compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,

M. Jean-François Humbert.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication d’un avis sur un projet du Gouvernement

M. le président. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire, lors de sa réunion du 26 février 2013, a émis un vote favorable – dix voix pour et six bulletins blancs – à la nomination de M. Bruno Léchevin à la présidence de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

Acte est donné de cette communication.

3

Démission d’un membre d’un office parlementaire et candidatures à un office parlementaire et à une délégation sénatoriale

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Gérard Miquel, comme membre de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger : à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en remplacement de M. Gérard Miquel, démissionnaire ; à la délégation sénatoriale à l’outre-mer, en remplacement de M. Gérard Miquel, démissionnaire.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur les articles 90 et 91 de notre règlement, qui ont trait à la police intérieure et extérieure du Sénat.

Un grave incident s’est produit hier à l’Assemblée nationale, où deux étudiants franco-azerbaïdjanais ont été passés à tabac par les membres d’une association arménienne qui organisait un colloque dans la salle Colbert. Les étudiants se sont réfugiés dans le bureau n° 9 de l’Assemblée nationale, sous les yeux ahuris de nos collègues de l’UDI-UC, qui étaient réunis en comité exécutif. Nos collègues Jean-Marie Bockel et Sylvie Goy-Chavent notamment ont été témoins de ce passage à tabac.

Les deux étudiants ont été hospitalisés : l’un a une côte cassée, l’autre, une jeune femme, a été sérieusement blessée. L’ambassadeur d’Azerbaïdjan a saisi le parquet, et une plainte a été déposée.

À la suite de cet incident gravissime, je tenais à attirer l’attention de notre assemblée, afin que la police du Palais du Luxembourg soit informée de ce qui s’est produit à l’Assemblée nationale. Je souhaite que le conseiller diplomatique du président du Sénat et les services tirent les leçons de cette affaire dramatique.

Quand, les uns et les autres, nous organisons des manifestations potentiellement dangereuses, nous devons être encadrés. En tout cas, la police du Palais doit être prévenue, pour que ce type d’incident ne se produise pas dans notre enceinte.

L’ensemble de mes collègues membres des groupes France-Turquie et France-Caucase du Sud tiennent à s’associer à mes propos et à dénoncer fermement ces agissements intolérables dans le cadre d’un débat démocratique, a fortiori lors d’un colloque se déroulant à l’Assemblée nationale. Ce n’est pas par des altercations violentes dans les palais de la République que l’on réglera les conflits du Caucase !

M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, ma chère collègue.

5

 
Dossier législatif : proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives
Discussion générale (suite)

Amnistie à l'occasion de mouvements sociaux

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives, présentée par Mmes Annie David et Éliane Assassi et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 169 rectifié bis, résultat des travaux de la commission n° 356, rapport n° 355).

Je vous indique que, conformément à la décision de la conférence des présidents, la séance devra être levée à dix-huit heures trente.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annie David, auteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi portant amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux et d'activités syndicales et revendicatives
Article additionnel avant l'article 1er

Mme Annie David auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, droit inhérent à toute démocratie, reconnue par notre Constitution puisqu’elle est mentionnée aux alinéas 6 et 8 du Préambule de 1946, l’action collective est aujourd’hui attaquée de toutes parts.

L’intimidation est générale, qu’elle se déploie ou se soit déployée via le patronat dans les entreprises, sous les gouvernements précédents ou encore à droite de cet hémicycle. Je ne vous apprends rien, mes chers collègues : sous la forme du chantage à l’emploi, l’intimidation, voire la peur, est présente au quotidien dans les entreprises. Quand la colère gronde et qu’une convergence des luttes se fait sentir, le patronat, parfois appuyé par les gouvernements en place, manie le bâton et la répression.

Pour masquer les vraies responsabilités et s’en dédouaner, les bourreaux érigent alors les victimes en coupables. C’est ainsi que, au cours des dernières décennies, trop de femmes et d’hommes en lutte, en résistance collective face à une « casse » toujours plus grande de leurs droits, se sont vu infliger des condamnations du fait de leurs actions revendicatives.

Qu’il s’agisse de défendre leur droit au travail, leur droit au logement, leur droit à l’accès aux soins ou encore leur droit à vivre dans un environnement sain, ces femmes et ces hommes qui s’opposent avec leurs moyens à la destruction de notre société sont considérés comme des délinquants, des criminels ! Mais qu’ont-ils fait, mes chers collègues, si ce n’est manifester leur exaspération en usant de leurs droits à la parole et la résistance ? Ces droits sont pourtant inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle le Préambule de notre Constitution réaffirme notre attachement.

Le droit de résistance reconnu aux salariés leur permet de faire face à l’autoritarisme patronal. Aussi est-il de notre devoir, comme de celui du Gouvernement et du Président de la République, qui est le gardien de la Constitution, de le préserver. C’est ce que nous vous proposons de faire en vous demandant de voter une proposition de loi portant amnistie des faits commis dans le cadre de conflits du travail, d’activités syndicales ou revendicatives dans l’entreprise, ou encore de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics pour préserver ce droit de résistance.

M. Alain Fouché. C’est extravagant !

Mme Annie David. Loin de préserver ce droit de résistance, les gouvernements précédents ont usé et abusé de méthodes visant à soumettre celles et ceux qui résistent. La parole s’est associée aux actes, puisqu’ils n’ont pas hésité à accuser en toute occasion les salariés, actifs, retraités ou demandeurs d’emploi, d’être responsables de leur situation : les salariés coûtent trop cher, les demandeurs d’emploi sont fainéants et profiteurs, les retraités vivent trop longtemps…

Cette stigmatisation est insupportable et même criminelle ! Les odieuses comparaisons entre grévistes et preneurs d’otage comme l’habitude de repeindre les mal-logés en squatteurs, les lycéens en casseurs et les ouvriers ou faucheurs d’OGM en saccageurs participent d’un conditionnement idéologique qui traverse aujourd’hui une partie de notre société.

Ces femmes et ces hommes en lutte sont ainsi considérés comme des fauteurs de troubles à l’ordre public. Mais qui sont les fauteurs de troubles ? Les patrons voyous, ceux qui disent aimer tellement la France qu’ils n’y paient pas leurs impôts et qui n’hésitent pas à sacrifier sur l’autel du profit immédiat les salariés qui produisent chaque jour une richesse à laquelle ils n’ont pas droit ?

M. Alain Fouché. Quel est le rapport ?

Mme Annie David. Ces patrons qui menacent de délocaliser l’emploi ou ces femmes et ces hommes qui luttent pour défendre leurs droits, pour garder leur dignité, pour préserver leur environnement ?

Pour ma part, je pencherais plutôt pour la première hypothèse : les fauteurs de troubles, ce sont celles et ceux qui annoncent à grand renfort médiatique leur stratégie libérale pour construire une tout autre société, non plus assise sur la solidarité et la fraternité entre les peuples, mais sur la compétitivité et la concurrence non faussée des différents outils de production, sans se soucier de la violence de leurs actes.

M. Alain Fouché. Moi, je punirais les deux : les patrons voyous et les salariés fauteurs de troubles !

Mme Annie David. Monsieur Fouché, la vraie violence sociale, c’est la fermeture de plusieurs centaines d’entreprises l’an dernier, d’autant que beaucoup de ces entreprises ont été fermées pour préserver les intérêts boursiers des actionnaires des maisons mères.

Oui, mes chers collègues, trop de sanctions injustes ont été infligées. Ces sanctions n’avaient d’autre objectif que d’éteindre toute velléité de contestation chez les citoyennes et les citoyens. Certains ont même été condamnés à de lourdes amendes pour avoir refusé un prélèvement ADN, procédure habituellement réservée aux criminels.

Ce fichage, rendu possible par la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, adoptée sur l’initiative de Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre de l’intérieur, a élargi à de très nombreuses infractions, dont la dégradation de biens, ce qui est bien pratique dans les circonstances qui nous occupent, le champ d’application du fichier national automatisé des empreintes génétiques, qui avait été créé par la loi du 17 juin 1998 pour les seuls délinquants sexuels. On assimile donc les syndicalistes, celles et ceux qui résistent, à des criminels !

En outre, le refus de se soumettre à un tel fichage constitue une infraction autonome punissable d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. La machine à harceler celles et ceux qui s’engagent dans un mouvement social ou même qui font acte de solidarité militante à l’égard des migrants a ainsi atteint son paroxysme.

Demandons-nous où est réellement la violence. Il est facile de discerner d’où elle vient quand un homme désespéré, demandeur d’emploi en fin de droits et à bout de forces, s’immole devant une agence de Pôle emploi. Oui, là il y a violence…

Quand ils le jugent nécessaire, les salariés utilisent leur droit de se regrouper en mouvements collectifs pour se défendre. Certains – dont vous êtes peut-être, monsieur Fouché – considèrent qu’il s’agit d’une entrave à la liberté d’entreprendre, mais, au-delà de cette liberté, il y a celle de vivre égaux en droits, et cette liberté est bafouée lorsque des familles entières sont privées de logement, d’accès aux soins, ou de ce travail qui donne droit à d’autres droits : le droit au savoir, le droit à la culture et aux loisirs, le droit tout simplement d’être un citoyen engagé dans la construction de son pays.

Avec les sénatrices et sénateurs du groupe CRC, je m’insurge, comme nous devrions tous le faire, contre ces procédures qui criminalisent l’action revendicative et attaquent en plein cœur le droit de résister. Je me range aux côtés de celles et ceux qui refusent de basculer dans une société qui ne reconnaîtrait plus les valeurs qui sont les nôtres, celles qui font la renommée et la beauté de notre pays.

Ces valeurs viennent de loin, de la Révolution française, où l’on était même allé jusqu’à parler du « devoir d’insurrection ». Elles nous ont été transmises pour traverser le temps et continuent d’animer d’autres femmes et d’autres hommes, elles et eux aussi engagés pour l’amélioration des conditions de vie au quotidien.

Comment, à cet instant, ne pas penser à Jaurès refusant de se laisser « toucher par l’éternel sophisme qui, au nom de la liberté, consacre la perpétuité de la misère et destitue de tout droit les travailleurs épuisés par une vie de labeur » ?

M. Alain Fouché. On peut soutenir les travailleurs sans en passer par là !

Mme Annie David. Nos collègues de l’UMP ont déposé des amendements de suppression sur tous les articles, mais empêcher ainsi l’adoption de ce texte ne serait pas acceptable alors que les nombreux travailleurs visés par cette amnistie ont été et sont encore frappés par des procédures consécutives à la criminalisation de leur action revendicative sous l’ère Sarkozy.

Avez-vous oublié, chers collègues de l’opposition, qu’en 2002, quand vous étiez au pouvoir, vous aviez vous-mêmes proposé une loi d’amnistie largement ouverte aux infractions commises dans le cadre de conflits du travail et de mouvements revendicatifs ? Je tiens à votre disposition ce texte que vous prenez aujourd’hui à contre-pied.

Vous nous reprochez une atteinte au principe de séparation des pouvoirs, mais le groupe CRC respecte bien évidemment ce principe essentiel, car nous croyons en la force de la justice.

C’est pourquoi nous proposons qu’une loi d’amnistie soit votée par le Parlement, comme la Constitution nous en donne le droit et sans qu’il soit question de passer outre les prérogatives de la justice.

Par cette proposition de loi, nous ne remettons pas en cause les jugements passés, et donc l’action de la justice, puisque nous ne revenons pas sur les peines ou les amendes prononcées ; nous demandons seulement que les femmes et les hommes ainsi condamnés voient leur sanction amnistiée afin que celle-ci ne les poursuive pas au-delà de l’action collective et revendicative pour laquelle ils et elles ont comparu devant la justice.

Que doit donc faire la gauche aujourd’hui ? À mon sens, elle doit affirmer, unie, son soutien au monde du travail,…

M. Jean-Claude Lenoir. Vous avez la majorité !

Mme Annie David. … confronté à une véritable agression de la part du patronat, qui utilise la crise pour enfoncer les digues du droit du travail et du droit au travail, reconnus tous deux par la Constitution.

La gauche doit s’indigner, comme l’aurait si bien dit Stéphane Hessel. Au travers des nombreux communiqués des différents groupes parlementaires qui la composent, elle s’était d’ailleurs élevée contre toute forme de criminalisation des combats syndicaux lors des nombreuses luttes qui ont émaillé le quinquennat précédent.

Aussi doit-elle réparer aujourd’hui ce qui est réparable et faire en sorte que ces hommes et ses femmes, qui ont dit non, à leur manière, à la ruine de leur vie professionnelle, de leur vie personnelle, bref, à la société dans laquelle la droite libérale voudrait nous enfermer, soient amnistiés.

Elle doit s’enorgueillir d’être aux côtés de celles et ceux qui luttent pour faire respecter leur droit, pour une société plus juste, plus solidaire ! Elle doit montrer au peuple de gauche, qui lui a fait confiance, qu’elle est bien au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Philippe Dallier. Il n’y a pas de peuple de gauche !

M. Alain Fouché. Vive la lutte des classes !

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Éliane Assassi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en ma qualité de rapporteur, permettez-moi de souligner l’importance de l’initiative prise par le groupe des élus communistes républicains et citoyens, qui, dans le cadre de leur « niche » parlementaire, ont fait le choix de déposer cette proposition de loi portant amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.

En conséquence, cet après-midi, nous allons pouvoir débattre d’un texte qui, certes, ne concerne pas directement des milliers et des milliers de personnes, mais qui va permettre, dans un contexte économique et social très difficile, d’adresser un message d’espoir au monde du travail.

Si la commission des lois a, dans un premier temps, retoqué ce texte,…

M. Jean-Claude Lenoir. Pourtant, la gauche y est majoritaire !

Mme Éliane Assassi, rapporteur. … je dois toutefois saluer le travail constructif qui a été fait par la suite avec tous les groupes de la gauche sénatoriale…

Mme Éliane Assassi, rapporteur. … pour arriver à la rédaction d’amendements qui permettront, je n’en doute pas, l’adoption par le Sénat de la proposition de loi.

Par ailleurs, je note, pour le saluer, le retrait de la question préalable déposée par le groupe UMP.

Mes chers collègues, vous le savez, l’amnistie est une tradition ancienne et vénérable que d’aucuns font remonter à la démocratie athénienne du Ve siècle avant notre ère. Dans notre pays, sous sa forme actuelle, c’est-à-dire en tant que loi d’oubli et d’apaisement votée par le Parlement, c’est une tradition qui remonte aux lois constitutionnelles de 1875. L’une des premières, j’oserais dire l’une des plus fameuses amnisties, fut celle des Communards, en 1880.

Outre l’adoption de lois d’amnistie consécutives à des événements exceptionnels tels que la guerre d’Algérie ou les troubles en Nouvelle-Calédonie, chaque élection présidentielle de la Ve République a été, jusqu’en 2002, alors que l’opposition d’aujourd’hui était majoritaire, suivie du vote par le Parlement d’une loi d’amnistie.

Au fil du temps, ces lois ont été de plus en plus critiquées. D’une part, elles pouvaient constituer des incitations à enfreindre le code de la route au cours de la période précédant l’élection présidentielle. D’autre part, en amnistiant toutes les infractions punies d’une peine inférieure à un certain seuil, par exemple tous les délits punis de moins de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, ces lois bénéficiaient de manière inégale aux condamnés ou aux prévenus selon la plus ou moins grande sévérité des tribunaux compétents.

La présente proposition de loi échappe cependant très largement à ces critiques. En effet, son objet est beaucoup plus limité que celui des lois d’amnistie post-présidentielle successives.

Ainsi, elle concerne tout d’abord, dès lors qu’elles sont punies de moins de dix ans d’emprisonnement, les infractions commises lors de conflits du travail, à l’occasion d’activités syndicales ou revendicatives, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. Nous sommes ici en terrain connu : ces circonstances étaient déjà visées par les précédentes lois de 1981, 1988, 1995 et 2002.

Ensuite, elle vise les infractions commises à l’occasion de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, relatifs aux problèmes liés à l’éducation, au logement, à la santé, à l’environnement et aux droits des migrants, y compris au cours de manifestations sur la voie publique ou dans des lieux publics. Si cette formulation est nouvelle, les précédentes lois que j’ai citées prévoyaient déjà l’amnistie des infractions commises lors des manifestations lorsque celles-ci avaient un lien avec les conflits du travail. Dans le texte que nous proposons, l’amnistie serait étendue à d’autres mouvements collectifs, mais uniquement lorsque ceux-ci ont pour but de porter des revendications dans des domaines énumérés de manière limitative.

Qu’il s’agisse de conflits du travail ou de mouvements collectifs, ce sont toujours des événements au cours desquels, comme le souligne l’exposé des motifs, nos concitoyens se sont engagés pour faire respecter des droits fondamentaux, protéger leurs conditions de travail, préserver l’emploi, les services publics, le système de protection sociale ou encore pour préserver l’environnement.

Le contexte économique actuel, très difficile, engendre en effet des mouvements sociaux et de multiples mouvements revendicatifs. La liberté de manifester et la liberté syndicale sont des éléments nécessaires dans une démocratie, car elles permettent au débat de s’enrichir et à une partie de l’opinion de s’exprimer.

Or, à l’occasion de ces événements, de plus en plus fréquemment au cours de la période récente, des syndicalistes, des représentants associatifs ou des membres des organisations syndicales et des associations ont pu être sévèrement condamnés par la justice ou sanctionnés professionnellement.

Les infractions reprochées peuvent être des dégradations, des entraves au travail ou encore la diffamation, notamment sur les réseaux sociaux.

Un autre comportement est fréquemment sanctionné : le refus de se soumettre à un prélèvement ADN à la suite d’incidents intervenus lors de manifestations ou lors d’actions telles que des fauchages d’OGM.

L’utilisation par les forces de l’ordre de ce dernier délit est d’ailleurs particulièrement mal vécue et contestée par les militants, membres des syndicats et des associations, qui considèrent qu’il permet de les incriminer très facilement en leur reprochant n’importe quel fait susceptible de donner lieu à prélèvement puis en constatant leur refus de s’y soumettre.

Je vous rappelle que la possibilité de réaliser un prélèvement génétique pour alimenter le fameux fichier national automatisé des empreintes génétiques, à l’origine limitée aux délinquants sexuels, a été étendue à la plupart des délits, dont les dégradations, les détériorations et les menaces d’atteintes aux biens.

Ainsi, la poursuite systématique de certains comportements peut conduire à une certaine paralysie des organisations syndicales, des collectifs ou des associations, puisque, si elle vise le plus souvent un individu, elle a des conséquences pour l’ensemble de l’organisation à laquelle il appartient. Une amende élevée peut ainsi obérer durablement les finances de celle-ci et dissuader ses membres d’agir ultérieurement. Une telle situation est de nature à encourager des actions individuelles, moins contrôlées, moins prévisibles, plus violentes aussi, tout en appauvrissant le débat public.

Dans le contexte actuel, il semble légitime et raisonnable d’adopter une mesure d’apaisement et d’oubli – je pèse mes mots – en amnistiant ces faits.

En tout état de cause, je souhaite insister sur le fait que le champ des infractions susceptibles d’être amnistiées par ce texte est déjà extrêmement limité par rapport à celui des précédentes lois d’amnistie en raison de la condition liée aux circonstances de commission des infractions.

N’oublions pas, en outre, que chaque loi d’amnistie est accompagnée d’une circulaire de la Chancellerie à destination des parquets. La circulaire d’application de la loi de 2002 précise ainsi qu’« il appartient aux parquets et aux juridictions d’apprécier dans chaque cas d’espèce s’il existe entre le fait poursuivi et le critère de l’amnistie retenu par le législateur une relation suffisante pour permettre de constater l’amnistie. Ainsi, si les agissements reprochés n’ont pas été commis à l’occasion de manifestations ou d’actions pour la défense de l’intérêt collectif d’une profession, mais dans le cadre d’une action ponctuelle préméditée, engagée au bénéfice d’intérêts patrimoniaux bien déterminés, la loi d’amnistie ne s’applique pas ».

Les lois d’amnistie ne peuvent donc pas bénéficier aux « casseurs » qui parfois profitent des manifestations.

A contrario, une nouvelle circulaire d’application ne pourrait-elle pas, madame la garde des sceaux, permettre aux tribunaux d’atténuer les sanctions par l’exercice de leur pouvoir d’interprétation ?

Par ailleurs, comme les lois précédentes, la présente proposition de loi prévoit une amnistie des sanctions disciplinaires. L’inspection du travail sera donc chargée de veiller à ce que les mentions de ces faits soient retirées des dossiers des intéressés. Notons, à cet égard, que le Conseil constitutionnel a validé cette possibilité, dans une décision du 20 juillet 1988, en indiquant que le législateur pouvait « étendre le champ d’application de la loi d’amnistie à des sanctions disciplinaires ou professionnelles dans un but d’apaisement politique ou social ».

Toutefois, l’amnistie à ce titre serait beaucoup plus limitée dans sa portée que celle des lois précédentes puisqu’elle ne concernerait que les sanctions infligées dans les circonstances mentionnées à l’article 1er.

Par ailleurs, contrairement à la loi d’amnistie de 2002, mais comme dans la loi du 20 juillet 1988, une réintégration des salariés licenciés est prévue.

En tant que rapporteur de cette proposition de loi, j’avais proposé à la commission une série d’amendements destinés à préciser le champ de l’amnistie. Si ces amendements ont été adoptés, tel n’a pas été le cas du texte issu des travaux de la commission. Nous sommes donc appelés à nous prononcer sur le texte initial de la proposition de loi, ainsi que sur les amendements déposés pour le modifier.

À titre personnel, j’estime que plusieurs de ces amendements, dont certains ont reçu un avis favorable de la commission des lois, tendent à limiter de manière excessive la portée du texte initial de la proposition de loi. En effet, celui-ci visait à amnistier les infractions passibles de moins de dix ans d’emprisonnement, à l’instar de la loi d’amnistie de 2002. Des amendements de nos collègues du groupe socialiste et du groupe RDSE prévoient de limiter le champ de l’amnistie aux atteintes aux biens punies de cinq ans d’emprisonnement au plus : seraient ainsi exclues de ce champ les outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique, les atteintes à la liberté du travail ou encore les violences punies de simples contraventions, toutes infractions souvent reprochées aux personnes engagées dans les mouvements sociaux.

J’espère donc, madame la ministre, que la circulaire d’application tiendra compte du fait que, s’il peut y avoir des atteintes physiques lors des manifestations, elles restent le plus souvent involontaires et seront ainsi susceptibles de faire l’objet d’une certaine clémence de la part des tribunaux.

Un autre amendement tend, en outre, à limiter l’amnistie aux mouvements sociaux au sein des entreprises et aux mouvements collectifs de défense du droit au logement. J’avoue que cet amendement me gêne un peu, car sa rédaction semble suggérer que la défense de la santé, de l’éducation ou de l’environnement ne revêtent pas une dignité suffisante pour justifier une mesure d’amnistie.

Enfin, il vous sera également proposé d’enfermer l’amnistie dans de très étroites limites temporelles, soit entre le 1er janvier 2008 et le 6 mai 2012, ce qui contribuerait encore davantage à en réduire la portée, mais le débat de cet après-midi permettra, je l’espère, d’adopter la limitation temporelle la plus juste possible.

Tout cela étant dit, je souhaite que ce texte soit adopté par le Sénat et je m’engage, comme rapporteur, à être attentive à tous les amendements déposés. De plus, je fonde beaucoup d’espoirs sur le fait que le débat qui devrait avoir lieu ensuite à l’Assemblée nationale permette l’adoption d’un texte définitif répondant aux attentes du mouvement syndical et associatif.

Tel est donc, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet de l’essentiel des dispositions de la présente proposition de loi ainsi que des principaux amendements sur lesquels je vais être amenée à donner l’avis de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)