Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je remercie de tout cœur Manuel Valls d’avoir répondu favorablement aux demandes des chercheurs et des étudiants, en annonçant la généralisation du titre de séjour pluriannuel. Il est aujourd’hui l’exception, il doit devenir la règle. La circulaire permettant de l’appliquer aux étudiants de master et aux doctorants sera signée très prochainement. Et nous irons plus loin, puisque je souhaite également la mise en place d’un titre pluriannuel pour les cours de licence, ce qui nécessiterait une évolution législative.

Il faut enfin faciliter les démarches en ouvrant au plus près des lieux de formation et de recherche un véritable guichet unique, regroupant les services de la préfecture, de la caisse d’allocations familiales, des œuvres universitaires, des collectivités, où les étudiants et les chercheurs pourront accomplir en un seul lieu toutes les démarches liées à une installation : dépôt de dossier concernant le titre de séjour, demande de bourse ou de logement, accès aux soins, obtention de titres de transport…

M. Ronan Kerdraon. Excellent !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cela doit se faire, naturellement, en lien avec les administrations et les collectivités territoriales compétentes.

Quant à l’effort historique conduit par le Gouvernement en faveur du logement étudiant, avec la construction programmée de 40 000 logements étudiants supplémentaires d’ici à 2017 – c’est la feuille de route que m’a fixée le Président de la République –, il contribuera à l’amélioration de l’accueil de tous les étudiants, notamment ceux en mobilité. Le déblocage des « opérations campus », grâce à la diversification des procédures que j’ai mise en place, permet d’ores et déjà de programmer la réalisation de 13 000 logements, dont une partie sera réservée aux étudiants et aux chercheurs étrangers. Manuel Valls et moi avons en outre relancé, voilà une dizaine de jours, la réhabilitation de logements de la Cité internationale universitaire.

Alors qu’un tiers des nouveaux titres de séjour attribués aux salariés concernent des jeunes diplômés étrangers, je crois nécessaire de sécuriser les premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

Je me réjouis de la relance des travaux sur ce sujet, en concertation avec Manuel Valls et Michel Sapin. L’orientation choisie est claire : renforcer notre compétitivité passe par une ouverture plus large et plus simple non seulement aux meilleurs étudiants, mais aussi aux jeunes professionnels qualifiés.

Concrètement, il nous faut favoriser la transition du statut d’étudiant à celui de salarié, en allongeant la durée de l’autorisation provisoire de séjour. Comme Dominique Gillot l’avait proposé dans son excellente proposition de loi, un allongement de cette durée à un an permettrait de donner aux intéressés une chance réelle de s’insérer professionnellement.

M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je souhaite également que nous puissions proposer aux étrangers ayant soutenu un doctorat en France une forme de visa permanent leur permettant de se rendre de nouveau dans notre pays, chaque fois que de besoin.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les orientations retenues par le Gouvernement. Les mobilités étudiantes et scientifiques ne relèvent pas de la politique migratoire de droit commun. Elles sont une chance formidable pour notre pays et supposent un effort permanent d’adaptation à une compétition universitaire toujours plus vive sur le plan international.

Je vous sais déterminés à rechercher les voies d’un renforcement du dynamisme de la France. Notre pays doit être tourné vers le monde et le progrès. Je salue à cet égard l’action qu’avait menée Jean-Pierre Chevènement en son temps. La France repliée sur elle-même, c’est une France qui dépérit ; la France qui s’ouvre, c’est une France qui se renforce. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, orateur du groupe ayant demandé ce débat.

Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Président de la République s’était engagé à ce que la question de l’immigration professionnelle fasse l’objet d’un débat annuel au Parlement. Cet exercice, auquel certains pays européens à fort taux d’immigration professionnelle sont habitués, représente pour nous une nouveauté. Ce débat nous est proposé aujourd’hui déconnecté d’enjeux électoraux, ce qui est une très bonne chose.

Nous devons, mes chers collègues, être capables de débattre de ce sujet de manière apaisée et, pourquoi pas, consensuelle. Les conditions d’un tel débat reposent en premier lieu sur la méthode mise en œuvre, à savoir une concertation étayée par des données indiscutables, en vue de dessiner, au fur et à mesure de la progression de nos échanges, les arêtes d’un discours qui fasse sens.

Permettez-moi de vous faire part de l’analyse établie par le conseiller d’État Thierry Thuot dans son rapport sur la refondation des politiques d’intégration :

« En ce qui concerne les enjeux de l’immigration, n’importe qui peut s’affranchir de toute rigueur scientifique, soutenir à peu près n’importe quoi quant aux flux migratoires. Pourtant, des statistiques scientifiquement élaborées et assorties de commentaires impartiaux et objectifs permettraient de mettre fin à de nombreuses illusions et aux propos démagogiques qui les exploitent. »

Monsieur le ministre, le rapport que vous avez fourni à la représentation nationale contribuera à faire éviter cet écueil. C’est un premier pas vers l’apaisement, car une discussion sereine s’appuie avant tout sur la transparence.

La méthode choisie doit être saluée : vos services ont, après concertation avec des organisations syndicales et des représentants de l’enseignement supérieur, présenté des données, pour certaines inédites.

Nous avons reçu ce rapport suffisamment tôt pour que nous ayons le temps de l’étudier et de faire en sorte que notre débat de ce soir échappe aux « figures imposées », souvent périlleuses, qu’il contribue à éclairer la direction que nous souhaitons prendre pour notre pays et qu’il fasse honneur à la dignité, à la sagesse et à la clairvoyance de la Haute Assemblée.

À la faveur d’un changement de calendrier, il revient aux sénateurs de s’exprimer les premiers. Au regard de la sensibilité particulière de ce sujet, je m’en réjouis. Nous sommes, dans cette enceinte, et sur toutes les travées, assez peu amateurs de polémiques stériles, de postures et de caricatures.

Je n’oublie pas que, en 2007, la droite républicaine du Sénat avait dénoncé avec vigueur l’introduction du recours aux tests ADN dans le cadre de la procédure du regroupement familial et avait fait en sorte de vider de sa portée cette mesure inique.

En 2009, la proposition de loi, que j’ai portée, relative à la suppression de la condition de nationalité pour l’accès à certaines professions règlementées a été adoptée dans cette assemblée à l’unanimité. Il en a été de même pour plusieurs textes visant à lutter contre les discriminations dont font l’objet généralement les étrangers, qu’il s’agisse des vieux travailleurs migrants ou des jeunes, avec la mise en place du curriculum vitae anonyme.

L’an passé, lorsque j’ai défendu la proposition de résolution demandant l’abrogation de la circulaire Guéant, mes collègues de droite, s’exprimant à cette tribune, étaient bien en peine de justifier leur vote, tant leur intervention allait dans le sens de mon propos. Vous trouverez donc dans cette enceinte, madame, monsieur les ministres, des interlocuteurs soucieux de faire avancer le débat et de le mener sereinement.

Puisque nous parlons d’immigration étudiante, il me semble nécessaire de revenir sur cet épisode. Voilà un an, les étudiants étrangers avaient alerté tous les acteurs de la société sur le mauvais sort qui leur était fait. À la faveur de l’aberrante circulaire du 31 mai, votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait sacrifié l’attractivité de notre système d’enseignement supérieur sur l’autel de la fameuse politique du chiffre.

Cet épisode a laissé des traces : le rayonnement de la France a été écorné, certains étrangers diplômés sont partis vers des cieux plus hospitaliers. Bref, l’ensemble des éléments qui fondent l’attractivité de notre politique d’accueil des étudiants étrangers ont été rudement secoués.

Le débat d’aujourd’hui ne vise pas à décider si la France doit augmenter ou réduire son immigration professionnelle. Il ne vise pas non plus à fixer un volume des besoins de main-d’œuvre. Peut-être, à l’avenir, cet exercice devra-t-il être mené, mais, pour cette première édition, notre débat a pour objet d’éclairer les Français sur le visage de l’immigration professionnelle et étudiante, ainsi que d’évaluer la performance des outils de régulation dont nous disposons de manière à les améliorer, en vue aussi de contribuer à notre redressement économique.

Tout d’abord, les données du rapport soulignent que l’immigration professionnelle, hors étudiants, est, en France, un phénomène limité, en léger recul depuis 2008. Elle concerne, en termes d’admission au séjour, 16 921 personnes, ce à quoi il faut ajouter 7 485 passages du statut d’étudiant à celui de salarié. L’immigration professionnelle est souvent l’aboutissement d’un parcours commencé par l’immigration étudiante. Cela signifie que les personnes autorisées à travailler dans notre pays sont issues de notre système d’enseignement supérieur, maîtrisent parfaitement le français et sont familières de nos valeurs.

Dernier élément, l’immigration professionnelle, moins pérenne que l’immigration familiale, s’inscrit dans des stratégies de mobilité internationale.

Notre débat d’aujourd’hui porte donc sur un sujet dont le périmètre est limité : l’immigration étudiante, dont le flux représente 60 000 entrées par an pour un stock de moins de 285 000 personnes, et l’immigration professionnelle, qui représente, en termes d’admissions au séjour avec titre de travail, toutes catégories confondues, moins de 24 000 personnes par an ; en stock, cette immigration concernait moins de 105 000 personnes en 2012, comme indiqué, à la page 24 du rapport, dans un tableau recensant les titres valides de l’année 2012.

Au regard de ces premiers chiffres, il me paraît justifié de souligner que la France n’est plus un pays à forte immigration ; or, nous le savons, la mobilité internationale des étudiants va rapidement doubler.

Le monde se dispute les étudiants étrangers et de nombreux pays redoublent d’efforts pour les attirer. Le nombre d’étudiants étrangers accueillis en France constitue en soi un indicateur de l’attrait de notre système d’enseignement supérieur. Les efforts opérés par nos universités et nos écoles pour les attirer sont également des vecteurs d’excellence. La politique d’attraction de l’immigration étudiante participe ainsi d’un cercle vertueux, en créant une émulation interuniversitaire et internationale. Mais si la plupart de ces étudiants reconnaissent la qualité de l’enseignement français – mes collègues du groupe socialiste présenteront des pistes pour améliorer son attractivité –, ils sont légion à dénoncer le traitement administratif qui leur est réservé.

En effet, les étrangers résidant en France, qu’ils soient étudiants ou salariés, vivent dans l’inquiétude en raison de la précarité de leur situation administrative. Ils doivent, tous les ans, consacrer des heures, des journées entières à préparer leur demande de renouvellement de titre de séjour, avec toujours l’angoisse qu’on leur réclame un document supplémentaire. Leurs vies sont suspendues à des démarches administratives aussi humiliantes pour eux qu’éprouvantes pour les agents préfectoraux, que d’aucuns considéreraient comme relevant d’un harcèlement, l’indignité du traitement administratif tenant lieu de politique de fermeté.

Vous venez d’annoncer, monsieur le ministre, que les étudiants étrangers allaient pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pluriannuel valide pour la durée de leurs études. Cette simple mesure de rationalisation administrative porte en elle des avancées considérables. Elle permettra, d’une part, de renforcer l’attractivité de nos filières de formation, et, d’autre part, de soulager considérablement les services des préfectures et de réorienter le travail de leurs agents, notamment vers les contrôles.

Je suis d’avis que l’humanisation des conditions d’accueil des étrangers doit se traduire avant tout par la suppression de ces files d’attente interminables qui serpentent à l’extérieur de certaines préfectures. Est-il admissible, dans notre République, que des hommes et des femmes passent des journées et des nuits entières à se battre pour une place dans une file d’attente, parfois en la monnayant, posent des jours de congé ou manquent des cours importants pour obtenir un document qui, la plupart du temps, relève d’un simple renouvellement ?

Monsieur le ministre, essayons de conjuguer ensemble rationalisation administrative et humanisation des rapports sociaux.

Dans cette perspective, envisagez-vous de généraliser le caractère pluriannuel du titre de séjour « étudiant » à d’autres titres de séjour ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas faire profiter les étrangers des vertus de la dématérialisation, en mettant en place un système de prise de rendez-vous par voie électronique ?

Il existe onze titres de séjour différents. Cette fragmentation ne repose sur aucune logique professionnelle. Il faudrait, en plus d’une harmonisation de leur durée de validité sur une base pluriannuelle, regrouper les titres « salarié », « commerçant, industriel et artisan » et « travailleur indépendant », fusionner les cartes « scientifiques », « compétences et talents », « profession artistique et culturelle », et même la carte bleue européenne, en une seule catégorie et conserver un titre pour les travailleurs temporaires, afin de parvenir à trois, voire quatre, titres de séjour.

Au-delà de la rationalisation administrative, je plaide aussi pour la performance statistique. Nous sommes nombreux à être convaincus que, en matière d’immigration plus encore que dans d’autres domaines, la sincérité des chiffres est de nature à apaiser les esprits. Force est de constater que nous disposons d’une marge importante de progrès sur ce plan.

Par exemple, le rapport annuel au Parlement sur les chiffres de la politique d’immigration et d’intégration est d’une précision d’apothicaire en ce qui concerne le nombre de visas délivrés par catégorie. Si ce rapport recense l’intégralité des entrées légales sur le territoire, il est en revanche silencieux sur les sorties, accréditant ainsi l’idée que les flux annuels s’additionnent. Ce rapport devrait également intégrer les flux sortants et présenter les soldes migratoires.

Troisième question, monsieur le ministre, envisagez-vous l’amélioration de notre outil statistique, dont nous mesurons les limites ?

Ces données, assorties d’études prospectives sur nos besoins de main-d’œuvre, doivent nous permettre d’élaborer un discours cohérent et de présenter une vision d’avenir à moyen terme qui répondent tant aux préoccupations des Français et des entreprises qu’à celles des candidats à l’immigration étudiante ou professionnelle, afin d’éclairer leur décision.

Beaucoup ignorent que, depuis 1974, la règle qui régit l’immigration professionnelle est celle de l’opposabilité de la situation de l’emploi, qui oblige les entreprises à recruter en priorité sur le marché national de l’emploi. Cette règle s’applique à l’aide de plusieurs outils, de natures très diverses, mais qui présentent un point commun : la lourdeur bureaucratique. L’octroi de l’autorisation de travail repose sur une procédure longue et complexe, inadaptée à la réactivité économique à laquelle nos entreprises sont astreintes.

Cette démarche peut être, dans certains cas, assouplie, quand l’emploi visé relève de la liste des métiers en tension. Pour ces métiers connaissant une pénurie de main-d’œuvre, la situation de l’emploi n’est pas opposable.

En soi, la liste des métiers sous tension pourrait être un outil pertinent pour répondre aux besoins des entreprises et guider l’administration dans son instruction des dossiers. Mais il suffit de la parcourir pour mesurer les difficultés de mise en œuvre par l’administration et, au-delà, le manque de lisibilité pour les employeurs et les postulants. Il existe une liste nationale de trente emplois, puis des listes régionales, et enfin neuf autres listes établies dans le cadre des accords de gestion concertée des flux migratoires, sans parler des différents accords bilatéraux.

Le tableau 14 du rapport que vous nous avez remis, qui occupe tout de même quatre pages, reprend une liste de plus de cent métiers pouvant ou non donner accès, en fonction des nationalités et en vertu d’accords bilatéraux, à un titre de travail, sans que la situation de l’emploi soit opposable. C’est ainsi, si l’on s’en tient à ce tableau qui donne véritablement le tournis, qu’un Mauricien peut être chaudronnier-tôlier, mais pas ouvrier du béton, tandis qu’une Béninoise peut être chef de cuisine, mais pas sage-femme…

L’interpénétration de ces listes, dont certaines répondent à des considérations diplomatiques, parfois de codéveloppement, et d’autres à des considérations économiques, est facteur de confusion et amène à s’interroger sur leur adéquation avec l’objectif visé, à savoir répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises, d’une part, et protéger notre marché de l’emploi en évitant le dumping social, d’autre part.

Finalement, tous ces outils lourds, complexes, n’ont-ils pas pour effet pervers d’encourager les entreprises à utiliser des voies de contournement ? Il suffit d’observer l’augmentation très importante du recours aux salariés européens détachés et de considérer les estimations non officielles du nombre des salariés détachés et non déclarés pour se convaincre que le dumping social est une réalité intra-européenne. Michel Sapin, ministre du travail, s’est saisi de cette question ; monsieur le ministre, disposez-vous d’informations sur ce sujet ?

Concernant l’immigration étudiante, ne faudrait-il pas envisager que le titre de séjour pluriannuel délivré aux étudiants intègre la possibilité, à l’issue du diplôme, de travailler, de droit, une année, afin de compléter la formation initiale reçue par une expérience professionnelle significative ? Une mesure en ce sens, l’autorisation provisoire de séjour, avait été introduite dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration : c’était l’une des rares dispositions de ce texte que nous avions soutenues. Cependant, les étudiants étrangers n’ont pas souhaité s’approprier cet outil, bien trop contraignant en termes de mise en œuvre administrative. Aujourd’hui, 75 % des étudiants diplômés qui demandent un changement de statut l’obtiennent. L’ouverture de cette possibilité, qui fait actuellement l’objet d’un projet de directive européenne, serait, si la France l’adoptait rapidement, un facteur d’attractivité puissant. Si, au terme d’une année, le diplômé étranger a trouvé un poste en adéquation avec sa formation, il pourra, en vertu de conditions qui seront à définir, obtenir son changement de statut ; dans le cas contraire, le séjour lui sera naturellement refusé.

Je suis d’avis que plus les règles sont lisibles et cohérentes pour tous et plus elles sont connues tôt en amont, plus la fermeté, quand elle doit s’appliquer, devient légitime. Or je pense, monsieur le ministre, que, dans l’exercice de leur devoir, les forces de l’ordre chargées d’appliquer la loi ont besoin de cette légitimité, en plus de la légalité.

Les Français sont très sensibles à cette notion de légitimité. C’est notamment à partir de cette problématique que, en 2008, le Sénat, à l’unanimité, avait approuvé la suppression de la condition de nationalité pour l’accès aux professions réglementées, telles que celles de médecin, de géomètre, d’architecte, d’expert-comptable. La discussion de cette proposition de loi, bien que le processus législatif ne soit pas allé jusqu’à son terme, a porté ses fruits : la plupart de ces professions libérales, organisées de façon ordinale, ont supprimé la condition de nationalité tout en maintenant la condition de détention d’un diplôme français, à l’exception, je crois, de celle de vétérinaire.

J’avais, à l’époque, exclu du champ de cette initiative parlementaire les emplois de la fonction publique, qui représentent près de 30 % de l’ensemble des emplois : ils restent inaccessibles aux étrangers non communautaires, à l’exception des emplois d’enseignant-chercheur de l’enseignement supérieur, pour lesquels la condition de nationalité a été supprimée en vertu d’un décret de 1983. Pourquoi ce qui a été fait pour l’enseignement supérieur ne serait-il pas envisageable pour l’enseignement secondaire, si les besoins de notre système scolaire le justifiaient ?

La France manque d’enseignants du secondaire, notamment de professeurs dans les matières scientifiques. Ce débat devrait nous donner l’occasion de réfléchir à l’opportunité de poursuivre cette réduction du périmètre des emplois fermés. Ces emplois, en maintenant une discrimination légale dans l’accès au marché de l’emploi, engendrent, par effet de système, des discriminations illégales.

J’aimerais terminer mon intervention en évoquant brièvement, quitte à sortir du cadre strict de ce débat, l’immigration familiale, qui répond à des règles conventionnelles.

Cette immigration, que le précédent gouvernement avait qualifiée de « subie », est celle à qui nous confions le soin de s’occuper de nos enfants et de nos vieux, à qui nous donnons les clés de nos maisons.

Une étude récente menée par trois économistes a mis en évidence que le travail des femmes immigrées a un effet « positif et significatif » sur le produit intérieur brut. Pour expliquer les ressorts de cet effet, les économistes avancent une explication dans laquelle de nombreuses familles se retrouveront : parce que ces femmes immigrées sont très présentes dans les métiers de garde d’enfants et de personnes en perte d’autonomie, elles permettent aux parents, aux familles de libérer du temps au profit d’emplois qualifiés. Ils concluent en soulignant que le travail de ces femmes « a un effet multiplicateur puisqu’elles contribuent, pour ainsi dire, deux fois ».

À cet égard, je me suis longuement interrogée sur l’absence troublante des métiers liés aux services à la personne dans les listes de métiers sous tension.

Le rapport de cadrage que vous nous avez remis présente un graphique, en page 34, établissant la liste des métiers qui offriraient le plus de postes à pourvoir à l’horizon de 2020. L’économie française a un besoin grandissant de services à la personne. Ces besoins reposent sur un triptyque : premièrement, une natalité qui ne faiblit pas, et c’est tant mieux ; deuxièmement, un allongement de l’espérance de vie, tant mieux également ; troisièmement – ce qui est moins réjouissant –, un fractionnement des cellules familiales.

Ces métiers sont aujourd’hui en grande partie occupés par des femmes ayant bénéficié du regroupement familial ou des Français issus de l’immigration. Ceux-là mêmes qui s’occupent de nos enfants, de nos vieux, de l’entretien de nos villes, qu’on ne vienne pas me dire qu’on les subit !

Le taux d’activité des femmes issues de l’immigration familiale, qui s’établit à 54 %, est de 10 points inférieur au taux d’activité des femmes. À nous de faire en sorte que cet indicateur augmente à la faveur d’actions d’inclusion, de formation professionnelle, qui, au besoin, s’appuieraient sur les métiers ici recensés.

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas évoqué dans cette intervention l’histoire et l’apport de l’immigration, ou son rôle aussi bien économique que culturel. Croyez bien que j’y pense ! Les étrangers et les Français issus de l’immigration, nouvelle ou ancienne, après avoir été stigmatisés, instrumentalisés à des fins politiques, aspirent à de la dignité. Ce débat, ainsi que le prochain projet de loi relatif à l’immigration doivent impérativement s’attaquer à ce mal récurrent de la société française qu’est cette extrême sensibilité à l’égard du migrant, à l’égard de l’autre.

Pour que les migrants du monde ne se détournent pas de la France et nous privent ainsi de leurs talents, il convient non seulement de modifier leurs conditions de séjour et d’améliorer l’attractivité de la destination France auprès des étudiants du monde, mais aussi, je le crois, de faire de l’immigration une politique, un discours, une réalité qui gagne en légitimité. Ainsi, ensemble, nous démentirons Milan Kundera, pour qui l’immigré reste et restera ce « grand souffrant ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Voilà de très bonnes orientations, conformes à celles que le Président de la République a fixées et parfaitement cohérentes avec les priorités définies dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, en application du rapport Gallois !

J’ai apprécié, monsieur le ministre de l’intérieur, votre expression réaliste, solide, conforme à l’intérêt national, de même, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que votre vision à long terme, qui s’inscrit dans la meilleure tradition du rayonnement scientifique de la France.

Je tiens à vous féliciter tous les deux, ainsi que le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration du ministère de l’intérieur pour l’excellent rapport que vous nous avez fourni sur l’immigration professionnelle et étudiante. Ce document permet d’en finir, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre de l’intérieur, avec l’ère des approximations. C’est du beau travail !

Le rapport nous rappelle excellemment que les flux très importants d’immigration sont régis dans des domaines essentiels par des règles qui s’imposent à la France : réfugiés et malades, immigration familiale, immigration en provenance de l’Union européenne. En chiffres absolus, les flux d’immigration – c’est-à-dire, madame Khiari, les entrées auxquelles on a soustrait les sorties – sont plus faibles en France que dans tous les autres grands pays d’Europe occidentale : 110 000 personnes, contre 200 000 en Grande-Bretagne et 300 000 en Allemagne.

L’immigration en France, il faut le dire, reflète un moindre niveau de qualification. Si les flux sur lesquels nous pouvons agir sont importants s’agissant des étudiants – environ 60 000 admissions –, il y va différemment de l’immigration de travail, particulièrement faible, comme vous l’avez remarqué, puisqu’elle est inférieure à 20 000 admissions.

Les efforts que nous devons nécessairement faire s’articulent autour de deux axes.

Le premier consiste à accroître encore l’attractivité universitaire de la France, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre.

Nous occupons le cinquième rang mondial pour l’accueil des étudiants étrangers. Certes, nous avons perdu un peu de terrain, notamment par rapport à l’Allemagne, mais l’étonnant est d’en avoir perdu si peu après la politique menée sous le quinquennat de M. Sarkozy !

Nous accueillons près de 290 000 étudiants, représentant plus de 15 % des inscrits, ce ratio s’élevant à 41,3 % en doctorat. Cette dernière proportion est un signe de l’excellence : nous le devons à la qualité de la recherche française. Cette performance, j’hésite à le dire, est le résultat d’une politique lancée dans les années 1998 et 1999, de concert entre les trois ministres de l’éducation nationale, de l’intérieur et des affaires étrangères de l’époque. Ce n’est pas M. Guéant qui était à la manœuvre ! Près de la moitié de ces étudiants étrangers sont originaires de pays d’Afrique, 21 % de pays d’Asie et 18 % de l’Union européenne.

Je tiens à appeler votre attention sur un point essentiel : si les étudiants chinois représentent 10 % du total – c’est une bonne chose –, ce ratio tombe à 1,7 % pour les étudiants russes, qui sont à peine plus de 4 000, à 0,7 % pour les Indiens et à 1,6 % pour les Brésiliens. Or ce sont là les grandes puissances du XXIe siècle, et nous avons intérêt à attirer leurs étudiants.

Permettez-moi également, madame la ministre, de nuancer légèrement mon approbation précédente : je ne pense pas que la promotion de l’anglais comme langue d’enseignement dans les universités – mais vous avez employé une autre expression, quelque peu atténuée – soit le meilleur moyen de promouvoir l’attractivité globale de la France.