Mme Catherine Procaccia. Même celles qui maltraitent les enfants !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Nous portons un autre regard sur les familles, quelles qu’elles soient et quelles que soient leurs difficultés. (Mêmes mouvements.)

Autre engagement du Premier ministre : le reste à vivre des familles, notamment les plus précaires, devra être amélioré. Or les familles les plus précaires constituent un public très concerné par la protection de l’enfance.

À contre-courant ensuite de la réflexion que M. Bertrand Fragonard, le président du Haut Conseil de la famille, mène actuellement sur une réforme des prestations familiales.

À contre-courant également de la réaffirmation par le Gouvernement du droit pour l’enfant à maintenir des liens avec les adultes qui concourent à son éducation. Sécuriser les liens entre l’enfant et les adultes qui l’élèvent, tel est l’enjeu des travaux menés autour du droit de la famille.

À contre-courant enfin de l’abrogation de la loi Ciotti sur l’absentéisme, abrogation proposée et votée par la Haute Assemblée et adoptée par le Parlement le 17 janvier 2013. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Sido. Vous mélangez tout !

Mme Catherine Troendle. Cela n’a rien à voir !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que cela a à voir ! Il s’agit de rompre avec toute logique de stigmatisation des familles, en particulier des familles les plus précaires, c'est-à-dire celles qui sont visées par la présente proposition de loi. (Mmes Michelle Meunier, Catherine Tasca et Aline Archimbaud applaudissent.)

Troisièmement, quel est l’intérêt d’une telle loi pour l’enfant ?

Les juges prennent leur décision au cas par cas, au vu des éléments d’information dont ils disposent sur l’enfant et la situation de la famille. Le versement de la totalité des allocations familiales aux familles peut être considéré, selon les situations, comme une nécessité par les acteurs de proximité de la protection de l’enfance que sont les juges des enfants. Le bénéfice des allocations familiales permet aux parents de les aider à participer à la prise en charge morale et matérielle de leur enfant, de préserver l’équilibre souvent fragile de la famille et de favoriser le retour de l’enfant placé lorsque c’est possible.

Je le rappelle pour mémoire, seuls 5 % des enfants placés n’ont pas vocation à retourner dans leur famille. Pour les autres, le temps de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance doit permettre de préparer le retour au domicile familial.

Dans un rapport paru en 2010 et intitulé Précarité et protection des droits de l’enfant, la Défenseure des enfants formulait la recommandation suivante : « Garantir le maintien automatique des allocations familiales lorsque les parents sont en dessous d’un certain seuil de revenu afin que ce maintien ne soit pas laissé à la seule bonne volonté du juge et de la CAF et qu’ils puissent disposer de ressources suffisantes pour maintenir des liens lors des rencontres avec leurs enfants. » (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

La disposition de la proposition de loi introduisant une limitation au maintien du versement aux familles à hauteur de 35 % du montant des allocations familiales conduirait à fragiliser encore plus les parents concernés alors même qu’ils feraient des efforts reconnus comme tels par le juge pour assumer leur fonction parentale et éducative.

Enfin, un tel seuil maximal restreindrait le pouvoir d’appréciation du juge, qui est un véritable gardien de l’intérêt supérieur de l’enfant. Je le dis très clairement : ce pouvoir d’appréciation doit être maintenu dans toute sa plénitude.

Quatrièmement, quel est l’intérêt pour les familles ?

M. Bruno Sido. Il ne s’agit pas des familles : il s’agit de l’enfant !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Aujourd'hui, et cela devrait vous interpeller, l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, ou ATD Quart Monde, qui viennent d’horizons variés, sont très préoccupées par l’éventuelle adoption d’une telle proposition de loi.

Toutes ces organisations affirment : « C’est en aidant les parents et non en les sanctionnant, que l’on rend possible le retour de l’enfant chez lui dans de bonnes conditions. C’est en les accompagnant dans l’accès à leurs droits, que l’on contribuera à leur responsabilisation. »

M. Bruno Sido. N’importe quoi !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Monsieur Sido, pour avoir rencontré à de nombreuses reprises les associations qui composent l’UNAF, je puis témoigner de leur volonté de s’engager à nos côtés pour rompre avec la logique de stigmatisation des familles, quelles qu’elles soient, et soutenir la parentalité. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Christophe Béchu. Ce n’est pas le sujet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que si ! (Mais non ! sur les travées de l’UMP.) Vous parlez de moralisation et d’humanisme. Mais où est l’humanisme lorsque l’on enfonce encore un peu plus des familles en difficulté ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe écologiste. – Vives protestations sur les travées de l'UMP.)

Mme Catherine Procaccia. Et les enfants ?

M. Christophe Béchu. C’est invraisemblable !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Eh bien, oui, nous avons des conceptions différentes ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de laisser Mme la ministre s’exprimer.

Mme Catherine Troendle. C’est elle qui nous pose des questions !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lorsqu’un enfant est confié au service de l’ASE par un magistrat au titre de l’assistance éducative, les parents conservent l’autorité parentale. Le placement est, sauf exception, temporaire. Le conseil général n’assume la charge de l’enfant ni en permanence ni dans son intégralité. Les parents demeurent allocataires pour l’ouverture du droit aux prestations familiales. La loi ne reconnaît à l’ASE que la qualité d’attributaire, au motif que celle-ci assume partiellement la charge financière de l’enfant.

Contrairement à ce que vous semblez supposer, le maintien ou la suppression des allocations familiales n’ont pas vocation à gratifier les bons parents et à punir les mauvais.

M. Christophe Béchu. Je n’ai jamais dit cela !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il n’y a pas de bons ou de mauvais parents !

M. Bruno Sido. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il y a des parents qui sont confrontés à des difficultés, dont certaines sont très importantes. Je ne vois pas en quoi le fait de les sanctionner une nouvelle fois les aidera, ou aidera leurs enfants.

Cinquièmement, quel est l’intérêt pour les départements ?

Monsieur Béchu, j’aimerais savoir pourquoi vous contestez le chiffre auquel vous avez fait référence. La confiscation…

Mme Catherine Procaccia. La confiscation ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … des allocations d’une famille de deux enfants ne rapporterait effectivement que 1 524 euros au conseil général, quand le placement d’un enfant lui coûte 34 000 euros par an.

Nous le savons, le conseil général est, ô combien, en première ligne pour faire face à la précarité de nombreuses familles. Par conséquent, avec un tel dispositif, ce que vous allez gagner d’un côté, vous allez le perdre de l’autre !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les familles qui se retrouveront dans une difficulté financière supplémentaire devront se retourner vers les services sociaux de la commune ou du département.

Très honnêtement, je pense qu’une telle proposition de loi n’apporte de réponse satisfaisante ni aux enfants, ni aux parents, ni aux familles, ni aux départements. La seule réponse satisfaisante qui puisse être apportée à ces situations complexes est une réforme de fond de la protection de l’enfance.

Mme Catherine Troendle. Vous noyez le sujet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’espère pouvoir engager et mener ce travail avec l’ensemble des membres du Sénat. On ne peut pas se satisfaire de voir tant d’enfants sortis temporairement de leur famille errer de familles d’accueil en foyers.

M. Bruno Sido. Ils ne sont pas en errance !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que si, monsieur le sénateur !

M. Bruno Sido. Certains enfants restent vingt ans dans une même famille !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si nous pouvons mener cette réforme à bien, ce sont les enfants, les familles et les départements qui y gagneront.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le comprendrez, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi, qui n’ajoute rien, mais qui enlève beaucoup : l’égale considération de toutes les familles ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe écologiste.)

Mme Catherine Troendle. Le Président de la République était pour !

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit deux mesures : d’une part, lorsqu’un enfant est placé auprès des services d’aide à l’enfance, le juge peut décider du maintien partiel des allocations familiales à hauteur de 35 % maximum de leur montant ; d’autre part, l’allocation de rentrée scolaire est automatiquement versée au service d’aide à l’enfance.

Rappelons qu’actuellement les allocations familiales sont versées au service d’aide à l’enfance sauf si le juge décide de leur maintien intégral lorsque la famille de l’enfant « participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer » et que l’allocation de rentrée scolaire est versée à la famille.

La première mesure prévue dans la proposition de loi irait à l’encontre de l’objectif qui est de favoriser le retour de l’enfant dans sa famille lorsque la situation le permet. L’article L. 228-1 du code de l’action sociale et des familles maintient aux parents l’obligation d’entretien et d’éducation de leurs enfants même confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance. Je tiens également à rappeler que seuls 20 % des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance le sont pour cause de mauvais traitements. Pour ces enfants, il y a clairement consensus entre nous. Mais il faut aussi considérer les quatre-vingts autres pour cent !

Certaines situations imposent aux familles des frais importants, qui peuvent parfois dépasser le montant des allocations dues au titre de l’enfant placé, par exemple lorsque le lieu d’accueil de l’enfant est très éloigné du foyer familial ou lorsque les contraintes fixées pour les rencontres avec l’enfant entraînent une perte de revenus professionnels.

Confisquer les allocations, c’est fragiliser la famille, confisquer leur statut aux parents, compromettre parfois le paiement du loyer, le transport pour les visites, la possibilité de nourrir les enfants quand ils les reçoivent le week-end. (Mme Catherine Procaccia proteste.) Rappelons en effet que 80 % des enfants placés viennent de familles en grande précarité économique.

Le conseil général devra alors subventionner les déplacements pour les droits de visite. Qu’en sera-t-il pour les droits d’hébergement si les parents n’ont pas de quoi nourrir les enfants ?

Quand un enfant est retiré à sa famille en raison de l’insalubrité du logement, ce qui est fréquent, le retour de l’enfant ne peut s’envisager sans une augmentation du budget familial consacré au logement. Dès lors, la perte des allocations rend cet objectif impossible à atteindre.

Quatre-vingt-quinze pour cent des enfants placés ont vocation à revenir dans leur famille. C’est en aidant les parents, et non en les sanctionnant, que l’on rend possible ce retour dans de bonnes conditions. C’est en les accompagnant dans l’accès à leurs droits que l’on contribuera à leur responsabilisation, le cas échéant en leur proposant un accompagnement pour la gestion de leur budget dans l’intérêt de l’enfant.

Il convient également de s’interroger sur l’article 2 de la proposition de loi, qui ne laisse aucune possibilité d’appréciation au juge des enfants pour réserver un montant, même minime, d’allocation permettant aux parents de participer de manière concrète à l’événement crucial que représente dans la vie de la famille la rentrée scolaire.

Quelle que soit la situation de la famille et quelle que soit l’appréciation du juge des enfants, en aucun cas l’allocation de rentrée scolaire ne pourra être mobilisée pour permettre aux parents de manifester concrètement à leurs enfants l’importance qu’ils attachent à leur rentrée scolaire. L’éviction des parents est complète.

Alors que le maintien d’un montant même très limité d’allocation pourrait servir d’outil de dialogue et de contrôle permettant aux services sociaux d’accompagner et de soutenir les familles désireuses de remplir leurs devoirs et de manifester concrètement et visiblement leur intérêt pour le travail de leurs enfants, cette proposition met en place un mécanisme automatique, faisant de la rentrée scolaire des enfants bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative l’affaire exclusive de l’administration départementale, ce qui met en cause l’équilibre et la cohérence de l’organisation actuelle de l’action sociale en faveur de l’enfance et de la famille.

La préparation de la rentrée scolaire, chacun le reconnaît, constitue un moment privilégié et structurant des relations familiales : on ne doit précisément pas déposséder à ce moment les parents des moyens qui leur sont donnés par la législation actuelle.

La rédaction proposée est également dangereuse, car dans le cas où le retour de l’enfant au foyer précède de peu la rentrée scolaire, les délais administratifs pour le rétablissement des droits de la famille peuvent conduire à une rupture ou à un retard du versement, aggravant la plaie que représentent pour les foyers vulnérables les ruptures dans le service des prestations et l’incertitude sur leur montant.

M. Bruno Sido. Arguties !

Mme Aline Archimbaud. Plus pragmatiquement, à en croire certains acteurs et certaines associations, la demande des familles lorsque le juge a pris la décision du placement est celle d’un accompagnement approprié et d’un suivi nécessaire pour reconstituer la cohésion familiale de façon à pouvoir, au plus tôt, accueillir de nouveau leurs enfants et construire, avec eux, leur avenir.

En conclusion, chers collègues, je suis désemparée et consternée par certains raisonnements que j’ai entendus au cours des débats préparatoires en commission des affaires sociales. Je suis choquée par les propos moralisateurs de ceux qui prétendent éduquer les familles par la sanction brutale !

Mme Catherine Deroche, rapporteur. Cela n’a jamais été dit comme ça !

Mme Aline Archimbaud. De quelles familles s’agit-il ? Il s’agit de celles qui sont les plus fragilisées, « cassées » par la vie. C’est au contraire en les accompagnant, sans complaisance, mais en leur laissant la possibilité de garder des liens avec leurs enfants, qu’on s’en sortira.

Oui, il faut utiliser l’argent public avec rigueur, nous sommes là pour y veiller ! Oui, il faudra lors du débat sur la nouvelle loi de décentralisation trouver des mesures pour financer les collectivités locales, qui sont pour certaines d’entre elles en grave difficulté !

Non, nous n’acceptons pas ce discours moralisateur de stigmatisation des plus pauvres dans ce pays ! C’est la raison pour laquelle le groupe écologiste votera contre cette proposition de loi en l’état et demande qu’un travail soit rapidement engagé pour réfléchir à autre dispositif. (Mme Michelle Meunier et Mme la présidente de la commission des affaires sociales applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.

M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à qui doit être versée la part correspondante d’allocations familiales quand un enfant est retiré à sa famille sur décision de justice et confié au service de la protection de l’enfance d’un département ? L’objet central de la proposition de loi déposée par nos collègues Christophe Béchu et Catherine Deroche est de répondre à cette question simple.

Pourquoi se poser une telle question sous-jacente à des situations qui ne sont pas nouvelles, qui sont humainement douloureuses et pour lesquelles des règles sont déjà fixées ? Parce que l’application de ces règles interpelle aujourd’hui beaucoup de celles et de ceux, professionnels, familles, témoins, qui vivent ces situations.

L’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale répond pourtant clairement à la question : « Les allocations sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant. […]

« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, les allocations familiales continuent d’être évaluées en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance. La part des allocations familiales dues à la famille pour cet enfant est versée à ce service. »

M. Bruno Sido. Voilà !

M. Yves Daudigny. Ainsi, le code de la sécurité sociale affirme bien le principe selon lequel, lorsqu’un enfant est confié à un service de l’aide sociale à l’enfance, la part d’allocations familiales due à la famille pour cet enfant est versée à ce service.

M. Yves Daudigny. Mais le même article L. 521-2 du code de la sécurité sociale ajoute : « Toutefois, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, à la suite d’une mesure prise en application des articles 375-3 et 375-5 du code civil ou des articles 15, 16, 16 bis et 28 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, de maintenir le versement des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer. »

Madame la ministre, mes chers collègues, j’ose – j’ose, dis-je – exprimer devant vous cette idée que naissent de fortes incompréhensions lorsqu’une famille à qui le juge a retiré un ou plusieurs enfants continue de bénéficier du versement de la totalité – ce mot est important – des allocations familiales liées à cet enfant ou à ces enfants.

Mme Isabelle Debré. Vous avez raison !

M. Ronan Kerdraon. Très bien !

M. Yves Daudigny. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ose porter à cette tribune le sentiment d’iniquité de nombreux présidents de conseil général,…

M. Gérard Roche. Très bien !

M. Yves Daudigny. … responsables moralement, matériellement et donc financièrement d’enfants qui leur sont confiés sans que soit versée au département la moindre part – je dis bien la moindre part – d’allocations.

M. Yves Daudigny. À ces situations évoquées, la proposition de loi telle qu’elle a été amendée apporte les évolutions attendues, et ce dans le respect des grands principes qui fondent notre système de protection de l’enfance : le service d’aide sociale à l’enfance, qui a la charge effective de l’enfant, recevra en toutes circonstances au moins une part de 65 % du montant des allocations familiales ; le droit de saisine d’office du juge est maintenu – c’est essentiel – et pourra porter sur une part n’excédant pas 35 % du montant total de l’allocation ; l’allocation de rentrée scolaire sera versée au département, qui supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation de l’enfant.

Je précise encore que, aux termes de l’article L. 541-3 du code de la sécurité sociale, « les dispositions de l’article L. 521-2 » – qui prévoit donc que les allocations sont versées à la personne qui assume la charge effective et permanente de l’enfant – « sont applicables à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ».

Ces propositions, madame la ministre, mes chers collègues, donneront une meilleure cohérence et faciliteront la compréhension de nos dispositifs sociaux.

J’ai entendu les accusations de stigmatisation ou de double peine pour les familles. Mais l’acte fort, l’acte qui tranche, ne serait-ce pas la décision du juge de retirer l’enfant de sa famille, et seulement cette décision ? Que cet acte soit suivi d’un accompagnement et non d’un abandon de la famille est une exigence non niée et mise en œuvre par les services sociaux départementaux.

Quant aux allocations familiales, elles doivent – c’est bien leur objet – permettre de subvenir aux besoins des enfants pour qui elles sont versées. Elles ne sauraient avoir vocation à « faire vivre » – j’ai entendu cette expression – des adultes déchargés de la prise en charge de leurs enfants.

La grande pauvreté, les précarités extrêmes sont un autre sujet sur lequel notre société, je le dis avec force, avec les outils adéquats, doit totalement se mobiliser, car il y va, et nous sommes, je le pense, d’accord sur ce point, de l’honneur de la République et de la réalité du contrat social de notre pays.

M. Ronan Kerdraon. Très bien !

M. Yves Daudigny. Ces propositions répondent à un enjeu d’équité. Équité entre les familles du point de vue éducatif : comment peut-il être expliqué à des parents qu’ils doivent assumer la charge de leurs enfants grâce à ces prestations si, dans le même temps, d’autres parents n’assumant pas cette charge effective continuent à bénéficier du versement de la totalité du montant des mêmes prestations ?

Mme Isabelle Debré. C’est une évidence !

M. Yves Daudigny. Équité encore, parce que le service d’aide sociale à l’enfance n’est pas une abstraction : il tire ses ressources des contributions des habitants et de l’ensemble des familles du département.

M. Ronan Kerdraon. Bonne démonstration !

M. Yves Daudigny. Quelle est la justification de demander à ceux-ci de compenser le versement d’allocations qui échappent à leur objet ?

Ces propositions maintiennent la possibilité donnée au juge de décider le versement partiel des allocations familiales aux parents d’enfants confiés au département dès lors qu’un projet éducatif donne du sens à cette situation : hébergements, visites, participation active des parents en vue du retour des enfants à leur domicile et à leur charge.

Qu’il me soit simplement permis à cet instant de verser à la réflexion les résultats d’une enquête réalisée en février 2013 auprès de 400 anciens enfants placés et qui a été publiée dans Le Journal de l’action sociale et du développement social. Si la majorité de ces anciens enfants placés affirme que le placement les a sauvés, ils sont 62 % à dénoncer les « ruptures » – ballotages de foyer en foyer – et surtout 43 % à déclarer avoir souffert du maintien à tout prix des liens avec leurs parents. Je ne veux rien démontrer ; il n’existe pas dans ce domaine comme dans d’autres de vérité absolue.

M. Yves Daudigny. Ces propositions peuvent être complétées, dans le cadre d’un amendement que j’ai déposé, par l’instauration d’une période d’observation de trois mois de nature à éviter une déstabilisation de la famille et permettant d’amorcer, pour certaines situations, un retour rapide de l’enfant ou des enfants.

Madame la ministre, chers collègues, le principe est simple – « les prestations familiales doivent permettre de subvenir aux besoins des enfants pour qui elles sont versées » – et les objectifs sont la cohérence et l’équité. Le sujet n’est pas de donner aux départements quelques ressources complémentaires, même si elles sont justifiées, il n’est pas non plus de sanctionner, il relève d’une meilleure justice sociale.

M. Yves Daudigny. Et qu’une meilleure justice sociale contribue à une meilleure justice en matière de ressources pour les départements concernés donne force à la proposition de loi !

Que soit donc souligné à cet instant l’engagement des départements, chefs de file de la protection de l’enfance, dans ces missions de prévention, de lutte contre la maltraitance, de prise en charge des enfants en difficulté, en danger ou susceptibles de le devenir.

Les enjeux financiers ne doivent jamais être écartés. Mais la dimension humaine, le signalement donné d’un enfant en danger transcendent toutes les autres approches.

Président de conseil général moi-même, je ne l’ai oublié à aucune seconde de mon temps d’appui à cette proposition de loi. Mais je n’ai jamais écarté non plus une autre idée forte : c’est dans la cohérence, la rigueur, la justice des dispositifs que notre système de protection sociale trouvera les leviers pour se maintenir et se renforcer dans une société où les moyens de la solidarité seront de plus en difficiles à mobiliser.

Le groupe socialiste, majoritairement, a décidé d’apporter son appui à cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC, du RDSE, de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes amenés à débattre aujourd’hui présente déjà un historique certain, fait de revirements multiples, qui en disent long sur les difficultés qu’elle soulève.

De quoi s’agit-il au juste ? Il convient d’autoriser le juge à opérer un partage des allocations familiales entre la famille et le conseil général lorsque l’un des enfants qui ouvre droit au bénéfice de ces allocations est confié, durablement ou temporairement, au service de l’aide sociale à l’enfance.

De fait, la proposition de loi soulève deux questions que nous ne pouvons ni éluder ni contourner : quelle conception nous faisons-nous des prestations dont il est question ? Quelle est la réalité des situations économiques, financières et humaines des familles qui bénéficient aujourd’hui de ces allocations ?

En la matière, nous sommes plutôt constants. Les allocations familiales ne sont pas assimilées à des compléments de ressources et ne doivent pas l’être.

L’objet des allocations familiales n’est pas de lutter contre la pauvreté, mais d’encourager la natalité en France. Concevoir autrement la finalité de ces allocations, accepter que l’on puisse les considérer comme une prestation sociale et non comme une prestation familiale pourrait conduire, à terme, à accepter les projets qui mûrissent ici ou là visant à réserver les allocations familiales aux familles les plus modestes. À celles et ceux qui pourraient d’ailleurs être tentés par la proposition de soumettre les allocations familiales à des conditions de ressources, je dirai que, ce faisant, ils confondent politique familiale et politique fiscale. La question n’est pas de savoir s’il faut rompre avec l’universalité de cette prestation, mais de trouver les moyens de nous doter d’une politique fiscale plus juste et plus solidaire.

Pour notre part, nous considérons que chaque enfant est une chance pour notre pays, on le voit notamment par comparaison avec l’Allemagne. Par conséquent, tous les enfants, indépendamment de la richesse de leurs parents, doivent pouvoir bénéficier des allocations familiales. C’est d’ailleurs à dessein que j’utilise cette formule, car, en application de la portée universelle de ces allocations, nous considérons que ce ne sont pas les parents qui en bénéficient mais les enfants.

Confiées aux parents, qui assument les dépenses courantes pour les enfants, les allocations familiales n’en demeurent pas moins assises sur les besoins des enfants. Elles sont destinées à permettre leur épanouissement et à financer les frais liés à leur éducation et à leur développement.

Cela étant dit, faut-il, en cas de placement de l’enfant à un service d’aide sociale, que les allocations familiales suivent, en quelque sorte, l’enfant ? La question se pose effectivement, et le législateur y a partiellement répondu puisque l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale dispose déjà que le juge peut décider de transférer ou non aux départements la totalité des allocations familiales attribuées à l’enfant qui fait l’objet d’un accueil par les services de l’ASE.

Ce qui pourrait changer, comme le proposaient d’ailleurs Yves Daudigny et plusieurs de ses collègues dans la proposition de loi qu’ils avaient déposée puis retirée, c’est la faculté offerte aux juges d’opérer un partage de ces allocations, ce partage devant être effectué, cela va de soi, dans l’intérêt de l’enfant. C’est pourquoi nous sommes attachés au fait que le juge puisse disposer, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, de la faculté de se saisir d’office. C’est à lui qu’il appartient de juger, dans les faits, quelles sont les mesures à prendre pour préserver les intérêts légitimes de l’enfant.

Mon avis est que le retrait total ou d’une partie trop importante de ces prestations pourrait avoir un effet contre-productif, retardant ou empêchant le retour de l’enfant dans sa famille, ce qui, à mon sens, doit rester un objectif dès lors que le placement n’a pas pour origine des faits de maltraitance commis à son encontre.

Pour autant, malgré la réaffirmation de principe sur la finalité des allocations familiales, nous ne savons que trop qu’une telle mesure, si elle n’est pas accompagnée d’autres dispositions permettant de lutter plus efficacement que ce n’est le cas aujourd’hui contre la précarité, aura des effets désastreux et amplifiera la paupérisation de certaines familles. C’est pourquoi nous pensons que le partage de ces allocations entre le département et la famille est plus de nature à permettre à cette dernière d’accueillir correctement l’enfant, les week-ends par exemple.

Cela n’empêche pas que des mesures significatives et rapides, plus ambitieuses que celles qui ont été dévoilées à l’issue de la conférence nationale contre la pauvreté doivent être prises. Car, voyez-vous, mes chers collègues de l’opposition, ce ne sont pas les parents qui dénaturent les allocations familiales en les transformant en compléments de ressources indispensables pour survivre, même quand l’enfant est confié à l’ASE. C’est le chômage de masse, ce sont les fins de mois difficiles, les temps partiels contraints, les licenciements boursiers, c’est tout cela qui transforme les allocations familiales en une prestation sociale.

Il faudrait également que l’État s’engage, en lien avec les départements, dans l’élaboration de mesures d’accompagnement afin que les parents les plus en difficulté ne perdent pas espoir de pouvoir, le plus tôt possible et dans les meilleures conditions, accueillir de nouveau leurs enfants.

Madame la ministre, en ce sens, nos préoccupations se rejoignent, même si nous n’avons pas, sur cette proposition de loi, la même analyse finale. Vous avez tenu un discours d’engagement qui vous honore mais qui, au regard de ce que j’ai dit, nous inquiète un peu. En vous écoutant, je n’ai pas retrouvé la distinction très marquée entre le caractère familial de cette prestation et le caractère social que d’autres revêtent. Je crains que cela ne prépare en réalité une réduction du champ des allocations familiales en direction des familles les plus vulnérables, ce qui serait une nouvelle rupture avec les principes qui guident notre système depuis leur définition par le Conseil national de la résistance.

La feuille de mission confiée au Haut Conseil de la famille ainsi qu’au Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie nous inquiète tout autant. Ce débat a, me semble-t-il, engendré plus de confusion sur la nature des allocations familiales qu’il n’a apporté d’éclaircissements. (Applaudissements sur diverses travées.)