M. Jean Bizet. … tout simplement parce que des alertes précoces, médiatiquement incontrôlées, ont été lancées dans la nature et se sont avérées infondées, les germes incriminés n’étant pas au rendez-vous. Vous l’aurez deviné, il s’agissait d’une laiterie fabriquant du camembert de Normandie…

Je vous renvoie également à la fameuse crise du « concombre espagnol », causée en fait par la bactérie escherichia coli émanant d’une graine germée qui n’était pas d’origine espagnole. Cette affaire, qui a malheureusement entraîné un certain nombre de décès, a provoqué une destruction importante, pendant plusieurs mois, de la production légumière espagnole, fragilisant l’ensemble de la filière.

Nous sommes bien évidemment favorables, dans le domaine public, à une redéfinition des procédures d’expertise face aux risques émergents, car celles qui sont en place ne sont plus adaptées, et à une harmonisation des pratiques en matière d’expertise et d’exigences des comités déontologiques des différentes agences, pour qu’ils définissent en commun ce que pourrait être une future charte de l’expertise.

De plus, nous le savons bien, nos entreprises ont besoin de davantage de lisibilité sur les obligations qui incombent aux employeurs en matière de procédures d’alerte et de veille, ainsi que d’une hiérarchisation des priorités en matière de santé publique et d’une meilleure exploitation des données provenant des nombreux réseaux sentinelles existants.

Nous souhaitons également rationaliser le fonctionnement des agences d’expertise existantes en évaluant leur action et en réfléchissant au regroupement des agences sanitaires actuelles en fonction de l’évolution de nos connaissances.

Je terminerai mon propos, que j’ai voulu le plus objectif possible, en posant une question qui me semble légitime : la création d’une nouvelle entité nous permet-t-elle d’avoir meilleure conscience face à l’opinion publique ? On est en droit de se poser la question. Comme je l’ai dit lors de l’examen de la proposition de loi en première lecture, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué la culture de l’alerte. C’est votre choix. Pour ma part, je préfère la culture de l’entreprise, mais j’ai le sentiment que nous n’en prenons pas le chemin.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP ne votera pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Gérard Longuet. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer le travail accompli par Mme Blandin, la mère biologique de la proposition de loi, par le rapporteur Ronan Dantec, son père adoptif (Sourires.),

M. Ronan Dantec, rapporteur. J’allais le dire ! (Nouveaux sourires.)

Mme Laurence Rossignol. … par Mme Archimbaud, son coparent en première lecture,…

M. Jean Bizet. Quelle famille !

Mme Laurence Rossignol. Et quelle belle famille !

M. Gérard Longuet. Rassurez-vous, mes chers collègues, seule la défaite est orpheline !

M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable. Et M. Longuet en sait quelque chose…

Mme Laurence Rossignol. … par le Sénat, l’Assemblée nationale, le Gouvernement et les acteurs associatifs.

En effet, le présent texte est le fruit d’un travail collectif visant à pallier les lacunes actuelles de notre système d’alerte et d’expertise.

Il aura fallu convaincre pour aboutir à cette nouvelle lecture et, je l’espère, à un vote conforme à celui de l’Assemblée nationale. De fait, les résistances à la transparence sont nombreuses, non tant au sein de cet hémicycle qu’à l’extérieur. Quoi qu’il en soit, la transparence est un enjeu démocratique, et, en tant que parlementaires, nous avons le devoir d’en garantir l’effectivité. À ce titre, nous ne pouvons que saluer ce texte, qui opère une réelle avancée démocratique.

Nos concitoyens sont lucides face aux risques émergents qui menacent leur santé, qu’il s’agisse de l’impact des ondes ou des produits chimiques, de la qualité de leur alimentation, de l’eau ou de l’air, sujets qui constituent autant de préoccupations quotidiennes. De plus, ils s’inquiètent de la source de ces risques et de la réactivité des autorités de contrôle, qui peut parfois sembler trop tardive.

L’amiante, le Mediator, les pilules de troisième et quatrième générations fournissent autant d’exemples à fort retentissement médiatique. Ces affaires, qui ne sont pas pour nous rassurer, soulèvent de nombreuses interrogations et mettent parfois au jour un échec de l’action publique.

Les craintes de nos concitoyens sont légitimes, quand bien même elles se révéleraient infondées.

C’est précisément parce que le danger est multiforme que nous nous sommes engagés sur le front de la modernisation de la gestion du risque et que nous avons pris le parti de considérer toutes les alertes. En protégeant les lanceurs d’alerte et en garantissant l’indépendance de l’expertise, cette proposition de loi contribue à mieux répondre aux risques émergents.

Assumer de manière transparente la gestion du risque, c’est résorber la peur que de nouveaux scandales aient lieu. Il nous faut tout à la fois prendre en compte les risques rationnels et la peur irrationnelle qu’ils engendrent.

À l’heure où les lobbies s’activent pour faire ratifier leurs choix par les politiques, le fait de rediscuter de l’expertise scientifique était avant tout un acte démocratique.

Une enquête réalisée en 2011 par un institut de sondages souligne que, s’ils font globalement confiance à la « Science », les Français expriment beaucoup de méfiance vis-à-vis des scientifiques dans des domaines sensibles comme le nucléaire, les nanotechnologies ou les OGM. Plus largement, une très large majorité d’entre eux estime être insuffisamment informée concernant les débats et les enjeux de la recherche. Bref, en dépit d’une large communication, les résultats obtenus sont, somme toute, plutôt mitigés.

Cela étant, débattre de l’expertise scientifique pourrait presque passer pour un oxymore : les mots « expert » et « scientifique » sont si souvent invoqués, précisément, pour clore le débat ! Cependant, chacun d’entre nous garde en mémoire des dossiers au sujet desquels l’expertise s’est tout d’abord montrée très arrogante, avant de se révéler très défaillante.

Nous – législateur et Gouvernement – sommes de plus en plus souvent sommés d’arbitrer des débats d’une grande technicité. Ces discussions nous laissent souvent fort perplexes et nous soumettent à une simple alternative entre, d’une part, l’aveuglement – la foi du charbonnier – et, de l’autre, l’obscurantisme.

Dans ce cadre, le principe de précaution est régulièrement mis en cause : ce dernier est très injustement soupçonné de freiner soit le développement scientifique et technologique, soit l’utilisation même des avancées qu’il permet.

Pourtant, à nos yeux, les avantages du principe de précaution l’emportent sur les conséquences, parfois néfastes, de l’enthousiasme débridé de ces cinquante dernières années en faveur de toute forme de progrès scientifique et technologique. En effet, avec les premiers retours d’expérience, on constate que la vigilance est essentielle, car, sur certains dossiers, le doute l’emportera encore longtemps sur les certitudes.

Par présomption, l’expertise serait nécessairement scientifique, donc objective, et la critique de cette dernière serait idéologique, donc subjective. Pour arbitrer conformément à l’intérêt général, nous nous tournons dès lors vers des experts et nous nous demandons souvent, durant les processus de réflexion, si l’expertise menée par ceux-ci est aussi indépendante qu’il est confortable de le croire.

Malheureusement, comme l’ont illustré plusieurs drames sanitaires et environnementaux, l’expertise scientifique souffre parfois d’un déficit d’indépendance et de pluralisme. De plus, les experts scientifiques ont, eux aussi, des convictions – c’est bien leur droit – et des partis-pris idéologiques.

Voilà pourquoi l’expertise doit également être contradictoire, dans la mesure où elle constitue rarement une activité neutre. Une expertise au service de l’intérêt général nécessite une vigilance soutenue, en amont comme en aval, et ce à tous les niveaux institutionnels.

Nous avons eu maintes fois l’occasion de découvrir que tel scientifique ou tel expert n’était pas sans liens tantôt avec l’industrie agroalimentaire, tantôt avec celle du pétrole, tantôt avec celle du tabac. La qualité d’expert scientifique ne suffit donc pas à prévenir tout conflit d’intérêts économiques.

Mes chers collègues, sur ce point, je me contenterai de citer le cas bien connu de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont la présidente a dû démissionner en raison de sa proximité avec l’entreprise Monsanto.

A contrario – l’anecdote est amusante –, c’est un simple étudiant, expert en rien, sinon en recherches obsessionnelles dans les bibliothèques, qui a permis de dévoiler le poids réel des lobbies dans la législation européenne : ce jeune homme a recensé des pans entiers de cette législation qui étaient tout simplement des copier-coller de rapports transmis par les lobbies !

Pour conserver ses propriétés éthiques, scientifiques et démocratiques, l’expertise doit être multidisciplinaire et pluraliste, et par conséquent composée de scientifiques issus d’horizons différents, ainsi que de représentants de la société civile. C’est ce que prévoit la proposition de loi, et je m’en réjouis.

La parcellisation des connaissances, la spécialisation des pratiques et la professionnalisation des disciplines ont disqualifié la compétence des simples « profanes » en hiérarchisant les savoirs. Toutefois, les citoyens ont un rôle essentiel à jouer dans le champ des controverses et des incertitudes.

Les lanceurs d’alerte ne sont pas des gêneurs ; ce sont des vigies que la complexité et la technicité de notre monde rendent indispensables. Ils peuvent se tromper, nous objectera-t-on ; sans doute, mais il en est de même des experts ! Or, parmi ces derniers, certains se sont trompés, rétractés, trompés de nouveau, ont parfois été discrédités avant d’être, en définitive, réhabilités. (Mme Évelyne Didier acquiesce.)

Les lanceurs d’alerte sont utiles et leur expertise, qui n’est pas toujours sanctionnée par des diplômes universitaires mais qui est souvent le fruit de leur observation, doit pouvoir être recueillie. S’ils avaient eu, par le passé, la place que leur garantit le présent texte, nous aurions sans doute gagné du temps sur certains dossiers et peut-être même épargné des vies.

Grâce au présent texte, nous donnons une réelle légitimité aux lanceurs d’alerte et nous leur garantissons la protection de l’État.

Aucune procédure ou institution ne nous placera totalement et durablement à l’abri des expertises erronées ou biaisées. Toutefois, nous avons la possibilité d’organiser l’expertise pour éviter qu’une décision ne soit prise dans l’ignorance ou en dissimulant d’autres points de vue.

À ce titre, je me permets de répondre à Jean Bizet.

Cher collègue, chacun d’entre nous éprouve les inquiétudes que vous avez évoquées il y a quelques instants : comment contrecarrer et étouffer des rumeurs dont l’impact économique pourrait se révéler désastreux ?

Néanmoins, à mon sens, la confiance nouvelle que nous sollicitons de nos concitoyens en faveur d’une expertise pluraliste et contradictoire doit précisément nous prémunir contre les rumeurs. L’origine de ces dernières est quelquefois incertaine ; il arrive même qu’elle provienne du monde économique lui-même !

Sans prétendre vous inviter à réviser votre vote, je souligne que le présent texte fait justement le pari de l’intelligence collective et de la lutte contre l’irrationnel. Il ne s’agit donc pas, comme vous semblez le suggérer, de laisser le pouvoir aux obscurantistes.

Avec cette proposition de loi, nous posons les jalons d’une belle évolution au service de la démocratie et du progrès scientifique, et nous permettons ainsi que se forgent, hors de la sphère marchande, des avancées scientifiques au service de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner aujourd’hui, pour la seconde fois, une proposition de loi dont l’examen a débuté ici même, il y a un peu plus de six mois. Ce texte utile a été déposé sur l’initiative de notre collègue Marie-Christine Blandin, et nous l’en remercions.

Bien entendu, nous n’avons pas changé d’avis depuis la première lecture. C’est pourquoi nous réaffirmons la nécessité de garantir l’indépendance, la transparence et la traçabilité de l’alerte en matière sanitaire ou environnementale. Parallèlement, nous réitérons le soutien des sénateurs du groupe CRC au présent texte.

À ce stade, la seule véritable question qui subsiste est la suivante : l’objectif affiché pourra-t-il être atteint ? En effet, la présente proposition de loi traduisait à l’origine une ambition forte, qui se trouve sensiblement amoindrie après son examen par l’Assemblée nationale, même si notre rapporteur, comme à son habitude, voit toujours les choses de manière positive. (Sourires.)

Tout d’abord, disons-le, grâce à ce texte, les lanceurs d’alerte disposeront enfin d’un statut juridiquement reconnu et protecteur, comme le prévoyait l’article 52 de la loi dite « Grenelle 1 », adoptée en 2009. C’est pourquoi je m’attendais à ce que la Haute Assemblée vote cette proposition de loi de manière unanime !

Toutefois, le mode de traitement de l’alerte au sein des entreprises a été sensiblement modifié au cours de la navette parlementaire.

Ainsi, plutôt que de créer une instance spécifique au sein des entreprises, destinée à gérer et à instruire les alertes prévues dans la version initiale de la proposition de loi, le Sénat avait préféré confier ces compétences aux CHSCT. À la réflexion, cette modification nous satisfaisait pleinement.

La rédaction adoptée par l’Assemblée nationale a remis en cause ce choix, en renvoyant la gestion de l’alerte à l’entreprise ou, à défaut, au représentant de l’État au sein du département. Dans ce dispositif, le CHSCT est simplement destinataire des informations. Cette modification n’est pas anodine.

La réécriture accomplie par l’Assemblée nationale a été justifiée par la faiblesse des moyens des CHSCT, qui ne leur permettrait pas de faire face à de nouvelles missions. À cet égard, je rappelle que nous avions déjà soulevé ce problème au sein de cet hémicycle, en appelant précisément à un renforcement de ces moyens.

Par ailleurs, il a été souligné que la responsabilité de la gestion de l’alerte devait avant tout incomber à l’entreprise et, le cas échéant, au représentant de l’État dans le département. Sur ce sujet, Mme la ministre a fait remarquer à juste raison qu’une telle mission revient d’ores et déjà aux préfets de département. (Mme la ministre acquiesce.)

À ma connaissance, cette disposition n’a pas permis de prévenir le moindre scandale environnemental lié à l’activité d’une entreprise.

De telles mesures, qui se révèlent redondantes par rapport au droit actuel, ne sont pas satisfaisantes. C’est pourquoi nous restons dubitatifs. Nous regrettons que le CHSCT ne dispose pas de moyens d’intervention directe, notamment du droit d’enquête ou de la faculté de recourir officiellement à un expert en cas d’alerte dans le cadre d’une mission bien identifiée.

À nos yeux, le fait de confier ces nouvelles missions au CHSCT permettait a contrario à cette instance de bénéficier d’une vision plus globale des activités de l’entreprise, sous l’angle non seulement social et économique, mais aussi environnemental et sanitaire.

Qui plus est, une telle démarche répondait parfaitement à la notion de développement durable, qui induit cet impératif : ne pas remplacer la problématique sociale par la problématique environnementale, mais bel et bien appréhender ces deux questions dans un même mouvement pour élaborer des réponses réellement performantes.

Au total, la nouvelle rédaction de ce texte prévoit la création d’une Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement. Il s’agit de garantir, tout au long du traitement de l’alerte, d’une part, le bon déroulement de la procédure et la bonne coordination des acteurs et, de l’autre, sa traçabilité. Nous attendons désormais de voir quels moyens seront accordés à cette instance, en ces temps de réduction des dépenses.

En conséquence, nous prenons la présente proposition de loi comme un premier pas engageant, qui permet de remettre l’intérêt général au centre de l’expertise scientifique en matière environnementale et sanitaire.

Néanmoins, il nous faudra tôt ou tard aller plus loin. Comme nous l’avions dit en première lecture, nous devons nous poser collectivement la question du financement de la recherche. Nous souhaitons que soit réhabilitée l’idée même de recherche publique et donc de financement public. (M. le rapporteur acquiesce.) Dire que certains secteurs d’activités ne relèvent pas du marché, c’est poser la question de l’intérêt général dans un domaine essentiel.

Parallèlement, comme nous l’avions également demandé, nous souhaitons voir redéfinis les contours du secret industriel, qui, pour l’heure, limite la transparence des expertises et entrave les pouvoirs de contrôle des instances concernées comme des citoyens.

Enfin, cette alerte citoyenne, codifiée et encadrée, testée dans les domaines sanitaire et environnemental, pourra le cas échéant être utilement étendue à d’autres secteurs. Promouvoir l’alerte citoyenne comme une des garanties de la transparence, c’est sans doute une piste intéressante pour élaborer les instruments démocratiques d’aujourd’hui et de demain.

Vous l’aurez compris, nous voterons en faveur de ce texte, qui tend à garantir un statut protecteur aux lanceurs d’alerte. À cet égard, je précise que je crains bien plus l’activité des lobbies un peu partout, notamment au niveau européen, que l’action de quelques citoyens alertés par une situation qui leur semble anormale. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.)

Parallèlement, cette proposition de loi présente l’intérêt de garantir la traçabilité des alertes sanitaires et environnementales. Nous n’en avons pas moins conscience que, passé une première phase d’expérimentation et d’évaluation, nous devrons nous remettre à la tâche pour obtenir un dispositif pleinement efficace et satisfaisant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

Mme Chantal Jouanno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis notre dernière discussion, le contexte a malheureusement assez peu changé. En revanche, les sollicitations sont de plus en plus nombreuses pour mettre en place une protection des lanceurs d’alerte et aller vers une harmonisation les protocoles d’expertise. De fait, l’absence d’accord sur les protocoles d’expertise alimente aujourd’hui de nombreux débats.

À ce sujet, je souhaiterais évoquer le rapport de la mission commune d’information du Sénat sur les pesticides, présidée par Sophie Primas et dont le rapporteur était Nicole Bonnefoy. Il y est clairement indiqué qu’il est nécessaire de mettre en place une procédure de protection des lanceurs d’alerte.

Dans un rapport paru très récemment, l’Agence européenne de l’environnement insiste sur la nécessité de détecter rapidement les signaux précoces. Avec vingt nouvelles études de cas concernant l’empoisonnement au mercure industriel ou les problèmes de fertilité causés par les pesticides, il montre bien que notre incapacité à détecter les signaux précoces a été, et sera encore à l’avenir, à l’origine de graves problèmes de santé publique.

Le texte s’inscrit donc dans le droit fil de ce qui a été acté lors du Grenelle de l’environnement. Madame Didier, la loi votée alors à la quasi-unanimité, en effet, prévoyait l’élaboration d’un rapport sur cette question. Finalement, ce rapport n’a pas été fait – mea culpa –, mais la loi ne prévoyait que cela.

La haute autorité envisagée a donc laissé place à une commission nationale, à la suite d’un travail parlementaire intéressant, marqué – il faut le reconnaître – par la volonté de rechercher autant que possible le consensus, loin de certaines déclarations très polémiques, que j’estime parfaitement inutiles.

Aujourd’hui, il est de notre devoir de parlementaires de donner un cadre éthique au progrès ― et, pour cela, de fuir comme la peste ceux qui ne l’envisagent que comme un facteur de suspicion ―, de créer les conditions de détection des signaux faibles et de nous accorder sur la question de l’expertise.

Cette proposition de loi est donc importante. Elle a fait l’objet d’un important travail de réécriture à l’Assemblée nationale. À cet égard, j’ai même entendu que, maintenant qu’elle était « limitée », on pouvait l’adopter… Il s’agit pourtant d’un problème central de santé publique. S’agissant des grandes épidémies auxquelles la France est confrontée – le diabète de type 1, l’obésité, le cancer, notamment les cancers infantiles, et les maladies neuro-dégénératives –, les facteurs environnementaux, dont les perturbateurs endocriniens sont l’un des éléments centraux, sont suspectés dans la plupart des cas relevant. Nous sommes aujourd’hui incapables, avec notre propre expertise, de croiser ces données et de détecter ces facteurs. Quant aux études de cohorte, elles sont malheureusement très longues et n’interviennent que bien après la détection desdits facteurs.

Telle est bien la question centrale. Je le dis en toute amitié à mes collègues, j’espère que la réécriture de ce texte par l’Assemblée nationale ne l’a pas vidé de son ambition.

M. Ronan Dantec, rapporteur. Non !

Mme Chantal Jouanno. Je ferai, de façon schématique et sommaire, un bilan des points négatifs et positifs de cette proposition de loi.

En ce qui concerne les points négatifs, je commencerai par soulever de nouveau une question que j’ai déjà posée : ce texte nous permettra-t-il de nous accorder à l’avenir sur des lignes directrices concernant l’expertise ?

M. Ronan Dantec, rapporteur. Oui !

Mme Chantal Jouanno. C’est là, monsieur Bizet, la question centrale s’agissant des OGM. Nous ne sommes pas d’accord sur les lignes directrices de l’expertise, et c’est ce qui crée la polémique.

De plus, serons-nous réellement capables, demain, de détecter les signaux faibles ?

Ensuite, et vous êtes là directement concernée, madame la ministre, vous vous étiez engagée lors de la première lecture – notre groupe a une bonne mémoire ! – à nous expliciter précisément les mesures de rationalisation que vous alliez prendre pour que la création de cette nouvelle commission ne se traduise pas par une inflation du nombre d’instances et, surtout, par de nouvelles demandes budgétaires. Vous deviez nous apporter des réponses en deuxième lecture : nous y voilà !

M. Ronan Dantec, rapporteur. Elle l’a fait !

Mme Delphine Batho, ministre. Oui, j’ai répondu !

Mme Chantal Jouanno. Enfin, l’Assemblée nationale a supprimé du texte l’engagement de confidentialité des alertes, au motif que cela serait incohérent avec la publicité de l’alerte.

Il s’agissait pourtant – et je m’adresse à vous, monsieur le rapporteur, car vous aviez utilisé cet argument en première lecture – d’un point fort de la proposition de loi.

M. Ronan Dantec, rapporteur. Cela n’a pas changé !

Mme Chantal Jouanno. Cela devait contribuer à éviter les lancements abusifs d’alerte. En effet, même si des dispositions relatives à la diffamation ou à l’exigence de bonne foi ont été prévues, le laps de temps qui peut s’écouler entre le lancement d’une alerte et l’engagement éventuel d’une procédure judiciaire peut être extrêmement préjudiciable à certains acteurs, notamment économiques.

Pour autant, ce texte contient plus d’aspects positifs que négatifs.

D’abord, il apportera un progrès global, car la mise en place des registres d’alerte, auxquels les agences sont très favorables, et le croisement de ces registres permettront sans doute de détecter des failles dans notre système et certains signaux faibles.

Par ailleurs, ce texte permettra de supprimer la confusion entre l’alerte et l’expertise, que nous avions signalée en première lecture, et de clarifier le rôle des CHSCT, limité à l’environnement et à la santé, ce qui peut faire débat.

Pour finir, si la nouvelle organisation qu’il met en place fonctionne bien, ce texte apportera des précisions utiles quant aux règles de déontologie et d’indépendance de l’expertise.

Par conséquent, la grande majorité du groupe UDI-UC s’abstiendra avec bienveillance, tandis qu’un certain nombre d’entre nous, dont Vincent Capo-Canellas, Henri Tandonnet et Nathalie Goulet, voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier Marie-Christine Blandin d’avoir été à l’origine de cette proposition de loi, qu’elle l’ait été en tant que mère ou coparent ! (Sourires.)

Ce texte a donné lieu à de nombreuses discussions au sein de tous les groupes, notamment du nôtre. Aujourd'hui, il nous revient bien remanié par l’Assemblée nationale. Globalement, ses apports sont positifs ; quant aux quelques points encore peu clairs, le temps nous aidera à les préciser. En tout cas, ce texte répond maintenant à presque à toutes les attentes du RDSE.

Des risques émergents pour la santé publique comme pour notre environnement, de plus en plus nombreux, nécessitent toute notre vigilance. Plus la science avance et plus nous connaissons l’existence de ces risques. Notre responsabilité politique est donc plus que jamais de prendre les décisions qui s’imposent pour protéger nos concitoyens.

Le groupe du RDSE est fier de rappeler qu’il a déposé le premier, le 27 juillet 2009, une proposition de loi dont l’adoption en 2010 a eu pour effet la suspension de la commercialisation des biberons à base de bisphénol A.

En ce qui concerne le texte que nous examinons en deuxième lecture, nous sommes tous d’accord ici pour dire que l’alerte doit être protégée. Nous constatons les effets néfastes des médicaments, comme les pilules contraceptives de troisième et de quatrième générations lorsque le suivi de la patiente n’est pas assuré, ou encore des procédés du secteur de l’agro-alimentaire, peu soucieux de la santé des consommateurs, voire de l’utilisation par l’industrie de différents composants chimiques dangereux dans la fabrication de produits en tout genre.

Scandale après scandale, la profusion d’informations contradictoires plonge nos concitoyens dans le flou le plus absolu et laisse libre cours à la rumeur.

La création de la nouvelle Commission nationale de la déontologie et de l’alerte, associée au travail de nos agences sanitaires et environnementales, permettra une remise en ordre de ce paysage confus, afin que les alertes sérieuses puissent être traitées à temps. Le politique reprendra alors son rôle. À l’écoute des experts et de leurs arguments, au constat des faits qui s’imposent, il lui revient, en effet, de prendre la décision de réglementer l’usage de certains produits, d’en interdire d’autres. L’État doit enfin prendre ses responsabilités !

L’adoption de mesures législatives en la matière peut mettre un terme à une excessive culture du secret, défavorable à l’exercice de la démocratie. Il ne s’agit pas de favoriser une psychose collective, mais de diffuser des informations pertinentes à nos concitoyens, en toute transparence, pour qu’ils en saisissent les enjeux.

J’en profite pour dire à notre excellent collègue Jean Bizet que nous avons nous aussi la culture de l’entreprise, ce qui ne signifie pas avoir la culture de la rumeur ! On peut avoir la culture de l’entreprise et considérer que les entreprises peuvent elles aussi reconnaître les problèmes. Si elles n’en sont pas capables, il est tout de même normal que des acteurs extérieurs, des scientifiques ou des membres des CHSCT mettent en garde contre la fabrication de produits dangereux. Tout cela n’est pas incompatible. Je connais d’ailleurs des patrons qui sont à la tête d’entreprises citoyennes et qui ont un véritable sens des responsabilités. J’ai parfaitement entendu vos propos, monsieur Bizet, mais ce texte ne me semble pas incompatible avec la culture d’entreprise !