M. le président. La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, de l’UDI-UC et du RDSE.)

M. Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Jean-Pierre Bel de présider cette séance. Sa présence m’honore, d’autant que je sais l’importance qu’il accorde à cette journée du 27 mai au regard de son histoire personnelle. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

Je salue tout particulièrement M. Jean-Jacques Mirassou, Haut-Garonnais, auteur de cette proposition de loi, ainsi que M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales sur le texte.

Permettez-moi de débuter mon intervention par l’évocation d’une rencontre récente. Voilà quelques mois, à la fin de l’année 2012, j’étais à El Alamein, pour le soixante-dixième anniversaire de cette bataille qui fut l’un des tournants de la Seconde Guerre mondiale.

À cette occasion, j’ai eu le privilège d’être accompagné d’un ancien combattant de la France Libre, ancien de Bir Hakeim, El Alamein, de Provence et des Ardennes.

Cet homme, qui fut lui-même un héros, qui avait connu la guerre dans les engagements les plus durs, tenait un des discours les plus élogieux que j’ai pu entendre à l’égard des résistants. À ses yeux, ces femmes et ces hommes étaient mus par un sens du devoir hors du commun.

J’ai été marqué par ses mots, que je vous restitue de mémoire : Les combattants de l’ombre, quel que soit leur rang, quelle que soit leur tâche, constamment pourchassés par l’occupant et ses affidés, avaient ceci de propre qu’ils ne connaissaient jamais le repos et mettaient en péril leur vie et celle de leurs proches à toute heure du jour et de la nuit, ce qui n’était pas le cas pour le soldat que j’étais. Cette reconnaissance m’avait touché de la part d’un homme qui a lui-même marqué l’histoire de notre pays.

Des figures aussi héroïques, vous en connaissez, nous en connaissons. Je citerai Robert Chambeiron, qui participa à la réunion du 27 mai 1943 et qui est aujourd’hui le président d’honneur de l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance, l’ancien Office national des anciens combattants, et Daniel Cordier, le secrétaire particulier de Jean Moulin, qui faisait le guet devant le 48, rue du Four ce même jour si déterminant et avec lequel j’ai récemment inauguré le musée de la Résistance de Lyon ; je fus frappé par la modestie de son héroïsme, à l’instar des autres grands résistants. Il est donc tout naturel, et nécessaire, de rendre hommage à ces femmes et à ces hommes.

Je souhaite, et c’est la volonté du Gouvernement, que l’année 2013 soit précisément l’occasion de rendre hommage à tous ceux qui s’organisaient, à tous les niveaux de la société, pour résister face à l’ennemi et lutter contre l’idéologie nazie, la barbarie, la collaboration.

C’est pourquoi, cette année, le soixante-dixième anniversaire de la création du Conseil national de la Résistance doit être l’occasion d’une reconnaissance nationale et du lancement d’un cycle commémoratif qui se terminera le 8 mai 2015.

Autour des figures de la Résistance, au cours de l’un des anniversaires permettant encore de mettre en avant une mémoire de chair, avant que la mémoire de pierre ne prenne malheureusement le relais, nous célébrerons le tournant majeur dans l’histoire de France qui s’opéra le 27 mai 1943.

L’année 2013 sera une occasion unique de mettre ou de remettre à l’honneur ces héros, figures connues ou anonymes, auxquels nous devons la liberté dont nous jouissons aujourd’hui.

Ces dernières semaines furent marquées par les disparitions de grands résistants. Permettez-moi d’en citer quelques-uns : Denise Vernay, Françoise Seligmann, Alain Plantey, Robert Galley, Stéphane Hessel. Rappeler leur engagement et leur combat est un devoir pour nous tous. Ces résistants rejoignent, hélas ! la longue cohorte des héros disparus, dont Pierre Brossolette, que je ne veux pas oublier.

Le général de Gaulle disait : « La flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre […] » C’est aussi à cet appel que répond cette proposition de loi, en son article 1er, qui institue une journée nationale de la Résistance.

Parmi les résistants, des hommes se réunirent pour créer le 27 mai 1943 – cela vient d’être souligné – le Conseil national de la Résistance. Ils rassemblèrent autour d’eux l’ensemble des forces vives de la nation ; ce travail doit être rappelé.

Huit grands mouvements de résistance, six partis couvrant l’ensemble du spectre politique et deux syndicats unirent ainsi leurs forces. Ensemble, ils parvinrent à structurer et à donner son élan final non seulement à l’entreprise de libération du territoire, mais aussi à la préparation de la reconstruction du pays.

L’adoption du programme du CNR le 15 mars 1944 allait inspirer l’essentiel des lois votées après-guerre, lesquelles structurent encore le fonctionnement de notre société et en font une spécificité.

Ce rassemblement national, unique dans notre histoire, doit pleinement intégrer notre mémoire collective.

En cette journée du 27 mai, les valeurs de solidarité, de justice, de fraternité, de démocratie, de courage et de combat, qui sont celles de la Résistance, seront mises à l’honneur. La mémoire des femmes et des hommes qui portèrent au plus haut ces valeurs, le payant parfois de leur vie, toujours au prix de la douleur, sera rappelée aux Français.

Un hommage sera également rendu à la diversité de tous ces résistants qui, d’origine étrangère, se mobilisèrent pour la France. Je ne les citerai pas tous, mais souvenons-nous de Manouchian et des résistants de « L’Affiche rouge », fusillés au Mont-Valérien parce qu’ils étaient étrangers et résistants. Ils doivent être une référence pour notre jeunesse qui s’interroge.

La transmission de la mémoire est l’un des défis majeurs auxquels nous sommes confrontés. Or ce sont les jeunes générations qui seront demain les porteurs de mémoire.

Une mémoire partagée est aussi créatrice de lien social ; elle éveille les consciences, elle construit l’identité citoyenne, elle favorise la cohésion nationale.

C’est précisément le sens de l’article 3 de la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui, qui pointe spécifiquement cet effort en direction de la jeunesse.

L’organisation de temps de débats et d’enseignements sur la Résistance dans les établissements scolaires permettra de donner un nouveau souffle à l’acte commémoratif, en y intégrant avec force la dimension transgénérationnelle et pédagogique. Je tiens à saluer les professeurs qui transmettent déjà, sans attendre qu’une décision soit prise sur cette histoire de la Résistance.

À cet égard, le texte qui vous est proposé – et c’est un point essentiel pour le Gouvernement – laisse aux enseignants toute liberté pédagogique sur l’organisation de ces actions éducatives.

La proposition de loi, telle qu’elle vous est présentée aujourd’hui, a donc le plein soutien du Gouvernement.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier pour l’organisation de ce débat, et votre participation atteste de l’importance que vous accordez à ce travail de mémoire.

Je ne suis pas pour une mémoire éteinte, je suis pour une mémoire vivante, une mémoire qui honore et qui permette d’avancer vers plus de tolérance, de respect, de liberté, sans jamais subir la résignation.

Je conclurai en vous disant que, dans le rôle qui est le mien, la rencontre de ces femmes et de ces hommes encore vivants qui honorent de leur présence, de leur engagement, notre mémoire collective m’a appris plusieurs choses : ce sont des personnes modestes, qui respectent l’autre, qui ont oublié la haine et qui, malgré leur engagement, leurs douleurs et leurs souffrances, honorent ce que doit être, à mes yeux, l’idée d’une République et d’une mémoire apaisées. (Bravo ! et applaudissements.)

M. le président. Merci pour vos propos, monsieur le ministre.

La parole est à M. Bernard Fournier.

M. Bernard Fournier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui tend à instaurer une journée nationale dédiée à la mémoire des résistants de la Seconde Guerre mondiale et des victimes de la déportation. Elle bénéficie du soutien de nombreuses associations d’anciens combattants et d’amis de la Résistance.

Sur le fond, ce texte ne peut qu’emporter mon approbation, puisqu’il vise à rendre hommage à des hommes et à des femmes qui se sont battus, allant parfois jusqu’au sacrifice suprême pour libérer notre pays de la barbarie nazie et défendre les valeurs fondamentales de la République : la liberté, l’égalité et la fraternité. Ils étaient peu nombreux, à cette époque, à risquer leur vie pour la France et pour les idéaux auxquels ils croyaient. Souvent jeunes, ils étaient la France et ils ont fait la France !

Faisant fi de leurs différences culturelles, religieuses, sociales ou politiques, unissant leur courage, ils se sont rassemblés – mouvements de résistance, syndicats, partis – autour de Jean Moulin et sous l’autorité du général de Gaulle, pour faire triompher un idéal qui les dépassait. Ils étaient animés par le refus de la défaite, de la résignation et de la collaboration. Ils luttaient pour l’unité de notre Nation en regroupant toutes leurs forces pour la libération et la création d’un ordre social plus juste.

Ces valeurs sont intemporelles et universelles pour tous les hommes qui croient en la liberté, la justice et la solidarité. Le programme économique et social élaboré par le Conseil national de la Résistance pour définir la politique de notre pays au lendemain de la Libération exerce encore – faut-il le rappeler ? – une influence considérable dans notre société d’aujourd’hui.

Fruit d’opinions et d’idéologies très diverses, parfois opposées, ce texte est un très bel exemple de ce que des femmes et des hommes déterminés, portés par une cause à leurs yeux plus grande que leur propre personne, peuvent faire de mieux. Ce programme, dont notre modèle social est issu, a permis en partie à notre pays exsangue en 1945 de ne pas se déchirer, de se relever et d’espérer à nouveau. Il a posé les fondements de notre république sociale, notamment avec la mise en place de la sécurité sociale,…

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !

M. Bernard Fournier. … et, ne l’oublions pas – ce rappel a déjà été formulé –, il a inspiré le préambule de la constitution de 1946.

Le legs immense de ces résistants appartient à tous les Français. Il ne doit pas disparaître, il ne doit pas s’effacer de nos mémoires.

Alors que seuls 23 des 1 038 compagnons de la Libération sont encore en vie, il est de notre devoir de transmettre cet héritage aux générations futures, de léguer les valeurs de la Résistance et, à travers elles, l’esprit d’indépendance et de liberté qu’elles traduisent. Il est de notre devoir de rendre hommage à l’armée des ombres. (M. le ministre délégué acquiesce.)

Disons-le, la présente proposition de loi a une portée plus pédagogique et incitative que contraignante.

La journée du 27 mai, commémorant la première réunion du CNR, laquelle s’est tenue à deux pas du Sénat, au premier étage du 48, rue du Four, ne sera ni fériée ni chômée. Je m’en réjouis car, si j’approuve ce texte, je considère que nous devons prendre garde à ne plus alourdir le calendrier commémoratif qui a connu, ces dernières années, une multiplication des journées d’hommage ou de mémoire.

Mes chers collègues, je vous rappelle que, depuis 1999, nous avons instauré sept nouvelles commémorations : le 10 mai, journée commémorative de l’abolition de l’esclavage ; le 8 juin, journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » en Indochine ; le 18 juin, journée nationale commémorative de l’appel du général de Gaulle ; le dimanche le plus proche du 16 juillet, journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et hommage aux « Justes de France » ; le 25 septembre, journée nationale d’hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives ; le 5 décembre, journée nationale d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

M. Alain Néri. Et le 19 mars ?

M. Bernard Fournier. Sans oublier le 19 mars, que nous avons institué très récemment et qui vient tout juste d’être célébré : peut-être n’était-il pas nécessaire de le rappeler de nouveau. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Si !

M. François Rebsamen. D’autant qu’il y avait beaucoup de monde à ces cérémonies !

M. Bernard Fournier. Quoi qu’il en soit, j’ai bien précisé que sept dates avaient été instituées, au nombre desquelles figure le 19 mars.

M. Alain Néri. Merci de cette précision !

M. Bernard Fournier. En tout, notre calendrier compte treize journées officielles. Attention à ne pas en abuser : la multiplication de ces événements risquerait de réduire leur solennité et la portée de leur message.

Le texte amendé par la commission des affaires sociales et soumis à notre examen est meilleur que la rédaction initiale de la proposition de loi, trop vague pour ce qui concerne l’organisation concrète des travaux éducatifs prévus à l’article 3. De plus, il apporte une définition plus précise et moins contraignante du déroulement de cette journée d’anniversaire, en précisant que les seuls établissements d’enseignement du second degré sont concernés. Ces derniers sont désormais « invités » à organiser cette journée : il ne s’agit donc pas d’une injonction.

Les programmes scolaires seront moins bouleversés que dans la première version, et le champ étudié mieux défini.

Enfin, j’approuve la suppression du terme « Déportation », qui était trop large et non qualifiant. Il aurait pu susciter de nombreuses ambiguïtés, puisque l’histoire nous a malheureusement appris que ce système de répression et de persécution n’a pas été employé par le seul régime nazi.

Ainsi rédigée, cette proposition de loi ne peut faire l’objet d’aucune polémique. Aussi, je souhaite qu’elle soit adoptée. Le groupe UMP votera ce texte à la quasi-unanimité. Je profite de cette occasion pour rendre un vibrant hommage à la Résistance française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi nous invite à instaurer une journée nationale de la Résistance le 27 mai, date anniversaire de la création du Conseil national de la Résistance.

Le groupe CRC défend cette mesure depuis de nombreuses années. Je me permets de vous renvoyer à la proposition de loi déposée le 28 octobre 2007 par notre collègue Guy Fischer, qui allait déjà dans ce sens. Nos collègues députés du groupe GDR ont du reste déposé un texte identique en octobre 2012.

Plus largement, il s’agit d’une demande récurrente des associations de résistants et d’anciens combattants.

Pourquoi commémorer la Résistance en une journée spécifique, alors même que d’autres anniversaires permettent de l’évoquer et de l’honorer, comme le 18 juin ou encore le 8 mai, date de l’armistice ?

À nos yeux, célébrer le souvenir du 27 mai 1943 constitue une démarche unique à la portée spécifique, témoignant de la volonté de reconnaître l’apport inestimable de la Résistance à la libération du pays et à sa reconstruction, tout en honorant les valeurs mêmes incarnées par les résistants.

Reconnaissons-le, cette démarche est bien différente de la politique engagée par le précédent gouvernement, qui, tendant à confondre toutes les guerres et tous les hommes, ne permettait en conséquence pas d’exercer dans de bonnes conditions le devoir de mémoire, en particulier auprès des jeunes générations.

La date du 27 mai, marquant le début du processus politique de libération du pays, est la seule à faire l’unanimité. Elle symbolise en effet non seulement l’unification de la Résistance, mais également la volonté de libérer la France par une participation active du peuple français à travers les Forces françaises de l’intérieur.

C’est le 27 mai 1943 que la Résistance, unifiée sous la houlette de Jean Moulin, a exprimé la volonté de trouver, dans sa diversité, le chemin d’une unité patriotique tendant vers un idéal commun. Tels sont le sens et la portée de cette journée.

Avec ce texte, il s’agit évidemment de ne jamais oublier celles et ceux qui ont fait, au péril de leur vie, le choix de la liberté et de la dignité. Par leur engagement, ces femmes et ces hommes ont permis d’offrir un avenir à leurs concitoyennes et leurs concitoyens, c'est-à-dire à nous tous.

Si chacune et chacun d’entre eux mérite certes un hommage pour leurs qualités personnelles inestimables, c’est également la force du collectif que nous honorons. En effet, cette période de notre histoire nous enseigne la leçon suivante : aucune destinée personnelle ne peut s’extraire d’une construction collective partagée.

J’irai même plus loin : par leur engagement, les résistants ont traduit le principe simple en vertu duquel « l’avenir des hommes appartient d’abord aux hommes eux-mêmes » En organisant la résistance de l’intérieur, ils ont contribué à l’existence de la France dans l’après-guerre, au rétablissement de sa souveraineté et de sa dignité, permettant de faire échec aux velléités anglo-américaines de mise en place d’une administration militaire alliée.

Toutefois, au-delà des hommes, et parce que le 27 mai est le jour de la naissance du CNR, honorer cette date c’est également célébrer la vivacité de ce programme qui tendait au relèvement de la Nation.

Ainsi, selon l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, le programme du Conseil national de la Résistance a « permis de jeter les bases d’un nouveau contrat social à l’ambition révolutionnaire, qui fonde encore aujourd’hui notre République. La modernité du programme du Conseil national de la Résistance demeure entière. »

Oui, le programme du CNR a constitué le socle de notre modèle social, que le précédent gouvernement s’est acharné à démanteler. Nous gardons tous en mémoire les déclarations de Denis Kessler, numéro 2 du MEDEF, affirmant qu’il fallait « défaire méthodiquement le programme du CNR ».

Une telle offensive avait suscité l’émoi des résistants, qui, le 8 mars 2004, avaient appelé « les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. […]Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? », s’interrogeaient-ils.

Ils ajoutaient : « Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. » Parmi les signataires de cet appel figurait Stéphane Hessel, auquel la République a rendu un bel hommage, voilà un mois.

Ces hommes et ces femmes avaient raison, et leurs paroles résonnent encore : au nom de quel dogme devrait-on aujourd’hui sacrifier les principes qui ont guidé l’élaboration du programme du CNR « Les jours heureux » ?

À l’heure où nos sociétés sont frappées d’une grave crise économique, morale, sociale et financière, et qu’une forme de fatalisme et de résignation paralyse notre pensée, nous devons plus que jamais rester vigilants.

La tentation de la haine et de l’exclusion prospère sur le terreau de la misère et du renoncement. Elle se nourrit du sentiment que donnent parfois les femmes et les hommes politiques, à savoir celui d’une incapacité à agir concrètement pour l’amélioration des conditions de vie de chacun. Or la seule perspective collective ne peut être le renoncement.

En effet, donner l’impression d’une impuissance à susciter des avancées collectives revient, hélas ! à engendrer des comportements antirépublicains. C’est à l’heure même où le collectif n’existe plus comme vecteur d’émancipation pour toutes et tous que s’ouvre la boîte de Pandore.

En gardant cette mise en garde à l’esprit, permettez-moi de vous lire quelques passages de ce programme, adopté le 15 mars 1944, et qui avait réussi à créer l’unité nationale.

Ce texte appelait à « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale, impliquant l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie », et garantissant « le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l’amélioration du régime contractuel du travail ».

Parallèlement, il anticipait « le retour à la nation des grands moyens de production monopolisée, fruits du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des compagnies d’assurances et des grandes banques » et prônait « une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ».

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !

Mme Isabelle Pasquet. C’est à l’aune de ces principes fondamentaux de notre République que l’action des pouvoirs publics doit, aujourd’hui encore, être évaluée.

Pour l’ensemble de ces raisons, il est important que la date du 27 mai 1943 demeure comme un repère parmi les commémorations officielles.

Mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous rendrons un bel hommage à Stéphane Hessel, qui a consacré une grande partie de sa vie à entretenir la flamme de la Résistance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du RDSE. – MM. Jean Boyer et André Gattolin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.

M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans deux mois, la France inscrira dans sa mémoire une date marquée par l’engagement d’un homme exceptionnel : Jean Moulin.

Les combattants de l’époque, ceux qui ont eu le courage de briser le silence de la résignation, dans une France alors vaincue, soumise et humiliée, deviennent rares – chaque jour, des paupières se ferment, car le temps a fait son chemin et a touché les plus résistants au combat de la guerre dans un autre combat : le combat sur soi-même, c'est-à-dire le combat de la vie. Même diminués, ils ont gardé un idéal précieux pour avoir porté, parfois dans le silence et le risque, les couleurs d’une France résignée mais où certains avaient gardé l’espérance du retour à la liberté.

Aujourd’hui, notre pays est en paix. Il lui revient d’apprécier à sa juste valeur cette situation et à nous de reconnaître ce que nous devons à ceux qui ont contribué à la belle victoire du 8 mai 1945. Nous ne devons pas les oublier !

Le 11 juillet dernier; j’ai eu l’honneur, cher président Jean-Pierre Bel, de vous représenter, ainsi que vous tous, mes chers collègues, à Vichy afin de célébrer les noms des quatre-vingts parlementaires qui avaient eu le courage de dire non à la résignation et à la défaite pour s’engager par un oui franc et massif à aider la France à retrouver la liberté par la victoire.

On doit à la vérité de dire qu’il est plus facile de s’engager aujourd'hui, notamment pour nous qui sommes réunis dans cet hémicycle républicain où s’exprime aussi la fraternité nationale. Nous pensons tous qu’à l’époque nous aurions été résistants – j’avoue que je fus de ceux-là –, mais le contexte d’alors, lourd de risques pour nos familles et nos villages, était autrement plus difficile que celui qu’avec le recul nous pouvons concevoir. Il est plus facile d’être résistant aujourd'hui qu’hier, quand Jean Moulin s’engageait, lui qui a été en plus un résistant de la première heure !

Cher Jean-Jacques Mirassou, vous n’étiez pas encore né et vos parents ne savaient pas que vous seriez le brillant élève que je vous sais avoir été, puis chirurgien-dentiste. (Sourires.) Ils savaient encore moins que vous seriez celui qui, devenu sénateur de Haute-Garonne, prendrait l’initiative de rendre ainsi hommage, au travers de ce Français exceptionnel, à ceux qui ne sont plus là comme à ceux qui restent encore. (Applaudissements.)

Mes chers amis, je suis un de vos aînés dans cette assemblée. Le 15 août 1944, j’avais sept ans, je gardais les vaches, avec ma maman et un petit copain. Sur le coup de onze heures, trois escadrilles parties de Provence pour rejoindre la Normandie ont semé des messages d’espérance. J’ai ramassé ces tracts, comme tous les enfants de ma génération. J’en connais encore les mots, que je vais vous dire de mémoire : « Les armées des Nations unies ont débarqué dans le Midi. Leur but est de chasser l’ennemi et d’effectuer une jonction avec les forces alliées, les forces de Normandie. Les forces françaises participeront à cette opération, à côté de nos frères d’armes, sur mer, sur terre et dans les airs. La victoire est certaine ! Vive l’âme de la France et tout ce qu’elle représente ! »

En écoutant ce message, j’en suis sûr, vous êtes comme moi émus, mais aussi fiers d’honorer Jean Moulin, dont l’action a déterminé le choix de cette date du 27 mai qui doit rassembler la France.

Le 10 juillet 1940, dans une ville d’Auvergne, une partie des élus de la République avait semé l’espoir. Quelques semaines avant, le plus glorieux des Français du XXe siècle, Charles de Gaulle, avait condamné le défaitisme. Avant de s’associer au grand résistant qu’a été Jean Moulin, il avait lui aussi fait germer l’espérance sur les antennes de Radio Londres.

Le Général de Gaulle était à Londres, mais un jeune Français, patriote exceptionnel, âgé alors de quarante-quatre ans, refusait la soumission à l’ennemi, dans l’exercice de ses responsabilités administratives. Le 21 juin 1943, victime d’une ignoble trahison, il était fait prisonnier à Caluire, puis déporté, meurtri par les méchancetés humaines. Le 8 juillet 1943, entre Metz et Francfort, il décédait dans le train qui l’emmenait à la déportation.

Jean Moulin : un prénom et un nom simples qui forcent le respect et méritent la reconnaissance permanente de la France !

Oui, nous devons parler au nom de cette France que nous aimons, porteuse des richesses de l’idéal, de la solidarité et de la fraternité. Jean Moulin a accepté les risques, a mis sa vie en danger, a subi des souffrances psychologiques et physiques exceptionnelles. Aujourd’hui, nous n’avons pas le moindre mérite. L’hommage que nous lui devons doit être exceptionnel, à la mesure de son engagement.

Aujourd’hui, la France doit être rassemblée dans le cadre de l’action à la fois antiterroriste et humanitaire qu’elle mène au Mali ; c’est cela aussi la force d’un grand pays.

En 1943, elle avait peur. Aujourd’hui, ses enfants et ses petits-enfants, comme les derniers survivants de cette époque, doivent la reconnaissance à ceux qui ont permis de retrouver le premier mot de la trilogie qui forme notre devise : liberté !

Chers amis, certains moments forts doivent nous trouver unis. Nous vivons un de ces moments alors que nous instituons la journée nationale de la Résistance. Je ne vous surprendrai donc pas en vous disant que mes collègues du groupe UDI-UC voteront des deux mains cette proposition de loi ! (Bravo ! et applaudissements.)