compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

Mme Michelle Demessine,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la représentation des Français établis hors de France, déposé ce jour sur le bureau du Sénat.

3

Dépôt d’un rapport du Gouvernement

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le suivi de l’objectif de baisse d’un tiers de la pauvreté en cinq ans, établi en application de l’article L. 115-4-1 du code de l’action sociale et des familles.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des affaires sociales et est disponible au bureau de la distribution.

4

Débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe, organisé à la demande du groupe UDI-UC.

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat tombe à point ! Disant cela, je vise non pas la polémique qu’un « palmipède » informé a lancée ce matin, mais la question de fond : la situation de notre industrie aujourd’hui et demain. Je pense à la souffrance des salariés, à celle des patrons de PME, à l’inquiétude des partenaires sociaux, des industriels et de tous nos concitoyens.

Beaucoup a été dit sur le constat du déclin industriel. Beaucoup, mais pas tout ! Je souhaite donc que ce débat nous permette d’aborder le sujet en renouvelant notre approche. Je crois en effet qu’il est urgent de sortir de quelques faux débats, et pour vous, monsieur le ministre, de passer du mode réactif au travail de fond.

Ce constat a été largement partagé au moment de l’élection présidentielle. Certains candidats en ont même fait leur marque de fabrique : François Bayrou a sans doute été celui qui a le plus insisté sur ce thème, mais d’autres s’en sont également emparés. Vous avez repris le flambeau, monsieur le ministre, même si certains parrainages peuvent vous paraître encombrants. En tout cas, les propositions de votre ministère sont très attendues par les Français. Après tout, ce sujet mérite le consensus – celui-ci n’excluant pas le débat –, et vous devez veiller, monsieur le ministre, à y parvenir.

Voilà quelques jours, un grand quotidien économique titrait : « La grande panne de l’industrie française », traduisant ainsi la situation dégradée de notre industrie ces derniers mois. De fait, en 2012, ce sont 266 sites industriels qui ont fermé en France, soit 42 % de plus qu’en 2011. La situation s’aggrave alors que notre pays se distingue déjà en Europe par une désindustrialisation massive.

De nombreux rapports, notamment celui de nos collègues membres de la mission commune d’information sur la désindustrialisation des territoires, décrivent depuis quelques années la désindustrialisation qui touche notre pays.

Le décrochage industriel de la France est avéré. Si le phénomène touche tous les pays européens – en fait, toutes les économies développées –, certains résistent mieux que la France : l’Allemagne, mais aussi la Suède ou l’Italie du Nord.

Le constat est double : alors que la succession de drames industriels pourrait laisser penser à l’opinion publique que le déclin de l’industrie est une fatalité, la désindustrialisation n’est pas inexorable, il faut l’affirmer fortement.

La désindustrialisation de notre pays a commencé dans les années soixante-dix et s’est accélérée depuis. Ainsi, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale est passée, en France, de 24 % en 1980 à 18 % en 2000 et environ 12,5 % aujourd’hui ; en Allemagne, l’industrie représente encore plus de 26 % de la valeur ajoutée totale.

La part de l’emploi industriel dans l’emploi salarié total traduit également cette désindustrialisation massive : elle est passée de 26 % en 1980, avec plus de 5 millions de salariés, à seulement 12,6 % en 2011, avec 3 millions de salariés. En trente ans, la France a donc perdu plus de 2 millions d’emplois industriels.

Enfin, autre signe de cette aggravation : le déficit de plus de 70 milliards d’euros de notre balance commerciale, qui était encore excédentaire en 2002, est la conséquence de la perte de compétitivité de l’industrie française.

Le constat est désormais clairement posé. Le rapport de Louis Gallois, commissaire général à l’investissement, est certainement le document qui a donné le plus grand écho à cette réalité. Il marque aussi, il faut l’espérer, une prise de conscience de la part de nos concitoyens. Je remarque qu’il a en outre marqué un tournant dans la politique du Gouvernement, tournant salutaire et salué comme tel, mais sans doute insuffisant, tant les signaux contradictoires se multiplient.

La reconquête de la compétitivité industrielle doit en effet être considérée comme la priorité de la politique économique de notre pays. Elle conditionne tout le reste : la perte de compétitivité de notre économie est à l’origine de nos déficits publics, mais aussi de celui de notre commerce extérieur ; elle contribue au chômage et, donc, aux déséquilibres qui affectent notre système de protection sociale. À terme, c’est notre niveau de vie qui est en cause.

Il y a urgence à agir pour réindustrialiser notre pays. Mais cette action demandera du temps, de la persévérance, et notre pays devra accomplir des efforts. Cela demandera également un fort consensus national autour de cet objectif : redresser notre industrie. Car l’image de cette dernière est déjà dévalorisée en France et commence malheureusement à l’être de manière critique à l’étranger.

La France possède pourtant de grands groupes, leaders mondiaux dans leur secteur : Axa, Total, Airbus, Air Liquide, Safran, Carrefour, BNP Paribas, etc. Avec quatre compagnies dans le classement des vingt-cinq plus grandes entreprises mondiales, elle arrive en deuxième position derrière les États-Unis. C’est toute la dualité du constat : des difficultés, mais de vrais savoir-faire et des pôles industriels d’excellence !

Ces champions nationaux contribuent à tirer nos exportations. Nous conservons des filières d’excellence : l’aéronautique, qui m’est chère, l’agroalimentaire, le luxe, le nucléaire, la pharmacie, des secteurs sur lesquels nous devons nous appuyer et pousser notre avantage comparatif.

Il n’y a pas de fatalité à la désindustrialisation, monsieur le ministre, nous serons d’accord sur ce point. Nous partageons d’ailleurs votre volontarisme en la matière. Il ne faut pas se résigner : l’action est bienvenue ; le verbe est souvent moins productif.

M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif. Nous allons en discuter !

M. Vincent Capo-Canellas. Les déclarations à l’emporte-pièce contre les entreprises ou leurs dirigeants ne créent pas un climat favorable aux entrepreneurs dans notre pays. Je ne crois pas qu’il faille stigmatiser les patrons. Au demeurant, si vous aviez continué dans cette voie, vous vous seriez coupé des industriels. Or c’est le climat de confiance qu’il nous faut rétablir.

Le constat est aussi qualitatif : le décrochage de ces dix dernières années s’explique par le positionnement de notre industrie avec des produits de moyenne gamme qui subissent de plein fouet la concurrence des produits moins chers obtenus grâce à des coûts de production beaucoup plus faibles que les nôtres et celle de produits de meilleure qualité, haut de gamme, par certains de nos concurrents européens. La comparaison avec notre voisin et principal partenaire commercial, l’Allemagne, est frappante : avec des coûts de production assez proches, l’industrie allemande réussit à être compétitive en étant le deuxième pays exportateur au monde, derrière la Chine, mais devant les États-Unis.

Louis Gallois l’affirme clairement : l’industrie française ne pourra s’en sortir qu’en montant en gamme. Cela nécessite un effort de productivité, d’innovation, de qualité et de service. Pour cela, il faut donner la priorité à l’investissement : nous devons parier sur l’innovation, la compétitivité, les secteurs d’avenir. L’État a bien sûr un rôle de stratège à jouer, en définissant les priorités, en donnant sa vision de l’avenir, mais aussi en garantissant un environnement favorable à l’investissement, en créant cette confiance et cet écosystème accueillant.

Le choc fiscal que le Gouvernement a assené aux entreprises depuis qu’il est en place est à l’opposé de cette politique. Comment demander aux entreprises d’investir et d’innover lorsqu’on augmente drastiquement leurs charges et qu’on les taxe ?

On voit ici que, si le constat est partagé, des divergences fortes existent sur les solutions de court terme.

Donner la priorité à l’investissement, cela suppose de dégager des marges pour les entreprises. Du fait de leur perte de compétitivité, les entreprises ont rogné sur leurs marges, ce qui ne leur permet plus d’investir aujourd’hui. Pour y remédier, Louis Gallois a proposé un choc de compétitivité qui devait être aussi un choc de confiance, traduisant le soutien et la confiance que l’État accorde aux entrepreneurs.

On le sait, le Gouvernement n’a pas retenu le dispositif proposé par Louis Gallois et consistant à alléger de 30 milliards d’euros les charges des entreprises pour favoriser l’investissement et l’innovation. Le Gouvernement a préféré un système plus complexe, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi dont nous verrons dans quelques mois s’il a atteint l’objectif visé.

Pour ma part, je crains qu’il n’y ait pas de choc, ni de confiance, ni de compétitivité, car il aurait été préférable de développer une mesure plus simple, immédiate et percutante.

Le Gouvernement a aussi éludé en partie la question des coûts de production élevés dans notre pays, liés à notre mode de financement de la protection sociale, qui handicape certains secteurs de notre industrie face aux pays émergents. Mon collègue Aymeri de Montesquiou évoquera plus longuement cette question.

Cela dit, monsieur le ministre, vous ne partez pas de rien, surtout en matière d’investissement industriel. De nombreuses initiatives avaient été prises – car le constat est ancien et est bien antérieur à l’arrivée de l’actuel gouvernement –, qui allaient dans le bon sens ; je pense aux états généraux de l’industrie, au lancement du programme d’investissements d’avenir ou bien encore à la « marque France ».

Monsieur le ministre, lorsque vous intervenez pour tenter le sauvetage d’entreprises, la politique de réindustrialisation que vous menez s’inspire beaucoup des mesures de vos prédécesseurs et, c’est bien naturel, reprend des outils déjà existants : pôles de compétitivité, conférences de l’industrie, Conseil national de l’industrie, Commissariat général à l’investissement, FSI – Fonds stratégique d’investissement.

Il s’agit maintenant de savoir si les décisions prises aujourd’hui vont dans le bon sens. Se posent, à cet égard, de véritables interrogations.

L’État a joué son rôle en investissant hier dans des secteurs prioritaires, par le biais des 35 milliards d’euros du PIA, le programme d’investissements d’avenir. Ces crédits ont été bénéfiques à notre industrie. Toutefois, maintenant qu’ils sont quasiment épuisés, comment assurer la suite ? Comment certains programmes seront-ils financés ?

Je songe notamment à des projets intéressant l’aéronautique, comme l’A350 ou le futur hélicoptère X6 : ils ne peuvent plus, semble-t-il, bénéficier des crédits du PIA, non plus que du système d’avances remboursables, celui-ci ayant été arrêté. Ainsi, un problème se pose entre la fin du PIA et l’éventuelle remise en place du système des avances remboursables. Je m’empresse d’indiquer que ce dispositif est profitable à l’État et qu’il permet d’assurer des investissements de long terme que le secteur privé ne peut assumer seul. De surcroît, les avances remboursables sont tout à fait capitales pour garantir des sauts technologiques nous permettant de rester compétitifs et, partant, de conserver notre rang mondial.

Veillons à ne pas faire de l’aéronautique l’automobile de demain : actuellement, ce secteur va très bien, mais il faut penser aux investissements d’avenir. Si le soutien à la recherche devait se tarir, un problème majeur se ferait inévitablement jour.

Le soutien à la recherche et à l’innovation est essentiel. Si la recherche publique s’élève en France à 2,4 % du PIB, ce qui situe notre pays au même niveau que ses voisins, la recherche financée par les entreprises privées reste faible. L’innovation est également moins développée chez nous que dans des pays comparables.

Or, on le sait, aujourd’hui la concurrence internationale contraint les entreprises à développer des produits de plus en plus innovants. C’est pourquoi le crédit d’impôt recherche doit être préservé. Il s’agit d’un outil qui permet d’anticiper les prochaines ruptures technologiques. L’effort de recherche permettra par exemple à Airbus de consolider sa position au cours des prochaines décennies.

C’est d’autant plus vrai que les pays émergents remontent peu à peu la chaîne de production, depuis la fabrication d’éléments jusqu’à l’assemblage et à la conception. Ainsi, la Chine devrait être en mesure de développer une gamme complète d’avions commerciaux d’ici à 2020. Elle pourrait devenir, à terme, avec Airbus et Boeing, le troisième grand acteur de l’aéronautique mondiale.

Nous savons combien la recherche sur les véhicules du futur est vitale pour l’industrie automobile française. C’est pourquoi il faut intensifier les échanges et les partenariats entre le monde de l’industrie et les laboratoires de recherche, entre les entreprises et les universités, à l’image de ce qui se fait au sein des pôles de compétitivité, afin de faciliter les transferts de la recherche vers l’industrie et les applications industrielles.

Dans cette perspective, le soutien aux jeunes entreprises innovantes est tout aussi déterminant.

Pour autant, il faut se garder de toute idéologie « anti-grandes entreprises ». Certes, il existe des PME performantes, et il faut miser sur elles. Toutefois, concernant les domaines qui seront à l’origine des grandes ruptures technologiques de demain, la recherche est plutôt menée dans les grands groupes.

Au surplus, nous devons lutter contre un travers typiquement français : la multiplication des contraintes et des réglementations, qui constitue souvent un handicap pour notre industrie. C’est un sujet rebattu : nous le savons tous, la multiplication des normes et l’instabilité juridique suscitée par des modifications successives compliquent l’action des entreprises et engendrent des coûts importants de mise en œuvre. Ce problème frappe plus particulièrement les PME, qui ne disposent pas toujours des moyens financiers et humains nécessaires pour assumer ces contraintes. Il faut clarifier et simplifier les procédures pour faciliter la vie des entreprises.

Parallèlement, les pouvoirs publics doivent développer une fiscalité favorable aux entreprises. On sait bien que le poids des prélèvements obligatoires, lié au niveau élevé de nos dépenses publiques, est trop lourd dans notre pays. Cette situation handicape nos entreprises.

Monsieur le ministre, ces quelques considérations montrent que, si le consensus se fait sur un certain nombre de points, à commencer par le constat de l’affaiblissement de notre industrie – et il faut saluer l’action menée dans certains domaines à la suite de ce constat –, des points de divergence et des interrogations demeurent.

À ce titre, je ne peux manquer d’évoquer un sujet central : le financement de l’industrie.

Le Gouvernement a souhaité mettre en place, à travers la création de la Banque publique d’investissement, la BPI, un nouveau système de financement des entreprises. Un certain nombre de dispositifs existaient déjà, notamment avec OSEO et le FSI. La question qui se pose est de savoir si la BPI prolongera réellement la politique de financement des entreprises ?

Vous placez beaucoup d’espoirs dans cette nouvelle structure pour financer l’industrie et dégager de nouveaux moyens pour financer notre tissu industriel. La BPI pourra-t-elle faire plus et mieux qu’OSEO ?

Améliorer le financement des entreprises, c’est également pallier l’une des faiblesses de notre secteur industriel : le nombre insuffisant des entreprises de taille intermédiaire, les ETI. On en compte deux fois moins en France qu’en Allemagne ou en Grande-Bretagne. Le constat n’est pas nouveau : nous n’arrivons pas à faire grandir nos PME, de façon qu’elles puissent investir davantage dans la recherche et l’innovation, puis s’insérer sur le marché mondial et exporter.

Contrairement à une idée répandue, les créations d’entreprises sont nombreuses en France, mais il s’agit essentiellement de très petites entreprises, des TPE, dont beaucoup disparaissent après quelques années. Les causes en sont connues : elles se heurtent souvent à des obstacles juridiques et fiscaux, à des problèmes de seuils et à un manque de fonds propres. Tout cela doit être au centre de nos réflexions.

Enfin, il faut aider à la constitution de véritables filières industrielles ; je sais que vous vous souciez d’agir à cet égard.

Au sein de ces filières s’élaborent des stratégies entre les entreprises et des coopérations entre sous-traitants et donneurs d’ordres. Il s’agit d’un sujet majeur car, souvent, les entreprises sont trop isolées, le tissu industriel est trop peu solidaire et les relations entre donneurs d’ordres et sous-traitants ont besoin d’être améliorées.

Dans le secteur de l’aéronautique, le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, le GIFAS, est fréquemment cité en exemple. Cette structure, qui regroupe au sein d’un même organisme l’ensemble des professionnels de la filière, pourrait servir de modèle. Du reste, le secteur de l’automobile s’en inspire puisqu’il met en place un organisme similaire, la Plate-forme de la filière automobile, pour que les constructeurs et équipementiers travaillent en synergie.

Les grands groupes doivent comprendre l’avantage qu’ils ont à disposer d’un tissu de fournisseurs et de sous-traitants dynamiques et compétitifs : c’est leur intérêt même !

Nous approuvons les travaux des comités stratégiques de filières qui, au sein du Conseil national de l’industrie, doivent permettre de définir les orientations et les stratégies au sein des différentes branches d’activité. À côté de ces filières industrielles, des synergies territoriales doivent être développées à partir des pôles de compétitivité.

Je viens de décrire globalement la situation de notre industrie, ainsi que les pistes sur lesquelles nous pourrions éventuellement rapprocher nos points de vue.

C’est à présent les points de désaccord que je souhaite évoquer.

L’adaptation des entreprises et des salariés constitue l’un des sujets décisifs pour la compétitivité de l’industrie française. Le mauvais fonctionnement du marché du travail, généralement trop rigide, et un dialogue social souvent défaillant rendent difficile le traitement en amont des problèmes liés aux mutations économiques.

Le marché du travail ne permet pas aux entreprises de s’adapter à la conjoncture et le système de formation ne prépare pas suffisamment la reconversion des salariés. Le climat de méfiance qui existe trop souvent entre salariés et dirigeants empêche ces derniers de rechercher ensemble des solutions pour sauver les entreprises et les emplois.

Il faut favoriser le dialogue social ; nous devons le revivifier pour permettre à nos entreprises de s’adapter aux mutations économiques et aux évolutions conjoncturelles. Il faut anticiper les difficultés, négocier des accords de compétitivité et faciliter le recours au chômage partiel afin d’éviter les licenciements et les pertes de compétences pour les entreprises.

C’est ce qui s’est passé à Sevelnord, notamment, où les salariés ont conclu un accord de compétitivité qui a permis de sauvegarder le site et les emplois, en obtenant la production d’un nouveau véhicule. Je tiens à saluer ce succès. Certes, la négociation sociale a été difficile, mais l’ensemble des partenaires sociaux et le groupe industriel se sont réunis autour de la table et ont trouvé des solutions pour assurer la pérennité du site de production. Il faut parler de ce qui marche !

En effet, trop souvent, le conflit prime sur le dialogue social, ce qui empêche la conclusion d’accords, voire aboutit à des fermetures de sites et à des licenciements. C’est donc un enjeu capital. Notre culture, notre organisation, notre législation et notre mode de pensée font que nous n’offrons qu’une caricature de dialogue social. Trop souvent, la transparence sur la situation de l’entreprise n’est pas au rendez-vous, les informations ne sont pas partagées ; d’où des désillusions et des déconvenues brutales.

Des contre-exemples heureux existent certes, mais ils sont rares. Or, dans un monde qui évolue très vite, pouvons-nous conserver les rigidités de notre système ? Ne finissent-elles pas par se retourner contre les salariés eux-mêmes ? Nous devons réinventer un modèle qui préserve les droits des salariés et permette d’accomplir les mutations en les anticipant.

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ce qui a été fait !

M. Jacky Le Menn. C’est ce que nous mettons en œuvre !

M. Vincent Capo-Canellas. Le Parlement débattra prochainement de l’accord signé par les partenaires sociaux sur la sécurisation des parcours professionnels. Cette démarche semble s’inscrire dans cette perspective.

Nous devons admettre que la compétition économique est rude et qu’en cas de retournement des marchés les entreprises et leurs salariés doivent rester soudés pour faire face aux difficultés. Ayant cité le cas positif de Sevelnord, je me dois d’évoquer le contre-exemple de PSA.

En évoquant ce sujet à ce stade de mon intervention, je ne souhaite pas l’employer à des fins polémiques. Toutefois, force est de le reconnaître, il y avait mieux à faire que de laisser croire aux salariés que le plan de fermeture serait révisé. De fait, cet engagement n’a pu être tenu. Pis, vous avez fait de PSA un repoussoir (Protestations sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Jean-Jacques Mirassou. Il ne faut pas exagérer !

M. Vincent Capo-Canellas. … l’érigeant en anti-modèle de la reconversion et de la mutation réussies.

Mme Christiane Demontès. Vous inversez les rôles !

M. Vincent Capo-Canellas. Le choc suscité par l’annonce de la fermeture du site avait été suivi de l’engagement, par Peugeot, d’assurer l’emploi des salariés. Il fallait prendre l’entreprise au mot, et s’occuper avant tout de ces derniers.

Il est vrai, le groupe PSA présentait un gros défaut : celui d’être le premier sur la liste.

Monsieur le ministre, la reconversion des salariés et des sites de production se prête mal à la politique de l’urgence. Elle se prête encore moins bien au spectaculaire. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Jean-Jacques Mirassou. Soyons sérieux !

M. Vincent Capo-Canellas. D’ailleurs, dans l’urgence, il faut distinguer le sauvetage des salariés, la solution à leur offrir, dont la mise en œuvre peut malheureusement être longue, et la reconversion des friches, qui, elle, s’inscrit assurément dans le long terme.

C’est un problème que beaucoup d’élus connaissent, hélas. Pour ma part, je peux citer le cas d’un ancien site industriel qui se trouvait dans ma commune du Bourget et qui appartenait au groupe que l’on appelait alors GEC-Alsthom. J’ai moi-même vu se dérouler le drame qu’a été la fermeture de cette usine et dont mon territoire porte encore les stigmates. Mais j’ai aussi en tête le drame que vivent aujourd'hui les salariés de PSA qui résident au Bourget et qui travaillent sur le site d’Aulnay-sous-Bois, ainsi que leurs familles.

Je ne peux que vous inviter, monsieur le ministre, à accélérer les processus et les décisions concernant ce site : la situation se dégrade et, chacun le sait, il n’est pas facile de surmonter les difficultés et de fournir des solutions aux salariés. À mon sens, nous venons cependant de franchir un nouveau cap dans la désespérance : celle-ci est telle que la situation est de plus en plus tendue. Non seulement les salariés éprouvent de réels problèmes pour envisager leur avenir, mais l’entreprise voit, parallèlement, sa situation s’aggraver.

Monsieur le ministre, j’évoque ces questions avec gravité. Il me semble que le débat concernant Aulnay doit porter sur l’engagement souscrit par Peugeot d’offrir à ses salariés des solutions d’emploi au sein du groupe comme en dehors de celui-ci. C’est le plus important à court terme : des pistes existent, il est urgent de les examiner à fond en profondeur et de ne pas sacrifier la clarté : aucune solution ne peut être mise en œuvre sans difficulté.

J’achèverai ainsi mon intervention, afin de ne pas dépasser excessivement mon temps de parole. Je souligne simplement que des solutions d’avenir existent, et que nous sommes prêts à les appuyer.

M. Arnaud Montebourg, ministre. Lesquelles proposez-vous ?

M. Vincent Capo-Canellas. En tout cas, j’appelle chacun à faire preuve de lucidité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, nous sommes au chevet de notre industrie. De rapports en débats on le répète à l’envi : l’industrie et l’emploi doivent être la préoccupation numéro un du Gouvernement.

Ce constat a été réitéré lors des états généraux de l’industrie. Pourtant, l’année 2012 a encore enregistré la fermeture de 266 sites industriels, soit 42 % de plus qu’en 2011. Quelque 1 200 usines ont fermé leurs portes depuis 2009, représentant plus de 120 000 emplois perdus.

Qui plus est, aujourd’hui, 12 000 emplois sont menacés par la perspective de fermeture définitive de certains sites, comme celui de Peugeot à Aulnay. Au reste, les difficultés de PSA, de Renault, d’Arcelor Mittal ou encore d’Alcatel ne sont que la partie émergée de l’iceberg : de telles firmes entraînent en effet dans leur chute une foule de PME et de sous-traitants. Goodyear annonce ainsi la suppression de 1 173 postes.

Notre système financier a été profondément transformé depuis les lois déréglementant l’activité bancaire et les marchés financiers, et ce dès 1984.

L’évolution vers une finance au service des marchés et non plus de l’économie réelle a affecté le mode de contrôle du capitalisme français. Ce modèle, qui permettait des relations financières stables avec un capital « patient » et des stratégies industrielles de long terme, est aujourd’hui remis en cause, voire inexistant.

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, les gouvernements successifs ont donné aux multinationales, qui dominent largement notre secteur industriel, les moyens d’organiser leur propre non-rentabilité. Ces entreprises peuvent pratiquer l’optimisation fiscale et sociale. Pis, elles emploient ces méthodes de façon de plus en plus agressive, via les prix de transferts auxquels les différentes entités d’un groupe se vendent ou s’achètent produits et prestations de services afin de localiser les profits là où l’imposition des bénéfices est la plus faible.

Le cas de l’Irlande montre l’ampleur de ces manipulations. Les Français restent parmi les plus productifs au monde. Ainsi, en 2012, un Français qui occupe un emploi a produit 75 000 euros de richesse, contre 63 000 euros seulement en Allemagne et 65 000 euros en moyenne dans la zone euro. Mais les Irlandais sont censés être beaucoup plus efficaces encore, avec 89 000 euros par emploi, 17 % de plus qu’en France et 36 % de plus que dans la zone euro. C’est là une fiction qui ne résulte que des manipulations frauduleuses des multinationales pour transférer en Irlande les bénéfices réalisés ailleurs en Europe.

La finance, qui crée et organise la mobilité du capital dans l’espace, influence la géographie des activités productives. La participation des investisseurs est devenue très volatile. La durée moyenne de détention des titres à la bourse de Paris est ainsi passée en quelques années de deux ans à moins de six mois : ce n’est pas là le temps de l’industrie.

Les réformes qui ont conduit à l’extension de la place de la finance dans l’économie avaient pour justification l’amélioration du financement des activités économiques. Pourtant, selon un diagnostic publié par le Centre d’analyse stratégique, cette efficience des marchés n’a pas été au rendez-vous. D’ailleurs, le rapport concluant les états généraux de l’industrie souligne l’inadéquation entre la longueur des cycles de développement, qui peuvent atteindre, voire dépasser la dizaine d’années, et les délais de rendement attendus par les investisseurs, qui sont beaucoup plus courts.

Alors, lorsque Carlos Ghosn, PDG de Renault, propose, pour « donner l’exemple », de différer à fin 2016 le paiement de 30 % de la part variable de sa rémunération de l’an passé, rémunération de près 3 millions d’euros, en demandant en échange aux employés, pour sauver les emplois les plus menacés, notamment ceux de Sandouville, d’accepter des baisses de salaires,…