Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas.

Mme Sophie Primas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu et à mon tour remercier les rapporteurs Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido pour la qualité et la clarté de ce rapport de l’OPECST, au moment où notre industrie spatiale européenne doit faire des choix stratégiques majeurs. Ce rapport est tout à fait éclairant.

Alors que la France et l’ensemble de l’Union européenne sont à la recherche d’un nouveau souffle de croissance, et en particulier de croissance industrielle, l’industrie spatiale française et européenne démontre chaque jour son excellence, sa productivité et l’étendue des compétences technologiques de nos ingénieurs.

C’est un sujet de fierté, en particulier pour notre pays. J’en veux pour simple témoignage l’attention et quasiment l’émerveillement de lycéens des Yvelines, venus visiter le site Astrium des Mureaux la semaine dernière, dans le cadre de la semaine de l’industrie. C’est également un message fort sur l’Europe et ses capacités.

Mais l’industrie spatiale n’en est qu’à ses débuts, et les perspectives de croissance liées aux applications et aux services satellitaires en particulier laissent entrevoir des sources de développement économique considérables, à très forte valeur ajoutée pour les États qui s’en empareront. La France doit en être.

La France et l’Europe occupent l’un des premiers rangs mondiaux dans l’industrie spatiale grâce à la clairvoyance et à la pertinence de la vision stratégique de nos prédécesseurs, grâce à la maîtrise de l’ensemble des compétences et à une industrie redoutablement performante. L’industrie française compte 12 000 employés, soit un tiers des effectifs européens, et réalise 50 % du chiffre d’affaires de l’industrie européenne. Notre industrie spatiale française est précieuse.

Les groupes tels que Thales, Astrium, Safran sont des fleurons industriels qui ont créé de véritables filières de production, en collaboration avec des fournisseurs performants de haute technologie et qui sont désormais accompagnés par des filières entières d’activités, particulièrement dynamiques. Autant d’opportunités pour le développement d’entreprises françaises, y compris de PME.

Aujourd’hui, l’observation de la Terre, le renseignement, la météorologie, la géolocalisation et, bien sûr, les télécommunications sont les principaux champs de recherche et d’exploitation commerciale. Ils sont d’ores et déjà créateurs d’emplois, de gains de productivité, d’efficacité civile, mais aussi militaire, naturellement, pour les États qui les maîtrisent. Le champ des applications est très vaste et, je le pense, n’a été qu’à peine effleuré.

La géolocalisation, par exemple, presque familière désormais à tous les conducteurs ou tous les propriétaires de smartphones, est à l’aube de son exploitation. Son utilisation en marketing mobile, par exemple, ouvre d’immenses perspectives. Ainsi, le chiffre d’affaires estimé dans un rapport à 58 milliards d’euros en 2010 devrait atteindre 165 milliards d’euros en 2020, soit un triplement !

L’observation de la Terre offre, quant à elle, des champs d’application infinis en termes d’optimisation de nos modes de vie. Ainsi, le rapport de l’OCDE intitulé « L’espace à l’horizon 2030 » indique-t-il, par exemple, qu’une amélioration des prévisions météorologiques d’un seul degré Fahrenheit permettrait aux producteurs d’énergie d’économiser un milliard de dollars par an !

Que dire, également, de l’utilisation satellitaire pour l’agriculture, si chère à mon cœur ! Une pratique raisonnée, assistée par une observation satellitaire fine de chaque parcelle agricole réduit de façon considérable l’utilisation d’eau, l’apport d’engrais, le recours à des fongicides, des herbicides ou des insecticides, ce qui devrait faire plaisir à nos amis écologistes.

Au-delà de l’enjeu des seules perspectives de croissance économique qu’offrent toutes ces applications commerciales satellitaires, l’espace représente d’abord et avant tout un enjeu de souveraineté.

L’indépendance d’accès aux informations satellitaires est aussi stratégique que notre autonomie énergétique ou alimentaire. Nous devons bénéficier d’un accès souverain aux informations militaires, d’observations et d’analyse. Cela semble évident, mais il est nécessaire de le réaffirmer en cette période budgétaire difficile. Je ne reviens pas sur le caractère décisif de ces capacités au cours des opérations extérieures de la France, y compris dans l’actualité récente.

Au-delà du domaine militaire, ces informations nourrissent la puissance de notre pays, son influence géopolitique et son rayonnement, au travers également d’utilisations culturelles ou humanitaires.

En matière culturelle, par exemple, la promotion de notre langue, la diffusion de la culture européenne, la coopération universitaire, auxquels vous devez être sensible, madame la ministre, ainsi que la diffusion des médias et de l’information sont des enjeux qui vont au-delà de la seule croissance économique.

Même la tradition humaniste de notre pays peut s’exprimer grâce à l’exploitation de l’espace. Je pense bien sûr à la charte « espace et catastrophes majeures », créée voici presque quinze ans par l’ESA et le CNES, et qui permet de coordonner les secours de façon efficace en cas de catastrophes sismiques, météorologiques, ou environnementales. Votre rapport le souligne d’ailleurs fort bien, et fait état de plus de trois cents applications opérationnelles de cette charte dans le monde en dix ans. Le secours aux sinistrés d’Haïti a probablement été une opération emblématique en la matière.

Compte tenu de ces potentiels de croissance presque infinis, compte tenu, également, de l’enjeu géopolitique des applications satellitaires dans tous les domaines, stratégiques, industriels, militaires et commerciaux, la France a le devoir impératif de maintenir sa souveraineté au cœur de l’Europe et avec elle.

Mais cette souveraineté nationale a bien sûr un corollaire : notre souveraineté d’accès à l’espace.

Cette souveraineté commence par notre autonomie à disposer de lanceurs performants, fiables, évolutifs et dont l’économie globale est supportable par les États européens, y compris en ces périodes de crise.

Aussi, reconnaître le maintien de l’autonomie d’accès à l’espace comme un objectif européen prioritaire, en recourant à nos propres lanceurs européens, est absolument essentiel. Nous devons partager cet objectif avec tous les pays membres et contributeurs, y compris avec nos amis allemands.

Bien sûr, la France et l’Europe occupent aujourd’hui une place unique dans l’univers des lanceurs, et je veux dire notre fierté à chaque lancement, d’Ariane en particulier, vous me pardonnerez ce chauvinisme.

Cependant, la concurrence mondiale s’active de façon spectaculaire, engageant des moyens bien supérieurs aux nôtres, comme l’a indiqué mon collègue Bruno Sido il y a quelques instants. Aux États-Unis, avec des acteurs soutenus par la NASA – je pense bien entendu à Space X –, mais aussi en Russie, au Japon, en Chine et demain en Inde, sans oublier le Brésil. Tout cela est parfaitement décrit dans votre rapport.

Leader des lanceurs commerciaux, nous devons consolider nos positions, les protéger et pour cela optimiser chaque euro investi, sans aucune déperdition. En ce sens, chacune des recommandations de ce rapport est essentielle.

Réorganiser notre gouvernance européenne spatiale, clarifier les objectifs de notre politique – c’est essentiel –, soutenir une exploration spatiale à coûts limités, créer des filières, surveiller les débris spatiaux : ce sont là des recommandations fortes et tout à fait pertinentes.

Nous devons, en France en particulier, veiller à ce que le partenariat entre la maîtrise d’œuvre des projets de développement portés par le CNES et la maîtrise d’œuvre industrielle portée par Astrium puisse continuer à se renforcer, dans l’intérêt général. Comme cela a été souligné précédemment, l’industrie doit être directement intégrée aux décisions stratégiques.

Nous devons également prendre conscience des conséquences industrielles locales des choix stratégiques retenus par l’Europe et défendus pour la France par le CNES.

Le choix, par exemple, d’un lanceur Ariane 6 à propergols solides, ou PPH, a des conséquences en matière d’organisation industrielle sur les sites historiques d’Astrium ; je pense naturellement au site d’intégration des Mureaux. Il nous faut anticiper les conséquences de ces choix, afin d’opérer une transformation des sites industriels pour y maintenir activité, emplois et compétences.

Les pouvoirs publics ont aussi une responsabilité majeure en ce domaine pour toujours préférer la pérennité d’une excellence industrielle au redressement économique.

Enfin, considérant l’ensemble des recommandations de ce rapport d’information, je souhaite apporter tout mon soutien à celle qui est relative à la nécessité de maintenir les budgets spatiaux malgré la crise.

En effet, ces budgets, publics et militaires, sont à la fois les ferments de la croissance et le gage de notre indépendance sur la scène internationale. La dépense spatiale publique est, je le répète, cruciale pour l’avenir de notre économie, notamment eu égard à son puissant effet multiplicateur : « 1 euro investi dans l’industrie spatiale crée 20 euros de richesse. »

Les crédits du programme « Recherche spatiale » prévus dans la loi de finances pour 2013 s’élèvent à 1,143 milliard d’euros, soit une progression de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2012. Nous pouvons nous réjouir de cette légère évolution, tout en remarquant que cette stabilité globale ne traduit peut-être pas encore assez le caractère prioritaire de la recherche spatiale.

Par ailleurs, je veux évoquer ici l’impact significatif du programme d’investissements d’avenir mis en place par le gouvernement précédent. Ce programme, au travers des dépenses ciblées destinées à améliorer la compétitivité de notre industrie, a ainsi alloué 600 millions d’euros à la recherche dans le domaine spatial.

De notre vision volontariste, partagée sur les différentes travées de cet hémicycle, à soutenir les efforts du secteur spatial dépendront nos capacités à créer de la valeur ajoutée industrielle, technologique et de la créativité technique et commerciale pour les prochaines générations.

Je salue en ce sens les résultats obtenus lors du conseil interministériel de l’ESA à Naples : concernant les lanceurs, le développement d’Ariane 5 ME et la décision de lancer les études pour Ariane 6 ont été obtenus au travers d’une mutualisation des dépenses. Cela permet aux industriels de s’organiser pour préparer la rupture technologique souhaitée et, en même temps, de préserver les compétences en matière de haute technologie présentes à ce jour sur les sites de recherche.

Madame la ministre, le maintien de ces compétences constitue un véritable enjeu, car leur déperdition serait malheureusement irrémédiable. Aussi avons-nous le devoir de soutenir avec force le ministère de la défense pour le maintien des budgets militaires consacrés à la recherche spatiale.

À ce sujet, il convient de préciser que le retard pris par le Livre blanc a des conséquences immédiates sur le maintien des moyens accordés dès 2013 à des sites mixtes, civils et militaires, sur lesquels les forces intellectuelles sont mutualisées. L’activité militaire peut représenter, dans certains sites industriels, deux tiers de l’activité – le site des Mureaux n’est pas le seul à être concerné. Le ralentissement de cette activité aurait des effets immédiats sur les capacités de développement de la partie civile.

Enfin, la dispersion des budgets entre les ministères et sur des lignes non agrégées est probablement un frein qui nuit, ainsi que l’a souligné tout à l'heure l’un de nos collègues, à une véritable vision globale de la politique spatiale, laquelle est trop peu souvent soumise à l’examen du Parlement.

Bien sûr, le maintien de ces budgets est difficile à expliquer aux Français et difficile à obtenir, je l’imagine, en cette période de crise économique, qui touche non seulement la France, mais aussi toute l’Europe. Aussi, l’idée de réintroduire l’espace dans l’intitulé d’un ministère est loin d’être anecdotique.

Valoriser l’utilité de l’espace auprès du grand public et expliquer la nécessité de protéger notre souveraineté, voilà qui est fondamental pour que les Français comprennent la nécessité de réaliser des efforts budgétaires. Peut-être devrions-nous envisager – je le dis sous forme de boutade ! – de créer un choc des consciences, en organisant un événement national ou européen, qui pourrait s’intituler : « Une heure sans l’espace », une heure pendant laquelle nous couperions toutes les applications satellitaires utiles dans la vie quotidienne ! (Très bien ! sur le banc des commissions.) Cela constituerait en effet un sacré choc ! (Sourires.)

Pour conclure, je veux, une nouvelle fois, saluer le travail réalisé par les coauteurs de ce rapport d’information, en m’associant pleinement aux recommandations qui y sont formulées, ainsi que l’action menée parallèlement par le groupe des parlementaires pour l’espace, que préside notre collègue sénateur de Haute-Garonne Bertrand Auban. Ces travaux conduiront, de toute évidence, le Gouvernement et le Parlement à la clairvoyance et à la sagesse dont ont fait preuve nos aînés. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Chiron.

M. Jacques Chiron. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’emblée à saluer le travail très approfondi que nos collègues corapporteurs ont réalisé.

Dans le contexte actuel de crise économique, certains peuvent parfois s’interroger sur l’opportunité de continuer à investir dans l’activité spatiale. En effet, la complexité du domaine spatial peut donner l’impression que des budgets très lourds sont en jeu, pour des retours sur investissement peu connus du grand public.

Pourtant, non seulement l’activité spatiale résiste bien à la crise, tirée qu’elle est par les demandes croissantes de nos concitoyens, notamment en matière de télécommunications, mais en outre notre industrie européenne prend toute sa part dans cette dynamique, qui crée de nombreux emplois : 16 000 emplois en France dans le domaine spatial, dont 12 000 dans l’industrie.

L’espace constitue un véritable moteur de compétitivité et de croissance : les activités spatiales ont, dans l’économie, un effet multiplicateur important de l’investissement initial, sans compter les retours, plus difficiles à quantifier et à forte valeur ajoutée sociétale, tels que l’attrait des jeunes pour les études scientifiques, par exemple. J’ai d’ailleurs appris cet après-midi que Jean-Yves Le Gall, avait obtenu, au cours de ses études, une bourse du Centre national d’études spatiales !

Cette compétitivité de l’activité spatiale européenne trouve ses sources dans l’engagement résolu de l’Europe depuis plus de quarante ans à développer une stratégie cohérente et volontariste. Cette politique, qui s’est construite par étapes successives, permet aujourd’hui à l’Europe d’être en excellente position mondiale.

Dès 1975, l’Europe a su fédérer ses forces au travers de l’Agence spatiale européenne pour conquérir et garantir notre accès à l’espace. Elle a su mettre en place un programme scientifique permettant de maîtriser les technologies spatiales et d’explorer des applications innovantes, au service de nos concitoyens.

Quand certaines de ces applications se sont révélées pertinentes, l’Europe a su s’organiser pour les mettre en œuvre : on pourrait citer EUMETSAT, dans le domaine de la météorologie, ou encore EUTELSAT, dans le domaine des télécommunications, qui contribue à la couverture numérique du territoire en très haut débit.

Ce processus se poursuit aujourd’hui au sein de l’Union Européenne, en complémentarité avec l’Agence spatiale européenne et les États membres.

À cet égard, on peut citer le programme Galileo, système de positionnement des satellites, qui garantira l’autonomie de l’Union européenne, notamment par rapport au système GPS américain. On peut aussi évoquer le programme GMES, qui va doter l’Europe d’une capacité d’observation de la Terre, notamment dans le domaine environnemental.

Ainsi, l’Europe se positionne comme un acteur majeur dans le monde.

Si l’Europe spatiale est une réussite incontestable, elle doit toutefois aujourd’hui faire face à une concurrence croissante, avec l’émergence de nouveaux acteurs privés, mais aussi publics, en particulier l’Inde et la Chine, qui ont rejoint les États-Unis et la Russie au rang des acteurs incontournables dans le domaine de l’activité spatiale.

Face à ces nouveaux défis, et parce qu’une politique spatiale se pilote nécessairement sur le long terme, il est indispensable d’anticiper et de créer dès à présent les conditions nécessaires au maintien de la position européenne dans le monde.

Si vous me permettez de développer ce point, on peut identifier quatre conditions majeures.

La première de ces conditions tient évidemment aux moyens et à la part du budget que nous consacrons, au niveau européen comme au niveau national, à la politique spatiale.

Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, nous pouvons nous féliciter des orientations prises par le Gouvernement, et singulièrement le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre du budget pour 2013. Cela s’est traduit notamment par une augmentation de 3,7 % de la contribution française à l’Agence spatiale européenne, soit 29 millions d’euros supplémentaires sur une participation française de 799 millions d’euros, le budget global de l’ESA s’établissant à environ 4 milliards d’euros.

Cette contribution permet ainsi de garantir les engagements souscrits par la France et de participer à l’apurement de la dette de l’Agence spatiale européenne, conformément aux engagements pris par la France en 2008.

La deuxième des conditions est de faire évoluer nos lanceurs pour les adapter aux évolutions du marché commercial et institutionnel ainsi que pérenniser notre autonomie en matière d’accès à l’espace.

À cet égard, nous pouvons nous féliciter de la décision du conseil interministériel de l’Agence spatiale européenne, en novembre dernier, à Naples, qui marque l’acte de naissance d’Ariane 6.

Madame la ministre, vous avez réussi à convaincre certains autres États membres, ce dont nous pouvons nous réjouir. Cette nouvelle génération de lanceurs va, par ailleurs, permettre d’optimiser les coûts d’exploitation, tout en préservant les emplois, et garantir notre autonomie en matière d’accès à l’espace.

La troisième condition, à laquelle souscrit l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques - n’étant pas membre de la commission des affaires économiques, c’est de mon bureau que j’ai suivi cet après-midi ses travaux -, est la nécessité d’améliorer notre gouvernance en matière de politique spatiale.

Forts de notre histoire européenne, de nombreux acteurs interviennent dans la politique spatiale européenne.

Ce sont tout d’abord les États membres, au premier rang desquels la France. Premier pays à avoir développé une politique spatiale et à s’être doté d’une agence, le Centre national d’études spatiales, créé en 1961, la France consacre 2 milliards d’euros à cette politique - soit 31 euros par habitant et par an -, dont 799 millions d’euros pour l’Agence spatiale européenne. Le CNES est aussi le premier actionnaire d’Arianespace.

Il faut citer ensuite l’Agence spatiale européenne, créée en 1975, et l’Union européenne, qui dispose d’une compétence propre en la matière depuis 2009.

Il semble aujourd’hui nécessaire de réinterroger cette organisation, afin d’éviter autant que possible que le grand nombre d’acteurs n’entraîne une dispersion des forces et, au final, des moyens.

Concernant la question de la gouvernance, il semble aussi tout à fait essentiel d’associer davantage le monde industriel, en vue d’établir un programme spatial européen pleinement partagé par tous.

Ce dernier point me semble rejoindre la quatrième des conditions, puisqu’il s’agit d’aider l’industrie européenne et française à rester compétitive. Cela doit notamment passer, me semble-t-il, par les investissements d’avenir, qui permettent des financements ciblés répondant à des objectifs stratégiques partagés. D’ailleurs, même si nous devons conserver une politique spatiale française, car elle constitue l’élément moteur de la politique spatiale européenne, ces investissements devraient sans doute à terme être davantage portés par le budget de l’Union européenne.

La filière spatiale parvient bien souvent à réunir ce que l’on a trop tendance à séparer : les grands groupes industriels, les PME, les entreprises de taille intermédiaire et les laboratoires publics. En somme, elle réussit à réunir la recherche fondamentale et l’innovation appliquée à des besoins industriels. Vous êtes, je le sais, madame la ministre, aussi particulièrement sensible et attentive à de telles initiatives, que vous avez accompagnées sur le territoire grenoblois en particulier et dans l’Isère en général, comme je peux en témoigner pour être élu dans ce département.

C’est d’ailleurs en cette qualité que je me permets de citer l’exemple de l’entreprise Air Liquide, mondialement connue et dont le site isérois situé dans l’agglomération grenobloise est né, dans les années soixante, d’une collaboration avec le CNRS de Grenoble.

Par la conception d’oxygène et d’hydrogène liquides, Air Liquide a fourni, dès 1967, le ministère de la défense, puis le CNES. Depuis 1973, le site Air Liquide, en Isère, est étroitement lié à Ariane, puisque l’entreprise assure la propulsion des différents lanceurs.

Les technologies liées à l’hydrogène développées par Air Liquide, qui ont trouvé leurs origines dans la filière spatiale, permettent aujourd’hui des innovations remarquables. Ainsi, l’entreprise développe des véhicules électriques à l’hydrogène et a pour ambition de déployer une filière de l’hydro-énergie en Europe, s’affirmant ainsi comme un acteur clé de la transition énergétique.

Cet exemple est une nouvelle preuve que l’activité spatiale sait essaimer et contribuer au dynamisme de notre activité économique par la recherche et l’innovation qu’elle développe. Il montre aussi que c’est la collaboration entre le public et le privé qui crée l’innovation ; au bout du compte, c’est cette collaboration qui contribue et contribuera au redressement économique de notre pays. Tel est bien, madame le ministre, l’esprit du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi présenté par le Gouvernement, qui prévoit notamment le développement de trois CEA Tech en région.

Dans le spatial comme dans l’aéronautique, l’Europe a su se montrer exemplaire : en se fédérant autour d’objectifs partagés, elle est devenue compétitive et s’est affirmée comme un acteur incontournable dans le monde. Nos deux collègues Jean-Jacques Mirassou et Jean-Pierre Plancade, élus en Midi-Pyrénées, en savent quelque chose.

À l’heure où l’Europe est souvent sinon décriée, tout au moins critiquée, à l’heure où les États membres doivent faire face à un contexte économique et social difficile, la politique spatiale européenne nous montre combien il est indispensable de rester solidaires et d’aller encore plus loin dans le processus d’intégration européenne. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.

M. Michel Le Scouarnec. Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les corapporteurs, mes chers collègues, ce débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne tombe à point nommé, à la suite de la réunion des ministres chargés de l’espace des États membres de l’Agence spatiale européenne. Lors de cette réunion qui s’est tenue à Naples au mois de novembre dernier, les États engagés dans la réalisation de la politique spatiale européenne ont tenté de définir les axes et les contours de cette politique pour la décennie qui vient. Ils ont pris un certain nombre de décisions attendues tant par les acteurs de l’industrie spatiale que par les usagers, qu’ils soient institutionnels ou commerciaux.

En tant que parlementaires qui se préoccupent de la défense des intérêts nationaux, nous nous devons d’être attentifs à la politique menée par notre pays dans ce secteur crucial pour l’avenir de la planète tout entière. À cet égard, les enjeux de la réunion de Naples ont été très bien exposés dans l’excellent rapport que nos collègues Catherine Procaccia et Bruno Sido ont publié au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Dans ce rapport, qui justifie notre présent débat, nos collègues ont également fait d’utiles recommandations sur les perspectives du secteur spatial, dont la réunion de Naples a montré qu’il était à la croisée des chemins face aux nouveaux défis qu’il devrait relever au cours des dix prochaines années.

En effet, la situation a considérablement changé depuis la création de l’ESA, il y a maintenant près de quarante ans. De nouveaux acteurs, publics et privés, sont apparus et, avec eux, une concurrence qui s’exacerbe d’année en année. Ce sont aussi les modes de fonctionnement de l’Europe spatiale qui ont grandement évolué, en particulier depuis que le traité de Lisbonne, en 2009, a attribué à l’Union européenne une compétence dans ce domaine.

Ces données sont bien connues des spécialistes de la question, dont je ne suis pas, mais je les rappelle pour situer le contexte dans lequel évolue désormais l’Europe spatiale ; c’est notamment en fonction de ces données que doivent être prises les décisions lors des sommets européens consacrés à la politique spatiale.

Toutefois, d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte. Car si la politique spatiale européenne est aujourd’hui à la croisée des chemins, c’est que, fondamentalement, elle n’a pas trouvé l’équilibre entre la nécessaire réponse aux besoins humains, économiques et industriels et la recherche d’une rentabilité financière fondée sur la seule réduction des coûts de production.

Le conseil interministériel de l’ESA a tenté de définir les besoins de l’Europe en matière de lanceurs sur une décennie. De fait, l’Europe est confrontée à un questionnement qui doit déboucher sur des options décisives pour l’avenir : il lui faut soit se plier à une logique purement commerciale de marchandisation des lancements, soit considérer les moyens de lancement comme une dimension stratégique de sa politique spatiale. Aujourd’hui, on doit malheureusement constater que la recherche d’une rentabilité financière rapide prime la réponse aux besoins humains. À cet égard, la réunion de Naples a été tout à fait significative de l’état d’esprit actuel des responsables européens.

Pourtant, il faut bien que des décisions fortes soient prises au niveau européen pour préserver la capacité de l’Europe à assurer son accès à l’espace. Dans cette perspective, la question des lanceurs est déterminante. C’est la raison pour laquelle la conférence interministérielle de l’ESA s’était fixé comme objectif de définir les grands axes des architectures de lanceurs, notamment sous l’angle de la propulsion, et de réduire les coûts de lancement d’environ 20 % en diminuant de façon drastique les financements publics, ce qui conduit à se plier à une logique commerciale dans le cadre d’une concurrence exacerbée. Les choix technologiques sont alors opérés en fonction de cette seule logique.

Je relève avec satisfaction que, dans leur rapport, nos collègues Catherine Procaccia et Bruno Sido ont fait l’intéressante proposition d’instaurer dans le domaine spatial un principe de réciprocité avec nos partenaires non européens, afin de lutter contre la fermeture par certains d’entre eux de leur marché. Reste que la logique purement commerciale choisie par les responsables européens ne permettra pas d’inverser la tendance : il faudrait admettre qu’il est décisif pour l’Europe d’avoir recours à ses propres lanceurs pour assurer le maintien de son autonomie d’accès à l’espace.

Certes, en décidant le lancement du programme Ariane 6, l’ESA a fait le choix judicieux de remplacer les vieux Soyouz par une solution européenne. Toutefois, on peut estimer qu’elle n’a pas fait preuve de beaucoup de détermination, puisqu’elle a timidement limité à deux ans le développement d’Ariane 5 ME avec ses moteurs Vinci et Vulcain. Souhaitons que, lors de sa prochaine conférence interministérielle, prévue en 2014, l’ESA décide enfin de donner une suite positive à Ariane 6 et à Ariane 5 ME !

À l’arrière-plan de ces aspects économiques et technologiques se pose une question fondamentale : la nécessaire clarification de la gouvernance de la politique spatiale européenne. À ce sujet, le groupe CRC souscrit à la plupart des recommandations formulées dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. En particulier, il soutient la proposition d’établir un véritable programme spatial de l’Union européenne à l’horizon de dix ans, dans le cadre duquel l’ESA et les agences spatiales nationales seraient les interlocuteurs privilégiés de la Commission de Bruxelles.

Pour notre part, nous considérons qu’il est nécessaire, afin que l’Union européenne puisse retrouver une politique spatiale ambitieuse, que les agences reprennent la main sur les industriels privés et se dotent de règles de solidarité. Il faut également favoriser les rapprochements entre l’ESA et les agences nationales, afin d’améliorer leur coopération ; nous pourrons ainsi, conformément aux préconisations du rapport, éviter les doublons et mieux utiliser les compétences réparties sur l’ensemble du territoire européen.

Chez nous, il faut que le CNES retrouve son rôle de maître d’œuvre des programmes spatiaux et qu’il coopère plus étroitement avec l’ESA, dont le fonctionnement et les processus de prise de décision doivent être plus transparents ; il faudrait en particulier en rationaliser les règles de fonctionnement et établir une répartition plus équitable des retombées économiques pour chaque pays.

Pour ma part, j’estime qu’afin de pallier la diminution des investissements publics, il faut exiger des industriels du secteur une participation accrue des capitaux privés à la relance de la politique spatiale européenne. C’est une question primordiale pour assurer l’avenir commun de nos sociétés. C’est aussi une exigence de justice et d’intérêt général pour des entreprises qui ont largement fait profiter leurs actionnaires d’activités très rentables. Si les entreprises concernées n’acceptaient pas cette responsabilisation sociale, l’État devrait envisager d’entrer dans leur capital ; après tout, c’est bien ce qui s’est produit dans le secteur bancaire de certains pays qui ne sont pas forcément les moins libéraux !

S’agissant enfin de quelques questions plus précises, j’estime, compte tenu de la position que je viens de présenter, qu’il faut maintenir la part de l’État français dans le capital d’EADS, nous opposer fermement à l’acquisition de l’entreprise Avio par l’américain General Electric et favoriser sans ambiguïté l’engagement européen sur une gamme pérenne de lanceurs fondée sur Vega, Ariane 6 et Ariane 5 ME.

Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les observations que je souhaitais présenter, au nom du groupe CRC, sur la politique spatiale européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)