compte rendu intégral

Présidence de M. Charles Guené

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Commission mixte paritaire

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

3

Organisme extraparlementaire

M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître le nom d’un sénateur pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux, institué par l’article 43 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, en remplacement de notre collègue René Vestri, décédé.

Conformément à l’article 9 du règlement du Sénat, la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a été saisie.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge
Discussion générale (suite)

Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance

Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge, présentée par M. Christophe Béchu, Mme Catherine Deroche et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 640 [2011-2012], texte de la commission n° 431, rapport n° 430).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Christophe Béchu, coauteur de la proposition de loi.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge
Article 1er

M. Christophe Béchu, coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est saisi d’une proposition de loi simple, avec seulement deux articles, visant à moraliser un dispositif social, à partir d’une idée simple elle aussi : les allocations étant faites pour les enfants et non pour les parents, c’est donc celui qui s’en occupe qui doit les toucher.

La proposition de loi contient un arrière-plan, à savoir l’aide sociale à l’enfant, l’ASE, et s’inscrit dans un contexte, celui des difficultés financières des départements. Toutefois, je le dis d’emblée, ce texte n’est ni une refondation de l’ASE – il n’en a ni l’ambition ni les moyens – ni une réponse au rapport de la Cour des comptes, qui, le mois dernier, constatait la situation intenable des départements du fait de la progression des dépenses sociales.

La proposition de loi repose sur une réalité : dans notre pays, un peu moins de 150 000 enfants sont placés dans des services de l’aide sociale à l’enfance, gérés par les conseils généraux. Pour ces enfants, les départements prennent le relais des familles et assument, en lieu et place des parents, l’ensemble des responsabilités et des frais liés à l’exercice de la parentalité. Les conseils généraux paient ainsi les établissements et les familles d’accueil qui les reçoivent, financent les frais de scolarité, de déplacement, les activités culturelles ou sportives, les vêtements, la cantine, etc. Pourtant, alors que les familles biologiques n’ont plus aucune charge, celles-ci continuent, dans leur immense majorité – 85 % à 90 % des cas –, de percevoir la totalité des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire.

Alors qu’un texte prévoyait, logiquement, le versement des allocations familiales aux collectivités après le retrait, sur décision de justice, d’un enfant de sa famille, les exceptions imaginées sont devenues la règle et le principe établi à l’origine n’est plus appliqué qu’à la marge.

Quant à l’allocation de rentrée scolaire, jamais aucun texte n’a prévu que l’absence de charge effective devait entraîner l’absence de versement de cette allocation.

Sachant que les placements sont le plus souvent motivés par des faits de maltraitance, de carence ou de négligence, avec ce qu’ils impliquent de violences et de traumatismes, on peut affirmer que ce n’est pas seulement la loi qui est contournée, c’est son esprit qui est bafoué.

M. Christophe Béchu. La proposition de loi vise donc simplement à revenir à l’esprit de la loi de 1986. Que les choses soient claires : elle n’est pas une idée de l’ADF, l’Association des départements de France, elle n’est pas une demande de la part de la direction des finances. Elle est issue du terrain et, plus précisément, des familles d’accueil de mon département.

Tous les ans, le conseil général du Maine-et-Loire organise une journée de questions-réponses avec les 500 assistants familiaux du département. En 2010, une femme a pris la parole pour me demander si je trouvais normal que la famille biologique des enfants dont elle a la charge continue de toucher les allocations familiales et l’allocation de rentrée scolaire. Sa question a provoqué un tonnerre d’applaudissements.

C’est cet événement qui m’a conduit à me pencher sur cette question, à la creuser, à essayer de comprendre, à recevoir, à consulter. J’ai alors mis à profit, pour nourrir ma réflexion, les contacts que j’ai noués avec les acteurs de la protection de l’enfance que j’ai rencontrés depuis le début de mon mandat de conseiller général en 2004 et plus encore pendant les trois ans durant lesquels j’ai exercé la présidence du groupement d’intérêt public « Enfance en danger » et celle du 119.

Que les choses soient claires également : la proposition de loi n’est pas un texte partisan. Il s’agit d’un texte de bon sens, ayant reçu le soutien unanime du bureau de l’Association des départements de France.

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Christophe Béchu. Il a également reçu le soutien du Président de la République le 22 octobre dernier lors de la réception par celui-ci des présidents de conseil général. Lorsque Claudy Lebreton avait indiqué que ce texte constituait une attente des départements, François Hollande avait en réponse fait part de sa bienveillance sur le sujet.

Cette bienveillance s’est poursuivie en conférence des présidents à travers les propos du ministre chargé des relations avec le Parlement.

Dans la continuité de ces échanges, pour aplanir d’éventuelles difficultés pouvant subsister, Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi, et moi-même avions même accepté de retirer notre texte de l’ordre du jour de novembre dernier afin que notre collègue Yves Daudigny puisse en déposer un sur le même sujet, mais des ennuis techniques et des problèmes de calendrier ont empêché l’examen de sa proposition de loi.

Mme Catherine Troendle. Comme c’est élégamment dit ! (Sourires.)

M. Christophe Béchu. C’est la raison pour laquelle ce texte nous revient aujourd’hui seulement. Toutefois, ces détours et ce retard ont été utiles, car le travail sénatorial aura grandement contribué à bonifier le texte initial et à renforcer la volonté qu’il exprimait. Les amendements de Mme la rapporteur, comme ceux d’Yves Daudigny, ont permis d’élaborer un texte équilibré, rétablissant le bon sens tout en étant profondément humaniste en laissant une part des allocations familiales aux familles.

Ce texte de bon sens fait pourtant l’objet de quelques critiques ou objections, auxquelles je veux préventivement répondre.

J’entends dire que c’est un bon texte, mais qu’il faudrait une loi plus vaste.

Mes chers collègues, vous le savez, le mieux est parfois l’ennemi du bien. Une réforme de l’aide sociale à l’enfance nécessite du temps, de la concertation et de la méthode. Une telle tâche nécessiterait des années de travail. Certains d’entre vous se souviennent du délai de maturation de la loi du 5 mars 2007, du travail préalable que son adoption avait nécessité de la part de Philippe Bas, devenu depuis notre collègue. Chacun sait que si ce texte avait alors été adopté à l’unanimité, c’est parce que le temps de la concertation avait été pris en amont.

Plus fondamentalement, même si certains jugent souhaitable une refondation de l’aide sociale à l’enfance, ce n’est pas une raison pour fermer les yeux sur la situation actuelle. Nous avons un problème simple : l’esprit de la loi de 1986 n’est pas respecté. Nous y apportons une réponse simple : la présente proposition de loi et ses deux articles.

Certains veulent davantage ? Je suis prêt à y travailler, mais cela ne doit pas être une excuse pour ne rien faire.

J’entends dire que nous allons précariser les familles.

Mes chers collègues, comme vous, je respecte le combat, que j’admire, des associations familiales et des associations agissant aux côtés des plus fragiles, mais cet argument ne tient pas. Il est infamant et faux.

Il est infamant, parce que la maltraitance, la négligence ou la carence sont parfois le fait de familles n’ayant pas de problèmes financiers.

Il est faux, parce qu’il n’y a précarisation que si l’équilibre d’un budget est menacé. Or il ne s’agit pas de réduire les ressources de familles continuant de payer des charges. En pareil cas, oui, il y aurait précarisation ! Telle est d’ailleurs la raison de mes réticences personnelles concernant le texte d’Éric Ciotti, lequel a récemment été abrogé. Ce texte avait cet inconvénient : il conduisait à précariser les familles en cas d’absentéisme scolaire, alors même que les charges de ces familles restaient les mêmes.

Le texte que nous vous soumettons aujourd'hui ne repose absolument pas sur cette philosophie. Il prévoit juste que, dès lors qu’il y a absence de charges, il est logique qu’il y ait une absence de ressources.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Christophe Béchu. Je veux dire à ceux qui avancent cet argument qu’il y a une grande hypocrisie dans notre droit positif. En effet, un enfant n’est pas toujours placé auprès des services du conseil général. Il peut être placé auprès d’un tiers digne de confiance. Dans ce cas, le transfert de 100 % du montant des allocations familiales est automatique.

En droit, la situation est donc aujourd'hui la suivante : lorsque des enfants sont confiés à une personne physique, le transfert des allocations est automatique ; en revanche, s’ils sont confiés au conseil général, on considère que les contribuables ou la collectivité doivent en assumer la charge. On n’en tire pas toutes les conséquences.

J’entends dire que le transfert automatique serait un problème pour les juges.

C’était vrai dans la version initiale du texte. Mea Culpa ! Mais les amendements adoptés, le travail effectué en commission, notamment sur le fondement de la proposition de loi de M. Daudigny, ainsi que par Mme la rapporteur, ont porté leurs fruits. Aujourd'hui, un large consensus républicain se dégage sur ce point. Cette difficulté a été gommée. Le pouvoir du juge est préservé et l’esprit global de la loi et le bon sens sont respectés.

J’entends dire que ce texte serait une erreur économique.

Pour certaines associations familiales, « transférer automatiquement les allocations familiales au conseil général est une erreur économique. La charge financière pour les départements sera d’autant plus lourde si la séparation de l’enfant de sa famille se prolonge. Pour exemple : la confiscation des allocations d’une famille de deux enfants ne rapporterait que 1 524 euros au conseil général alors que le “placement” d’un enfant lui coûte 34 000 euros par an. »

S’il est séduisant intellectuellement, ce raisonnement est totalement faux.

Je ne veux pas, à travers ce texte, me livrer à la stigmatisation ou à la généralisation. C’est sur la base des témoignages que j’ai recueillis auprès des familles d’accueil et des travailleurs sociaux sur le terrain que je peux vous dire que, dans de nombreux cas, le système actuel produit l’effet inverse à celui escompté.

Certaines familles ne sont pas pressées de récupérer leurs enfants, car elles se trouvent dans une situation financière plus confortable qu’auparavant. Parfois, fonder le maintien des allocations familiales sur la parentalité biologique revient à s’appuyer sur une fiction. Je pense, notamment, aux cas de maltraitance, d’abus ou d’inceste. Il me semble que ce constat fait l’objet d’un large consensus.

Pour qu’un juge prenne la décision de placer un enfant, les carences dont ce dernier souffre doivent être particulièrement importantes. Je vous le rappelle, mes chers collègues, cette décision ne se prend pas sous l’autorité des présidents de département. Il faut que les faits soient suffisamment lourds et qu’ils aient été étayés par des rapports établis par les travailleurs sociaux. Tout cela ne se fait pas sur un coin de table, dans le bureau du juge.

Il y a également de nombreux cas d’enfants retirés à leurs parents dès la maternité. On ne prend pas le risque de leur faire passer une seule journée auprès d’eux. Cela peut arriver dans des cas très particuliers, lorsque les deux parents sont lourdement handicapés, par exemple. De ce point de vue, il n’y a pas de lien à tirer entre le maintien ou la suspension du versement des allocations familiales et la durée de placement de l’enfant. Ce sont des champs totalement différents.

La proposition de loi, si elle était adoptée, donnera aux travailleurs sociaux et aux équipes chargées de ces sujets au sein de nos départements de nouveaux moyens pour mener des actions de prévention et de soutien à la parentalité. Nous avons en effet pris le soin de bâtir un texte qui ne s’applique qu’aux cas de placements judiciaires. Il ne concerne, en aucun cas, les placements administratifs.

Nous pouvons donc espérer recevoir plus de demandes de placement émanant des familles, qui, éprouvant la limite de leur autorité ou de leur capacité à intervenir, tireraient elles-mêmes la sonnette d’alarme. En faisant cette distinction, nous donnons des outils aux travailleurs sociaux sur le terrain, pour leur permettre d’affronter des réalités dont vous connaissez, comme moi, la complexité.

J’entends dire, enfin, que ce texte instaurerait une double peine.

Cet argument n’est pas recevable. Les allocations n’ont pas à compléter les revenus des parents, elles sont versées pour le bénéfice des enfants. Théoriquement, l’absence d’enfant devrait entraîner l’absence d’allocation.

J’observe que, même dans les situations dramatiques de familles qui ont l’immense douleur de perdre un enfant, les allocations familiales ne sont pas maintenues. Pour les cas de retrait et de disparition de charges, donc, la logique et le bon sens vont dans la même direction, et je ne reprendrai pas l’argument développé lorsque j’ai évoqué les tiers dignes de confiance.

Mes chers collègues, vous le voyez, tout converge pour que cette proposition de loi reçoive votre approbation.

Je dirai, pour terminer, que l’ambition des auteurs du présent texte n’est pas démesurée. Il ne s’agit ni d’une refondation de l’ASE ni d’une réponse budgétaire à la situation des conseils généraux. Il s’agit tout simplement d’une proposition de loi qui permettra de faire régner plus de justice et d’équité entre les familles et qui moralisera nos dispositifs d’aide sociale. Son adoption sera indolore pour les finances publiques, juste pour les familles et nécessaire pour les enfants. Elle permettra de rappeler que les allocations familiales doivent être consacrées aux enfants.

Si les réformes de bon sens, partagées par presque tous, ne sont pas réalisées, comment pourrons-nous faire la pédagogie des réformes les plus complexes ? C’est pourquoi je ne peux pas croire que, sur ce texte, nous ne puissions pas nous retrouver. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi et rapporteur.

Mme Catherine Deroche, coauteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui soulève la question du bénéficiaire des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance sur décision du juge.

C’est un sujet qui n’est pas nouveau. En effet, notre proposition de loi reprend deux amendements votés à l’unanimité par le Sénat lors de l’examen en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Ces amendements ont été supprimés par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, au motif qu’il s’agissait de cavaliers législatifs.

Directement concernés, les départements ont contribué à faire émerger ce sujet dans le débat public et alerté, d’une part, sur le dévoiement du principe, contenu dans la loi, s’appliquant aux allocations familiales, et, d’autre part, sur l’iniquité des dispositions régissant l’attribution de l’allocation de rentrée scolaire.

La première mesure de ce texte porte sur les modalités de versement des allocations familiales en cas de placement de l’enfant à l’ASE sur décision du juge.

Symboliquement et financièrement, les allocations familiales représentent la plus importante des prestations familiales. En application de l’article L. 521-2 du code de la sécurité sociale, elles sont attribuées à la personne qui assume « la charge effective et permanente de l’enfant ».

La loi du 6 janvier 1986, adoptée il y a bientôt trente ans, a complété cet article pour poser le principe selon lequel, lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, la part des allocations familiales dues au titre de cet enfant est versée à ce service. Ainsi, le législateur a voulu porter – très logiquement – au bénéfice du département une allocation correspondant pour partie à la charge qu’il supporte.

Le principe connaît cependant une adaptation possible : le juge des enfants peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, de maintenir cette part à la famille, lorsque « celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer ».

Or, dans la pratique, il apparaît que l’exception est devenue la règle.

M. Bruno Sido. Absolument !

Mme Catherine Deroche, rapporteur. En effet, dans la très grande majorité des cas, les parents continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales, alors même que l’un ou plusieurs de leurs enfants sont confiés à l’ASE.

Ce constat, qui émane principalement des départements, a été confirmé par les représentants des juges, même si, on peut le regretter, il n’existe pas de statistiques nationales permettant de chiffrer précisément ce phénomène. N’ayant le choix qu’entre retirer ou maintenir les allocations à la famille, le juge opte le plus souvent pour la seconde solution, si bien que le principe du versement à l’ASE n’est effectif que dans un nombre minoritaire de situations.

Il est effectif lorsque les faits à l’origine du placement sont graves, comme la maltraitance, par exemple. Dans un tel cas, rien ne peut en effet justifier le maintien des allocations à la famille.

Il l’est également lorsque le dialogue avec la famille est impossible : si les parents ne sont pas prêts à coopérer, le juge suspend – du moins dans un premier temps – le versement des allocations.

Il l’est encore lorsque le placement à l’ASE s’inscrit dans la durée : dans les cas de placement long, les chances de retour au foyer sont très faibles, il n’y a donc pas lieu de maintenir le versement des allocations aux parents.

Il l’est, enfin, lorsque le juge ne statue pas sur le versement des allocations familiales : dans ce dernier cas, celles-ci reviennent de droit à l’ASE, qui doit alors se manifester auprès de la caisse d’allocations familiales pour en être le bénéficiaire.

Cette situation n’est pas satisfaisante, et ce pour deux raisons.

Premièrement, le législateur ne peut admettre que la pratique ignore l’esprit de la loi, en l’occurrence celle de 1986.

Deuxièmement, sur le plan des principes, il est difficilement concevable que des familles qui n’assument plus la charge effective et permanente d’un enfant continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales, au même titre que les familles dont les enfants ne sont pas placés ; il s’agit d’une question de justice et d’équité.

Dès lors, la proposition de loi poursuit un double objectif : revenir à la volonté initiale du législateur – les allocations familiales doivent bénéficier à la personne, physique ou morale, qui assume la charge effective de l’enfant – et laisser la possibilité au juge de maintenir la part d’allocations dues au titre de l’enfant placé à la famille, tout en l’autorisant à la répartir entre celle-ci et l’ASE.

Dans cette perspective, la version initiale de l’article 1er apportait trois modifications au dispositif existant : elle supprimait la saisine d’office du juge ; elle permettait au juge, saisi par le président du conseil général, de se prononcer sur l’attribution des allocations au vu d’un rapport établi par le service de l’ASE ; elle l’autorisait à octroyer, totalement ou partiellement, les allocations à la famille.

J’en viens maintenant à la seconde mesure du texte, qui concerne l’allocation de rentrée scolaire.

Cette allocation, versée sous conditions de ressources, vise à compenser les frais spécifiques résultant de la rentrée scolaire, en particulier les frais de fournitures.

En l’état actuel du droit, lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, cette allocation continue d’être entièrement versée à la famille, et ce alors que le département supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation de cet enfant. Cette situation n’est pas, elle non plus, acceptable sur le plan de l’équité entre les familles. En effet, celle dont l’enfant est confié à l’ASE, et qui, par conséquent, n’a plus à financer les dépenses de fournitures scolaires, continue de bénéficier de l’allocation de rentrée scolaire au même titre que la famille assumant effectivement ces dépenses.

Pour mettre fin à cette incohérence, l’article 2 de la proposition de loi initiale insérait, dans le code de la sécurité sociale, le principe selon lequel l’allocation de rentrée scolaire due au titre d’un enfant placé à l’ASE est versée à ce service. Sur le modèle du régime d’attribution des allocations familiales, l’article prévoyait toutefois la possibilité pour le juge, sur saisine du président du conseil général, de maintenir totalement ou partiellement le versement de l’allocation de rentrée scolaire à la famille.

Sur ma proposition, notre commission a apporté trois importantes modifications de fond au texte initial.

En premier lieu, elle a rétabli la saisine d’office du juge. En effet, la question du maintien ou non des allocations à la famille est une conséquence directe de la décision de placement judiciaire, dont il est logique que le juge puisse se saisir d’office. Les allocations familiales constituent un instrument de politique judiciaire indispensable au travail de pédagogie que le juge mène avec les parents, dans le but de remédier à leurs défaillances et de permettre, si les conditions sont réunies, un retour de l’enfant dans sa famille.

En deuxième lieu, afin que le rétablissement de la saisine d’office du juge ne perpétue pas la pratique actuelle du maintien quasi systématique du versement des allocations à la famille, le texte issu de nos travaux précise que ce maintien ne pourra être que partiel. Dès lors, le juge devra répartir le montant de ces allocations entre la famille et l’ASE. À ce titre, il est proposé que la part versée aux parents n’excède pas 35 %.

J’insiste sur le fait que ce dispositif de répartition des allocations entre la famille et l’ASE – un tiers pour la première, deux tiers pour la seconde – constitue une solution équilibrée entre, d’une part, le souci de ne pas pénaliser les familles et, d’autre part, la volonté de reconnaître la charge que supportent les services départementaux, charges qui étaient, jusqu’ici, assumées par les familles.

En outre, la possibilité pour le juge de moduler la part attribuée aux parents présente un double avantage.

Tout d’abord, elle lui permettra d’ajuster sa décision aux situations individuelles, en lieu et place de la règle actuelle du « tout ou rien ». Le juge aura donc davantage de souplesse. À l’occasion du réexamen d’un dossier, il pourra, par exemple, faire évoluer cette part en fonction des progrès accomplis.

Ensuite, elle rendra le dispositif plus incitatif vis-à-vis des parents puisque, en cas de retour de l’enfant dans sa famille, ceux-ci retrouveront l’entier bénéfice des allocations familiales.

En troisième lieu, je rappelle que le principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire à l’ASE a été approuvé par les représentants des juges que nous avons auditionnés : « L’allocation de rentrée scolaire vise un objectif précis : le financement des fournitures scolaires lors de la rentrée des classes. Il est logique que cette dépense, si elle est assurée par l’ASE, lui soit versée. »

Contrairement aux allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire ne constitue pas, pour les juges, un outil de négociation avec les parents. Il n’y a donc pas lieu que ceux-ci interviennent dans le processus d’attribution de l’allocation ; ils n’en sont d’ailleurs pas demandeurs. C’est pourquoi la commission a supprimé les dispositions de l’article 2 prévoyant pour l’allocation de rentrée scolaire des modalités d’intervention du juge analogues à celles qui sont prévues pour les allocations familiales.

Au final, la proposition de loi, telle que modifiée par notre commission, apporte une réponse équilibrée à la question du bénéficiaire des allocations familiales en cas de placement de l’enfant. Elle réaffirme la volonté initiale du législateur, améliore la pratique des juges en leur permettant de moduler le versement de ces allocations et restaure l’équité entre les familles. Quant à l’allocation de rentrée scolaire, elle pose un principe qui n’est guère contestable au regard de cette même équité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai lu la proposition de loi et écouté l’intervention de M. Béchu avec beaucoup d’attention.

Il faut toujours se méfier de ce qu’on appelle communément le « bon sens ». Pour des enfants confrontés à des difficultés de vie et sortis de leur famille, c’est la complexité qui prévaut ; aucune situation ne ressemble à une autre. Je ne suis donc pas certaine que le « bon sens » soit le meilleur conseiller en la matière.

Je souhaite formuler plusieurs remarques sur ce texte.

Premièrement, une loi doit être utile. J’aimerais donc vous poser un certain nombre de questions au regard du droit actuel, mesdames, messieurs les sénateurs.

Dans le droit actuel, en cas de placement de plus d’un mois d’un mineur en famille d’accueil ou en établissement, le principe est déjà le versement des allocations familiales au service de l’ASE auquel le mineur est confié. Les parents d’un enfant pris en charge dans ce cadre restent tenus envers lui aux obligations prévues aux articles 203 à 211 du code civil, s’agissant notamment de l’obligation alimentaire.

Dans le droit actuel, et depuis la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, de ne pas verser les allocations familiales au service de l’ASE lorsque la famille participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans sa famille. Les caisses n’ont donc plus de pouvoir d’interprétation sur ce sujet et sont tenues d’appliquer la décision du juge.

Dans le droit actuel, et c’est particulièrement important, le juge peut donc décider le maintien du versement des allocations familiales à la famille, en considérant notamment que c’est de nature à favoriser le retour de l’enfant dans sa famille. Or, nous le savons, la grande majorité de ces enfants ont précisément vocation à retourner dans leur famille, et non à en être retirés.

Je vous pose donc la question : quel est l’intérêt d’une nouvelle loi au regard du droit existant ?

Deuxièmement, la proposition de loi est à contre-courant de tous les efforts que le Gouvernement entreprend actuellement. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

À contre-courant d’abord de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui s’est tenue le 11 décembre 2012. À cette occasion, le Premier ministre a pris des engagements forts : aucune famille ne devra être stigmatisée. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)