition de résolution, cette circulaire supprime la perception de la taxe OFII pour toute délivrance de titre de séjour, ouvre l’accès des ressortissants bulgares et roumains aux services de Pôle Emploi et leur permet d’intégrer des filières de formation professionnelle.

Ce texte fondateur a été complété par trois circulaires visant à garantir la scolarisation de tous les enfants de six à seize ans, quels que soient leur niveau et leurs origines. En outre, la semaine dernière, un arrêté a élargi de façon significative la liste des emplois accessibles aux Bulgares et aux Roumains. La publication de cet arsenal de textes s’est accompagnée de la nomination d’un délégué interministériel, le préfet Alain Régnier, en charge de la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement, la DIHAL, dont la fonction principale est l’appui méthodologique et la coordination des différentes administrations impliquées dans la nouvelle stratégie d’inclusion des Roms. L’objectif est bien l’entrée de toutes ces populations dans le droit commun.

Des difficultés demeurent. Tout d’abord, il est urgent que nous puissions compter sur la mobilisation pleine et entière de nos administrations, préfectures et collectivités territoriales, pour coordonner l’action sur le terrain des acteurs impliqués dans l’éradication des bidonvilles et l’insertion sociale de leurs habitants. Est-il normal que la procédure administrative conduisant à la délivrance d’un titre de séjour prenne de six à huit mois, pas seulement pour les ressortissants roumains ou bulgares, d’ailleurs ? Est-il normal que des mairies refusent d’inscrire des enfants à l’école ou d’accorder la domiciliation qui permet notamment l’accès aux soins ? Toutes les préfectures appliquent-elles la circulaire du 26 août dernier ? Ont-elles seulement les moyens de le faire ?

Est-il normal que, de plus en plus, les pouvoirs publics se dérobent dans leur mission d’intégration sociale et de lutte contre la grande pauvreté, en fermant des lieux de vie indignes sans s’occuper du sort de ceux qui les occupent ? Pourtant, les difficultés d’accès au logement demeurent une réalité qui touche des franges de plus en plus importantes de notre population. Les collectivités territoriales ne sauraient assumer une part toujours plus grande de l’effort demandé à notre communauté nationale envers ses habitants les plus fragilisés.

La plupart des pays de l’Union européenne étant confrontés aux enjeux des migrations et de l’intégration des migrants, il serait légitime de renégocier partiellement la stratégie nationale d’inclusion et de lancer, dans le cadre de la programmation des fonds structurels pour la période 2014-2020, une politique nouvelle à destination des collectivités, afin de soutenir leur politique d’aide à l’intégration. Plus rapidement, les fonds structurels à destination de la Roumanie, qui sont actuellement inutilisés, ne pourraient-ils être réaffectés aux collectivités qui développent des programmes d’intégration ? Avec un peu plus de moyens, il serait plus facile de travailler ensemble à un changement de regard de la population, pour que les stéréotypes et le racisme ambiant ne deviennent pas une barrière de plus en plus visible, freinant la nécessaire insertion des personnes qui le souhaitent.

Pour conclure, je dirai que le vote de cette résolution est nécessaire, même si nombre des propositions qu’elle contient sont déjà caduques. Il faut surtout ouvrir un autre débat : celui du contrôle des modalités de mise en œuvre des différents textes rédigés par le Gouvernement depuis la fin du mois d’août 2012. Cela pourrait être le rôle d’un groupe de travail sénatorial, dont la mission serait d’évaluer non seulement la mise en œuvre de ces textes mais aussi la stratégie nationale d’insertion, que le Gouvernement s’est engagé à réviser.

Rappelons la promesse qu’avait faite le candidat François Hollande à Romeurope : « Les Roumains et Bulgares, quelle que soit leur origine, sont citoyens européens. Les mesures transitoires qui limitent encore leurs droits feront l’objet d’un examen objectif en accord avec la résolution du Parlement européen du 25 octobre 2011 et le rapport de la Commission européenne du 11 novembre 2011. »

Grâce à la circulaire du 26 août dernier, les demandes formulées dans la proposition de résolution sont en partie satisfaites. Le reste semble à portée de main. C’est la raison pour laquelle, constatant le chemin parcouru depuis le 6 mai sur cette question, le groupe socialiste votera cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Billout.

M. Michel Billout. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne prétends pas être un expert sur le sujet qui nous occupe, même si, dans un mois, je déposerai devant la commission des affaires européennes un rapport concernant les populations roms au sein de l’Union européenne, après six mois de travail.

Cette proposition de résolution relative aux ressortissants roumains et bulgares, présentée par nos collègues écologistes, ouvre un débat nécessaire au moment où l’État et les collectivités locales sont confrontés à des situations parfois délicates et souvent mal gérées. Même si cette proposition de résolution ne concerne pas uniquement les populations Roms, les dispositions visées les frappent principalement.

Une vingtaine de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, de nationalité roumaine – dans la majorité des cas –, bulgare ou provenant d’un pays balkanique, mais ayant la particularité d’être Roms selon la définition retenue par les institutions européennes, résident actuellement en France. Contrairement à une idée reçue, leur nombre est resté stable depuis plusieurs années.

Le nombre de Roms résidant en France est très faible au regard de la population de notre pays, mais la dimension polico-médiatique du sujet est considérable. Cela tient au fait que cette population a été fortement discriminée en Europe depuis de nombreux siècles et que son arrivée en France est très mal supportée. Les Roms sont confondus avec les gens du voyage français, ce qui est une erreur, ou perçus comme des étrangers migrants, ce qui est une autre erreur. Ils sont donc frappés par une double peine, et constituent un « problème », avec tous les guillemets nécessaires.

Le constat est connu : il s’agit d’une immigration économique. La situation des populations roms s’est en effet terriblement dégradée dans les pays d’Europe centrale et des Balkans depuis les années 1990, avec l’abandon ou la privatisation de pans entiers de l’industrie. Alors que le plein-emploi était pratiquement assuré aux hommes et en partie aux femmes, le taux de chômage des populations roms avoisine aujourd’hui les 90 %.

La situation dramatique des Roms installés en France provient de leur absence de revenus légaux, qui entraîne une extrême précarité et des conditions de vie indignes, généralement dans des campements de fortune insalubres. À cela s’ajoute une forte hostilité à leur égard. Leur situation d’extrême pauvreté en fait également des proies faciles pour les réseaux criminels. Je tiens à réaffirmer ici que les Roms sont plus souvent victimes qu’auteurs de délits.

Les auteurs de la proposition de résolution considèrent que les Roumains et les Bulgares, déjà stigmatisés en France et en Europe bien qu’ils soient des citoyens européens, sont victimes d’une discrimination supplémentaire de la part de l’État français du fait des dispositions qui freinent considérablement leur accès à un emploi légal. En effet, la France applique aux ressortissants de Bulgarie et de Roumanie le statut transitoire négocié avec ces deux pays lors de leur adhésion à l’Union européenne. La conséquence de ce statut fait que les Roumains et les Bulgares peuvent, comme tous les citoyens européens, se déplacer librement dans l’Union européenne, et donc venir en France, mais n’ont pas pleinement le droit d’y travailler. Citoyens européens de seconde zone, ils ne peuvent être embauchés que dans un nombre restreint de métiers mentionnés dans une liste, à condition que l’employeur paie une taxe supplémentaire et après un long délai – neuf mois, trop souvent – d’instruction de leur dossier administratif.

Reconnaissons que, si ces fameuses mesures transitoires s’appliquent en principe à tous les travailleurs roumains et bulgares, elles touchent plus fortement les populations déjà fragilisées que, par exemple, les médecins roumains, qui sont accueillis plus chaleureusement sur notre sol, ou les entreprises roumaines sous-traitantes, qui sont très prisées du patronat français.

Ce statut dérogatoire au droit commun européen est assez choquant, car il conduit mécaniquement à des situations inextricables. Cet été, l’évacuation et le démantèlement par les forces de police de campements de familles roms occupant illégalement des terrains ont légitimement choqué une grande partie de l’opinion publique et suscité la réprobation des associations qui œuvrent auprès de ces familles, associations que je tiens d'ailleurs à saluer. Il est vrai que la différence entre la méthode de l’actuel gouvernement et celle du précédent a pu ne pas apparaître très clairement.

L’évacuation de ces campements est toujours une réponse brutale à des situations humaines et sociales complexes. Il a souvent été reproché au Gouvernement de décider du démantèlement des camps avant d’avoir recherché des solutions préalables, et même parfois, comme à Évry, de procéder à l’évacuation avant qu’une décision de justice ait été rendue.

La réunion interministérielle du 22 août, qui a abouti à la définition d’une nouvelle politique à l’égard des populations roms, a malheureusement été perçue comme une tentative de faire oublier la vague de démantèlements de camps qui l’avait précédée. La décision du Gouvernement d’assouplir les conditions d’embauche, en élargissant la liste des métiers ouverts aux Roumains et aux Bulgares et en supprimant la taxe due par les employeurs, est un bon signe, mais elle risque de n’avoir que peu d’effet car les dispositifs qu’elle nécessite ne pourront vraisemblablement pas être mis en place avant la levée des mesures transitoires, prévue dans quinze mois. Cet élargissement de la liste de métiers ouverts a toutefois le mérite d’attirer l’attention sur près de trois cents métiers dans lesquels certains emplois, dont notre société a besoin, ne trouvent pas preneur.

J’estime donc que la demande, formulée dans cette proposition de résolution, d’une levée immédiate de l’intégralité des mesures transitoires limitant l’accès à l’emploi des ressortissants roumains et bulgares, est pleinement justifiée. Les mesures transitoires n’ont servi à rien. Aucune véritable étude d’impact n’a été réalisée pendant ces cinq ans et demi. Il est prévu que ces mesures soient levées dans quinze mois, mais cela n’apporterait rien d’attendre, bien au contraire.

La levée des mesures transitoires serait un élément important, qu’il conviendrait de compléter par d’autres actions afin de résoudre l’ensemble des difficultés rencontrées par les populations concernées. C’est l’intégration de ceux qui sont venus en France, et non leur exclusion ou leur expulsion, qui permettra de trouver une solution durable à ces difficultés. L’accès au travail devra donc être complété par des mesures d’accompagnement, en matière de formation – c’est une des demandes formulées dans la proposition de résolution – mais aussi de logement, d’accès aux soins et d’éducation des enfants. Cet ensemble de dispositifs devrait être piloté par l’État, lequel s’en remet trop souvent aux collectivités locales, qui sont ainsi réduites à gérer une situation d’accueil à laquelle elles ne sont pas préparées, alors même que leurs budgets sont déjà mis à mal par le contexte économique.

J’ajouterai que cette question ne doit pas faire l’objet dans notre pays d’un traitement que je qualifierai d’« ethnique ». Il s’agit simplement d’appliquer le droit commun et de venir en aide à des citoyens européens, des migrants économiques, qui sont victimes de conditions économiques et sociales déplorables.

Enfin, ce problème ne peut être du seul ressort de chaque État membre de l’Union européenne. Les situations visées existent dans de nombreux pays et requièrent un traitement d’ensemble plus cohérent.

Ce n’est qu’après la vague d’expulsions de Roms survenue en France pendant l’été 2010 et qui avait mis notre pays à l’index que l’Union européenne a décidé de coordonner des stratégies nationales. Aujourd’hui, elle se doit de rendre plus efficace son intervention auprès de l’ensemble des États concernés, qu’ils soient qualifiés d’« accueil » ou d’« origine ». Il faudrait notamment qu’elle rende plus opérationnelle l’utilisation des fonds structurels destinés à la lutte contre la pauvreté, à l’insertion par l’emploi, à la scolarisation et qu’elle impulse mieux la lutte contre l’anti-tsiganisme, véritable fonds de commerce des organisations politiques d’extrême droite, dans l’Europe tout entière comme en France.

Je conclus : si elle était adoptée, la proposition de résolution de nos collègues du groupe écologiste permettrait d’engager une dynamique positive contre les discriminations. C’est pourquoi les membres du groupe communiste, républicain et citoyen voteront en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour bien comprendre le sujet que nous examinons aujourd’hui, il est utile de rappeler le processus qui a conduit à l’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne le 1er janvier 2007.

Cette adhésion s’inscrit dans le prolongement du grand élargissement européen de 2004, qui a entériné celle de pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est.

L’ensemble de ce processus, qui s’est déroulé au cours des années 2000, participe d’une logique d’élargissement, lequel, à mon sens, n’a pas été suffisamment précédé de l’approfondissement nécessaire des relations entre les États fondateurs de l’Union européenne. Dans une certaine mesure, l’élargissement s’est donc fait au détriment de l’approfondissement, fragilisant ainsi la construction européenne. Cet élément important doit être pris en considération dans le débat qui nous réunit ce jour.

En effet, si nous examinons la question des citoyens roumains et bulgares aujourd’hui, c’est justement parce qu’ils sont devenus des ressortissants communautaires en 2007. Et je m’interroge encore sur la pertinence et l’urgence de l’adhésion de pays qui traitaient une partie de leur population de façon notoirement discriminatoire…

Le problème auquel nous devons faire face était donc largement prévisible. D’ailleurs, malheureusement, certains d’entre nous l’avaient anticipé.

S’ajoutant aux problèmes économiques, ces difficultés d’intégration de la communauté rom, en Roumanie notamment, ont favorisé le départ des Roms de leur pays d’origine vers la plupart des autres pays communautaires, dont la France. Bien sûr, ces départs ont été facilités par l’entrée dans un espace de libre circulation où les exigences de visa ont disparu.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

La Roumanie et la Bulgarie sont membres de l’Union européenne et, conformément à la faculté offerte par leur acte d’adhésion, la France a décidé d’instaurer une période transitoire de sept ans en matière de libre circulation des travailleurs salariés à compter du 1er janvier 2007. Ce régime dérogatoire prévoit que, à l’issue d’un délai de trois mois passé sur le sol français, Roumains et Bulgares doivent avoir un emploi, suivre des études ou justifier de ressources suffisantes et bénéficier d’une assurance maladie pour pouvoir rester en France. Jusqu’à cet été, l’emploi qu’ils pouvaient occuper devait figurer dans une liste de cent cinquante métiers connaissant des difficultés de recrutement.

À ce sujet, les auteurs de la proposition de résolution suggèrent d’une part, « que le Gouvernement français mette fin aux mesures transitoires restreignant l'accès à l'emploi » et, d’autre part, « que les ressortissants roumains et bulgares de moins de vingt-six ans aient accès à la formation dans les mêmes conditions que les ressortissants communautaires ».

Sur ces deux points, nous serions prêts à vous suivre, madame Archimbaud, dans la mesure où il ne s’agirait que de réduire d’un an la durée de ces mesures transitoires. En revanche, il en va différemment pour ce qui concerne les autres préconisations de la proposition de résolution.

En effet, vous nous proposez de nous prononcer sur des thématiques complètement différentes au sein d’un texte non amendable.

Quel lien existe-t-il entre, d’une part, les conditions d’accès à l’emploi et, d’autre part, les conditions d’expulsion de camps occupés de façon illicite ? Notons d’ailleurs la subtilité sémantique des auteurs de la proposition de résolution qui parlent de « lieux de vie irréguliers »...

En fait, vous auriez rencontré un plus grand succès, me semble-t-il, si vous vous étiez limitée à des problématiques cohérentes entre elles, comme le sont effectivement celles qui concernent l’accès au travail et à la formation.

En voulant en faire trop, vous perdez cette cohérence et vous en arrivez à associer des problématiques qui, certes, concernent les mêmes personnes, mais n’ont aucun rapport entre elles sur le fond.

Votre dernier souhait relatif aux expulsions de camps occupés de façon illégale – c’est bien ainsi qu’il faut les appeler – sous-entend que « l’ensemble des dispositifs existants relatifs à l’accompagnement social individualisé, au droit au logement et à l’hébergement » ne sont pas mobilisés aujourd’hui.

J’en suis navré, je ne partage pas cette interprétation et je démens toute allégation en ce sens. En tant que maire de Massy, à plusieurs reprises, j’ai connu moi-même de telles situations et je démens que tous les moyens humains et matériels ne soient pas régulièrement mis en œuvre aujourd’hui, notamment par les travailleurs sociaux qui font un travail remarquable.