M. le président. La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi est l’occasion de rappeler comment s’organisent aujourd’hui les rapports de force politiques autour des questions environnementales.

En effet, les considérations liées à l’environnement ont pris une place fondamentale dans l’élaboration des politiques publiques. Même si, parfois, les motivations de cette prise de conscience sont quelque peu utilitaristes, voire électoralistes, il n’en demeure pas moins que le respect de la nature est désormais une dimension indispensable de toute politique publique, ce dont nous nous félicitons.

Bien qu’une conscience aiguë des questions environnementales ne soit aujourd’hui le monopole de personne, les approches diffèrent selon la place occupée dans notre hémicycle. En d’autres termes, même s’il subsiste des antagonismes profonds sur certains sujets – le cas du nucléaire en est sans doute la meilleure illustration –, je crois pouvoir dire que la prise de conscience est collective, comme en témoigne le Grenelle de l’environnement, lancé par le précédent gouvernement. Les lois dites « Grenelle », ambitieuses, même si certains les ont jugées incomplètes, ne se suffisent cependant pas à elles-mêmes. Pour cette raison, et comme notre groupe l’a toujours souligné, la séquence de consultations, puis de décisions, que furent les Grenelle de l’environnement doit se concevoir comme une étape de la course vers une appréciation complète des enjeux écologiques et, partant, vers la définition de politiques publiques environnementales pleinement abouties.

Or, bien que le projet de loi que nous allons examiner ne soit pas aussi ambitieux que les lois dites « Grenelle », il doit être conçu comme une marche, certes plus petite que ces dernières, mais tout aussi indispensable qu’elles, dont il tend parfois à assurer la mise en application concrète.

Quelles avancées ce projet de loi doit-il donc permettre de réaliser ?

Tout d’abord, il convient de dire que la majorité des dispositions de ce texte sont de nature technique. Elles visent à apporter de nouvelles réponses juridiques à un ensemble de situations que, en l’état actuel du droit, l’État, les collectivités territoriales, les administrations et les opérateurs de l’État ont du mal à appréhender.

Ces situations concernent les transports tant ferroviaire que routier, fluvial ou maritime, ainsi que, dans une moindre mesure, le transport aérien.

De cette manière, le présent texte apporte parfois des réponses à des problématiques purement juridiques qui, nous devons le reconnaître, s’avèrent neutres sur le plan politique.

À titre d’exemple, en matière de transport ferroviaire, l’article 1er, qui tend à préciser les compétences de la direction des circulations ferroviaires, et l’article 2, qui vise à permettre aux régions de participer à des groupements composés de plus de deux autorités organisatrices pour la gestion des services de transports ferroviaires transfrontaliers, sont neutres politiquement.

En revanche, l’article 3, qui a pour objet d’instaurer une plus grande transparence, dans les entreprises ferroviaires, entre les activités de gestion d’infrastructures et celles de transport, témoigne à mon avis d’une vraie volonté politique de progresser vers la mise en œuvre de la concurrence pour les trains TER – transport express régional – et les TET, les trains d’équilibre du territoire. Je m’en réjouis, car l’échéance européenne de 2019 est inéluctable. Il convient de s’y préparer au plus vite, dans l’intérêt de nos cheminots et de la SNCF.

En matière de transport routier, les articles 10 et 11, qui visent à corriger des erreurs intervenues lors de la codification de l’ordonnance n° 58-1310 du 23 décembre 1958 modifiée, sont à visée technique, tout comme l’article 14, relatif aux ressources du Port autonome de Paris, pour ce qui est du transport fluvial.

Dans le même registre, je pense aussi à l’article 19, tendant à imposer de nouvelles marques extérieures aux bateaux pratiquant la navigation fluviomaritime, et à l’article 21, dont l’objet est d’élargir les prérogatives du directeur du parc naturel de Port-Cros.

Concernant l’article 5, relatif au déclassement de 250 kilomètres de routes nationales, je suis inquiet, monsieur le ministre, comme tous mes collègues. En commission, il a même été question de 251 kilomètres, ce qui signifie qu’une liste précise doit exister : nous souhaiterions en obtenir communication.

Certaines dispositions purement techniques présentent une dimension politique, dans la mesure où elles donnent le pouvoir à des agents de l’État de constater et de verbaliser des infractions et des contrevenants.

Dans le domaine du transport ferroviaire, l’article 4 vise à permettre aux agents de la SNCF et de RFF de constater les infractions, notamment les vols commis sur le réseau. Je rappelle à cette occasion que ces derniers se chiffrent en dizaines de millions d’euros et sont en constante augmentation depuis plusieurs années. M. Pepy ne manque pas de le rappeler à chaque réunion du conseil d’administration de la SNCF.

En matière d’insécurité routière, l’article 9 prévoit d’accroître les prérogatives des contrôleurs de transports terrestres. Des dispositions similaires sont proposées, en matière de sécurité maritime, aux articles 13, 18, 20 et 22.

Il y a donc bel et bien, dans ce texte, un ensemble de dispositions inspirées par des considérations sécuritaires. Elles nous semblent, pour la plupart d’entre elles, relever du bon sens et d’un souci légitime d’accorder à la sécurité toute la place qu’elle mérite dans les problématiques de transport.

Le dernier type de mesures que nous pouvons identifier dans ce projet de loi relève de considérations environnementales.

Ces dispositions partent ainsi, dans la plupart des cas, d’un constat d’impuissance, notamment l’impuissance des agents de l’État à régler une situation qui s’éternise. On pense ici aux articles 12 et 15, qui visent à permettre, respectivement, de déplacer d’office les bateaux en stationnement le long des voies fluviales et d’accélérer la déchéance de propriété pour les bateaux abandonnés.

Dans la continuité des lois Grenelle, l’article 16, qui vise à clarifier et à distinguer les procédures applicables en cas de marée noire et celles qui le sont au titre du régime général des créances maritimes, s’inscrit dans le prolongement des travaux du Grenelle de la mer. Cette mesure permettra de mettre fin aux confusions auxquelles sont confrontés les tribunaux de commerce, qui, pour l’instant, font usage des dispositions législatives et réglementaires relatives au régime général de responsabilité, issu de la convention LLMC, malgré la décision de 1987 de la Cour de cassation. Là encore, il me semble que cette disposition relève du bon sens.

Cela étant, la mesure phare de ce texte est sans nul doute le remplacement non pas de l’écotaxe poids lourds elle-même, mais du dispositif de majoration destiné à la répercuter auprès des clients des transporteurs. L’écotaxe ne peut en effet se concevoir sans ce dispositif de majoration, qui permet de donner une portée concrète au principe « pollueur-payeur ».

Ainsi, la majoration forfaitaire, régionale ou nationale selon que le trajet s’effectue ou non sur le territoire de plusieurs régions, obligatoirement détaillée en pied de facture de transport, permettra, de façon neutre pour le transporteur, de répercuter la taxe que celui-ci aura payée initialement. Dans la chaîne commerciale, ce seront les opérateurs suivants qui répercuteront la taxe, jusqu’au consommateur final.

Dans la mesure où une grande part des transports de proximité ne peut être assurée autrement que par la route, même si certaines expériences ont pu être tentées, par exemple en Allemagne, pour utiliser à cette fin le tramway ou la voie fluviale, il est normal que le transporteur routier ne soit pas pénalisé dans ce système. Reste à savoir si les petites entreprises de transport, très nombreuses – 80 % d’entre elles comptent moins de dix salariés –, sauront résister aux pressions commerciales des grands donneurs d’ordres pour ce qui concerne la répercussion réelle de la taxe.

M. Jean Bizet. C’est là le problème !

M. Francis Grignon. Ne sous-estimons pas cette difficulté !

En tout état de cause, le nouveau dispositif voulu par le Gouvernement est, nous devons le reconnaître, plus lisible pour les professionnels du secteur, donc pour tout le monde. De plus, dans la mesure où seront conservées comme critères d’élaboration des taux des données relatives aux trafics observés, aux itinéraires, à la consistance du réseau soumis à la taxe et aux charges de gestion, la légitimité de cette taxe forfaitaire continuera d’être fondée sur le respect de considérations environnementales.

Enfin, les nouvelles modalités de l’application de l’écotaxe permettront de préserver les ressources dégagées initialement pour financer les infrastructures de transport par l’intermédiaire de l’AFITF.

Cette mesure permettra donc de rendre effective une disposition mise en place par la précédente majorité, en adaptant le mécanisme fiscal aux difficultés que rencontre la profession.

Jusque-là, tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, s’il n’était trois sujets qui nous laissent perplexes.

Le premier est celui des transporteurs de proximité, qui sont généralement plus petits que les transporteurs internationaux et ne font pas toujours le poids face aux grands donneurs d’ordres. J’ai personnellement conscience de la grande difficulté qu’il y a à faire payer une taxe et à la répercuter seulement si le trajet excède un parcours routier forfaitaire. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement visant à porter de 3,5 tonnes à 12 tonnes le seuil de tonnage à partir duquel la taxe pourra être collectée et répercutée. J’aurai l’occasion, lors de l’examen de cet amendement, d’argumenter sur ce point.

Le deuxième sujet qui pose problème est celui de la mise en œuvre anticipée de la taxe en Alsace. C’est la raison pour laquelle, avec l’ensemble des parlementaires alsaciens et des membres de mon groupe, j’ai déposé des amendements tendant à aligner la mise en application de la taxe alsacienne avec celle du dispositif national.

Le troisième sujet qui nous inquiète est celui de l’enrichissement sans cause que le nouveau dispositif de majoration pourrait permettre. En effet, la déconnexion introduite dans ce texte entre l’écotaxe et la majoration payée par les chargeurs pourrait entraîner, pour les transporteurs n’utilisant pas les tronçons routiers soumis à l’écotaxe, un enrichissement sans cause. Ce phénomène s’explique par le fait qu’en utilisant des routes secondaires non taxées les transporteurs s’exonéreraient de l’écotaxe, alors même que leurs clients se verraient facturer la majoration. Je souhaiterais que vous nous apportiez des éclaircissements sur ce point précis, monsieur le ministre.

Certes, ce projet de loi apporte des réponses juridiques pratiques à des difficultés rencontrées par l’État et d’autres agents publics, et tend à faire appliquer une fiscalité écologique élaborée sous la précédente législature. Cependant, certaines de ses dispositions suscitent des interrogations. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP déterminera sa position finale en fonction du contenu du texte qui résultera de nos travaux.

Je tiens néanmoins à préciser que les parlementaires alsaciens du groupe UMP, qui se trouvent à l’origine, par l’intermédiaire d’Yves Bur, de l’instauration de la taxe poids lourds, sont bien sûr très attachés à ce que celle-ci puisse s’appliquer sur leur territoire dans les mêmes conditions, si possible, qu’à l’échelon national, afin que ne soit pas pénalisé le consommateur local. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, mon intervention portera sur les dispositions du projet de loi relatives aux transports ferroviaire et routier.

Je formulerai d’abord quelques remarques sur le volet ferroviaire. La création de la direction des circulations ferroviaires a suscité une question : toutes les missions qui lui sont confiées par RFF doivent-elles être subdéléguées ? L’article 1er du présent projet de loi précise que seules les missions relatives à la gestion opérationnelle du trafic et des circulations sont obligatoirement subdéléguées, pour des raisons liées à la sécurité du trafic. Les études techniques, en revanche, ne sont pas concernées par cette obligation.

Par ailleurs, l’article 2 permet aux autorités organisatrices régionales de conclure des conventions tripartites.

Quant à l’article 4, en étendant le champ des catégories d’agents assermentés pouvant constater des infractions, il donne de nouveaux moyens au gestionnaire de l’infrastructure pour lutter efficacement contre les infractions du rail, tout particulièrement contre les vols de cuivre, qui lui coûtent chaque année quelque 30 millions d’euros et constituent une des principales causes d’incidents d’exploitation pour la SNCF.

J’en viens maintenant au volet routier du projet de loi.

L’article 5 prévoit le transfert de délaissés routiers aux communes ou aux conseils généraux. Comment ne pas rappeler que les élus des conseils généraux ont été quelque peu échaudés par le volume et la forme des transferts opérés à la suite de l’adoption de la loi du 13 août 2004 ? Aussi, monsieur le ministre, est-il absolument nécessaire d’apporter des précisions sur le nombre réel de kilomètres de délaissés routiers susceptibles d’être transférés, ainsi que sur les modalités de reclassement de ces linéaires routiers. Nous avons déposé un amendement en ce sens, qui prévoit, en outre, la compensation financière afférente. Nous demandons également la fourniture d’une liste exhaustive des sections de voies concernées.

L’article 7 est relatif aux modalités de mise en place de la taxe poids lourds. Cette taxe n’est pas une nouveauté, puisqu’elle a été créée, en application de la loi Grenelle 1, par la loi de finances pour 2009. Elle est perçue sur les poids lourds de plus de 3,5 tonnes utilisant le réseau routier national non concédé et les routes départementales susceptibles de subir un report de trafic.

Cette taxe vise à atteindre les objectifs suivants, fixés par le Grenelle de l’environnement : réduire les impacts environnementaux du transport routier de marchandises en favorisant le développement d’autres modes de transport ; rationaliser, à terme, le transport routier sur les moyennes et courtes distances ; créer de nouvelles sources de financement pour le développement des transports, en abondant les recettes de l’AFITF.

Il n’est donc pas question de remettre en cause le principe même de l’écotaxe ; il s’agit d’améliorer son mécanisme de répercussion auprès des acteurs de la filière.

Dès l’adoption de l’écotaxe poids lourds, il avait été prévu de la répercuter sur les utilisateurs de transports de marchandises, c’est-à-dire les chargeurs et les principaux donneurs d’ordres de la filière. Or le décret du 4 mai 2012 avait prévu un dispositif qui a suscité de vives réserves de la part de l’ensemble des acteurs de la filière. En effet, s’il pouvait poser de sérieux problèmes en matière de contrôle de la perception de la taxe, il risquait également d’engendrer des tensions entre les donneurs d’ordres et les transporteurs lors des négociations commerciales.

Monsieur le ministre, vous avez bien fait de mettre en place un système simplifié de majoration automatique, obligatoire et légale du prix du transport, qui permettra de reporter plus facilement la charge de la taxe sur le donneur d’ordres.

Le choix d’une majoration forfaitaire unique, simplement modulée par région, devrait permettre de limiter les problèmes de perception et faciliter les négociations commerciales, en donnant un cadre plus sûr et plus équitable aux acteurs de la filière.

Par ailleurs, les abattements acquis pour les grandes régions périphériques françaises ont été conservés, avec des taux de 40 % pour la Bretagne et de 25 % pour l’Aquitaine et Midi-Pyrénées.

Trois mois à peine avant l’entrée en vigueur de l’écotaxe sur l’ensemble du territoire, il paraît désormais peu judicieux de mener une expérimentation dans la seule région Alsace. D’une part, une telle expérimentation, d’une durée trop courte, ne permettra pas de bien évaluer les incidences de la taxe, d’autant que seuls les poids lourds de plus de 12 tonnes seraient concernés. D’autre part, au-delà de l’entorse au principe d’égalité des territoires que cette expérimentation pourrait représenter, on peut se demander si tous les véhicules seront équipés à temps du dispositif technique nécessaire à la collecte de la taxe. Dans ces conditions, monsieur le ministre, nous demanderons, par le biais d’un amendement, la suppression de cette disposition, issue du décret du 4 mai 2012.

D’une manière générale, l’effort de simplification consenti par le Gouvernement a été salué par la profession. Les syndicats de transporteurs ont ainsi exprimé leur satisfaction de voir le nouveau texte éclaircir certains points, même si, sur le fond, ils restent quelque peu réservés sur le principe même de l’écotaxe. J’ai également noté que la profession entendait faire preuve de vigilance quant à la fiabilité, à la cohérence et à l’équité du dispositif.

Il paraît en outre pertinent d’effectuer un suivi de l’activité du consortium privé de recouvrement dont la création a été décidée par le gouvernement précédent. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer quelles modalités sont envisagées pour la conduite de ce suivi, qui doit permettre d’apprécier l’activité de cet organisme, ainsi que l’impact économique, social et environnemental de la taxe ?

À ce stade de mon intervention, je souhaiterais aborder la question de la privatisation des réseaux autoroutiers décidée par le gouvernement Villepin. Pour ma part, je l’ai toujours considérée, plus encore que comme une erreur, comme une faute politique !

M. Jean-Luc Fichet. Exactement !

M. Michel Teston. Les bénéfices des sociétés concessionnaires n’ont jamais été aussi importants, puisqu’ils dépassent largement, chaque année, le milliard d’euros. Dès lors, on est en droit de se demander si la mise en place de la taxe poids lourds sur les routes nationales et certaines départementales ne constituera pas, finalement, une aubaine pour les sociétés autoroutières, dans la mesure où elle pourrait favoriser un report de trafic sur leurs réseaux, ce qui leur procurerait des recettes supplémentaires.

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement projette de tenir compte de ce probable surcroît de ressources pour les sociétés autoroutières, en faisant évoluer la fiscalité qui leur est applicable ? Dans l’affirmative, les fonds supplémentaires issus de la redevance domaniale seront-ils affectés à l’AFITF ? Sinon, serait-il envisageable de relever la taxe d’aménagement du territoire payée par les concessionnaires d’autoroutes, dont une toute petite partie seulement sert à financer les trains d’équilibre du territoire ?

La taxe poids lourds permettra aussi de rééquilibrer la concurrence entre la route et le rail, en prenant en compte les externalités négatives du transport routier. Néanmoins, son efficacité dépendra aussi de sa généralisation à l’échelle européenne : où en sont, monsieur le ministre, les discussions sur ce sujet ?

Monsieur le ministre, le groupe socialiste approuve le contenu de ce projet de loi et apportera son entier soutien au Gouvernement. Je tiens à saluer la qualité de ce texte, ainsi que celle du rapport et des amendements de Roland Ries. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Alain Bertrand.

M. Alain Bertrand. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, beaucoup a déjà été dit sur ce texte, qui était très attendu. Il convient de le saluer, car il tend à créer le gestionnaire d’infrastructures unifié, dont Mme la rapporteur pour avis m’a amplement instruit ce matin ! (Sourires.) Le groupe du RDSE attache également une grande importance à la révision en cours du schéma national d’infrastructures de transport, le SNIT.

La mise en œuvre de l’écotaxe poids lourds fait consensus. À travers le présent texte, vous résolvez des difficultés juridiques, monsieur le ministre, ce qui est très positif. Cela étant, le projet de loi traite davantage des services que des infrastructures de transport.

Un petit regret de notre part tient à l’absence de prise en compte de la notion d’aménagement du territoire, même si, j’en conviens, là n’est peut-être pas le propos du texte. C’est pourquoi j’ai déposé, avec plusieurs de mes collègues du groupe du RDSE, des amendements en ce sens. Nous verrons quel sort leur sera réservé. Je ne refuserai pas de les retirer, dans la mesure où nous pourrons obtenir quelques assurances en matière d’aménagement du territoire.

Il semble bien difficile de développer le report modal par l’instauration d’une taxe sur le mode routier alors que le train ne dessert plus certaines zones rurales et hyper-rurales et que nombre de territoires sont encore dépourvus d’autoroutes, de routes à deux fois deux voies, de gare importante, de desserte par TGV, d’aéroport ! Aujourd’hui, un trajet aller-retour par le train entre Mende et Paris dure dix-neuf heures… Certaines situations font grincer des dents. Beaucoup se plaignent, dont le territoire est pourtant desservi par une liaison aérienne avec Paris, tandis que d’autres n’ont rien ! Il faut parler de ces territoires démunis de tout !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Comme la Lozère ? (Sourires.)

M. Alain Bertrand. Je ne parle pas que pour mon département, ma chère collègue ; je suis magnanime : je parle pour tous les territoires ruraux délaissés de la République ! (Nouveaux sourires.)

Comment inciter à une évolution des comportements s’il n’existe pas d’alternative crédible à la route ? Sans même aborder l’aspect économique, il suffit de souligner que le transport ferroviaire de marchandises n’est plus opérationnel en bien des points du territoire.

Sur le principe, s’il n’est pas question de remettre en cause l’écotaxe poids lourds, dont l’instauration est une bonne chose au regard du développement durable, on ne saurait ignorer les difficultés que présentent les modalités de son application.

Encore une fois, cela a déjà été dit par plusieurs orateurs, les territoires ruraux et hyper-ruraux vont se trouver pénalisés. Dans ces zones, tout est déjà plus cher, à commencer par les approvisionnements et les carburants, alors que les services sont éloignés : il faut parfois parcourir trente kilomètres pour consulter un médecin, les trois centres hospitaliers universitaires les plus proches de mon département sont distants de 230 kilomètres, les enfants ne peuvent poursuivre leurs études sur place, faute d’établissements d’enseignement supérieur… Les transports coûtent donc très cher à la population, et rien ne peut se faire si l’on ne dispose pas d’une voiture ! Cette situation me semble contraire au principe républicain d’égalité entre les citoyens.

Les petites entreprises rurales assurant la distribution de proximité, déjà pénalisées par l’enclavement, souffriront de la concurrence des grands opérateurs, qui reporteront leur trafic sur les autoroutes à péage et paieront ainsi proportionnellement moins cher au titre de l’écotaxe. Sur ce sujet, monsieur le ministre, il convient d’être vigilant.

J’espère du moins que le nouveau SNIT, qui sera connu prochainement, tiendra compte de ces enjeux. Je rappelle que l’article L. 1113-3 du code des transports dispose que la programmation des infrastructures doit prendre en compte l’aménagement et la compétitivité des territoires. Si les seuls critères retenus sont la démographie et le rendement économique, la notion même d’aménagement du territoire se trouve vidée de toute substance ! Or, il ne faut pas oublier que le monde rural offre des services, notamment aux habitants des grandes villes qui viennent s’oxygéner en Ardèche, en Haute-Loire, dans le Cantal, en Corrèze, dans l’Aveyron, dans les massifs montagneux. Tous ces territoires doivent donc être convenablement desservis.

Mes chers collègues, j’aurais pu vous parler de la RN 88, de la RN 122, en Auvergne, ou de la RN 21, chère à Raymond Vall, mais, par manque de temps, je ne le ferai pas.

Il faut cesser de fonder les choix d’infrastructures uniquement sur les critères du nombre d’habitants ou de l’intensité du trafic routier. C’est une question de solidarité entre les territoires. Il n’y a pas que les grandes agglomérations, les grands ports et les capitales régionales ! Au demeurant, le président François Hollande, dont je soutiens l’action, a clairement exprimé sa volonté en la matière, par la création d’un ministère dont l’intitulé fait mention de l’égalité des territoires.

Par conséquent, si la mise en œuvre de l’écotaxe est une mesure positive, il faut, en matière d’aménagement du territoire, des actions, des décisions, du concret, en somme des preuves d’amour ! En effet, dans notre pays, tout le monde prétend aimer la ruralité, mais les actes ne suivent guère, et je ne parle même pas de l’hyper-ruralité… Or il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ! (Sourires.)

Certes, sur les 1,2 milliard d’euros que rapportera chaque année l’écotaxe, les collectivités territoriales devraient toucher 160 millions d’euros, mais cela est bien moins que les 280 millions d’euros dont bénéficiera l’entreprise italienne Autostrade per l’Italia. Cette situation me choque un peu. En outre, comme l’a souligné mon collègue Michel Teston, le réseau concédé engrangera, grâce aux reports de trafic, un surcroît de recettes estimé entre 200 millions et 400 millions d’euros !

J’aimerais aborder rapidement un autre élément tout aussi choquant.

Aux termes de l’article 275 du code des douanes, « par exception, les taux kilométriques sont minorés de 25 % pour les régions comportant au moins un département métropolitain classé dans le décile le plus défavorisé selon leur périphéricité ». Je trouve pour le moins surprenant que parmi les bénéficiaires de la minoration de la taxe poids lourds figurent les régions Aquitaine, Bretagne ou Midi-Pyrénées, qui comptent pourtant des agglomérations de plus d’un million d’habitants, des aéroports internationaux, des nœuds autoroutiers,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur pour avis. Elles ne sont pas dans la « banane bleue » !

M. Alain Bertrand. … au contraire d’un département tel que la Lozère, qui n’est desservi ni par l’avion, ni par le train, ni par des routes à deux fois deux voies… On croit rêver ! Je n’ai rien contre l’Aquitaine, la Bretagne ou la région Midi-Pyrénées, mais avouez que le Finistère, la Gironde ou les Pyrénées-Atlantiques, que je connais bien pour suivre parfois une cure d’amaigrissement à Biarritz en compagnie de Louis Nicollin (Sourires.), sont tout de même des départements solides ! La Creuse ou le Lot ne figurent pas non plus sur la liste des bénéficiaires de la minoration.

Monsieur le ministre, cette situation, qui résulte d’arrangements entre copains – je n’ai pas dit entre coquins… – n’est acceptable par aucun républicain ! Je vous demande d’y être attentif. Le projet de loi va dans le bon sens et nous le voterons, mais l’équité en matière d’aménagement du territoire est une dimension importante ! Le Président de la République a dit qu’il voulait une France juste : une France juste, c’est aussi un aménagement du territoire juste, une répartition des infrastructures juste ! Nombre de mes collègues pensent comme moi. (Applaudissements.)