Sommaire

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaire :

M. Jacques Gillot.

1. Procès-verbal

2. Candidatures à une mission commune d’information et à une commission d’enquête

3. Démission de membres de commissions et candidatures

4. Renvoi pour avis multiple

5. Communication du Conseil constitutionnel

6. Rappel au règlement

MM. Vincent Delahaye, le président.

7. Projet de programme de stabilité. – Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat

MM. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances ; Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé du budget ; François Marc, rapporteur général de la commission des finances.

MM. Jean Arthuis, Jacques Mézard.

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

M. Jean-Vincent Placé, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Éric Bocquet, Mme Frédérique Espagnac, M. Yannick Botrel.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué.

8. Nomination des membres d’une mission commune d’information et des membres d’une commission d’enquête

9. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi

10. Nomination de membres de commissions

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

11. Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Mmes Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche ; Bariza Khiari, pour le groupe socialiste.

M. Jean-Pierre Chevènement, Mme Esther Benbassa, M. André Reichardt, Mmes Dominique Gillot, Cécile Cukierman, MM. Vincent Capo-Canellas, Jean-Yves Leconte, Ronan Kerdraon.

Mme Geneviève Fioraso, ministre ; M. Manuel Valls, ministre.

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaire :

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à une mission commune d’information et à une commission d’enquête

M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation :

– des 27 membres de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, créée à l’initiative du groupe UMP, en application de son droit de tirage ;

– et des 21 membres de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée à l’initiative du groupe CRC, en application de son droit de tirage.

En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées.

Ces candidatures seront ratifiées si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.

3

Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Gaëtan Gorce comme membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, et de M. Yvon Collin comme membre de la mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement.

J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois en remplacement de M. Gaëtan Gorce, démissionnaire, et que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement en remplacement de M. Yvon Collin, démissionnaire.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

4

Renvoi pour avis multiple

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (n° 495, 2012–2013), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond est renvoyé pour avis, à leur demande, à la commission des affaires économiques, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique, et à la commission des finances.

5

Communication du Conseil constitutionnel

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 24 avril 2013, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 135–1 du code de l’action sociale et des familles (Dispositions pénales concernant la perception frauduleuse de prestations au titre de l’action sociale) (2013–328 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

6

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour un rappel au règlement.

M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’interviens pour un rappel au règlement sur le fondement de l’article 47 bis.

Nous nous apprêtons aujourd’hui à entendre une déclaration du Gouvernement relative à la présentation prochaine du programme de stabilité pour les années 2013 à 2017 à la Commission européenne.

Le Gouvernement peut soumettre cette déclaration, qui s’inscrit dans le cadre de l’article 50-1 de la Constitution, à un vote, sans engager sa responsabilité politique devant le Parlement.

Or le vote qui a eu lieu à l’Assemblée nationale sur cette même déclaration est refusé au Sénat. Pourtant, celle-ci préfigure voire préempte considérablement les débats que nous aurons à l’automne prochain lors de la discussion du projet de loi de finances initiale pour 2014.

L’article 47 bis de notre règlement impose un scrutin public lors du vote de la première partie de la loi de finances et lors du vote solennel sur l’ensemble du texte.

En ne soumettant pas votre programme de stabilité à notre vote, messieurs les ministres, vous bafouez l’esprit de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, vous bafouez l’esprit de notre règlement et, surtout, vous bafouez les prérogatives du Sénat s’agissant du contrôle budgétaire le plus élémentaire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout à fait d’accord !

M. Vincent Delahaye. Cette attitude est symptomatique du manque de confiance du Gouvernement envers la représentation nationale.

À ce titre, je citerai les déclarations tenues ici même par le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, le 4 juillet dernier : « Les travaux et les contributions du Sénat, qui, d’ailleurs, rejoignent très souvent les priorités du Gouvernement, doivent être pour notre action une source d’inspiration constante.

« Je m’engage ici, aujourd’hui, à associer les représentants du Parlement le plus en amont possible pour préparer les grandes décisions du Gouvernement. C’est à mon avis la bonne manière de procéder pour renforcer le rôle et les droits du Parlement. »

Messieurs les ministres, mes chers collègues, de deux choses l’une : soit le Gouvernement considère que la déclaration qu’il nous fait aujourd’hui ne concerne pas une décision importante et, dans ce cas, je comprends que celle-ci ne soit pas soumise au vote et que le Sénat n’y soit pas davantage associé ; soit il s’agit bel et bien, comme je le crois, d’un programme majeur et dès lors le Premier ministre ne respecte pas l’engagement qu’il avait pris ici même devant nous, ce que j’estime très grave.

La décision de ne pas prévoir de vote, qui témoigne d’abord de l’absence de confiance du Gouvernement envers la représentation nationale, dévalorise le Sénat. Cela pose ensuite le problème de la crédibilité de ce programme de stabilité, d’autant plus fiable, aux yeux de la Commission européenne, qu’il serait approuvé par l’ensemble du Parlement français. Sur le fond, contrairement à ce que laisse penser le titre de ce programme « Une conjoncture dégradée mais en voie d’amélioration », je ne perçois malheureusement aucun signe d’amélioration dans la situation économique et sociale que nous vivons, ce que je déplore fortement.

Ce programme ne respecte pas les avis du Haut Conseil des finances publiques que nous avons créé voilà quelques mois, et pour lequel le Gouvernement demande un budget de 780 000 euros. On ferait bien de supprimer rapidement cette instance ! Dans la mesure où son avis n’est pas respecté, nous ne nous en porterions pas plus mal et nous réaliserions des économies.

Enfin, on annonce des baisses de dépenses qui n’en sont pas, puisqu’il s’agit en réalité de non-augmentations de dépenses. C’est une véritable escroquerie intellectuelle !

Pour toutes ces raisons, je souhaite, messieurs les ministres, que votre déclaration sur ce programme de stabilité, qui est non pas un exercice de pure rhétorique budgétaire, mais un engagement formel envers nos partenaires européens et, surtout, nos concitoyens, soit soumise au vote du Sénat.

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

7

Projet de programme de stabilité

Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat

M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le projet de programme de stabilité (demande de la commission des finances et mise en œuvre par le Gouvernement de l’article 50-1 de la Constitution).

La parole est à M. le ministre.

M. Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité absolue de la majorité, c’est le recul durable du chômage. Toute notre politique économique vise à mettre en œuvre les conditions pour atteindre cet objectif : le rétablissement de la compétitivité de notre tissu productif, la soutenabilité de nos finances publiques, la mise en œuvre de réformes structurelles indispensables pour libérer les forces de notre économie et une politique européenne plus favorable à la croissance.

Le Gouvernement et la majorité doivent, ensemble, répondre à deux questions. Comment redresser nos comptes sans étouffer la croissance ? Quelles réformes mener pour susciter activement la reprise de l’activité ? L’objet du premier programme national de réforme et du premier programme de stabilité que nous présentons aujourd’hui est d’apporter à ces deux questions des réponses précises et ambitieuses. Avant de les évoquer, je vous prie d’emblée de m’excuser, car je ne pourrai rester pour participer au débat. Je dois en effet partir pour la Chine, où j’accompagne le Président de la République. Quoi qu’il en soit, Bernard Cazeneuve prendra le relais.

Ces programmes décrivent la stratégie économique du Gouvernement, ainsi que le scénario macroéconomique et la trajectoire des finances publiques qui les sous-tendent. Ils précisent aussi les réformes qui seront menées pour atteindre nos prévisions de croissance. Pour autant, ces textes, dont la portée symbolique et politique est extrêmement forte, ne sont pas des lois de finances et n’ont donc pas à être votés dans les mêmes formes. Nous leur avons cependant accordé le même soin, et ils doivent être abordés par la représentation nationale dans le même esprit de responsabilité, bien qu’ils ne suivent pas un processus identique à celui des lois de finances. N’oublions pas que ces documents seront ensuite transmis à la Commission européenne et qu’ils feront l’objet de commentaires de sa part et de nouvelles prévisions. Les recommandations qu’elle formulera seront adoptées lors d’un conseil Ecofin à la mi-juin et, enfin, par le Conseil européen des 27 et 28 juin prochain. Voilà ce que sont le programme de stabilité et le programme national de réforme.

Ces programmes s’inscrivent dans un contexte difficile, qu’il faut rappeler en préambule.

En premier lieu, je le dis avec douceur, nous avons un lourd héritage à assumer. Je ne me livre pas à cet exercice pour le plaisir de la rhétorique, ou par volonté de défausse ou de répétition : nous sommes aux responsabilités, et nous serons jugés sur nos résultats. Mais les faits sont têtus, et leurs conséquences sont lourdes. C’est cela que nous avons à faire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oui, mais vous aggravez les résultats !

M. Daniel Raoul. Qu’avez-vous fait, bon sang ?

M. Pierre Moscovici, ministre. Madame des Esgaulx, l’héritage financier est terriblement pesant : 600 milliards d’euros de dettes supplémentaires, un ratio de dette rapporté à la richesse national augmenté – écoutez bien ! – de 20 points,…

M. Daniel Raoul. Amnésie !

M. Jackie Pierre. Et vous ?

M. Pierre Moscovici, ministre. … un déficit structurel dégradé de 1,8 point de PIB en cinq ans, alors que tous les autres pays de la zone euro ont fait des efforts d’ajustement structurel, et un déficit nominal qui aurait atteint 5,5 % du PIB si le Gouvernement, avec la majorité, n’y avait pas mis bon ordre, pour le ramener à 4,8 % en 2012. (M. Claude Domeizel s’exclame.) Les faiblesses structurelles sont également lourdes : une croissance nulle en moyenne de 2007 à 2011, un chômage qui a touché un million de personnes supplémentaires sous le quinquennat précédent, 750 000 emplois perdus dans l’industrie en dix ans,…

M. Pierre Moscovici, ministre. ... une compétitivité qui s’est lourdement affaiblie en dix ans, et que révèle un déficit commercial encore supérieur à 65 milliards d’euros en 2012.

J’ai été membre d’un gouvernement entre 1997 et 2002, et je me souviens qu’en 2002 la France était en excédent commercial de 3 milliards d’euros. À l’époque, on parlait de l’Allemagne comme l’homme malade de l’Europe. Regardez ce qui s’est passé !

Je ne reviens pas davantage sur un tel héritage, si ce n’est pour souligner que, face à une situation aussi dégradée, nous devons nécessairement mener nos efforts de redressement sur le long terme.

En second lieu, nous sommes confrontés – je ne m’y attarderai pas – à une crise sans précédent dans la zone euro. J’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous, si nous avons apporté des réponses fortes à la crise de la zone euro, qui n’est plus menacée dans son existence, puisque la stabilité est revenue, la crise dans la zone euro demeure, c’est-à-dire une crise de croissance. Nous devons l’affronter, au moment même où la zone, selon les prévisions de la Commission européenne, pourrait connaître une deuxième année consécutive de récession, alors que le chômage touche 19 millions de personnes. Ainsi, le président de la Commission européenne, M. Barroso, a été amené hier à dire qu’il fallait revisiter les politiques économiques européennes.

Dans ce contexte, je souhaite tout d’abord rappeler le sens de notre action, qui est de réformer au bon rythme pour réussir le redressement économique du pays.

Il y a actuellement en France, ne feignons pas de l’ignorer, un débat sur le rythme du redressement des comptes publics au regard de la nécessité de soutenir la croissance.

Peut-on redresser l’économie sans redresser les finances publiques ? Depuis près d’un an, j’ai déjà longuement exposé devant cet hémicycle, et ce à de multiples reprises, les raisons pour lesquelles le Président de la République a fait du sérieux budgétaire l’un des axes de sa politique économique. Il ne faut pas opposer remise en ordre des comptes et croissance. Personne ne peut dire ou penser que l’endettement serait une bonne chose pour l’économie ! Une économie qui s’endette, c’est une économie qui s’affaiblit, qui s’appauvrit, qui perd de sa souveraineté, qui perd de sa liberté, surtout lorsqu’elle commence à s’endetter à des taux de plus en plus chers. Nous avons la chance de bénéficier de taux historiquement bas. Il faut faire en sorte que cette situation perdure.

La question n’est plus de savoir si les finances publiques doivent être redressées. La question est bien de concilier redressement des finances publiques et croissance, pas en étant dogmatique ou rigide, mais en passant à un pilotage dit « en termes structurels », en mettant l’accent sur les dépenses publiques, en engageant nos finances sur la voie d’un assainissement en profondeur, durable, mais aussi en laissant jouer les stabilisateurs automatiques quand la situation économique l’exige, et à l’évidence, mesdames, messieurs les sénateurs, je crois qu’elle l’exige aujourd’hui. C’est ainsi que nous pourrons préserver les conditions de la croissance.

Cette question du rythme du redressement, le Gouvernement la porte avec force depuis l’élection de François Hollande, dans tous les forums de coopération économique internationaux. À l’échelle européenne notamment, nous avons obtenu un pacte de croissance, qui désormais se met en œuvre. Je mets aussi en avant une telle problématique dans le cadre de nos relations bilatérales, en particulier avec nos partenaires allemands, et multilatérales.

Je participais la semaine dernière à Washington aux réunions de printemps du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et du G20. J’ai noté là une convergence très forte autour d’un même message : davantage doit être fait pour la croissance et l’emploi, tout en poursuivant les efforts pour améliorer la souveraineté et la soutenabilité budgétaires.

Clairement, le climat change. Les priorités de l’économie mondiale se tournent désormais davantage vers la croissance. Évidemment, le sérieux dans la gestion des finances publiques ne peut pas et ne doit pas être abandonné, les réformes de structure sont indispensables, mais l’austérité n’est pas la solution. Le chemin que nous empruntons et que nous voulons proposer à l’Europe est le bon.

J’en viens maintenant à nos programmes et d’abord à nos prévisions de croissance.

Celles-ci sont identiques, pour 2013 et 2014, à celles de la Commission européenne, prudence, réalisme, crédibilité : 0,1 % en 2013, 1,2 % en 2014. Entre 2015 et 2017, nous pensons que l’économie française repartira sur un rythme de croissance de 2 % par an. Nous ne ferions que rattraper, partiellement, le retard qui a été accumulé dans les années passées au regard de notre croissance potentielle.

Le Haut Conseil des finances publiques, nouvelle instance créée sur l’initiative du Gouvernement pour éclairer le débat parlementaire,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le Haut Conseil ne sert plus à rien !

M. Pierre Moscovici, ministre. … symbole de transparence et de rénovation en profondeur de la gouvernance des finances publiques, a rendu la semaine dernière son avis sur ces prévisions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça ne sert à rien !

M. Pierre Moscovici, ministre. Le Haut Conseil estime ainsi que le scénario macroéconomique du Gouvernement est entouré « d’un certain nombre d’aléas qui, dans leur ensemble, font peser un risque à la baisse sur les prévisions ». (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Nous reconnaissons l’existence de facteurs qui jouent à la baisse comme à la hausse – le Haut Conseil les mentionne –, mais Bernard Cazeneuve et moi-même avons souhaité confirmer devant la commission des finances du Sénat, mercredi dernier, les prévisions de croissance du programme de stabilité. J'ai la conviction qu'en faire moins, d'une part, nous précipiterait dans un ajustement injustifié, d’autre part, serait le signe d'un pessimisme, d'une défiance à l'égard de notre économie que rien, mesdames, messieurs les sénateurs, ne justifie.

Les prévisions que je vous présente reposent sur deux convictions.

Ma première conviction, c’est que l’Europe va progressivement redémarrer. Pour la plupart des pays, le plus gros des efforts est désormais passé, les décisions du pacte de croissance vont produire leurs effets. Les pays sous tension pourront bénéficier de meilleures conditions de financement grâce à la mise en œuvre résolue de l’union bancaire, pour laquelle la France se bat. Je pense là à l'union bancaire entière, globale, et non pas uniquement à la supervision intégrée.

Ma seconde conviction, c’est que les réformes que nous menons en France dans le cadre du programme national de réforme portent leurs fruits. Celui-ci s’articule autour de trois grands axes.

Premier axe, en matière de compétitivité, ce gouvernement a pris plus de décisions positives pour la compétitivité en onze mois que tous ses prédécesseurs en dix ans. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx est dubitative.) L’année 2013 sera consacrée à la mise en œuvre et à l’approfondissement des mesures prises.

Nous avons d’abord réorienté notre système fiscal pour encourager la compétitivité et l’innovation. C’est notamment le sens des 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, qui permettra de relever l’activité de 0,5 point de PIB et de créer 300 000 emplois d’ici à 2017. À cet égard, lundi se tiendront autour du Président de la République les Assises de l'entrepreneuriat.

Nous avons également remis le secteur financier au service de l’investissement, de l’économie réelle, des PME et des entreprises de taille intermédiaire, les ETI. Nous l’avons fait par exemple avec la création de la Banque publique d’investissement, création approuvée par votre assemblée, avec la loi bancaire, approuvée sans opposition par votre assemblée,…

M. Jean-Claude Lenoir. Et commentée par Mme Royal !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ah oui ! La vice-présidente de la BPI !

M. Pierre Moscovici, ministre. … avec le plan trésorerie, ou encore avec le soutien au financement de l’investissement des collectivités locales.

Cette réforme se poursuivra, notamment par la réforme de la fiscalité de l’épargne, sur la base des conclusions des travaux remis par les députés Karine Berger et Dominique Lefebvre.

C’est également pour soutenir notre compétitivité que nous mènerons en 2013 des réformes de structure majeures dans le secteur des services, de l’énergie, du logement, avec un objectif : faire baisser les prix et donc réduire les coûts des entreprises.

Par ailleurs, Benoît Hamon et moi-même présenterons, au début du mois de mai, un projet de loi sur la consommation qui renforcera les droits des consommateurs et contribuera à lutter contre les rentes injustifiées.

Une réforme du secteur ferroviaire sera également présentée au cours du premier semestre de cette année.

Deuxième axe, le Gouvernement s’attache également à préparer l’avenir en encourageant la structuration de l’économie autour de filières industrielles et en soutenant les secteurs stratégiques par une politique d’investissements ciblés.

Le Gouvernement organisera au premier semestre une consultation pour retenir les initiatives industrielles prioritaires pour le quinquennat. Ces filières prioritaires seront soutenues par un fonds multisectoriel doté de 590 millions d’euros, qui sera mis en place au sein de la BPI.

En parallèle, nous mènerons une politique d’investissements de long terme dans les secteurs clés du logement, de la rénovation thermique et du numérique. S’agissant de ce dernier point, les mesures ont déjà été prises.

Troisième axe, en matière de lutte contre le chômage et la précarité, nous travaillerons tout au long de l’année 2013 au plein déploiement des mesures déjà adoptées – approuvées, pour beaucoup d’entre elles, par votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs – et nous amplifierons les effets de nos politiques par une grande réforme de la formation professionnelle.

La création de 150 000 emplois d’avenir d’ici à la fin de 2014 permettra de réduire le chômage des jeunes. La réforme du marché du travail jouera également à plein. À cet égard, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier a été identifié à l’étranger – je ne sais pas si c’est ainsi perçu en France, c'est pourtant la vérité – comme un signe majeur de la volonté du Gouvernement et des partenaires sociaux de permettre à la France de se réformer. Il facilitera l’adaptation des entreprises aux chocs structurels tout en accordant de nouveaux droits aux salariés : c’est la clef de voûte de la lutte contre le chômage qui nous mobilise tous.

Ce volet sera complété au second semestre par la renégociation de la convention d’assurance chômage et, surtout, par une réforme d’ampleur de la formation professionnelle.

Ces réformes permettent d’envisager un redressement des comptes publics dont le rythme et les modalités sont retracés dans le programme de stabilité qui a été largement approuvé par l’Assemblée nationale hier.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Pour notre part, nous n’aurons pas l’occasion de nous prononcer !

M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui ! Pourquoi donc ne nous prononçons-nous pas ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Parce que le Gouvernement ne dispose pas d’une majorité, ici !

M. Pierre Moscovici, ministre. La stratégie de remise en ordre des comptes qu’il expose participe du redressement économique auquel nous travaillons. Redressement des comptes publics et redressement productif sont en effet les deux faces d’une même médaille.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est pour cette raison qu’il aurait été bon que le Sénat se prononçât par un vote !

M. Pierre Moscovici, ministre. Le Sénat a pour mission de construire, monsieur le président de la commission, vous le savez bien. Le désendettement est un facteur de compétitivité et j'aimerais que telle soit toujours votre préoccupation !

Cette stratégie est dictée par un impératif : trouver le juste équilibre, le bon rythme pour la remise en ordre de nos comptes.

Quels sont les trois temps distincts que nous envisageons ?

Le premier temps couvre 2013 : nous ajusterons le rythme d’assainissement des comptes pour ne pas briser la croissance.

Le deuxième temps s’ouvrira en 2014 : nous approfondirons notre effort structurel pour nous donner les moyens d’atteindre notre objectif de déficit. Ce sera une année de tournant, de basculement dans la répartition de nos efforts entre recettes et dépenses, vers de moindres dépenses.

À partir de 2015, enfin, nous commencerons à réduire la part de l’endettement dans le PIB et nous progresserons vers l’équilibre structurel grâce à la montée en puissance de nos économies.

Comme l’a dit le Président François Hollande, notre politique économique n’est pas une politique d’austérité, c’est une politique sérieuse et juste. Pour 2013, donc, nous éviterons, consciemment et volontairement, d’ajouter l’austérité à la récession, et le déficit public nominal s’établira à 3,7 %, chiffre prévu par la Commission européenne.

Bernard Cazeneuve et moi-même refusons un nouveau plan d'ajustement budgétaire. L'effort a déjà été considérable et nous ne présenterons pas de collectif budgétaire à cet effet. Pourquoi ? Parce que l'effort structurel de 1,9 point de PIB, effort sans précédent, ne peut pas être aggravé sans risque de récession, dans laquelle nous ne voulons pas précipiter l'économie française. Nous voulons laisser jouer les stabilisateurs automatiques et faire en sorte, en effet, que les moteurs de la croissance soient soutenus. Nous refusons les conséquences dramatiques pour l'emploi et pour les entreprises qui résulteraient d'un plan d'austérité.

Il s'agit donc d'une politique équilibrée, qui garde le cap du sérieux budgétaire, qui préserve les capacités de l'appareil économique à croître. Nous tiendrons ce cap avec détermination, je puis vous l'assurer, mesdames, messieurs les sénateurs.

C’est en 2014, dans un second temps, que nous nous donnerons les moyens d’atteindre un déficit à 2,9 %, grâce à un effort structurel, moins important, de 1 point de PIB qui nous permettra de respecter nos engagements européens sans briser la croissance. Cet effort structurel reposera à 70 % sur des économies et à 30 % sur des recettes.

L’année 2014 sera, à bien des égards, une année charnière, grâce notamment à la montée en puissance de la modernisation de l’action publique, condition sine qua non pour faire en sorte que les économies ne se fassent pas au prix d’un effet de toise aveugle, comme ce fut le cas dans le passé avec la RGPP, la révision générale des politiques publiques.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Des mots, des mots, des mots…

M. Jean-Claude Lenoir. Comment ça s’appelle aujourd’hui ?

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous avez changé la façade !

M. Pierre Moscovici, ministre. Ce n'était pas la bonne façon de procéder (Exclamations sur les travées de l'UMP.), car, pour moderniser, il faut toujours associer les usagers et faire en sorte également que les agents se sentent engagés. Nous procéderons à l'évaluation de la totalité des politiques publiques pour permettre des économies intelligentes afin que puissent être préservées des priorités sociales, éducatives, économiques dont les Français ont besoin, même si cela vous gêne, mesdames, messieurs les sénateurs de l'opposition.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est l’opposition qui vous gêne !

M. Pierre Moscovici, ministre. Tels sont les principaux éléments de notre programme de stabilité et de notre programme national de réforme. Notre ambition est connue, elle s’inscrit dans la durée : nous voulons redresser notre pays, rétablir ses comptes publics et rendre la France plus productive…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est très mal parti !

M. Pierre Moscovici, ministre. … en gardant toujours le souci de la justice sociale, de l’emploi, en donnant toujours la priorité à l’investissement et à la jeunesse.

Le Gouvernement entend, par les choix qui vous sont proposés, associer crédibilité et ambition, adopter un rythme de consolidation budgétaire qui ne pénalise pas la croissance, mettre en œuvre des réformes profondes qui préparent l’avenir, sans nous renier. (M. le président de la commission des finances s’exclame.) Cela prend du temps, c'est vrai, mais nous creusons le sillon. Ainsi, l’économie sera plus forte, plus respectée, la France disposera des moyens lui permettant de peser davantage dans la réorientation de la construction européenne, dont je puis vous assurer qu'elle est la volonté du Président de la République et du Gouvernement.

Ne croyons pas que nous sommes plus forts en Europe si nous laissons faire ou si nous laissons aller. Pour être plus fort en Europe, il faut d'abord être crédible. C'est cette ligne de crête que nous suivons. Ces choix que nous vous proposons refusent l’austérité dont les Français, à juste titre, ne veulent pas. (M. Jean Arthuis s’exclame.) Pour autant, ce sont des choix sérieux, ce sont des choix responsables ; ils sont ambitieux, ils sont réalistes, et j'attends du Sénat,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous cherchez à gagner du temps !

M. Jean-Claude Lenoir. Faites-le voter !

M. Pierre Moscovici, ministre. … à travers ce débat, plus que de la compréhension : le soutien à cette politique qui est celle dont la France a tout simplement besoin aujourd'hui. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Alain Bertrand applaudit également.)

Un sénateur du groupe UMP. Eh bien, organisez un vote !

M. Jean-Claude Lenoir. Quel enthousiasme sur les travées de la majorité ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça ne va pas durer !

M. Alain Bertrand. Il y a une véritable stratégie au moins, pas comme avec Sarkozy !

Un sénateur du groupe socialiste. Il y a un cap !

M. Alain Bertrand. Oui, il y a un cap !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Faites-vous plaisir !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, après Pierre Moscovici, et en ayant soin que mes propos soient complémentaires aux siens, dire quelques mots sur la trajectoire des finances publiques dans laquelle nous sommes engagés et que décrit ce programme de stabilité, en insistant plus particulièrement sur quelques thèmes budgétaires.

Ce programme de stabilité sous-tend des considérations liées à notre évaluation de la conjoncture économique et à un certain nombre de données macroéconomiques qui caractériseront l'évolution de nos économies au cours des prochaines années. Ce programme sous-tend également une trajectoire budgétaire qui nous engage et nous devrons, année après année, à mesure que, dans le cadre du Semestre européen, nous présenterons nos programmes de stabilité, rendre compte, devant la représentation nationale, des conditions dans lesquelles nous atteignons nos objectifs en termes d’indicateurs budgétaires.

Avant que le débat ne s'engage, je voudrais profiter de cette séance pour répondre à quelques questions simples, en me fondant non pas sur des impressions, mais simplement sur des chiffres, sans volonté de polémiquer.

Première question : depuis l'alternance qui s'est produite au mois de mai dernier, la situation des dépenses publiques a-t-elle évolué, celles-ci sont-elles mieux maîtrisées, dans quelle trajectoire nous inscrivons-nous pour les mois qui viennent ?

Deuxième question : y a-t-il, comme certains l’affirment parfois pas toujours de manière très nuancée, une volonté de procéder à des ajustements budgétaires par le recours systématique à l'impôt, comment la pression fiscale a-t-elle évolué, comment évoluera-t-elle dans les semaines, les mois et les années qui viennent et quelle politique fiscale le Gouvernement entend-il mener jusqu'en 2017 ?

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Troisième question : compte tenu de notre stratégie d’évolution des dépenses publiques et de notre politique fiscale, quelle est l'évolution prévisible de nos déficits publics ?

Quatrième question : quel est l'impact de cette politique budgétaire, de cette trajectoire des finances publiques, sur la croissance ?

Avant de répondre à ces quatre questions, en reprenant certains des éléments qui ont été évoqués à l’instant, de manière approfondie, par le ministre de l'économie et des finances, je voudrais m’interroger avec vous sur les hypothèses de croissance sur lesquelles s’est exprimé le Haut Conseil des finances publiques, instance que nous avons créée (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) à la suite de la ratification du pacte budgétaire européen de manière à pouvoir disposer d'éléments objectifs. Je voudrais notamment revenir sur l'appréciation que le Haut Conseil porte sur les hypothèses de croissance sur lesquelles nous fondons notre trajectoire.

Ces hypothèses de croissance sont les suivantes : 1,2 % en 2014, puis 2 % les années suivantes. Comme l’a dit Pierre Moscovici à l’instant, cela suppose que nous continuions à être volontaristes pour aller chercher la croissance là où elle se trouve, et que nous menions des politiques permettant de la rendre possible.

C’est ce qui conduit le Haut Conseil des finances publiques et un certain nombre d’observateurs à considérer que nous sommes optimistes. Ce que certains appellent « optimisme », nous, nous le qualifions de « volontarisme », parce que nous avons la volonté à la fois en France et en Europe de créer les conditions de la croissance.

Ce que nous proposons en termes de stratégie de croissance doit être apprécié à l’aune de ce qui a été présenté par les gouvernements précédents au titre des programmes de stabilité antérieurs.

De ce point de vue, l’année 2012 a été très emblématique de la relation du gouvernement précédent à la croissance.

Faut-il le rappeler, au moment de la préparation du projet de loi de finances pour 2012, la précédente majorité se fondait sur une hypothèse de croissance très optimiste de 1,75 % ? Lors de l’examen de la loi de finances initiale au Sénat, nous étions à 1 %, c’est-à-dire que, en quelques semaines, pas en quelques mois, l’hypothèse avait été corrigée de 0,75 %. Puis, une loi de finances rectificative – parce que c’était la modalité de pilotage des affaires budgétaires voilà quelques mois : on partait d’hypothèses très ambitieuses et on multipliait les lois de finances rectificatives de manière à corriger une trajectoire…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’était transparent !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … qui n’avait pas été totalement pertinente à l’origine…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’était transparent au moins !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Madame la sénatrice, c’était surtout très aléatoire, car 1,75 %, puis 1 % quelques semaines après, puis 0,5 % de nouveau quelques semaines plus tard,…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … puis 0,7 % dans le programme de stabilité,…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … au raz Blanchard où j’ai appris à naviguer, cela s’appelle avancer à la godille.

Mme Nathalie Goulet. Aller à l’aveuglette !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous pratiquez la politique de l’autruche !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Telle était la méthode qui prévalait : beaucoup d’approximations dans les hypothèses sur lesquelles était fondée la trajectoire et comme de nombreuses approximations présidaient à la définition de la trajectoire, mécaniquement, il y avait beaucoup de corrections en cours de trajectoire.

C’est la raison pour laquelle de nombreuses lois de finances rectificatives sont venues par le passé corriger des hypothèses initiales qui n’étaient pas toujours pertinentes et voilà d’ailleurs pourquoi on nous demande aujourd’hui de reproduire ce schéma, c’est-à-dire de recourir à des lois de finances rectificatives,...

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … ce que nous ne ferons pas pour l’année 2013.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En effet, si nous le faisions, cela signifierait que nous nous apprêtons à corriger le niveau des dépenses et le niveau des recettes, donc à diminuer les dépenses et à augmenter les impôts, ce qui signifierait que nous sommes, dans une situation économique particulièrement dégradée de l’économie européenne et mondiale, prêts à ajouter l’austérité à la rigueur, ce que nous ne ferons pas.

J’ai rappelé ces éléments concernant les chiffres de croissance tout simplement pour dire, notamment aux sénatrices et sénateurs de l’opposition, dont je respecte les interrogations, que nous sommes beaucoup plus prudents qu’ils ne l’ont été lors de l’élaboration des lois de finances précédentes. Nous le sommes d’autant plus que les hypothèses sur lesquelles nous fondons notre trajectoire de finances publiques à la faveur de la présentation de ce programme de stabilité sont exactement les mêmes que celles de la Commission européenne, puisque, pour l’année qui s’ouvrira dans quelques mois, l’hypothèse de croissance de la Commission est pour l’heure de 1,2 %.

J’en arrive aux quatre questions que j’ai posées.

Première question : comment évolueront les dépenses, dans le cadre de ce programme de stabilité, au regard de ce qu’a été la variation des dépenses au cours des dix dernières années, et peut-on, à l’aune des résultats déjà obtenus depuis près de douze mois, considérer que ce que nous préconisons en termes d’évolution des dépenses publiques est pertinent ?

Je m’en tiendrai aux chiffres, car, même si l’exercice budgétaire n’est pas une science exacte, il est une science rigoureuse, et l’on évite d’autant plus facilement les polémiques et les mauvais débats que l’on prend soin d’adosser le raisonnement énoncé à des chiffres incontestables. Les chiffres dont je vais parler le sont, puisqu’ils n’appartiennent pas à des spéculations pour l’avenir, mais à des choses constatées pour le passé.

Je commencerai par les pourcentages d’évolution des dépenses publiques au cours des dix dernières années.

L’évolution des dépenses publiques a été, entre 2002 et 2006, de 2,3 % en moyenne, et entre 2006 et 2011, de 1,7 % en moyenne. En 2012, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai dans un instant, l’évolution a été de 0,7 %, là où nous étions engagés sur un objectif de 0,5 %. Le décalage de 0,2 % résulte simplement d’une dépense plus dynamique des collectivités locales.

Mais, parmi ceux d’entre vous qui connaissent ces chiffres, personne ne peut nier que le rapport est de 1 à 3, en termes de dynamique d’évolution des dépenses publiques, entre 2002-2011 et la tendance sur laquelle nous sommes depuis le début de l’année.

Je veux également signaler qu’en 2012 les dépenses de l’État ont diminué, pour la première fois quasiment depuis le début de la Ve République, de 300 millions d’euros, alors que ces dépenses avaient augmenté en moyenne, au cours des années précédentes, de 5 à 6 milliards d’euros par an.

Notre objectif pour 2014 est une diminution des dépenses de l’État, hors dette et pensions, de l’ordre de 1,5 milliard d’euros.

C’est la raison pour laquelle les critiques qui nous sont adressées quant à l’incapacité dans laquelle nous serions de maîtriser les dépenses publiques me paraissent peu modérées.

En effet, lorsqu’on regarde les taux d’évolution des dépenses publiques et l’évolution nominale des dépenses de l’État, nous constatons encore une fois que le rythme d’évolution des dépenses publiques s’est réduit dans une proportion de 1 à 4 et que pour la première fois nous voyons les dépenses de l’État diminuer là où elles augmentaient dans les proportions que je viens d’indiquer dans les années précédentes.

On pourrait considérer que les dépenses de l’État et les dépenses publiques évoluent de façon contrastée et que ce que je dis sur les dépenses de l’État n’est pas nécessairement vrai pour ce qui concerne d’autres dépenses publiques, je veux parler des dépenses de protection sociale.

Je tiens, là aussi, à rappeler des chiffres précis, qu’aucune personne intellectuellement honnête ne peut contester.

Les dépenses de l’ONDAM, ou objectif national des dépenses d’assurance maladie, qui ne sont pas des dépenses concernant une enveloppe réduite dans les dépenses publiques globales, ont augmenté d’un peu plus de 2 % au cours de l’année précédente. Or, faut-il le rappeler, au cours du dernier quinquennat, les dépenses de l’ONDAM, en moyenne annuelle, ont évolué de plus de 4 %.

Pour les dépenses d’assurance maladie, le rapport est de 1 à 2 entre ce qui s’est passé dans le précédent quinquennat et ce qui se passe depuis le début du quinquennat actuel. Et lorsque l’on prend la trajectoire globale prévue par le précédent gouvernement en 2012 concernant les dépenses d’assurance maladie, on constate que, par un effort de maîtrise de ces dépenses, nous avons, par rapport à la projection de la précédente majorité, un milliard d’euros de moins de dépensé en termes de dépenses d’assurance maladie en 2012, ce qui a permis une diminution de l’ordre de 4 milliards d’euros, entre 2011 et 2012, du déficit du régime général, alors que, entre 2006 et 2011, ce déficit avait augmenté de façon spectaculaire de 9 milliards d’euros.

Voilà quels sont les chiffres concernant la dépense. Ces chiffres sont incontestables et, selon moi, ils témoignent du mauvais procès que nous font ceux qui ont contribué à l’aggravation des dettes, au dérapage de la dépense publique, au creusement des déficits,…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … et qui ignorent les résultats que je viens d’indiquer,…

M. Marc Daunis. C’est incontestable !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … comme s’ils voulaient s’exonérer de leurs responsabilités pour le passé et ne pas reconnaître ce que sont les trajectoires dans lesquelles nous nous sommes engagés depuis que nous sommes aux responsabilités et pour l’avenir.

Je rejoindrai volontiers les propos tenus par M. Arthuis à l’occasion de la réunion de la commission des finances du Sénat voilà quelques jours : sur les questions budgétaires, il peut y avoir des orientations politiques différentes, mais il y a une réalité à laquelle on n’échappe pas, c’est la réalité des chiffres établis qui retrace la réalité du passé. Et dans le passé dont nous parlons, une partie renvoie à une situation où nous n’exercions pas les responsabilités,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est le passé tel que vous le reconstruisez !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … tandis qu’une autre partie, dont nous sommes comptables, est celle dont je rends compte à l’instant pour ce qui relève de l’action que nous avons conduite depuis douze mois.

Voilà pour ce qui est des dépenses.

Deuxième question : la pression fiscale et la stratégie fiscale du Gouvernement pour les années qui viennent.

Le semestre européen a cet avantage qu’il permet à nos deux assemblées d’être parfaitement informées et affranchies quant aux intentions des gouvernements devant l’Union européenne. Le semestre européen a ce mérite qu’il nous invite, année après année, à la faveur de l’examen de ces pactes de stabilité, à indiquer quelles sont nos trajectoires, nos indicateurs, nos statistiques. Il permet donc aux sénateurs et aux députés, année après année, de constater le décalage qui existe entre les objectifs qu’on s’est fixés à soi-même et les résultats obtenus.

Par conséquent, lorsque l’on regarde le programme de stabilité présenté par la précédente majorité et qui prévoyait des augmentations d’impôts, on constate que la trajectoire fiscale de nos prédécesseurs est presque la même, en termes de pourcentage et d’évolution, que celle que nous proposons. Pourquoi ? Tout simplement parce que les déficits sont si importants et la dette à ce point significative qu’il est impossible de procéder à l’ajustement de nos finances publiques par la seule mobilisation de la diminution des dépenses publiques.

Si nous le faisions, nous remettrions en cause les services publics qui constituent, en ces temps de crise, le patrimoine de ceux qui n’ont rien. Le ministre du budget est aussi le ministre du patrimoine de ceux qui n’en ont pas et, par conséquent, nous devons veiller, lorsque nous procédons à des économies, à ne pas remettre en cause les services publics et la protection sociale, car cela aurait des conséquences récessives évidentes.

Il faut bien convoquer l’impôt de façon raisonnable lorsqu’on veut ajuster. Nous, nous avons cherché à le faire dans la justice.

Je voudrais indiquer notre trajectoire fiscale pour les années à venir.

Pour l’année 2014, nous devrons consentir un effort de 20 milliards d’euros. Comme l’a indiqué M. le Président de la République, – vous vous rendrez compte, lorsque je présenterai le projet de loi de finances pour 2014 devant votre assemblée, que cet engagement sera respecté – cet effort sera accompli, pour les deux tiers, à travers des économies et, pour un tiers, par une augmentation de la pression fiscale à hauteur de 0,3 % en 2014, pression qui s’atténuera progressivement au cours des années suivantes jusqu’à atteindre en 2016–2017 un taux comparable à celui que nous avions en 2013. Autrement dit, l’effort fiscal demandé en 2014 sera compensé dans les années qui viennent.

Ces 6 milliards d’euros d’effort fiscal, d’où viennent-ils ? Constituent-ils ce que certains d’entre vous appellent un « matraquage fiscal » ? La réponse est non.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En effet, cette somme totale comprend d’abord un milliard d’euros d’augmentation de cotisations sociales déjà acté et engrangé dans le cadre de l’accord passé entre les partenaires sociaux au titre des régimes de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO.

Certaines recettes qui étaient prévues dans le budget de 2013 n’ont pas été réalisées pour plusieurs raisons, notamment parce qu’elles n’ont pas produit le rendement escompté – je pense en particulier à la taxe sur les transactions financières – ou parce que le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions qui en étaient à l’origine – par exemple la taxe à 75 %.

Le budget de 2014 sera l’occasion de procéder, à hauteur de 1 milliard d’euros, à la récupération de ce produit fiscal qui était envisagé en 2013 et qui, pour les motifs que je viens d’indiquer, n’a pas donné le rendement attendu ou n’a pas été perçu.

Ensuite, nous escomptons quelque 4 milliards d’euros de la lutte contre la fraude fiscale et de la poursuite du travail que nous avons engagé sur les niches fiscales et sociales.

Je vous le rappelle, en 2012, notre politique a permis d’augmenter de 2 milliards d’euros les recettes résultant de la lutte contre la fraude fiscale. Nous avons l’intention de continuer et d’intensifier ce travail : ceux qui doivent acquitter leurs impôts en France, en vertu des règles fiscales qui régissent le fonctionnement de nos finances publiques, doivent payer leurs contributions. Tout ce que nous prélevons sur ceux qui essayent d’échapper à ces obligations est bon pour nos recettes et pour nos équilibres budgétaires. De surcroît, c’est une action citoyenne et juste.

Par ailleurs, je le répète, nous avons l’intention de poursuivre le nettoyage des niches fiscales et sociales.

Voilà d’où viennent les 6 milliards d’euros que j’évoquais.

Nous aurons l’occasion d’en débattre au cours des prochains mois et des prochaines années, mais je le souligne d’ores et déjà devant le Sénat : nous ajusterons les prochains budgets par les économies, et nous ne solliciterons l’impôt qu’à la marge, lorsque cela sera réellement indispensable. Les économies seront désormais le moyen privilégié de l’équilibre de nos budgets pour favoriser la croissance et garantir le redémarrage de l’économie.

Au demeurant, le Président de la République s’exprimera sur ces sujets dans quelques jours, notamment pour ce qui concerne la fiscalité des entreprises.

Troisième question : les déficits. Je les évoquerai en quelques mots.

Non seulement, notre politique conduit à une meilleure maîtrise des dépenses et à une action fiscale raisonnable, mais elle a un impact sur les déficits.

Faut-il le rappeler ? Les chiffres sont incontestables : le déficit structurel de la France a bondi de 30 milliards à 100 milliards d’euros au cours des deux précédents quinquennats.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On est passé du vice à la vertu !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. En pourcentage, le déficit a augmenté de près de 2 %. La dette a, quant à elle, crû de 25 points de PIB au cours du dernier quinquennat.

Quelle est l’évolution du déficit structurel depuis 2012 ? La situation que nous avons trouvée à notre arrivée a été parfaitement photographiée via un audit de la Cour des comptes, que nous avons sollicitée à cette fin : ce document montre qu’il existait un risque de dérapage des dépenses à hauteur de 2 milliards d’euros, et une surestimation manifeste des recettes fiscales à hauteur de 8 milliards d’euros.

Nous avons donc pris des dispositions à caractère fiscal en sollicitant 7 milliards d’euros de prélèvements supplémentaires : nous ne pouvions pas faire autrement dans la mesure où nous arrivions ! Parallèlement, par une recherche d’économies et par un gel supplémentaire, nous avons maîtrisé les dépenses de l’État. Résultat : nous sommes parvenus à éviter le dérapage du déficit nominal. Il se serait élevé à 5,5 % si nous n’avions pas pris ces mesures : il n’a été que de 4,8 %.

S’il subsiste une différence de 0,3 % entre notre cible – à savoir 4,5 % – et le résultat constaté – c’est-à-dire 4,8 % –, c’est pour des raisons qui tiennent à des événements exceptionnels, à savoir la nécessaire recapitalisation de Dexia et la nécessité d’absorber 800 millions d’euros au titre du budget européen, parce qu’il avait été décidé de sous-évaluer les crédits de paiement nécessaires au financement des politiques de l’Union et parce qu’il a fallu, à la demande de la Commission européenne, rattraper ce retard.

De plus, le déficit s’est élevé à 5,3 % en 2011 alors que l’on s’attendait à ce qu’il ne soit que de 5,2 %. Ce dixième de point a eu un impact sur le déficit de 2012.

En outre, il est vrai qu’une part de responsabilité nous incombe : notre loi de finances rectificative se fondait sur une hypothèse de croissance de 0,3 %, alors qu’en réalité la croissance a été moindre. Cet écart explique également le décalage observé entre le déficit sur lequel nous nous étions engagés et le déficit réel constaté.

Toutefois, en la matière, 2012 aura été la première année de réduction significative du déficit structurel : ce dernier a baissé de 1,2 %.

M. Didier Guillaume. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous visons un objectif de 1,8 % en 2013…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bien sûr, tout va très bien !

M. Marc Daunis. Non, mais ça va tout de même nettement mieux !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Naturellement !

Mme Nathalie Goulet. En tout cas mieux qu’avec la loi TEPA !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … et de 1 % en 2014. Ces chiffres sont incontestables ! Je comprends qu’ils gênent,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non ! Tout va bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … puisqu’ils vont à l’encontre de la constante opération d’enfumage à laquelle nous devons faire face. (Mme Odette Herviaux applaudit.) Mais ils reflètent simplement la réalité constatée et, en matière budgétaire, on ne peut pas échapper à la réalité des chiffres !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On ne peut pas échapper à la réalité de notre dette !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Voilà pour ce qui concerne les dépenses, la fiscalité et les déficits.

Quatrièmement et enfin, j’évoquerai la croissance.

La politique de rigueur – car il faut bien la qualifier ainsi – dans laquelle nous nous sommes engagés nous éloigne-t-elle de l’investissement et de l’ambition de croissance ?

Mesdames, messieurs les sénateurs, je rappellerai simplement que ce gouvernement a lancé, en mobilisant les crédits de l’Union européenne et ses moyens propres, une stratégie d’investissement extrêmement ambitieuse.

Sur ce sujet également, je citerai des exemples concrets : la mobilisation de 20 milliards d’euros pour l’équipement numérique des territoires sur dix ans ; la volonté d’accompagner la construction de 500 000 logements sociaux à travers des efforts significatifs de réduction de la TVA sur la construction de logements sociaux neufs ; la volonté que toutes ces dispositions permettent d’accompagner la relance du bâtiment, car on sait à quel point ce secteur a un impact sur la croissance.

On pourrait par ailleurs évoquer les 120 milliards d’euros du pacte de croissance,…

M. Jean Arthuis. Ça, c’est du bidon !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. … négocié au mois de juin, qui sera à l’ordre du jour du Conseil européen du mois de mai.

M. Jean Arthuis. Taratata !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce pacte de croissance représente, pour la France, un volume global d’investissements de 10 milliards d’euros.

Madame Des Esgaulx, vous vous exclamez en disant « taratata ».

M. Jean Arthuis. Non, c’est moi !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Ce mot ressemble pourtant moins à M. Arthuis !

Mme Nathalie Goulet. C’est un taratata global !

M. Marc Daunis. Un petit moment musical…

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Si vous en êtes d’accord, je vous propose de venir, lors de la prochaine réunion de votre commission des finances, présenter la déclinaison de ce plan de croissance par territoire, ce qui permettra d’en établir la traçabilité pour chacun. Ainsi, nous mettrons un terme à ce mauvais débat au sujet d’un dispositif que nous sommes les seuls à ignorer alors que l’ensemble des acteurs de la Commission européenne y travaillent. Ce plan de croissance a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil européen du mois de mai prochain, et il a été considéré comme une chance par la plupart des pays de l’Union.

Ainsi, ce que nous faisons en termes de rigueur n’est pas mené au détriment de l’investissement, qui est un élément déterminant de la croissance dont nous avons besoin.

La politique que nous menons, et que ce pacte de stabilité matérialise, repose sur un équilibre subtil entre, d’une part, la nécessité de redressement des comptes et, d’autre part, l’exigence de croissance : sans rétablissement des comptes, il n’y aura pas de croissance, et sans croissance nous n’aurons aucune chance de restaurer dans la durée la situation de nos finances publiques, depuis si longtemps dégradée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jacques Mézard et Alain Bertrand applaudissent également.)

M. Michel Berson. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun ici mesure l’importance du programme de stabilité et du programme national de réforme. Tous deux définissent une stratégie appelée à être ensuite évaluée par nos partenaires européens. Nous nous trouvons donc à un moment clé du « semestre européen », justifiant la tenue de ce débat au Parlement.

L’enjeu ne se situe pas seulement au niveau national. En effet, l’interdépendance des économies et des politiques budgétaires invite à porter un regard global sur notre capacité à définir les chemins de sortie de crise.

Les questions qui s’imposent à la France se posent partout dans la zone euro. Elles appellent à consolider la dynamique de résolution de la crise à l’échelle européenne et à mieux coordonner les politiques publiques.

Monsieur le ministre, de ce point de vue, on doit se féliciter de voir aujourd’hui l’Europe se saisir de sujets majeurs qui avaient été laissés en jachère depuis des années, comme l’attention portée à la croissance économique, la création de l’union bancaire, la taxe sur les transactions financières, ou encore l’annonce récente de la mise en place d’une plateforme de lutte contre l’évasion fiscale.

Mes chers collègues, on peut le dire, la volonté régulatrice des autorités européennes s’affirme enfin de manière plus déterminée depuis quelques mois.

Force est de constater que si l’Europe s’anime davantage, c’est non seulement parce que la parole de la France plaide en ce sens – et sans doute est-elle entendue ! –, mais aussi parce que les autorités européennes, comme beaucoup de prescripteurs mondiaux – qu’ils soient au FMI, à l’OCDE ou à la Banque mondiale –, prennent conscience d’une lourde erreur d’analyse économique qui, depuis plusieurs années, a conduit à préconiser une médication « austéritaire » pouvant conduire le malade à mourir guéri. (Mme Odette Herviaux sourit.)

En effet, force est de constater que les théories néolibérales inspirées de Ricardo ont conduit à sous-estimer l’effet déflagratoire des mesures brutales de réduction des déficits publics. Ces théories sont d’ailleurs aujourd’hui sous le feu des critiques.

A contrario, la théorie keynésienne, que certains avaient bien imprudemment jetée dans les poubelles de l’histoire, a fait, depuis peu, l’objet d’une subite réhabilitation. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les récentes déclarations de Jack Lew, Christine Lagarde, Olli Rehn ou José Manuel Barroso ! Le ministre de l’économie et des finances l’a souligné il y a quelques instants en évoquant un « changement climatique » dans les grandes instances européennes, relativement à cette volonté de réorientation vers la croissance, aujourd’hui exprimée partout.

Désormais, nul ne peut ignorer en France ce contexte général européen et mondial particulièrement exigeant.

Dans ces conditions, le programme de stabilité et le programme national de réforme doivent concilier deux exigences.

Premièrement, il faut assurer le redressement de nos finances publiques et la réduction de notre endettement. C’est un impératif moral, parce qu’il convient de limiter, et demain, de réduire, le poids qui pèse sur les jeunes générations ; de nombreux défis nous attendent, notamment le vieillissement de la population. Y faire face exigera de dégager de plus grandes marges de manœuvre budgétaires, et donc de réduire dès aujourd’hui notre dette publique. Il faut d’ailleurs rappeler, à ce propos, que celle-ci s’est accrue de près de 600 milliards d’euros au cours de la précédente législature, augmentation que la crise est très loin d’expliquer totalement. Il est aujourd’hui indispensable d’inverser cette tendance.

Deuxièmement, il faut éviter que cet ajustement ne conduise, par sa brutalité, à une récession qui nous empêcherait d’inverser une autre courbe, celle du chômage. Une telle situation ne serait pas acceptée par nos concitoyens et nuirait à la conduite des réformes indispensables à notre pays.

Mes chers collègues, il est indispensable de préserver la croissance. Tous nos partenaires, le FMI et, désormais, les institutions européennes en conviennent : un ajustement trop brutal n’est pas souhaitable, et il serait absurde de vouloir suivre une trajectoire prédéfinie à n’importe quel prix, quelle que soit la conjoncture.

Le projet de programme de stabilité du Gouvernement manifeste à cet égard un utile discernement. De fait, il entend repousser à 2014 l’atteinte de l’objectif d’un déficit public inférieur à 3 % du PIB. Ce faisant, le Gouvernement suit un cap parfaitement clair : il avance avec détermination sur la voie du redressement des finances publiques, en se préoccupant de la justice sociale et en préservant les perspectives de croissance.

Le Gouvernement poursuit la consolidation engagée de nos finances publiques, car reporter l’atteinte des 3 % ne signifie certainement pas renoncer aux efforts.

La trajectoire d’ajustement structurel qui nous est proposée est conforme aux engagements européens de la France ; elle est ambitieuse et prévoit des efforts accentués par rapport à la loi de programmation des finances publiques votée à la fin de l’année dernière. Les efforts programmés sont très importants : faut-il le rappeler, M. le ministre l’a dit, un point de PIB en 2014, soit 20 milliards d’euros et, au total, 110 milliards d’euros d’efforts pour la période 2012–2017.

En 2012 et 2013, cet effort a principalement porté sur les recettes, et, parmi les ménages, sur les plus aisés, en fonction de leurs capacités.

Cette stratégie est justifiée économiquement car, à court terme, la concentration de l’effort sur les recettes présente un effet dépressif moindre que celui de la réduction de la dépense publique. En outre, faire peser l’effort sur les ménages les plus aisés permet de limiter l’impact négatif sur la demande.

Un effort important a également été demandé aux entreprises, mais il est déjà pour partie compensé par le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, qui, à terme, allégera leurs charges d’environ 20 milliards d’euros.

Ainsi que les deux ministres viennent de nous le préciser, le Gouvernement entend désormais faire porter l’essentiel de l’ajustement sur les dépenses publiques. Dès 2014, elles supporteront 70 % de l’effort, contre 30 % pour les recettes ; sur la période 2013–2017 couverte par le programme de stabilité, l’effort portera pour près des deux tiers sur les dépenses.

Cet effort considérable, pour être durable et intelligent, suppose une préparation, une concertation, une méthode. C’est le sens des démarches engagées par le Gouvernement, en particulier dans le cadre de la modernisation de l’action publique. Il s’agit non pas d’adopter une logique aveugle de réduction des dépenses, mais, au contraire, de préserver l’accès aux services publics, de moderniser notre modèle social pour en garantir les fondements et, bien sûr, de favoriser les politiques au service de la cohésion sociale et de la croissance de demain.

La situation des finances publiques héritée du passé est un lourd fardeau, mais son redressement est une nécessité et il est bien engagé. Si nous ne le faisons pas aujourd’hui, la charge de notre dette exigera demain des ajustements encore plus douloureux. Ce redressement n’empêche pas le Gouvernement de mener sa politique, une politique de gauche ! Le budget pluriannuel adopté l’an dernier marque ainsi des priorités fortes en faveur de l’enseignement, de la cohésion sociale, de la sécurité et de la justice ; des initiatives fortes ont été engagées en faveur de la justice sociale, comme le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté ou les dispositions prises en faveur du logement.

Je voudrais enfin insister sur la crédibilité de la trajectoire présentée par le Gouvernement. C’est un capital précieux, mais aussi fragile, notamment parce que notre pays n’a pas toujours respecté ses engagements par le passé.

Le Gouvernement a déjà montré sa détermination à maîtriser les dépenses : en 2012, pour la première fois, les dépenses de l’État ont été inférieures à celles de 2011. Il a également engagé des réformes structurelles d’ampleur, qui permettront de rétablir durablement la compétitivité de notre économie : la poursuite et la réorientation du programme d’investissement d’avenir, la création de la Banque publique d’investissement, le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, ou encore le choc de simplification, notamment en direction des petites et moyennes entreprises.

Cette crédibilité est indispensable pour la mobilisation du pays et de tous ses acteurs, car la fixation d’un cap pour l’ensemble de la législature doit favoriser le retour de la confiance.

Elle est aussi déterminante vis-à-vis de nos partenaires européens, eu égard aux nouvelles règles dont nous avons décidé collectivement. Il faut les appliquer avec discernement, mais nous ne pouvons pas écarter par facilité le « règlement de copropriété de l’euro », une expression que Jean Arthuis utilisait ici même, sans mettre en péril le devenir de l’ensemble de la zone.

Cette crédibilité est enfin importante vis-à-vis des investisseurs, car elle permet de contenir le poids de la dette. Je me plais à souligner ici, mes chers collègues, que les taux très bas auxquels nous émettons nos titres de dette et la réduction de l’écart avec l’Allemagne s’expliquent par de multiples facteurs, mais ils montrent que, contrairement à ce que certains prévoyaient, la politique conduite par ce gouvernement ne suscite pas la défiance des investisseurs, bien au contraire, allais-je dire !

Le projet de programme de stabilité repose sur des hypothèses de croissance que le Haut Conseil des finances publiques a, certes, – certains l’ont déjà mentionné en commission – jugées optimistes, mais pas irréalistes. En la matière, les variables sont nombreuses et leur évolution est incertaine, mais les prévisions du Gouvernement ne sont pas hors de portée. En effet, leurs fondements sont crédibles, qu’il s’agisse de l’augmentation de la demande internationale adressée à la France ou celle de la demande intérieure, portée par une baisse modérée du taux d’épargne des ménages.

Si la croissance n’était pas au rendez-vous à un niveau permettant un retour sous les 3 % dès 2014, la question de la mise en œuvre d’ajustements supplémentaires serait posée. C’est une décision qu’il conviendra de prendre avec nos partenaires européens, mais il faut avant tout inscrire notre trajectoire de redressement dans la durée, ce que fait ce programme de stabilité.

J’ai déjà souligné qu’au niveau de l’Union européenne les progrès accomplis depuis un an sont considérables, à travers notamment l’action de la Banque centrale européenne, les avancées concernant l’union bancaire et le pacte pour la croissance porté par le Président de la République. Ils assurent la crédibilité de la zone euro, qui repose sur sa capacité à la fois à mettre en œuvre une discipline collective et à aller vers plus d’intégration et de solidarité.

Cette crédibilité, acquise à travers les efforts collectivement consentis, doit permettre aujourd’hui de mieux prendre en compte la question de la croissance. C’est le sens de l’action du Président de la République et du Gouvernement depuis bientôt un an. Une prise de conscience semble émerger au niveau européen, si j’en juge par quelques signaux envoyés ces derniers jours. Et chacun sera attentif à toutes les déclarations, dont j’ai déjà fait état, émanant des autorités européennes en la matière. Hier encore, Manuel Barroso nous indiquait à quel point il faut aujourd’hui s’engager dans une réorientation stratégique axée sur la croissance. (M. Jackie Pierre s’exclame.)

M. Jean Bizet. Très bien !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. J’en termine, mes chers collègues, en souhaitant tout simplement ici que nous puissions obtenir auprès de nos partenaires européens le report, souhaité par le gouvernement français, de l’atteinte du seuil des 3 % à 2014, mais aussi leur confiance dans notre détermination à mettre en œuvre les efforts pour rétablir nos finances et notre compétitivité. Au-delà de la situation de la France, et je sais que vous y êtes particulièrement sensible, monsieur le ministre du budget, je souhaite que l’Union européenne puisse, en maintenant une discipline collective, relancer des politiques assurant un retour rapide de la croissance et, ainsi, une dynamique porteuse d’avenir pour le projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jacques Mézard et Alain Bertrand applaudissent également.)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean Arthuis.

M. Henri de Raincourt. Il a des choses à dire !

M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le programme de stabilité et le programme national de réforme sont des actes majeurs que le Gouvernement met en débat, furtivement, devant le Parlement avant de les transmettre à la Commission européenne.

M. Jacques Mézard. Voilà que l’on invente le Gouvernement furtif…

M. Jean Arthuis. Actes majeurs, puisqu’ils engagent la trajectoire budgétaire jusqu’en 2017 ; actes majeurs, puisqu’ils encadrent les prochaines lois de finances et les prochaines lois de financement de la sécurité sociale ; actes majeurs, parce qu’ils décrivent les pistes de réformes qui permettent de tenir les objectifs.

Dès lors, comment pouvons-nous admettre, chers collègues, que le Sénat ne puisse sanctionner ce débat par un vote ?

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bonne question !

M. Jean Arthuis. Il y a quelques instants, Pierre Moscovici a conclu son propos en exprimant le souhait que le Sénat soutienne le Gouvernement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Jean Bizet et Henri de Raincourt. Oui, mais comment ?

MM. Ladislas Poniatowski et François Trucy. En effet !

M. Jean Bizet. Comment, en effet ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. On peut voter à main levée ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Rebsamen. Mais oui, à main levée ! (Même mouvement.)

M. Jean Arthuis. Toutefois, mes chers collègues, comment manifeste-t-on son soutien, sinon par l’expression d’un vote ?

M. Jean Arthuis. Certes, l’année dernière, il n’y avait pas eu de vote, mais il n’y avait pas eu non plus de débat, en raison de l’élection présidentielle. Je vous rappelle cependant qu’en avril 2011 le précédent gouvernement avait eu l’élégance et le courage de soumettre son programme au vote,…

M. Jean Arthuis. … ce qui l’avait conduit à ramener son hypothèse de croissance de 2 % à 1,75 %, prévision qui s’était révélée juste à l’époque. Nous entrions ainsi dans ce qu’il est convenu d’appeler désormais le semestre européen.

Jusque-là, convenons-en, le programme de stabilité constituait un exercice formel, dérisoire, destiné à rassurer à bon compte nos partenaires européens, à défaut de nous rassurer nous-mêmes, fondé sur l’illusionnisme budgétaire, le volontarisme des hypothèses de croissance et, dans la plupart des cas, la sous-évaluation des dépenses. Il a fallu le séisme suscité par la crise des dettes souveraines pour changer la donne et la procédure.

Désormais, la solidarité des États membres de la zone euro nous ordonne de sortir du déni de réalité. Pour des impératifs d’ordre européen, certes, mais d’abord et avant tout dans l’intérêt de la France, du redressement de notre économie et de l’inversion de la courbe du chômage. C’est dire si l’interdiction de vote constitue une humiliation pour notre assemblée !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Une vexation !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On est d’accord !

Mme Michelle Meunier. Il ne faut pas exagérer, tout de même !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien une humiliation !

M. Jean Arthuis. Comment le président du Sénat et la majorité sénatoriale ont-ils pu s’y résigner ?

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Mais y a-t-il vraiment une majorité ? (Mme Nathalie Goulet sourit.)

M. Jean Arthuis. Au-delà de la protestation que j’exprime au nom du groupe UDI-UC, je veux expliciter les deux critiques majeures qu’appelle le dispositif mis en forme par le Gouvernement, soulignant ainsi le contraste qui le différencie de nos propres options.

En premier lieu, s’agissant des prévisions de croissance, nous avions cru comprendre qu’en créant le Haut Conseil des finances publiques le Gouvernement avait enfin décidé, et c’était admirable, de rompre avec la vieille et coupable pratique des prévisions volontaristes. Malheureusement, il n’en est rien. Le Haut Conseil, tout juste installé, affiche d’emblée une louable indépendance, faisant taire les suspicions qu’avait suscitées sa création. En effet, il a osé, au terme de ses analyses, déclarer que la France est, cette année, en récession.

Devant ce langage de vérité, amplement confirmé par les signes que nous vérifions tous les jours dans nos départements et nos circonscriptions (M. le président de la commission des finances opine.) – montée du chômage, procédures d’alerte, dépôts de bilan de très nombreuses entreprises –, le Gouvernement persiste dans sa vision irréaliste.

Il est vrai que la trajectoire budgétaire tend plus facilement vers la résorption des déficits dès lors que les hypothèses de croissance sont dopées artificiellement.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et le déficit est au rendez-vous !

M. Jean Arthuis. Vous avez donc choisi, monsieur le ministre, de perpétuer des méthodes douteuses, historiquement datées, pour mieux sauver les apparences.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !

M. Jean Arthuis. Qui peut croire à une croissance de 2 % dès 2015 ? Pour que cela se vérifie, il faudrait mettre en œuvre des réformes structurelles qui, à la vérité, contredisent vos dogmes.

Votre stratégie pour le redressement n’est pas à la hauteur de la situation dramatique de notre pays. Et cessons, je vous prie, de nous renvoyer la balle sur ce qui aurait pu et dû être accompli hier par les équipes au pouvoir (Exclamations sur les travées de l'UMP. – M. Jackie Pierre applaudit.),

M. Roland Courteau. Cela a duré 10 ans, quand même !

M. Jean Arthuis. … qu’il s’agisse de la rigueur budgétaire, de la durée du temps de travail ou des normes.

M. Marc Daunis. Vous avez eu le pouvoir pendant 10 ans, alors ne nous donnez pas de leçons, d’accord ?

M. Jean Arthuis. C’est vrai qu’hier, on a laissé filer le déficit public, c’est vrai qu’hier, on a oublié d’abroger les trente-cinq heures, et que l’on s’en est remis trop facilement à des usines à gaz.

M. François Rebsamen. Ce sont vos méthodes, pas les nôtres !

M. Jean Arthuis. Donc, cessons de nous renvoyer ainsi la balle. Ce qui compte, c’est se sortir de cette crise et redonner l’espoir et la confiance à nos concitoyens. Ce que vous proposez aujourd’hui, monsieur le ministre, ne peut suffire à enrayer le processus de déclin.

M. Roland Courteau. Et vous, qu’avez-vous fait ?

M. Jean Arthuis. Par conséquent, efforçons-nous de nous rassembler sur l’essentiel.

J’en viens à ma seconde critique. Vos réformes sont symboliques et ne peuvent produire les effets attendus. La Banque publique d’investissement (M. Roland Courteau s’exclame.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Parlons-en !

M. Jean Arthuis. … n’est que le recyclage d’OSEO, de CDC entreprises et du Fonds stratégique d’investissement, avec, en prime,…

M. Henri de Raincourt et M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ségolène Royal !

M. Jean Arthuis. … une gouvernance que je qualifierai d’abracadabrantesque, ainsi qu’en témoigne son dispositif de communication et de porte-parolat. (Sourires sur les travées de l'UMP.) Et, à mon avis, on n’a pas tout vu ! (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Quant au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, il perpétue la complexité : sa circulaire d’application tient en une quarantaine de pages !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est le choc de simplification !

M. Jean Arthuis. En effet, c’est sans doute l’illustration du « choc de simplification » prescrit par le Président Hollande.

Ce CICE opère à la marge un allégement des charges sociales, très en deçà des préconisations de Louis Gallois, elles-mêmes en deçà de ce qu’il conviendrait de faire, c’est-à-dire basculer au moins 50 milliards d’euros de cotisations sociales.

M. Roland Courteau. Que ne l’avez-vous fait !

M. Jean Arthuis. Un tel « choc de compétitivité » ne peut être financé que par une taxe sur les produits, y compris les produits que nous importons et que nous consommons.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bien sûr !

M. Jean Arthuis. Pour l’essentiel, cette taxe serait non plus un impôt de production, mais un supplément de TVA.

Nous commençons, enfin, à reconnaître, ici et là, que les impôts pesant sur la production poussent à la délocalisation des activités…

M. Jean Arthuis. … et, par conséquent, à la montée du chômage.

Mme Nathalie Goulet. Parfaitement !

M. Jean Arthuis. Cette mesure, avec d’autres, permettrait de redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens et d’améliorer le sort des entreprises françaises.

À cet égard, l’INSEE vient de le confirmer, les marges des entreprises n’ont cessé de baisser, à tel point qu’elles sont aujourd’hui les plus faibles des entreprises des dix-sept pays de la zone euro.

M. François Rebsamen. Elles étaient les plus fortes en 2002 !

M. Jean Arthuis. Triste record pour la France !

Enfin, ceux qui nous observent et attendent le redressement de la France estiment que, si nos réformes constituent un pas dans la bonne direction, elles ne suffisent pas. Tel est, parmi d’autres, le diagnostic que vient de dresser la Commission européenne, et dont vous devriez tenir compte, monsieur le ministre.

Par ailleurs, pour équilibrer les comptes publics, le matraquage fiscal a ses limites. La question fondamentale est d’engager le reflux des dépenses publiques. Telle est, je le sais bien, monsieur le ministre, votre détermination, mais il va falloir le démontrer.

Le Gouvernement multiplie les initiatives coûteuses. Ce matin, en commission des finances, nous examinions le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, avec le rétablissement de la scolarité à deux ans et la création de 60 000 postes d’enseignants.

M. Roland Courteau. Eh oui ! C’est très bien !

M. Éric Bocquet. Des investissements d’avenir !

M. Jean Arthuis. Voilà quelques mesures parmi d’autres ! Nous attendons de connaître le détail du moratoire sur les normes, les modalités d’abrogation des 35 heures (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.), vos arbitrages pour réduire les dépenses sociales, votre réforme des retraites, les informations précises sur les économies que vous escomptez réaliser, autant de mesures indispensables dont vous ajournez la concrétisation. C’est malheureusement la chronique d’un sinistre annoncé !

Enfin, mes chers collègues, je voudrais que l’on évite, à l’occasion de ce débat, tout réquisitoire anti-européen. Il est, bien sûr, toujours tentant dans les circonstances aussi graves que celles que nous connaissons aujourd'hui de transformer l’Europe en bouc émissaire.

Le seul procès que nous pourrions lui intenter est d’avoir permis à la France de pratiquer si longtemps des déficits aussi importants sans encourir de sanction.

M. Yannick Vaugrenard. Depuis dix ans !

M. Jean Arthuis. Le redressement incontournable est, certes, un engagement européen. Mais si la France n’était pas dans la zone euro, elle serait en situation calamiteuse, catastrophique,…

M. Roland Courteau. La faute de qui ?

M. Jean Arthuis. … et ce sont nos créanciers qui nous dicteraient les réformes à accomplir. Combien de dévaluations devrions-nous subir ? Quel serait alors le prix de l’énergie ? Celui du carburant ? Ce serait à n’en point douter l’explosion du chômage !

M. François Rebsamen. Ça, c’est vrai !

M. Jean Arthuis. Apocalyse Now ! (M. Alain Bertrand s’exclame.)

Pendant ce débat, austérité et rigueur sont les mots que le Gouvernement oppose souvent. Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, l’austérité n’est que la sanction fatale du manque de rigueur.

Monsieur le rapporteur général, vous attendez beaucoup des propos qu’a tenus hier M. Barroso. Pour avoir rencontré à Berlin, avec Jean Bizet, quelques responsables allemands,…

M. Jean Arthuis. … je puis vous dire que la tonalité était quelque peu différente. Ne vous y trompez pas !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ils sont 27 !

M. Jean Arthuis. Le programme de stabilité nous engage. Aussi, comme tel, il devrait être légitimé par un vote au Parlement.

M. Jean Arthuis. Je regrette amèrement le dédain manifesté par le Gouvernement à l’encontre du Sénat…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est scandaleux !

M. Jean Arthuis. … et plus encore la docilité résignée de la majorité sénatoriale, face à ce que j’appelle « une maltraitance ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Ladislas Poniatowski. On a censuré le Sénat !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est pour cette raison que nous nous opposons !

M. Jean Arthuis. Voulez-vous dire, mes chers collègues de la majorité, que tout est fait comme si le Sénat n’était qu’une « anomalie démocratique » ?... (Même mouvement.)

En ces temps de crise de confiance,…

M. le président. Je vous prie de bien vouloir conclure, mon cher collègue.

M. Jean Arthuis. … l’angoisse face à la mondialisation et à l’avenir est perceptible. Le Sénat devrait être la chambre de la lucidité, du courage…

M. Jean-Claude Lenoir. Et c’est pourquoi on ne lui donne pas la possibilité de voter !

M. Jean Arthuis. … et de la sagesse. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Vincent Placé. Le Sénat n’est jamais résigné !

M. Jean Arthuis. Le Sénat devrait être…

M. le président. Mon cher collègue, je vous demande de faire preuve de rigueur dans le temps qui vous est imparti.

M. Jean Arthuis. Je conclus, monsieur le président.

Le Sénat devrait être, disais-je, l’espace où le jeu politicien s’apaise pour faire émerger des propositions consensuelles supra-partisanes, le lieu privilégié où renaissent l’espoir et l’optimisme sur d’autres bases que des chiffres fallacieux et des conventions de langage. (M. Didier Guillaume s’exclame.)

M. Marc Daunis. Excessif !

M. Jean Arthuis. Mes chers collègues, il est de notre responsabilité de démontrer l’originalité et l’utilité de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, s’il y avait un vote,…

M. Jacques Mézard. … nous nous prononcerions, à une très large majorité, en faveur de ce qui nous est présenté par le Gouvernement.

M. Marc Daunis. Très bien !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien ! Que chacun s’exprime !

M. Jacques Mézard. Nous avons l’habitude d’assumer nos choix, quelles qu’en soient les conséquences ! (M. Francis Delattre s’exclame.)

Quant au déni de réalité, monsieur Arthuis, il n’est pas l’apanage de ce gouvernement.

M. Jean Arthuis. Oui, je l’ai dit !

M. Jacques Mézard. Vous l’avez d’ailleurs rappelé très clairement, et je vous en remercie. Si déni de réalité il y a, ce dont nous ne sommes pas sûrs, nous nous situons plus dans la continuité que dans le changement !

Mme Évelyne Didier. Très juste !

M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre du budget, vous avez posé quatre questions, mais y répondre est un exercice très difficile. Cela s’apparente certainement à la quadrature du cercle pour un ministre du budget.

Ce programme de stabilité esquisse le cadre économique et financier pour les années à venir. On notera au passage que les prévisions macroéconomiques du programme de stabilité pour les années 2013–2017 ont sensiblement évolué par rapport à celles de la loi de programmation,…

M. Francis Delattre. Et ce n’est pas fini !

M. Jacques Mézard. … qui était nettement plus optimiste quant à la rapidité et à l’ampleur de la reprise de l’activité économique. Mais, à la différence de la loi de programmation, le programme de stabilité sera transmis à la Commission européenne dans le cadre du « semestre européen », et celle-ci publiera ensuite ses recommandations à la France et aux autres États membres d’ici à la fin du mois de mai. Ce programme a valeur de test de crédibilité pour la France.

M. Francis Delattre. C’est mal parti !

M. Jacques Mézard. Faut-il le rappeler, notre pays n’a pas de très bons antécédents en la matière – là aussi, il s’agira d’une continuité – puisqu’il n’a jamais respecté les programmes transmis à la Commission européenne, pas plus que les objectifs fixés dans les diverses lois de programmation. Tous ces textes ont été caractérisés par un « biais optimiste » dans les prévisions de croissance.

Qu’en est-il des prévisions du présent projet de programme de stabilité ?

Il est difficile de prévoir moins de 0,1 % de croissance pour 2013 (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.), la croissance étant déjà nulle en 2012. Une augmentation de 1,2 % du PIB en 2014 semble déjà plus optimiste, même si, comme le précise le programme de stabilité, cette prévision repose notamment sur le « fort potentiel de rebond » dont disposerait l’économie française au sortir de la crise. En effet, après des années de croissance atone et de récession, il serait temps que l’économie rebondisse.

Mais, comme l’a très justement souligné le Haut Conseil des finances publiques, dont chacun reconnaît, je me plais à le souligner, l’objectivité, « si les prévisions macroéconomiques du Gouvernement [pour 2013 et 2014] sont, en apparence, très proches de celles établies en février 2013 par la Commission européenne, la similitude de prévisions de taux de croissance masque en fait des scénarios très différents. Aussi la Commission retient-elle une hypothèse de déficit public en hausse de 0,2 point en 2014 alors que le Gouvernement envisage une réduction de 0,8 point ». Il s’agit là, monsieur le ministre, d’une différence de taille, qui peut légitimement susciter des interrogations quant aux prévisions de ce programme de stabilité, assez optimistes elles aussi, concernant la réduction du déficit effectif et structurel.

Quant aux prévisions à moyen terme pour les années 2015 à 2017, soit 2 % de croissance annuelle, bien que je ne souhaite pas être pessimiste, elles me paraissent incertaines. Notre taux de croissance potentielle, évalué à 1,5 %, est en réalité difficile à estimer aujourd’hui ; divers facteurs pourraient en effet conduire à réduire ce taux par rapport à son niveau d’avant-crise.

De nombreux aléas entourent donc les prévisions du Gouvernement et font peser sur celles-ci un risque global à la baisse, comme l’a souligné le Haut Conseil des finances publiques.

Que dira la Commission européenne sur ces prévisions ? Entendra-t-elle les nombreuses voix qui se sont justement élevées ces derniers mois, y compris là où on les attendait le moins, comme au FMI, contre les politiques de trop grande austérité menées en Europe, qui pourraient avoir un impact néfaste et irréversible sur la croissance ?

La remise en cause récente des thèses des économistes américains Rogoff et Reinhart affirmant qu’une dette supérieure à 90 % du PIB provoquait un effondrement de la croissance devrait aussi conduire les autres chantres de l’austérité à réenvisager très sérieusement les priorités de politique économique pour retrouver le chemin de la croissance.

Monsieur le ministre, vous nous avez dit que le redressement des comptes publics et le redressement productif sont « les deux faces d’une même médaille ». Il n’en existe pas moins une tension entre la nécessité de réaliser des économies sans précédent pour redresser les comptes et celle de conduire des réformes structurelles de grande ampleur impliquant des investissements très importants pour « booster » notre compétitivité. L’équilibre est très délicat à trouver, mais il existe des solutions, au niveau européen tout d’abord. À cet égard, je remercie notre collègue Jean Arthuis d’avoir rappelé la nécessité de saluer le travail avec l’Europe dans l’Europe.

D’abord, au niveau européen, on peut dégager trois priorités : desserrer les calendriers de retour à l’équilibre financier ; coordonner véritablement les politiques économiques et budgétaires pour garantir une croissance partagée et solidaire en Europe ; et, enfin, faire évoluer le rôle de la BCE. En effet, à nos yeux, le cours de l’euro est clairement aujourd'hui un handicap pour la compétitivité des économies européennes, et il est plus que temps que la BCE agisse, enfin, sur ce front.

Le positionnement, disons-le, « égoïste » et peu pragmatique de l’Allemagne devrait prendre fin. De l’autre côté du Rhin, ils doivent lâcher du lest pour contribuer à relancer la croissance en Europe. Vont-ils mettre en place un salaire minimum ? Vont-ils adopter une position moins catégorique sur l’inflation ?

Le Gouvernement a déjà pris un certain nombre d’initiatives très importantes, initiatives que notre groupe, dans sa très grande majorité, a soutenues, pour renforcer la compétitivité de nos entreprises. Je pense au CICE ou au projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi.

M. Francis Delattre. Encore faut-il les mettre en place !

M. Jacques Mézard. J’y viens !

Cependant, nous sommes inquiets à la lecture de l’avis rendu par le Haut Conseil des finances publiques, ce dernier considérant que les effets escomptés du CICE « gagneraient [cependant] à être davantage documentés ». Surtout, une phrase me frappe : « La résolution des handicaps de compétitivité-prix et hors-prix des entreprises françaises, susceptible d’améliorer les parts de marché à l’extérieur, n’apparaît pas acquise. » Autrement dit, le plus dur reste à faire, et il y faut du temps, monsieur le ministre.

C’est pourquoi il convient de ne pas se contenter de réformes déjà adoptées et de poursuivre des transformations structurelles permettant de dynamiser véritablement notre économie dans dix ans, quinze ans, voire vingt ans. C’est ce que l’Allemagne a réussi à faire il y a quelques années, dans un contexte économique différent, avec une croissance européenne élevée et un euro qui était de l’ordre de 0,9 à 1 dollar.

La reconstitution ou le renforcement de notre tissu industriel et de notre compétitivité ne se fera pas en quelques mois ; les lois Hartz en Allemagne ont nécessité dix ans, sous deux majorités différentes. Peut-être sera-t-il bon un jour de méditer cet exemple ?

La persévérance du Gouvernement dans la mise en œuvre des réformes annoncées, notamment les trente-cinq mesures du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, sera décisive. La capacité à faire apparaître la cohérence des différentes réformes au service de l’objectif général qu’est la relance de la compétitivité et, grâce à elle, celle de l’emploi et du niveau de vie l’est tout autant.

Enfin, je remarque qu’il y a un déficit de communication important au sujet des mesures adoptées par la majorité en faveur des entreprises, qui sont encore trop méconnues sur le territoire.

Monsieur le ministre, les réformes, aussi pertinentes soient-elles, ne serviront à rien si elles ne sont pas accompagnées par le retour de la confiance. En effet, sans la confiance de tous les acteurs de notre économie et de notre industrie, nous ne pouvons pas réussir. Aussi, pour créer un choc positif de croissance, commençons par réunir les conditions d’un choc de confiance.

Il n’est plus temps de revenir sur le passé ; il est temps de préparer l’avenir, avec un objectif ambitieux pour la France en Europe à l’échéance de dix ou de quinze ans. C’est peut-être ce qui manque dans ce programme de stabilité, que notre groupe soutient bien au-delà de ses grandes lignes ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)

(M. Charles Guené remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Charles Guené

vice-président

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé.

M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, mes chers collègues, en entendant M. le ministre parler, il y a quelques instants, de son sérieux budgétaire, je n’ai pas pu m’empêcher de penser que si l’ampleur des gels de crédits qui s’annoncent semble effectivement sérieuse, il est difficile d’en dire autant des prévisions qui les sous-tendent.

M. Jean Desessard. Oh là là !

M. Jean-Vincent Placé. Au contraire, ma chère collègue, plutôt bien !

Les hypothèses de croissance du Gouvernement ont déjà été maintes fois auscultées : 0,1 % cette année, 1,2 % l’année prochaine et 2 % par an à partir de 2015.

M. Francis Delattre. Personne n’y croit !

M. Jean-Vincent Placé. Le fait est que des institutions aussi différentes que le Haut Conseil des finances publiques, installé par le Gouvernement lui-même, le FMI et l’OFCE s’accordent à considérer que ces prévisions de croissance sont clairement affectées d’un biais trop optimiste.

Monsieur le ministre, vous arguez du fait qu’elles sont calées sur celles de la Commission européenne. Certes. Reste que les scénarios de la Commission européenne pour la réduction du déficit ne sont pas les mêmes que les vôtres, loin de là. En effet, pour annoncer 1,2 % de croissance en 2014, elle se fonde sur un déficit de 3,9 %, soit un niveau plus élevé d’un point de PIB que celui prévu le Gouvernement et bien supérieur à la barre convoitée des 3 %.

Peut-être ne vous en souvenez-vous pas, monsieur le ministre, car à l’époque vous n’étiez pas chargé du budget : il y a six mois, j’avais interpellé M. le ministre de l’économie et des finances sur la question du déficit. Il affirmait dans cet hémicycle, avec la même force et la même technicité que vous cet après-midi, que le déficit serait de 3 % en 2013. À cette tribune, j’avais parié, du reste avec regret, que nous nous retrouverions au printemps pour constater ensemble qu’il n’en serait rien. Dont acte !

Ce programme de stabilité entérine un nouvel étalement de la trajectoire de réduction du déficit ; nous ne pouvons d’ailleurs que nous en réjouir. Les écologistes n’ont jamais considéré le recours désordonné à l’endettement comme un modèle viable. Pour autant, la nécessaire résorption du stock de dette que nous avons hérité de décennies de capitalisme financier, ainsi que de toutes les majorités, ne doit être envisagée qu’avec prudence, sans assommer les peuples ni obérer l’économie.

Je vous accorderai sans peine que la France n’est pas la Grèce, qui connaît depuis 2007, dans son chaos social, une explosion des suicides, des meurtres et une dégradation de la santé publique. Le programme de stabilité n’en promet pas moins pour le prochain projet de loi de finances 14 milliards d’euros de mesures d’économies, dont je ne sais s’il convient de les qualifier de sérieuses ou d’austères...

Plus précisément, 1,5 milliard d’euros seraient retranchés de la dotation aux collectivités territoriales. Les dépenses de l’État seraient amputées de 7,5 milliards d’euros, sans que l’on sache encore très bien quels seraient les administrations et services publics les plus touchés. Enfin, 5 milliards d’euros seraient soustraits aux dépenses sociales, marquant notamment le recul de la sécurité sociale au profit des assurances complémentaires retraite et santé.

Il nous semble d’autant moins urgent de risquer ainsi le déclin économique et social que le dogme de l’austérité, plus que jamais, s’effrite et se fissure. En effet, l’un de ses fondements scientifiques, qui postulait qu’un niveau de dette supérieur à 90 % entraînait un effondrement mécanique de la croissance, vient d’être démenti. (Mme Évelyne Didier acquiesce.) Tout simplement, les auteurs de cette théorie largement diffusée et utilisée au plus haut niveau, y compris dans notre hémicycle sur presque toutes les travées, ont reconnu des erreurs invalidant leurs résultats…

Mme Odette Herviaux. Et pas n’importe lesquelles !

M. Jean-Vincent Placé. De plus en plus de pays, en Europe du sud mais aussi en Europe du nord sans oublier les États-Unis, réclament des trajectoires de consolidation budgétaire beaucoup plus douces ; même le FMI a pris position dans ce sens.

En France, monsieur le ministre, plusieurs de vos collègues qui ne sont pas des moindres, notamment le ministre du redressement productif et le ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, ont récemment fait savoir qu’ils souhaitaient une inflexion de la ligne économique que vous défendez aujourd’hui. Du reste, quand j’écoute matinalement les excellentes émissions de politique, je me rends compte que ce sentiment est partagé par beaucoup, de tous les côtés.

Dans ces conditions, pourquoi s’entêter ? Pourquoi persister à affirmer chaque année ou chaque semestre cette volonté d’airain, ou de zinc, de réduire le déficit ? Une volonté que l’on sait d’emblée sapée par des prévisions biaisées, qui ne s’est pas appliquée par le passé et dont le seul but consiste à gagner le droit de demander à un commissaire européen la permission de l’abandonner en chemin… C’est tout simplement absurde. Le comble de cette vaste mascarade est qu’elle vise à assurer notre crédibilité, à rassurer les marchés et la Commission européenne !

J’ignore si le commissaire Olli Rehn est rassuré, mais il semblerait bien que les Français qui subissent un chômage endémique ne le soient pas, eux. D’ailleurs, même le président Barroso explique qu’une politique de rigueur, pour être couronnée de succès, doit recueillir un soutien politique et social minimal. Force est de constater que ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui.

Austérité ? Rigueur ? Sérieux ? Au fond, peu importent la sémantique, les euphémismes et la communication, voire le marketing. Il est simplement urgent de rompre avec la logique, déjà anachronique mais toujours délétère, issue du péché originel du quinquennat : la ratification immédiate du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire, sans l’avoir renégocié.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Après avoir promis de le renégocier !

M. Jean-Vincent Placé. Pour stopper l’hémorragie, rien ne pourra se substituer à davantage d’intégration et d’harmonisation européennes ; c’est cela qu’il fallait négocier ! Rien ne pourra se substituer non plus à la lutte contre l’évasion fiscale, à la mutualisation des dettes et à l’assouplissement de la politique monétaire.

Pourquoi poursuivre cette politique monétaire ? Face à une Allemagne retranchée, qui doit comprendre qu’elle ne pourra de toute façon pas prospérer dans une Europe éteinte – car que ferait la chancelière au milieu d’un cimetière ? –, la voix de la France est attendue et espérée.

La France peut aussi agir de façon autonome. S’agissant par exemple de l’évasion fiscale, sans qu’il soit besoin d’attendre que se produisent de nouveaux scandales,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ah !

M. Jean-Vincent Placé. … de nombreuses mesures, comme une loi FATCA, pourraient être mises en œuvre pour faire bouger les lignes européennes. C’est d’ailleurs ce que nous avons fait en ce qui concerne la transparence bancaire ; sur ce sujet, nous avons travaillé de concert avec le ministre de l’économie et des finances, ce dont je me réjouis.

De même, il n’est pas trop tard pour mettre sur pied la grande réforme fiscale qu’on nous avait promise,…

M. Bruno Sido. Ah ! Le Grand soir !

M. Francis Delattre. Il serait temps !

M. Jean-Vincent Placé. … ni pour dégager des économies d’échelle par une réforme territoriale ambitieuse, ce qui sera loin d’être réalisé par les projets de loi qu’on nous présente.

Il n’est pas non plus trop tard pour arrêter les projets d’aménagement pharaoniques lorsqu’ils sont aussi onéreux que nuisibles,…

M. Bruno Sido. Soyez plus précis !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Voyons, il veut parler de Notre-Dame-de-Lourdes ! (Sourires.)

M. Jean-Vincent Placé. … ni pour mettre au jour des marges de manœuvre budgétaires sur la force de frappe nucléaire aérienne, un pur gadget dépourvu d’enjeu stratégique. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

Mes chers collègues, faire des efforts sur l’emploi, l’école et les hôpitaux en sanctuarisant le budget militaire, est-ce un message à envoyer – je ne dis même pas au peuple de gauche, mais au peuple de France ? J’espère que, lorsqu’on fermera des hôpitaux ou des écoles, on commencera par les circonscriptions des parlementaires si attachés à cette force de frappe qui ne sert à rien ! (Murmures sur diverses travées.)

Mme Nathalie Goulet. Allons, allons !

M. Bruno Sido. C’est du chantage !

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est un peu facile !

Mme Nathalie Goulet. Et le Mali ?

M. Jean-Vincent Placé. Pour préparer une économie durable, plutôt que de couper à la hache dans les dépenses publiques, il serait indispensable d’instaurer enfin la véritable fiscalité écologique redistributive promise par le Gouvernement.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Nous y pensons !

M. Jean-Vincent Placé. Il faudrait aussi adapter notre appareil productif et industriel aux besoins et aux enjeux de demain, notamment sur le plan énergétique.

M. Francis Delattre. Les sous-marins sont à Cherbourg !

M. Jean-Vincent Placé. Par exemple, il conviendrait de conditionner cette invraisemblable niche fiscale supplémentaire d’un point de PIB que constitue, qu’on le veuille ou non, le CICE.

En ces temps incertains,…

M. Jean-Vincent Placé. … parfois troublés, la gauche au pouvoir est une chance. (Murmures sur les travées de l'UMP.) Quoi qu’il arrive, chers collègues de l’opposition, il n’y aura pas de comparaison possible avec ce que nous avons subi au cours du quinquennat précédent ! (Protestations sur les mêmes travées.)

M. Bruno Sido. Pas sûr !

M. Jean-Vincent Placé. Une chance, d’abord, pour la concorde civile.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous ne cessez de diviser les Français !

M. Jean-Vincent Placé. Une chance, ensuite, pour les plus fragiles. Une chance, enfin, pour notre environnement. Oui, la gauche au pouvoir doit être une chance !

M. Francis Delattre. En toute modestie !

M. Jean-Vincent Placé. Nous ne pouvons pas laisser la gauche se morfondre dans l’illusion défraîchie des annonces entendues. Nous ne pouvons pas laisser la gauche errer dans les décombres d’un modèle libéral-productiviste moribond, mais toujours dangereux.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’errons pas : nous savons où nous allons !

M. Jean-Vincent Placé. Nous ne pouvons pas laisser la gauche s’engourdir dans l’exercice gestionnaire du pouvoir…

M. Jean-Vincent Placé. … et oublier ceux qui souffrent. La gauche au pouvoir est une chance, à la condition qu’elle soit une audace :…

M. Francis Delattre. Sans les Verts !

M. Jean-Vincent Placé. … une audace écologique, une audace sociale et une audace démocratique !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce programme de stabilité, le votez-vous ou ne le votez-vous pas ?

M. Jean-Vincent Placé. Madame Des Esgaulx, vous savez qu’il n’y a pas de vote prévu. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

M. le président. Mon cher collègue, veuillez conclure.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. S’il y en avait un, que feriez-vous ?

M. Jean-Vincent Placé. Chers collègues de l’opposition, je vais vous répondre car je ne fuis pas mes responsabilités – je suis plutôt connu pour cela.

M. François Trucy. Il s’en vante !

M. Jean-Vincent Placé. Le Gouvernement n’a pas jugé indispensable de sanctionner notre débat par un vote, mais vous aurez compris à mes propos que le groupe écologiste n’aurait pas approuvé le programme de stabilité ! (Exclamations et applaudissements ironiques sur les travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et voilà ! On le savait !

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention comportera deux temps. Je commencerai par répondre à M. le ministre du budget, qui a prétendu, tout à l’heure, nous expliquer la vérité des chiffres. En définitive, il a peu parlé du programme de stabilité ; il a surtout essayé de tronquer le débat, suivant l’habitude du Gouvernement !

Monsieur le ministre, la vérité des chiffres est relative ; elle dépend de la manière dont on les présente. C’est pourquoi je souhaite entrer dans le détail des données. Vous nous dites que l’augmentation des dépenses a été moindre en 2012 qu’au cours des périodes 2007–2012 et 2002–2007.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je vous le concède, avant 2007 et avant la crise, nos dépenses publiques étaient trop élevées ; pendant de nombreuses années, nous avons tous été coresponsables d’un manque de vertu budgétaire. Seulement, après la crise, un effort sans précédent a été accompli sur les dépenses !

Mme Évelyne Didier. Et les cadeaux fiscaux ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il est pernicieux de comparer l’évolution des dépenses sur une année – 2012 – et sur une période de cinq ans, sans plus de précision sur cette dernière. S’il est vrai que nos dépenses ont augmenté plus fortement entre 2007 et 2012, c’est parce que nous avons subi, en 2008, une crise qui a nécessité la mise en place dans l’urgence d’un plan de relance. Du reste, ce plan a été salué par tous les commentateurs internationaux pour son efficacité et il a permis à la France de s’en sortir mieux que l’Allemagne.

Sous l’effet de ce plan, nos dépenses publiques ont bondi de 53,3 % du PIB en 2008 à 56,8 % en 2009. Par la suite, en revanche, elles ont sans cesse diminué, sauf en 2012 : à la suite de votre arrivée au pouvoir, les dépenses ont de nouveau augmenté, passant de 55,9 % du PIB en 2011 à 56,6 % en 2012, soit le même niveau qu’au moment du plan de relance.

La France se situe au deuxième rang des pays de l’OCDE pour le niveau de sa dépense publique !

M. le ministre soutient que les dépenses de l’État ont connu en 2012 une baisse historique, mais c’est faux : la première fois depuis 1945 que les dépenses de l’État, hors dette et pensions, ont diminué en valeur, c’était en 2011 ! Cette année-là, le déficit budgétaire de l’État avait diminué de 36 % et s’était établi, puisque nous en sommes à donner des chiffres précis, à 95,3 milliards d’euros, contre 148,8 milliards d’euros en 2010. Ainsi, dès 2011, les dépenses ont été réduites de plus de 260 millions d’euros et les économies, affectées au désendettement.

La charge de la dette a quant à elle été révisée à la baisse de 700 millions d’euros.

De la même manière, c’est en 2010 que, pour la première fois de la décennie, l’ONDAM, a été respecté.

Monsieur le ministre, vous voulez parler de chiffres incontestables : allons-y !

Alors qu’il avait été maintenu entre 42 % et 44 % du PIB sous le quinquennat précédent – malgré la crise –, le niveau des prélèvements obligatoires a explosé en 2012, avec l’arrivée de François Hollande, pour s’élever à près de 45 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En 2013, il devrait atteindre le taux record de 46,3 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La crise de 2008–2009 a fait exploser le déficit public en 2009. Mais, par la suite, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, tous les objectifs de réduction du déficit transmis à Bruxelles ont été remplis. Le niveau du déficit s’est même nettement amélioré puisqu’il s’est élevé à 7,1 % en 2010, pour un objectif initial de 7,7 %, puis à 5,3 %, au lieu de 6 %.

Avec vous, le déficit, en 2012, c’est 4,8 % au lieu de 4,5 % ! Pour 2013, la Commission européenne prévoit 3,7 %, au lieu des 3 % que nous avions assuré pouvoir tenir jusqu’à très récemment.

Vous reconnaissez que ce taux de 4,8 % est en partie dû à la baisse de la croissance, mais vous omettez de dire que cette dernière est due à votre politique ! Elle est la conséquence, d’une part, du recul des investissements des entreprises, impactées en 2012 par une hausse sans précédent de leur fiscalité – 16 milliards d’euros – et, d’autre part, de la diminution de 0,4 % du pouvoir d’achat des ménages, également victimes de cette pression fiscale, les impôts ayant augmenté de 16 milliards d’euros en 2012, freinant ainsi la hausse de la consommation.

Monsieur le ministre, vous exprimant tout à l'heure à la tribune, vous avez osé parler de « politique fiscale raisonnable ». Mais 32 milliards d’impôts supplémentaires en six mois, est-ce bien raisonnable ? C’est plutôt un record ! Je salue votre culot !

Vous ne voulez pas de collectif budgétaire pour ne pas augmenter davantage les impôts. Que diriez-vous d’un collectif pour diminuer les dépenses ? Avec vous, il faut toujours attendre !

Telles sont les remarques que m’ont inspirées les propos que vous avez tenus à cette tribune. Si je m’exprime ainsi « à chaud », c’est parce que je crois qu’il ne faut pas laisser passer de telles déclarations.

Monsieur le ministre, votre dialectique est extraordinaire.

Mme Marie-France Beaufils et M. Marc Daunis. La vôtre aussi !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. La dialectique du ministre est redoutable !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. J’avais d'ailleurs déjà constaté, lorsque vous étiez en charge des affaires européennes, que vous pouvez parler à l’envi.

M. Marc Daunis. Ce sont des paroles d’expert, madame Des Esgaulx !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais, lorsqu’il s’agit de finances, il faut s’en tenir aux chiffres, et respecter ses engagements !

J’en viens maintenant à l’intervention que j’avais préparée sur le programme de stabilité.

Je vous rappelle que, pendant tout le débat sur le projet de loi de finances pour 2013, c’est-à-dire à l’automne 2012, les membres de l’opposition sénatoriale n’ont cessé de dénoncer l’optimisme des hypothèses de croissance et de recettes fiscales…

M. Bruno Sido. Et des délais !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … sur lesquelles vous aviez construit le budget 2013. Nous n’étions d'ailleurs pas les seuls.

M. Jacques Mézard. Vous aviez l’expérience…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dès le début de l’automne 2012, plusieurs institutions économiques avaient produit des évaluations en deçà de vos projections, ce qui aurait pu inciter le Gouvernement à la prudence et à l’honnêteté dans les chiffres qu’il présentait. Tel n’a pas été le cas. Nous continuons de le regretter, et nous sommes aujourd’hui contraints de constater qu’il est peu étonnant que, dans de telles conditions, l’objectif d’un déficit à 3 % ne soit pas atteint ; vous avez simplement réussi à gagner du temps.

Aujourd'hui, vous nous montrez, encore une fois, toute l’ambiguïté de votre politique économique.

En nous présentant ce programme de stabilité, vous nous présentez la version corrigée des engagements de la France auprès de ses partenaires européens jusqu’en 2017.

Notre débat s’inscrit dans le cadre de la procédure dite du « semestre européen », qui contribue à une meilleure coordination des politiques économiques des États membres de l’Union européenne. Comme d’autres sénateurs l’ont dit avant moi, ce débat est très important car il doit impliquer la représentation nationale dans les choix de stratégie économique européenne. C’est pourquoi, monsieur le ministre, les membres du groupe de l’UMP regrettent que vous n’ayez pas accepté que ce débat soit suivi d’un vote formel, qui aurait montré à quel degré vos choix étaient partagés par le Parlement et, incidemment, par votre majorité.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Votre refus est d'autant plus choquant pour notre Haute Assemblée que ce vote a eu lieu à l’Assemblée nationale. Reconnaissez-vous par là que vous ne disposez pas d’une majorité au Sénat ? N’avez-vous plus confiance dans vos alliés de la Haute Assemblée ? (M. le président de la commission des finances s’exclame.) Faut-il penser que le Sénat ne bénéficie pas de la même considération et ne compte pas autant que l’Assemblée nationale dans le processus législatif européen ? En tout état de cause, ce n’est pas bon pour notre Haute Assemblée, et je regrette profondément qu’une telle attaque lui soit portée.

Du reste, – je le dis au nom du groupe UMP – votre attitude ne contribue pas non plus à la crédibilité de ce programme de stabilité.

Après avoir évoqué la procédure, je veux maintenant en venir aux chiffres.

Vous révisez à la baisse la prévision de croissance pour 2013, en la fixant désormais – tout le monde l’aura compris – à 0,1 % ; vous tablez sur une reprise de la croissance en fin d’année et vous établissez une projection à 1,2 % pour 2014.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce sera peut-être plus !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Permettez-moi toutefois de rappeler que le FMI a estimé que l’activité en France connaîtra une diminution de 0,1 % en 2013, après une stagnation en 2012.

De même, le Haut Conseil des finances publiques a jugé vos chiffres trop optimistes.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il y a des aléas à la baisse et à la hausse !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Or vous balayez d’un revers de main l’avis de cette instance, que vous avez pourtant voulue et dont, je vous le rappelle, nous avons appuyé la création. Il nous avait pourtant été assuré, à l’époque, que ce Haut Conseil devait être considéré comme un organisme technique, neutre, contribuant, de façon constructive, à la sincérité du débat économique. Comment pouvons-nous avoir un débat sincère si vous n’acceptez pas la contradiction ?

Nous ne pouvons que déplorer que vous ne teniez pas compte du premier avis rendu par le Haut Conseil. Pour ma part, je pense que cela augure mal de son avenir…

À quoi sert cette instance ? Je vous pose de nouveau la question, monsieur le ministre ! Dois-je vous rappeler son coût ? En cette période d’économies, il est vraiment élevé si vous ne tenez pas compte de ses avis !

Au demeurant, permettez-moi de souligner que le Haut Conseil des finances publiques a développé une argumentation plutôt prudente.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En effet, il a estimé que le Gouvernement n’a pas suffisamment pris en compte un certain nombre d’aléas susceptibles de peser à la baisse sur les prévisions.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Pour ce qui me concerne, je suis surtout choquée par les prévisions établies pour les années 2013 et 2014.

Il est vrai qu’en économie existent ce que l’on appelle les « prophéties auto-réalisatrices », et que devons être vigilants. Nous souhaitons tous un taux de 2 % pour les années 2015, 2016 et 2017 ; qui pourrait ne pas espérer cela pour son pays ? Mais, comme le disent les économistes, les prévisions doivent être élaborées « toutes choses égales par ailleurs » ! Or, avec la politique économique et sociale que vous conduisez actuellement, il paraît difficile, et même plus que hasardeux, que nous atteignions un tel taux.

Nous nous étonnons également que les modifications dans les prévisions macroéconomiques, en termes de croissance, de déficit, d’endettement, ne donnent pas lieu à la présentation, dans les meilleurs délais, d’un projet de loi de finances rectificative, l’objet de tels textes étant justement d’ajuster en cours d’année la gestion du budget de l’État au regard des évolutions et des nécessités du contexte macroéconomique.

Par là même, vous niez le droit à l’information et le droit de contrôle de la représentation nationale sur le budget de l’État, à un moment crucial pour nos finances publiques, et vous repoussez à l’automne les nouvelles mesures financières et fiscales qu’impliquera nécessairement cette situation nouvelle.

Nous ne pouvons malheureusement que dénoncer un tel comportement, qui ne nous permet pas de connaître la politique économique que vous entendez conduire pour notre pays.

Le Premier ministre a dit que l’important était la trajectoire. Certes !

M. Francis Delattre. En l’occurrence, la trajectoire, c’est le mur !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le Président de la République se targue de disposer de la « boîte à outils » idoine. Sans aller jusqu’à filer la métaphore et parler de « bricolage » – ce serait un peu facile, je vous le concède –, nous aimerions tout de même savoir si le Gouvernement dispose d’une boussole pour atteindre le cap fixé, à savoir le retour à l’équilibre de nos finances publiques en 2017.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il faut lire les trajectoires !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. En effet, la vraie question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment vous atteindrez votre objectif.

La visibilité que vous devriez donner aux acteurs économiques est fondamentale car elle est la base de la confiance. Or force est de constater que tant la cacophonie née des déclarations divergentes de différents membres du Gouvernement que les signaux contradictoires envoyés par votre politique économique depuis maintenant un an aboutissent à un résultat totalement inverse.

Par exemple, vous êtes amenés à constater par vous-mêmes les limites de vos précédents choix économiques, axés principalement sur des hausses de fiscalité : ces dernières étouffent la croissance économique et ne contribuent en rien à faire baisser le chômage. Cependant, vous ne proposez pas d’alternative crédible. Dès lors, nous ne sommes pas du tout certains de comprendre votre stratégie.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous poser quelques questions très précises.

Attendez-vous que la croissance revienne comme par enchantement ? Si tel est le cas, pour quand exactement attendez-vous son retour ? Vous me donnez l’impression que vous étiez convaincus, en arrivant au pouvoir, que la croissance allait arriver par magie.

M. Bruno Sido. Qu’elle se présenterait au coin de la rue !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voulez-vous une politique de consolidation fiscale ou de soutien à la consommation en continuant la dépense publique ? Cela non plus n’est pas clair ! Vous devez arrêter votre position sur ce point, et vous devez nous en faire part.

Ne confondez-vous pas réformes et austérité ?

Enfin, et surtout, ne cherchez-vous pas à repousser les nécessaires réformes que notre pays doit engager parce qu’elles divisent votre majorité ?

Au-delà de la stratégie globale, on n’y voit pas vraiment beaucoup plus clair quand on regarde les mesures concrètes.

Premièrement, vous refusez la « TVA sociale » mais vous augmentez quand même la TVA, sans réel bénéfice pour nos entreprises, lesquelles ne bénéficieront pas de baisse directe de charges alors qu’un réel problème de coût du travail existe dans notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Bruno Sido. Eh oui !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On ne comprend pas !

Deuxièmement, si vous créez le « crédit impôt pour la compétitivité et l’emploi », le CICE, ce dernier a beaucoup de mal à se mettre en place car il s’agit d’un dispositif complexe, et même d’une usine à gaz, qui, contrairement à ce que son nom laisse supposer, n’est pas l’instrument d’une politique de compétitivité : ce n’est qu’un petit ballon d’oxygène pour aider certaines entreprises à passer l’année 2013 qui s’annonce particulièrement difficile

Sur ce sujet, je constate, avec regret, que la mise en œuvre du CICE est volontairement entravée – je pèse mes mots – par des conditions qui rendent son exécution difficile. Tous les chefs d’entreprise soulignent que les quarante pages du dossier de candidature sont véritablement imbuvables. En outre, quand ils retournent ce document – pour faire des travaux par exemple –, on leur demande de fournir des justifications, des papiers… Ce dispositif est donc vraiment très compliqué, et ce n’est pas exactement ce que j’appelle favoriser la compétitivité des entreprises.

Troisièmement, vous commencez par entrevoir les limites de votre politique axée sur la hausse des impôts, et vous annoncez que vous voulez baisser la dépense publique, alors que vous avez commencé par augmenter le nombre de fonctionnaires et d’emplois aidés – en créant 60 000 postes, excusez du peu !

Quatrièmement, vous avez supprimé le seul outil qui permettait de gérer cette maîtrise des dépenses, à savoir la revue générale des politiques publiques, la RGPP, en particulier la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. De fait, vous n’êtes pas capables de nous indiquer les voies et moyens qui permettront de réaliser effectivement vos objectifs de réduction de la dépense publique.

Cinquièmement, après avoir déséquilibré le marché de l’épargne au bénéfice de l’épargne réglementée, vous manifestez le souhait de mieux canaliser l’épargne vers l’entreprise. Comment allez-vous procéder ?

Avouez, mes chers collègues, que la politique économique du Gouvernement est loin d’être compréhensible !

Au total, l’examen précis des données communiquées dans le programme de stabilité ne nous permet de tirer qu’une seule conclusion certaine : contrairement à la promesse du Président de la République, les impôts continueront d’augmenter en 2014.

M. Bruno Sido. Insupportable !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À cela, trois raisons. D’abord, la TVA augmentera de 6 milliards d’euros. Ensuite, il faudra trouver 6 autres milliards d’euros pour compenser la perte de recettes exceptionnelles qui aura lieu en 2013. Enfin, vous annoncez vous-même que les 20 milliards d’euros que coûtera le CICE ne seront compensés que par 14 milliards d’euros d’économies. Ce faisant, vous annoncez vous-même 6 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires !

Monsieur le ministre, les impôts nouveaux ne s’élèveront donc pas à 6 milliards d’euros, mais à 6 plus 6 plus 6 !

M. Bruno Sido. Soit 18 milliards d’euros !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. De surcroît, comme je l’ai dit en commission des finances, je suis sûre que vous sous-évaluez le coût du CICE. Je ne suis pas seule à dire qu’il coûtera au moins 32 milliards d’euros !

Toutes ces contradictions nous paraissent d’autant plus graves que, jusqu’à présent, le Gouvernement a fait preuve d’une surdité…

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Caricature !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … à l’égard de toutes les préconisations extérieures.

En outre, il se refuse à considérer les réformes qui ont fait leurs preuves à l’étranger. Sans parler de « modèle », parce qu’il ne s’agit bien évidemment pas de copier, reconnaissons tout de même que l’Allemagne, la Suède ou le Canada, à un moment critique de leur histoire – au début des années quatre-vingt-dix –, ont réussi à faire évoluer leur système économique.

Peut-être pourrions-nous en tirer quelques enseignements, notamment en matière d’efficacité de la dépense publique ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Mais c’est en cours !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Plus près de nous, nombre d’instances ont fait des recommandations pour notre pays, et elles sont, bien souvent, convergentes. J’aimerais notamment citer les deux derniers rapports de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques, qui, très intéressants, mériteraient qu’on les regarde de près, ou encore le rapport de l’OCDE sur la France d’avril 2013, ainsi que plusieurs documents de la Commission européenne, qui vont dans le même sens.

N’est-il pas temps de s’en inspirer ?

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Qui était au pouvoir ces dix dernières années ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le temps presse, et il presse de plus en plus, monsieur le rapporteur général ! Cela, vous ne semblez pas le comprendre.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. De quel gouvernement faites-vous le bilan ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je l’ai déjà dit, vous ne cherchez qu’à gagner du temps. À ce rythme, chers collègues, c’est forcément le temps qui va vous rattraper !

La situation économique de notre pays est en passe de devenir un enjeu pour l’ensemble de l’Union européenne. Nous sommes engagés, auprès de l’Allemagne, pour financer les fonds de sauvetage, au nom de la solidarité avec les pays en difficulté. Cela dépasse la seule situation économique de notre pays : il faut considérer, au-delà, ce que nous représentons en Europe et les engagements que nous avons pris. Cela rend l’heure d’autant plus grave !

Nous avons encore la chance de bénéficier de taux d’intérêt bas sur notre dette souveraine, car notre pays représente un espace relativement sûr par rapport aux situations très dégradées des pays périphériques de la zone euro. Mais la question de la possible remontée des taux est de moins en moins théorique, vous le savez bien, à partir du moment où les faiblesses structurelles de notre économie perdurent. La Commission européenne ne dit pas autre chose, quand elle indique que « les titres français pourraient devenir un point central d’attention pour les investisseurs ».

C’est la raison pour laquelle je redis à cette tribune qu’il faut engager au plus vite des réformes structurelles.

Monsieur le ministre, notre pays n’a pas besoin de ces chocs à répétition que vous semblez les affectionner et qui, la plupart du temps, se soldent par des demi-mesures : choc de compétitivité, choc coopératif, choc de simplification, choc de moralisation, choc de confiance. Il n’est pas question d’invoquer la croissance aujourd’hui ; nous n’avons pas besoin d’incantation : il faut passer à l’action !

Notre pays a besoin d’une action claire et déterminée, qui le remette sur le chemin du dynamisme économique. Pour cela, un seul objectif compte : soutenir nos entreprises pour qu’elles créent de la richesse et des emplois, et assainir nos finances publiques, car la dette publique, au-delà d’une certaine mesure, doit être considérée comme un vrai risque d’affaiblissement économique.

Avec ce programme de stabilité, nous espérions des choix ambitieux et intelligibles, qui tracent le chemin des prochaines années. Malheureusement, nous désespérons de devoir attendre encore pour voir ces choix inscrits dans la loi. Les verrons-nous apparaître dans la prochaine loi de finances, cet automne ? Même de cela, je doute, monsieur le ministre !

Vous l’avez compris, si nous avions été amenés à nous prononcer par un vote, comme cela aurait dû être le cas, sur le projet de programme de stabilité tel qu’il nous est présenté, le groupe UMP aurait voté contre. Monsieur le ministre, vous n’avez pas voulu de ce vote, mais, par nos interventions, il peut quand même avoir lieu. Chaque groupe a la possibilité d’exprimer ce qu’il pense de ce projet de programme de stabilité. Je sais, moi, que l’ensemble du Sénat le refuse ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet.

M. Francis Delattre. Notre collègue soutient-il le Gouvernement ?

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos en m’inspirant des derniers mots de Mme Des Esgaulx à l’instant.

M. Éric Bocquet. Ce qui heurte le groupe CRC n’est pas tant l’absence de vote à l’issue de ce débat que, beaucoup plus fondamentalement, la perte de souveraineté du Parlement français dans l’élaboration des budgets nationaux.

La Commission européenne, sans légitimité aucune au regard du suffrage universel, jaugera notre budget, émettra des recommandations et, au besoin, en cas de non-respect de celles-ci, pourra nous imposer des pénalités à hauteur de 0,2 % de notre PIB national, soit pas moins de 4 milliards d’euros…

Il a été fait référence à l’objectivité du Haut Conseil des finances publiques, aujourd’hui constitué. Mais, mes chers collègues, avec la forte représentation de la Cour des comptes en son sein, avec la présence d’« experts indépendants », qui l’accompagnent dans ses avis, et de deux représentants de grandes banques françaises et internationales, c’est l’expertise de la finance privée mobilisée au secours de la dépense publique !

M. Éric Bocquet. N’est-ce pas là, mes chers collègues, l’humiliation véritable de notre Sénat ?

Ainsi, pour la première fois, l’élève France va rendre sa copie à la Commission de Bruxelles, qui va viser les propositions formulées, noter la copie et, éventuellement, demander quelques ajustements et corrections au cadre défini par le ministère des finances.

À la vérité, notre groupe s’étant opposé avec vigueur et détermination à l’instauration de ce « semestre européen » dans le cadre de la loi organique comme du pacte budgétaire, il ne peut, en toute logique, que contester le bien-fondé des politiques budgétaires que la France va subir au nom du dogme absolu de la réduction de la dépense publique.

Sans surprise, les tenants de la politique budgétaire recommandent l’adoption et la mise en œuvre de politiques d’austérité, habilement masquées sous le nom de « rigueur », politiques fondées sur le « nécessaire redressement des comptes publics », l’apurement de la dette et autres postulats, ma foi, fort discutables.

Nous connaissons d’ores et déjà les contours de la traduction concrète de ces mesures : remise en cause du caractère universel de certaines prestations sociales, nouvelles attaques contre le pouvoir d’achat des fonctionnaires, remise en question du niveau des retraites, notamment par la désindexation des pensions sur les prix.

Pour faire bonne mesure, avec l’adoption du texte prétendument destiné à assurer la « sécurisation de l’emploi », de nouvelles attaques sont menées contre les droits des salariés, le MEDEF ayant totalement approuvé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier, signé par trois organisations syndicales de salariés compatissantes.

Flexibilité accrue, recours encore facilité aux temps partiels et aux horaires atypiques, mobilité interne devenant motif de licenciement, non-reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle, mise en cause des garanties sociales collectives par l’ouverture du marché de la complémentaire santé : effectivement, le MEDEF peut exulter ! C’est à croire que, décidément, il s’agissait de rassurer les entreprises et de concrétiser – enfin ! – ce vieux principe qui veut que, pour embaucher, les entreprises doivent pouvoir licencier sans risques. Comprenne qui pourra !

Depuis trente ans, et surtout depuis la promulgation de la loi quinquennale sur l’emploi, dite « loi Giraud », notre pays a expérimenté à grande échelle la flexibilité de l’emploi, les bas salaires, les politiques d’exonérations sociales massives, les allégements fiscaux successifs et cumulatifs – je pense à l’impôt sur les sociétés ou à la taxe professionnelle, par exemple –, le tout, nous disait-on, pour soutenir l’emploi et – peut-être ! – l’activité et la croissance.

La facture des cadeaux et des allégements a pris de l’ampleur. Elle atteint aujourd’hui, selon le consensus des économistes qui ont étudié la question, 170 à 180 milliards d’euros, rien moins ! Cela représente bien plus que le déficit budgétaire et presque autant que le montant des émissions nouvelles de dette publique réalisées chaque année.

Il y a là du grain à moudre, mes chers collègues, bien plus de grain qu’il n’en a été nécessaire à Mario Draghi, gouverneur de la Banque centrale européenne et, chacun s’en souvient, ancien de Goldman Sachs, et à José Manuel Barroso, pour préparer l’amère potion de l’austérité qu’ils s’apprêtent à administrer à la France, avec le soutien explicite de la Chancelière allemande.

On mesure ici les effets dévastateurs de la pensée unique, dont souffrent les tenants de la prétendue absence d’alternative.

La baisse des dépenses publiques met à contribution les fonctionnaires de l’État – allez voir comment travaillent les administrations des finances ou du travail sur le terrain avant de décréter la maîtrise des dépenses publiques, mes chers collègues ! –, les collectivités locales – victimes, dès cette année, de la baisse des dotations, elles assurent encore plus de 70 % de l’investissement public, apportant ainsi leur soutien à la croissance de manière très concrète –, les assurés sociaux – concernés par la baisse programmée des remboursements maladie et des retraites complémentaires, ils seront les probables victimes d’un accord au rabais sur les retraites du régime général, qui deviendraient des retraites par points –, et les ménages, qui subissent l’abandon de plus en plus fréquent de la notion de gratuité de l’action publique.

Notre pays porte les stigmates de la baisse des dépenses publiques.

D’une part, nous constatons le recul de notre société dans son ensemble. Ce recul est d’autant plus intolérable que notre pays, pourtant confronté à la récession ou à la stagnation du produit intérieur brut marchand, n’a jamais été aussi riche, à la différence près que 10 % de la population possède 50 % de la richesse nationale.

Ce recul, évidemment, frappe au premier chef les plus modestes, ceux qui sont privés d’emploi ou de logements, les jeunes couples à la recherche de la stabilité indispensable à la conduite de leurs projets, et crée quelques tensions supplémentaires dans une société qui, hélas, n’en manque pas.

D’autre part, nous observons la montée des inégalités sociales, dont s’accommodent parfaitement ceux dont les impôts diminuent grâce aux multiples cadeaux qui leur ont été faits ces dernières années, sous l’ancienne majorité, et ceux qui, au mépris de l’intérêt général, fraudent, optimisent, laissent s’évader, avec beaucoup de distraction, leurs capitaux, qui ne sont pourtant que le fruit confisqué du travail des autres.

Oui, mes chers collègues, c’est bien l’évasion des capitaux de quelques-uns qui crée le déficit pour tous les autres !

Un gouvernement élu pour le changement n’a rien à gagner à une rigueur budgétaire, si chère à nos prédécesseurs, qui ne sert que les intérêts – c’est le cas de le dire ! – des rentiers de la dette publique, de ceux qui confondent production de richesses et distribution de dividendes, de ceux qui ont déjà tout et qui en veulent encore plus.

Allons-nous oublier, mes chers collègues, qu’un habitant sur neuf de la République fédérale d’Allemagne vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté ? Allons-nous oublier ces millions de salariés qui subissent les rigueurs de la loi Hartz IV, et que l’on paye avec des queues de cerises ?

Le modèle allemand, régulièrement vanté, mériterait d’être regardé de plus près, en considération de l’explosion du nombre de travailleurs pauvres dans ce pays.

Voilà un « modèle » qui, d’ailleurs, s’essouffle, et bien vite. La Croatie est appelée à devenir très prochainement le vingt-huitième membre de l’Union. Pourtant, 80 % des électeurs croates ont boudé les urnes lorsqu’il s’est agi d’élire des députés européens ! Une telle abstention ne manque pas de nous interpeller sur les attraits du rêve européen.

Que l’on y songe, ces élections européennes en Croatie n’ont attiré que 20,8 % des électeurs dont on aurait pu croire, pourtant, qu’ils étaient heureux et fiers d’entrer enfin dans la grande famille.

S’il était besoin d’une preuve supplémentaire, après les catastrophes irlandaise, grecque, espagnole, portugaise, italienne, et plus récemment chypriote, de l’ensevelissement de l’idée européenne dans les sables des politiques d’austérité, imposées par les marchés financiers et relayées par la Commission comme par les partisans de la « règle d’or », il n’en faudrait pas plus !

Convenons, monsieur le ministre, que des interrogations sérieuses s’élèvent dans cet hémicycle, au-delà de nos rangs, au sein même du Gouvernement, cela a été rappelé par Jean-Vincent Placé, et jusqu’aux experts économiques du FMI, sur les effets des politiques d’austérité en France et en Europe.

Notre groupe, pour sa part, ne peut que marquer à nouveau son opposition nette et franche aux logiques strictement budgétaires, qui condamnent l’Europe au déclin, dans un monde où elle finit par perdre et son influence, et son rôle, et sa place, et son estime ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce n’est pas si mal, en réalité ! J’applaudis d’une main !

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

M. Bruno Sido. Enfin un soutien pour le Gouvernement ?

Mme Frédérique Espagnac. Vous en doutez, cher collègue ?...

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, en écho aux précédentes interventions, permettez-moi de faire le point sur les raisons qui nous conduisent à débattre des projets de programmes de stabilité et de réforme.

En octobre 2009, après une décennie de gouvernement conservateur, une nouvelle majorité arrive au pouvoir en Grèce. Quand cependant le Premier ministre nouvellement élu annonce que les comptes publics nationaux étaient maquillés, et ce avec l’aide d’établissements bancaires de renommée mondiale, c’est la stupeur.

Loin de moi l’idée d’établir un parallèle avec une autre situation, mais il me semblait bon de procéder à ce rappel. En effet, les gouvernements conservateurs européens ont une fâcheuse tendance, ces derniers temps, à laisser une note extrêmement salée à leurs successeurs, en matière de dette et de déficit publics !

La suite, nous la connaissons tous : l’Union européenne et la zone euro, déjà très fragilisées par la crise des subprimes américains et la crise économique mondiale, se trouvent plongées dans une spirale de défiance, alimentée, notamment, par les taux d’endettement considérables de nombreux États membres, dont la France.

La crise s’aggravant, les égoïsmes nationaux prennent le pas sur le nécessaire effort de solidarité collective, qui est pourtant l’esprit même de la construction européenne.

Des mois de tergiversations, pleinement alimentés par le gouvernement français de l’époque et la rigidité allemande, conduisent ce qui n’était qu’un petit incendie à devenir un embrasement général, obligeant l’Europe à injecter en urgence des centaines de milliards d’euros, le gouvernement grec à prendre des mesures d’austérités sévères, et contribuant à déstabiliser les pays dits « du Sud », qui pâtissent, aujourd’hui encore, d’une certaine défiance.

Mes chers collègues, cette catastrophe restera dans les mémoires comme l’un des exemples les plus patents de l’impuissance des politiques européens à se concerter et à mettre rapidement en œuvre une réponse commune face à un événement qui a embrasé l’ensemble du vieux continent.

En réaction à cela, l’idée d’une solidarité européenne a fait son chemin, d’abord timidement, puis, sous la pression de certains responsables politiques, économiques et financiers, de façon plus appuyée.

Cette solidarité, quand bien même elle serait imparfaite, s’accompagne aussi de contreparties. C’est ce que l’on appelle la « coordination budgétaire ». Elle consiste, notamment, à ce que chaque pays membre soumette à ses pairs européens, via la Commission européenne, un plan budgétaire national à moyen terme contenant des indications sur la manière dont les réformes et les mesures prévues sont censées contribuer à la satisfaction des objectifs et des engagements nationaux, fixés dans le cadre de la stratégie de l’Union pour la croissance et l’emploi.

Loin d’introniser un voyeurisme d’un nouveau genre, cela a notamment pour objectif de faire disparaître le double sentiment d’irresponsabilité : irresponsabilité, d’une part, des gouvernements qui, par leur laxisme budgétaire, feraient courir un risque à l’ensemble de la zone euro et de l’Union européenne ; irresponsabilité, d’autre part, des pays qui, si un autre État membre venait à se trouver menacé, considéreraient que ce n’est pas leur problème et détourneraient le regard en faisant comme si de rien n’était.

Or, avec la nouvelle procédure, c’en est fini de la logique du : « on ne savait pas » ! Aujourd’hui, chacun, citoyen, personnalité politique ou acteur économique, sera témoin de l’effort que nos pays font collectivement pour sortir de la spirale du déficit public chronique.

Ne l’oublions pas non plus, ce programme de stabilité des finances publiques, garant du sérieux de l’action de notre pays en la matière, ne peut qu’affirmer le rôle de la France dans les décisions européennes. À l’inverse de ce que pu être le cas précédemment, nous donnons ainsi du poids à notre volonté de réorienter les politiques ultralibérales, qui ont eu cours trop longtemps en Europe.

Cela commence d’ailleurs à porter ses fruits. Hier, le président de la Commission européenne a rejoint la position défendue par le Président de la République et le gouvernement français, en reconnaissant qu’il fallait « combiner l’indispensable correction budgétaire avec des mesures adaptées pour soutenir la croissance ».

Dès lors, à la lumière de cette prise de position nouvelle, nous sommes amenés à débattre des projets de programmes de stabilité et de réforme mis en œuvre par le Gouvernement et notre majorité.

Au lendemain de l’élection présidentielle, le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont entamé le nécessaire travail de restauration de nos comptes publics tout en permettant une relance de l’économie et, in fine, de l’emploi.

En dix mois, la majorité a mis en place des réformes ambitieuses, afin de renouer avec une croissance forte, équilibrée et solidaire. Grâce notamment au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, nous avons contribué à redonner des marges aux entreprises françaises pour leur permettre d’investir et d’embaucher.

En instaurant une réforme nécessaire du financement de l’économie, via la création de la Banque publique d’investissement, la loi bancaire, le plan de trésorerie, le soutien au financement de l’investissement des collectivités locales et, prochainement, la réforme de la fiscalité de l’épargne, nous avons remis la finance au service de l’investissement, de l’économie réelle, des PME et des entreprises de taille intermédiaire, ou ETI.

Mais tout cela serait insuffisant sans une politique forte en faveur de l’emploi : les 150 00 emplois d’avenir, les contrats de génération, le renforcement des moyens de Pôle emploi et l’accord des partenaires sociaux sur la sécurisation de l’emploi créent les conditions d’une inversion durable de la courbe du chômage.

Preuve, s’il en était besoin, de la justesse de l’effort national entrepris depuis ce début de mandature, des pays connus pour leur dogme libéral nous emboîtent le pas. Que dire ainsi du revirement de politique aux Pays-Bas, qui les amène à considérer la simple rigueur sans mesure d’accompagnement efficace de la croissance comme une vaine illusion ? Et, croyez-moi, ils seront nombreux, les champions d’une politique d’austérité froide et contre-productive, à suivre le sillon d’une politique responsable et juste initiée par la France !

Pièce maîtresse du redressement de notre économie nationale, le redressement de nos comptes publics doit être notre priorité, en se fondant sur les principes de justice sociale et d’efficacité économique.

Dès le mois de mai, le Gouvernement et la majorité ont pris les décisions nécessaires pour tenir nos engagements, gage impérieux de crédibilité et de responsabilité. Ainsi – faut-il le rappeler ? –, si nous n’avions pas agi rapidement, le déficit public aurait atteint 5,5 % du PIB en 2012 !

Mme Frédérique Espagnac. Cette année, l’effort structurel sera notamment de 1,8 point de PIB, comme indiqué dans le programme de stabilité. Le déficit sera par la suite ramené à 2,9 % du PIB en 2014, grâce à un effort structurel évalué à 1 point de PIB, pour arriver à l’équilibre structurel en 2016.

Enfin, en 2014, l’effort structurel de 1 % du PIB portera à 70 % sur les dépenses et à 30 % sur les recettes. Après avoir fait porter l’effort majoritairement sur les hausses de recettes en 2012 et 2013, le Gouvernement et la majorité privilégient l’ajustement sur les économies de dépenses publiques.

Une telle stratégie s’appuie sur de nombreuses études. Selon leurs conclusions, à court terme, les hausses de recettes sont moins coûteuses pour l’activité et l’emploi, tandis que, à moyen terme, les ajustements les plus durables et les plus favorables à la croissance sont ceux qui reposent sur une maîtrise de la dépense publique et sur les gains d’efficacité de la gestion publique.

C’est pour cela que le Gouvernement a initié une démarche de modernisation de l’action publique. Cela repose notamment sur une évaluation de l’ensemble de la dépense publique, en concertation avec les acteurs concernés, contrairement à ce qui avait été fait, de manière inefficace, pour la révision générale des politiques publiques, la RGPP. L’objectif est d’améliorer la qualité de service tout en contribuant à la réalisation de la trajectoire de redressement des finances publiques.

Monsieur le ministre, permettez-moi tout de même d’attirer votre attention sur les niches fiscales. Beaucoup d’entre elles ont des effets sur l’économie réelle très discutables. Le plus souvent, elles permettent à des personnes qui en ont les moyens de s’exonérer de l’effort national de redressement des comptes publics. Il serait, me semble-t-il, plus qu’utile d’examiner enfin attentivement cette entorse faite au principe d’égalité de tous devant l’impôt.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est très juste !

Mme Frédérique Espagnac. C’est bien pour cela que je le propose !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Supprimons les niches fiscales et réduisons l’impôt !

Mme Frédérique Espagnac. Nous nous fixons l’objectif de diviser par quatre, d’ici à la fin du quinquennat, le rythme d’évolution de la dépense publique par rapport à ces dix dernières années. Nous voulons aussi réduire de 3 points le poids de la dépense publique dans le PIB – cela représente plus de 60 milliards d’euros –, alors qu’il a augmenté de 4,6 points au cours de la décennie passée.

Vous l’aurez compris, c’est dans un esprit de responsabilité et même avec fierté que le Gouvernement et la majorité permettront à la France de retrouver des finances publiques saines, propices au retour d’une croissance forte et durable.

Où sont les irresponsables et les mauvais gestionnaires, mesdames, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition ?

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ils sont partout, vous savez…

Mme Frédérique Espagnac. En l’occurrence, je ne vois plus beaucoup de membres de l’opposition dans l’hémicycle. (Murmures sur les travées de l'UMP.)

Où sont ceux qui ont préféré fermer les yeux et laisser notre pays s’enliser dans la dette et le déficit ? Qui a fait le choix de laisser en héritage à nos enfants les fruits des excès de leurs aînés ?

Autant de bonnes questions !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bref, nous sommes passés du vice à la vertu…

Mme Frédérique Espagnac. Les socialistes et la gauche dans son ensemble, convaincus que la puissance publique est le principal moteur de la réduction des inégalités et de la lutte contre la pauvreté, ne pouvaient se résoudre à laisser la France à la dérive.

Mes chers collègues, rejoignez-nous dans cette œuvre collective ! Débarrassez-vous de vos considérations purement politiciennes ! En cette période difficile pour de si nombreux Français, faites œuvre de responsabilité. Faites le choix de la réussite de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.

M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes invités à débattre du projet de programme de stabilité de la France avant sa transmission à la Commission européenne et, plus largement, de la situation des pays européens.

La dégradation de l’économie mondiale depuis la crise financière de 2008, qui a connu, tel un séisme, plusieurs répliques depuis, a conduit à la situation de marasme économique que nous constatons aujourd’hui, en particulier en Europe. Cette réalité n’échappe à aucun de nos concitoyens. Elle contribue à la perte de confiance et de vision positive quant à l’avenir.

À cela se sont ajoutées les aggravations consécutives aux effets des politiques nationales au sein de la zone euro : insincérité des finances publiques de la Grèce, qui aurait conduit ce pays au bord de la faillite n’eût été la solidarité européenne ; choix économiques hasardeux dans plusieurs pays, telle l’Espagne, qui a artificiellement fondé sa croissance sur la seule activité du bâtiment ; dérives anciennes des finances publiques de nombreux pays, y compris la France.

L’Europe sert de bouc émissaire commode, trop commode. Dans les exemples que j’ai évoqués, les pertes de souveraineté sont dues non pas à l’Europe, mais bien à des responsabilités nationales.

Cela a été dit et mérite d’être rappelé, depuis près de quarante ans, et la responsabilité en est collective, aucun budget national n’a été adopté en équilibre en France. À cet égard, le candidat François Hollande a été on ne peut plus clair pendant sa campagne électorale, en affirmant sa volonté de redresser les finances publiques. Il s’agit là d’un objectif stratégique, et même crucial pour l’avenir du pays.

Deux chiffres incitent à aller en ce sens : en dépit des efforts déployés depuis le début du quinquennat, la dette publique atteint 1 800 milliards d’euros ; en conséquence, nous payons chaque année environ 47 milliards d’euros d’intérêts, malgré les bonnes conditions de refinancement qui ont été rappelées. Sans doute est-ce ce second chiffre qui doit nous alerter le plus.

On ne saurait en responsabilité poursuivre dans une fuite en avant aux dépens des futures générations.

Et mieux vaut ne pas songer à ne pas rembourser la dette, idée qu’un certain candidat à la précédente élection présidentielle avait suggérée un peu hâtivement. Dans les grandes masses, les titres de dette sont détenus pour plus de la moitié par des États avec lesquels nous entretenons des relations commerciales – on parle alors de fonds souverains –, pour un faible quart par des banques, dont les nôtres, où nos déposants ont placé leur argent, et pour un autre quart par des acteurs du shadow banking, en particulier les compagnies d’assurances, auprès desquelles nombre de Français ont déposé leur épargne.

Nous avons bien entendu Mme Pécresse déclarer sur le sujet ces derniers jours que la dette pourrait bien ne pas diminuer pendant la durée du quinquennat. On peut lui rétorquer en comparant avec le bilan du gouvernement précédent. Entre 2007 et 2012, notre dette est passée de 1 200 milliards d’euros à plus de 1 700 milliards d’euros ! Voilà qui devrait inciter à plus de modestie dans la critique...

En corrélation avec la dégradation de nos finances publiques, le ralentissement de l’économie mondiale et européenne s’est de surcroît imposé à nous. La montée des pays émergents, la forte concurrence dans des secteurs où nous positionnions traditionnellement nos exportations sur le marché mondial ont accru nos difficultés et le déficit de notre balance commerciale.

Tout cela rend urgente une réaction forte et concertée au sein de l’Union européenne, hors laquelle nous serions voués à l’impuissance et à l’échec. La prise de conscience fait son chemin. Je constate que la France contribue à faire bouger les positions.

Le contexte du début de la mandature présidentielle est donc celui d’une situation économique complexe et difficile, qui contraint à une grande vigilance. Pour rappel – il n’est jamais inutile de rafraîchir les mémoires –, la présidence précédente avait débuté par 16 milliards d’euros de cadeaux fiscaux divers et variés, se prolongeant en queue de comète les années suivantes. Dire que cet héritage rend plus difficile encore aujourd’hui le rétablissement des finances publiques, c’est énoncer une réalité qu’il me semble difficile de contester. Oui, il y a un héritage ! Il faut le rappeler avant d’aborder le programme de stabilité présenté par le Gouvernement.

Le Président de la République a fixé le cap et a réaffirmé les priorités qui étaient les siennes : réduire le déficit public à 3 % du PIB dès 2013. Mais aucun gouvernement ne peut désormais préjuger de l’évolution des contextes économique, monétaire et financier à moyen terme, voire parfois à court terme. Ce qui importe donc est la trajectoire qui a été fixée, plus que le strict respect d’un objectif chiffré à atteindre en temps contraint.

L’atonie de l’économie et le risque de récession sont des éléments dont on ne peut pas s’abstraire ; ils ne dépendent pas que de nous. Il est bien différent de fonder des projections budgétaires sur une croissance attendue supérieure à 1,5 % et de devoir composer ensuite avec un taux effectif de 0,1 %, chaque dixième de point de PIB perdu représentant 2 milliards d’euros de richesse nationale en moins ! La remise en cause des 0,1 % de croissance – c’est le chiffre retenu par le Gouvernement dans ses projections – installe le débat dans l’épaisseur du trait.

Beaucoup le pensent, et le disent désormais, l’objectif de faire descendre le déficit public en dessous de 3 % doit résolument être conservé, quitte cependant à desserrer le carcan et à ne l’atteindre qu’en 2014.

Par conséquent, le groupe socialiste est particulièrement sensible aux arguments du Gouvernement et souligne la cohérence de son action, ainsi que son approche pragmatique.

Il faut le dire et le répéter sans cesse, durant les dix mois écoulés, des mesures cohérentes et complémentaires qui relevaient d’engagements électoraux ont été adoptées. Le Gouvernement a travaillé. Le moment venu, c’est-à-dire quand la reprise sera là, ces dispositions produiront pleinement leurs effets.

Avec la Banque publique d’investissement, la finance est mise au service de l’investissement, de l’économie réelle, des ETI et des PME, qui irriguent largement l’économie de nos territoires.

La recherche du retour à la compétitivité de nos entreprises est d’évidence déterminante. Le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi est un moyen d’y parvenir. M. le rapporteur général de la commission des finances a rappelé que ce crédit atteindrait 20 milliards d’euros en 2016.

Les mesures en faveur de l’emploi dans le cadre des 150 000 emplois d’avenir et des contrats de génération, mais aussi les recrutements massifs dans l’éducation nationale viennent atténuer pour une part le chômage des jeunes, notamment des jeunes diplômés.

La modernisation indispensable du dialogue social, alors que l’on constate les blocages propres à la France en ce domaine, s’est traduite par un accord entre des organisations syndicales majoritaires à l’issue de la négociation et les représentants du patronat. La loi sur la sécurisation de l’emploi, bientôt adoptée, est venue concrétiser cette démarche.

À cet égard, la prévision de croissance de 1,2 % en 2014, taux retenu par le Gouvernement, est également admise par la Commission européenne. Cela sera de nature à inverser enfin la courbe du chômage, qui préoccupe tant nos compatriotes.

La stratégie qui est suivie est donc la bonne : refuser, comme le fait le Gouvernement, l’austérité, qui conduirait à la récession, ce qu’admet aujourd’hui le président de la Commission européenne lui-même ; remettre de l’ordre dans les finances publiques ; assurer les moyens qui contribueront à la reprise économique ; refuser de céder à la facilité, car c’est l’avenir qui est en cause.

Monsieur le ministre, comme le groupe socialiste, je souhaite donner acte au Gouvernement du travail déjà accompli depuis dix mois, même s’il reste beaucoup à faire.

Sans doute faudrait-il rappeler davantage les engagements devenus réalité, dans des conditions pourtant difficiles, et ce dans le souci constant d’un effort partagé et équitable.

C’est dans la difficulté que l’on voit la valeur du capitaine comme la solidité de l’équipage.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !

M. Yannick Botrel. Je souhaite donc vous réaffirmer, monsieur le ministre, notre ferme soutien, convaincu que le Gouvernement – pour répondre à notre collègue Mme Des Esgaulx – a un cap et une boussole ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Et il avance !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin de débat, une grande partie de nos collègues ont quitté l’hémicycle. Et cela se comprend, puisque ce débat n’est suivi d’aucun vote ; il suscite donc, monsieur le ministre, le désintérêt des parlementaires.

Je souhaiterais formuler quelques remarques.

En premier lieu, je m’attacherai au rôle de ce débat. En deuxième lieu, j’évoquerai l’utile contribution de ce nouvel intervenant qu’est le Haut Conseil des finances publiques. En troisième lieu, je m’efforcerai de vous montrer en quoi la stratégie du Gouvernement est risquée pour la crédibilité de la France. Enfin, en quatrième lieu, j’insisterai sur le fait que la programmation que vous nous proposez est, à mon sens, marquée par un grand décalage entre les ambitions que vous affirmez et les conditions concrètes de la mise en œuvre d’un tel programme.

Mes chers collègues, j’ai plaisir à rappeler devant Jean Arthuis que le principe d’un débat sur le projet de programme de stabilité avant sa transmission à Bruxelles est issu, du moins au Sénat, d’une proposition que j’avais formulée au nom de la commission des finances en mars 2010, de retour d’un déplacement au Portugal. Il m’avait en effet semblé qu’au Portugal, dans une situation particulièrement difficile, et qui l’est toujours, l’association du Parlement aux efforts et aux chemins de convergence était mieux assurée que ce n’était le cas dans notre pays.

M. Jean Arthuis. C’est vrai !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le Sénat avait en conséquence inséré un article 14 dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 pour poser le principe de ce débat, dont nous voulions faire un moment incontournable de notre cycle budgétaire.

Ensuite, la loi de programmation 2012-2017 qui a été présentée par le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre – vous n’y exerciez pas alors les mêmes fonctions – avait maintenu la procédure prévue à l’article 14, qui dispose, de manière explicite, que le Parlement, dans chacune des assemblées, débat de ce projet et se prononce par un vote.

Bien entendu, afin que l’indication du vote soit juridiquement plus contraignante, il aurait fallu qu’elle figure dans une loi organique, voire dans la Constitution. Néanmoins, le fait que deux lois de programmation successives aient prévu le principe du vote devrait, me semble-t-il, être considéré sur le plan politique comme une réalité. Je suis donc quelque peu désolé de constater que, cette réalité, le Gouvernement s’assoit allègrement dessus !

J’en viens maintenant à l’utile contribution du Haut Conseil des finances publiques.

Ses débuts sont prometteurs, mais il reste encore à tirer toutes les conséquences de nos nouvelles règles de gouvernance des finances publiques, issues en particulier de la transposition du droit communautaire par la loi organique du 17 décembre 2012, loi qui avait été – c’est l’une des rares exceptions de ce début de législature – adoptée de manière largement consensuelle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Parce que, nous, nous jouons le jeu !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous, nous jouons le jeu, en effet, mais nous ne sommes que rarement payés de retour ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le Haut Conseil des finances publiques a rendu son premier avis. À sa lecture, on peut rendre hommage à la compétence et à l’indépendance de ses membres et de l’ensemble du collège, compétence et indépendance qui étaient bien les deux critères pour leur désignation.

Une question peut se poser, mes chers collègues : que penser d’un programme de stabilité qui tient si peu compte des remarques formulées par le Haut Conseil ? Le Gouvernement, en droit interne, n’est pas tenu de suivre les avis,…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne fallait pas le créer !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … même lorsqu’ils semblent relever du bon sens, par exemple en révisant ses prévisions de croissance afin d’en limiter le biais optimiste ou bien en fondant sa trajectoire sur un scénario délibérément prudent.

Lorsque, en commission, notre collègue Albéric de Montgolfier avait posé cette question à votre prédécesseur, Jérôme Cahuzac, le ministre du budget d’alors avait été très clair et très affirmatif, et cette affirmation-là, nous étions fondés à la croire. Il nous disait en substance qu’il s’agissait d’un avis non contraignant mais publié et politiquement important que le Gouvernement serait bien inspiré de suivre. On peut se reporter au bulletin des commissions pour retrouver les mots exacts qu’il avait employés.

Au niveau européen, quelles seront les réactions de la Commission européenne ? On peut s’interroger, même si, bien entendu, passer sous les fourches caudines de Bruxelles peut faire mal et je partage, à cet égard, on le sait, la sensibilité d’un Éric Bocquet.

La Commission considérera-t-elle que le conseil budgétaire indépendant a « avalisé » nos prévisions économiques ? Considérera-t-elle notre trajectoire comme crédible ? Partagera-t-elle les doutes du Haut Conseil sur notre capacité à enregistrer un taux de croissance du PIB supérieur à notre potentiel dès 2015 ?

Au niveau national, au demeurant, on sait que les avis du Haut Conseil seront, en quelque sorte, l’aune à laquelle se référera le Conseil constitutionnel pour se prononcer sur la sincérité d’une loi de finances. La sincérité budgétaire devra être étayée par des raisonnements et non plus simplement par l’argument d’autorité de l’exécutif, et ce sera précisément le rôle du Haut Conseil.

Dès lors, quel pourrait être un jour l’appréciation par le Conseil constitutionnel d’une loi de finances qui serait construite sur des hypothèses macroéconomiques ayant reçu une appréciation aussi mitigée du Haut Conseil des finances publiques ?

En cette première année de mise en œuvre, il faut se souvenir que notre dispositif sera de nouveau éprouvé très prochainement, puisque le Haut Conseil appréciera le respect en 2012 de la trajectoire de solde structurel dans son avis qui sera joint au projet de loi de règlement. C’est donc pour très bientôt et c’est le prochain travail de notre excellent rapporteur général que de rapporter la loi de règlement, ce qui, là aussi, se fait, malheureusement, devant un hémicycle insuffisamment garni…

Le Haut Conseil s’appuiera sur le PIB potentiel retenu dans la loi de programmation des finances publiques. Mais que se passerait-il si la Commission européenne, se fondant sur sa propre estimation du PIB potentiel, obtenait un résultat différent ? Le Haut Conseil a annoncé, dans son avis du 15 mars, son intention de revenir sur les conséquences des appréciations divergentes du PIB potentiel. Nous serons très attentifs à l’évolution des choses.

Nous avons évoqué, monsieur le ministre, lors de plusieurs réunions de commission, le caractère « intrusif » de la nouvelle gouvernance budgétaire européenne, et la lecture du programme national de réforme illustre cet aspect. Mais, pour que l’Europe ne soit pas intrusive, ne faut-il pas mettre de l’ordre dans nos propres affaires et ne pas donner de prétexte aux technocrates bruxellois pour le faire à notre place, réduisant sans cesse nos marges de manœuvre et notre liberté de choix ?

En tout état de cause, l’application du Gouvernement à « cocher les cases » des programmes nationaux de réforme, établis au demeurant sous l’influence d’un Conseil composé en majorité de gouvernements conservateurs, montre que la pression de nos pairs est désormais très forte. Donc, nous observerons avec intérêt les résultats du Conseil européen du 27 juin.

À présent, sur le fond des choses, il me semble que la stratégie du Gouvernement est particulièrement risquée pour la crédibilité de la France.

Le Gouvernement minimise le report du retour du déficit public sous le seuil de 3 % et il ne se concentre plus aujourd'hui que sur la trajectoire de solde structurel, notion bien entendu plus « intelligente ». Il se mobilise aussi sur les effets récessifs qui découleraient de mesures supplémentaires visant à tenir l’objectif de solde effectif.

Il est tout de même avéré que seul le solde effectif conduit à définir le volume des emprunts.

M. Jean Arthuis. En effet !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Au rythme actuel, on dépassera bien vite les 100 % du produit intérieur brut…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et on s’éloignera encore davantage du point où la dette en capital pourra commencer à refluer.

Il faut prendre garde, mes chers collègues, de ne pas déboussoler l’opinion en lui donnant le sentiment que, par souci d’opportunité, on change de thermomètre. Aujourd'hui, on semble réaliser que trop d’efforts seraient préjudiciables à la croissance, mais on le savait tout aussi bien il y a six mois, quand Pierre Moscovici affirmait que le déficit ne dépasserait pas 3 %, le Gouvernement s’y engageait.

À l’automne 2012, en effet, devant notre commission des finances, Pierre Moscovici affirmait : « Nous avons une obligation d’exemplarité, de qualité et de crédibilité. Le débat budgétaire permettra d’illustrer que pour nous ce ne sera pas 3,1 %, pas 3,2 %, pas 3 % en tendance, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3 % ». Et aujourd'hui, tout cela a disparu !

Le fait de passer d’une parole à une autre parole crée, que vous le vouliez ou non, un problème de crédibilité.

Il faut en outre rappeler que c’est à partir du déficit effectif que la procédure communautaire pour déficit excessif est susceptible d’être mise en œuvre. Une telle menace ne saurait être sous-estimée.

Il faut enfin se demander, monsieur le ministre, quelle est la bonne répartition des efforts entre 2013 et 2014.

Il n’y aura pas de loi de finances rectificative en 2013, tout le monde l’a compris. Sans mesures correctrices, nous aurons un déficit estimé aujourd'hui à 3,7 %. Vous annoncez pour 2014 un déficit de 2,9 %. La marche sera bien haute à franchir et les efforts que l’on ne peut, que l’on ne veut pas faire aujourd'hui seront encore plus difficiles et encore plus douloureux demain. Il n’y aura pas de miracle qui rendra plus acceptable la rigueur de demain par rapport à la rigueur d’aujourd'hui.

Et encore faut-il que le Conseil européen se range à cette cible de 2,9 % et ne soit pas plus exigeant. Peut-être y parviendrez-vous, mais on ne saurait malgré tout, aujourd'hui, considérer cela comme une certitude.

Il faut également rester vigilant sur notre capacité à respecter la trajectoire de solde structurel. Nous avons enregistré un dérapage de 0,1 point de PIB en 2012, et le programme de stabilité acte un dérapage de 0,4 point de PIB en 2013. Bien sûr, le ministre nous montre les bouteilles à moitié pleines et moi, je vois les bouteilles à moitié vides ! Qu’il ne m’en veuille pas, chacun est tout naturellement dans son rôle.

Mais ce dérapage du solde structurel représente quand même 0,5 point de PIB en deux ans, donc en moyenne 0,25 point de PIB par an, c’est-à-dire suffisamment pour que soit déclenché en 2014 le mécanisme de correction automatique des dérapages que nous avons nous-mêmes créé dans la loi organique du 17 décembre 2012.

Mes chers collègues, la programmation qui nous est proposée se caractérise par un fort décalage entre les ambitions annoncées et les conditions dans lesquelles ces dernières seront mises en œuvre.

Les ambitions, quelles sont-elles ? L'équilibre structurel comme objectif de moyen terme ; le quasi-équilibre effectif à la fin du quinquennat ; la diminution du taux de prélèvements obligatoires et du ratio des dépenses par rapport au produit intérieur brut ; un effort reposant davantage à l’avenir sur les dépenses que sur les recettes ; la stabilisation en valeur des niches fiscales.

Comment ne pas adhérer pour l’essentiel à ces objectifs de bon sens ? La plupart d’entre eux sont, en réalité, de véritables portes ouvertes que nous pouvons enfoncer de concert ! Cependant dans l'adversité, on fait appel aux vieilles recettes. À l'automne dernier, le Gouvernement tenait un discours selon lequel l'effort serait concentré sur les recettes en 2013 puis, les années suivantes, uniquement sur les dépenses. Or, on l'a vu, ce discours peut déjà être quelque peu relativisé, et les ministres ont annoncé des mesures nouvelles pour un montant de 6 à 7 milliards d’euros…

Mes chers collègues, si nous augmentons les recettes à chaque difficulté conjoncturelle, comment pouvons-nous être sûrs que, sur la période, l’effort portera vraiment surtout sur les dépenses ?

J’aimerais insister sur un point : on observe que les dépenses publiques dans leur ensemble – je ne parle pas des seules dépenses de l'État stricto sensu – ont crû plus vite que prévu en 2012, alors même que le programme de stabilité durcit encore les objectifs de maîtrise des dépenses. Dans ces conditions, on attendrait de vous, monsieur le ministre, que vous nous fassiez, aujourd'hui – ou en tout cas à brève échéance –, une présentation détaillée des économies à réaliser.

Il peut être bien pratique de raisonner en termes d'effort structurel, car il s’agit d’une construction macro-économique et intellectuelle permettant de développer bien des assertions, mais on est là loin des crédits réels, en euros réels, qui seront dépensés, contenus ou réduits au titre des missions et des programmes, bien réels eux aussi, composant notre budget.

La Commission européenne trouvera-t-elle dans le programme de stabilité les précisions qui lui permettraient de réviser à la baisse la prévision de déficit qu’elle a fixé à 3,9 % pour 2014 ?

Je terminerai sur une considération de méthode.

Sur les niches fiscales, le Gouvernement annonce son intention de tenir le principe d'une stabilisation en valeur de leur coût total. J'imagine – j’espère que vous me le confirmerez, monsieur le ministre – que cela s'entend hors CICE. Car, à la vérité, ce crédit d’impôt est la plus importante niche créée depuis les allégements de charges sociales sur les bas salaires ! Une évaluation du dispositif est d’ailleurs en cours, conformément à la dernière loi de programmation des finances publiques. Quand connaîtrons-nous les dispositifs de dépense fiscale qui devront être revus ?

Le pacte de compétitivité invite à la stabilité fiscale et à la lisibilité pour les agents économiques. Ces principes seront-ils appliqués dès cette année ?

Compte tenu de ce qui précède, vous aurez compris, mes chers collègues, que, en cas de vote, l’attitude de plusieurs groupes aurait été de rejeter, de façon unanime,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … des perspectives aussi floues et contradictoires, annonciatrices d'une politique menée au gré des circonstances.

Alors, certes, cette politique nous est présentée de façon très habile, en utilisant toutes les ressources de la dialectique,…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … mais elle ne saurait emporter notre conviction ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais d'abord remercier l'ensemble des orateurs, de la majorité comme de l'opposition, de la qualité de leurs interventions à l'occasion de ce débat, qui nous a permis, même s’il n’est pas sanctionné par un vote, comme vous l’avez regretté, d’évoquer le sujet en toute franchise.

Je voudrais reprendre quelques-uns des éléments du débat en essayant, pour faire plaisir à Mme Des Esgaulx et au président Marini, de m’en tenir aux chiffres. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx approuve.)

Madame Des Esgaulx, vous avez tenu avec passion et talent un discours qui m'a impressionné par la force de sa sincérité, mais beaucoup déçu par ses approximations.

Nous pouvons tous nous féliciter, et nous avons raison de le faire, de disposer de cet outil qu’est le Haut Conseil des finances publiques. Il nous permet d'avoir désormais des éléments objectifs sur les trajectoires des finances publiques que nous présentons au Parlement à l'occasion du débat sur le projet de programme de stabilité.

Certains considèrent les avis du Haut Conseil des finances publiques comme autant d'avertissements au Gouvernement ; d’autres estiment, à l’inverse, que ce sont autant d'encouragements donnés à ce dernier pour continuer à agir. C'est bien le signe que cette instance est juste et équilibrée, qu’elle fait bien son travail, et qu’elle a gagné en crédibilité à l'occasion de la publication de son premier avis.

Je vois dans la création de cette instance un progrès dans l'effort de transparence réclamé par le Parlement, progrès dont la représentation nationale peut s'enorgueillir lorsqu'il s'agit de faire la lumière sur nos trajectoires de finances publiques.

Nous continuerons à prêter une grande attention aux travaux du Haut Conseil des finances publiques. Il est faux de penser que nous n'avons pas tenu compte de son avis. Dans ce document, figurent des éléments contrastés : certains pointent des éléments d'optimisme, d'autres traduisent, au contraire, le fait que nous avons été prudents. Cet avis équilibré témoigne de l'objectivité et du niveau élevé de professionnalisme et d'exigence du Haut Conseil.

Avant d'aborder les autres sujets, nous pouvons tous nous accorder, mesdames, messieurs les sénateurs, pour reconnaître que le Haut Conseil est une instance utile à la démocratie, qui permettra de faire progresser la qualité de nos débats sur les questions de finances publiques.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais maintenant remercier les orateurs de la majorité du soutien qu'ils ont apporté, chacun avec ses nuances et son tempérament, au projet de programme de stabilité que nous vous présentons.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention Jean-Vincent Placé, qui a exprimé l’opposition du groupe écologiste. Je regrette qu'il ne soit plus là, car j’aurais voulu lui dire qu’il était surtout en désaccord avec ses amis, son groupe ayant hier voté massivement à l'Assemblée nationale le programme de stabilité !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le Sénat, ce n’est pas l'Assemblée nationale !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J'en déduis que, dans cette affaire, M. Placé ne représente, comme aurait dit le président Edgar Faure, que lui-même, et encore pas tous les jours ! (Sourires.) Cela me dispensera d'avoir à lui répondre de façon trop précise.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. N’agressez pas les sénateurs !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je tiens à remercier Jean Arthuis de la qualité de son propos, de l'exigence de précision qui préside toujours à ses interventions dans cet hémicycle et des précieux conseils qu’il dispense à tous les gouvernements, et ce qu’il les soutienne ou non.

En ce qui concerne le CICE, M. Arthuis a souligné que le dispositif était complexe, et parfois inaccessible à l'entendement des entrepreneurs. Je veux lui rappeler que ce crédit d’impôt n'est rien d'autre que l'extension de dispositifs mis en œuvre par d'autres gouvernements à travers le crédit d'impôt recherche, lui-même étendu voilà quelques semaines avec le crédit d'impôt innovation.

Par conséquent, le CICE est un dispositif extrêmement simple d'accès pour les entreprises, qui peuvent immédiatement en bénéficier, moyennant des formalités elles-mêmes extrêmement simples. Grâce à la mobilisation de la BPI, qui a permis d’obtenir une avance, les entreprises ayant des difficultés de trésorerie pourront bénéficier, dès 2013, de ce crédit d'impôt.

J'ai également entendu quelques critiques de la part de Mme Des Esgaulx qui comparait l'impact du CICE à celui de la TVA sociale.

Le CICE représente un effort de 20 milliards d’euros de crédit d'impôt là où la TVA sociale coûtait 12 milliards d’euros d'allégements de charges. Cependant, vous le savez, lorsque les charges baissent, l'impôt augmente, et une partie de l'effet de la diminution des charges est récupérée par l'État via l’impôt sur les sociétés appliqué aux entreprises. On se souviendra en effet que l’assiette de l’IS, constituée pour partie par les bénéfices, est plus importante quand les charges diminuent. Par conséquent, vous récupériez, par l'intermédiaire de l’impôt sur les sociétés, une partie de l'effort que vous faisiez au travers de la TVA sociale.

Pour que la TVA sociale ait le même effet que le CICE, il aurait fallu, en raison du mécanisme que je viens d'évoquer, que l’effort en matière de TVA sociale soit de l'ordre de 30 milliards d'euros, ce qui n’a pas été le cas.

Il me fallait bien rappeler ces chiffres pour permettre la comparaison des deux dispositifs, laquelle nécessite de décortiquer la mécanique qui s'attache à chacun d’eux et d’examiner les conditions dans lesquelles ils s'appliquent.

Je tenais à corriger vos affirmations, madame Des Esgaulx, et à vous dire que je ne partage pas du tout votre analyse, pour les raisons que je viens d'indiquer.

Monsieur Mézard, je vous remercie de votre soutien. Vous avez eu raison de le souligner, l'exercice est difficile. Nous ne pouvons pas nous assigner de tels objectifs de croissance si nous ne sommes pas nous-mêmes volontaristes. Nous multiplions les actions pour relancer la croissance, et je voudrais d’ailleurs en rappeler quelques-unes.

Au niveau de l'Union européenne, une action a été engagée pour stabiliser le système financier européen, afin qu'il soit de nouveau en situation de financer l'économie réelle.

Cela se fera au travers de l'union bancaire, de la supervision des banques, d’un dispositif de résolution des crises bancaires, de la garantie des dépôts et du nouveau programme d’intervention de la Banque centrale européenne, qui lui permet d'intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines. Il s’agit de faire en sorte que les taux soient contenus et n’augmentent pas au point d’obérer les chances de croissance d'un certain nombre de pays qui font des efforts – je pense à l'Espagne et à l'Italie. Ce fameux programme, appelé Outright monetary transactions, a permis d’éviter une envolée des taux.

Outre donc le fait que la Banque centrale européenne est plus accommodante qu'elle ne l'était par le passé, je dois citer encore le plan de 120 milliards d'euros et la volonté que nous avons, au travers des négociations en cours sur le budget de l'Union européenne, de conforter les augmentations de crédits alloués à la croissance. Je rappelle que, d’un budget à l’autre, les crédits de la rubrique 1a augmenteront de 40 % et ceux du programme Connecting Europe, de 120 %. Cela devrait permettre la réalisation d’investissements au sein de l'Union européenne et, ainsi, favoriser la croissance.

Au niveau national, maintenant, nous avons aussi pris des initiatives pour soutenir la croissance. J’ai évoqué les 20 milliards d'euros sur dix ans consacrés au développement du numérique, ainsi que notre ambition pour le logement, qui passe par une réduction de la TVA pour développer la construction de logements sociaux, mais je pourrais multiplier les exemples.

Mme Des Esgaulx, MM. Mézard, Marini et Marc ont eu raison de le dire, la croissance ne se décrète pas, elle est un combat, un combat qu’il faudra mener, et je veux rassurer M. Bocquet, ce combat, nous le menons, avec les contraintes qui sont les nôtres. Nous avons fait le choix, que nous assumons et qui nous paraît juste, de demeurer dans l’Union européenne, parce que nous estimons que l'Europe est une solution, et non un problème. Notre gouvernement est résolument européen. Nous voulons utiliser tous les outils qui sont à notre disposition pour rendre la croissance possible.

Je voudrais contester certains des chiffres avancés par Mme Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne m’étonne pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne suis pas dans la rhétorique. J’accorde, moi aussi, du crédit aux chiffres. Je me fonde sur les données qui figurent dans nos livres de comptes et, par conséquent, dans les documents de la commission des finances.

J’aimerais prendre quelques exemples concrets des désaccords qui peuvent exister entre nous, ce qui nous permettra sans doute de prolonger le présent débat.

Vous utilisez de façon particulièrement habile, je le reconnais, l’argument de l’évolution des dépenses publiques rapportées au PIB. Mais, comme vous le savez, cette évolution dépend non seulement de celle des dépenses publiques, mais aussi de celle du PIB lui-même, si bien que, lorsque la croissance est plus forte, le ratio des dépenses publiques sur le PIB devient plus favorable au Gouvernement – dès lors qu’il veut démontrer qu’il diminue la dépense publique…

Vous évoquez l’évolution de ce ratio depuis 2011. Or, cette année-là, la croissance du PIB a été plus importante qu’en 2012 et, par conséquent, lorsque vous évoquez cet indicateur plutôt qu’un autre, vous savez parfaitement ce que vous faites : vous ne voulez rien dire de très précis sur l’évolution réelle des dépenses publiques !

Je veux d’ailleurs le prouver. Vous avez indiqué que les dépenses publiques avaient fortement diminué en 2011 et que l’année 2012, pour laquelle j’évoquais une diminution de 300 millions d'euros des dépenses de l’État, n’était donc pas la seule année où des efforts avaient été faits. Je tiens juste à vous signaler qu’en 2011 les dépenses de l’État n’ont pas diminué. Au contraire, elles ont augmenté de 4,4 milliards d'euros !

Je vous demande d’ailleurs, madame Des Esgaulx, d’aller vérifier si ce que je dis est vrai – je sais que, derrière votre vivacité et votre ténacité à la tribune, il y a une honnêteté qui peut nous rassembler. Et si c’était faux, nous aurons l’occasion, lors de notre prochaine rencontre en commission des finances, de nous expliquer de nouveau. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx acquiesce.)

Par ailleurs, je reviens, en quelques mots, sur le budget de 2012, car vous nous faites à son propos quelques reproches que je trouve injustes. Je voudrais rappeler la situation que nous avons trouvée, et ce que nous avons fait en conséquence. Vous voulez que l’on soit précis : sachez que je fais mien cet objectif. C’est pourquoi je vous renvoie à un document sur lequel nous pouvons nous retrouver, émanant de la Cour des comptes.

Car vous ne pouvez pas considérer que, lorsque ses meilleurs éléments formulent des avis au sein du Haut Conseil des finances publiques, la Cour des comptes parle juste, mais que, lorsqu’elle fait des rapports sur les comptes que vous avez laissés en 2012, elle parle faux. Or, dans ses rapports, la Cour dit que les dépenses que vous aviez projetées pour l’élaboration du projet de loi de finances pour 2012 étaient sous-évaluées à hauteur de 2 milliards d'euros, et que les recettes étaient, elles, surévaluées.

Que se serait-il passé si nous n’avions pas pris des mesures de « surgel » et de documentation des économies nécessaires pour éviter un tel dérapage, si nous n’avions pas diminué de 8 milliards d'euros vos hypothèses de recettes et, pour compenser cela, décidé 7 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires ? Et nous avons fait cet effort sans augmenter, pour autant, le montant des prélèvements sur les Français puisque, en 2012, il doit s’élever à 913 milliards d'euros, toutes activités confondues, là où vous aviez projeté un prélèvement de 915 milliards d'euros. Ce prélèvement a donc été moindre, malgré l’effort fourni à l’occasion de la loi de finances rectificative.

Au final, nous parvenons à 4,8 % de déficit, au lieu des 5,5 % que nous aurions obtenus sans cet effort. Et si, comme vous le dites, ces 4,8 % sont critiquables parce nous sommes éloignés de notre objectif de 4,5 %, je ne peux que le reconnaître, mais je veux en rappeler les raisons.

D’une part, il a fallu procéder à la recapitalisation de Dexia, à hauteur de 2,5 milliards d'euros. Je suis sûr que vous n’aurez pas la malhonnêteté de considérer que c’est notre faute. D’autre part, le budget européen a entraîné 800 millions d'euros de dépenses supplémentaires parce qu’en novembre 2010, ses crédits de paiement ont été sous-budgétisés. Ce n’est pas non plus notre faute si nous avons dû procéder à cette correction…

Ce qui, en revanche, est de notre responsabilité – et je l’assume parce que, selon moi, il faut être d’une honnêteté scrupuleuse sur ces sujets –, c’est le décalage existant entre la croissance réelle et les hypothèses sur lesquelles nous avons construit le projet de loi de finances rectificative, c'est-à-dire 0,3 % de croissance. En effet, dans le courant de l’année 2012, on s’est acheminé vers une croissance constatée proche de zéro.

Voilà pour ce qui concerne les chiffres. Je ne cherche pas, à travers eux, à dire des choses qui ne soient pas exactes, car je pense que, malgré nos différences et compte tenu de la gravité de la situation du pays, nous devons essayer, sur les questions que nous abordons dans cet hémicycle, d’être d’une précision et d’une rigueur absolues et de faire en sorte que le débat s’articule, dans toute la mesure du possible, sur des éléments incontestables.

Monsieur le président de la commission des finances, sans être trop long, car nous avons déjà beaucoup parlé et sommes tous appelés à d’autres obligations, je terminerai par vous.

Vous avez une habilité, un talent, une connaissance des dossiers que je ne veux pas remettre en cause. Du reste, ces qualités viennent d’être déployées à la tribune derechef. Mais je voudrais tout de même rappeler certaines vérités.

Vous indiquez que nous n’avons pas conscience de la situation, que nous reportons les échéances à demain et que nous ne prenons pas les responsabilités qui nous incombent. Sans recommencer la démonstration que je viens de faire, j’affirme que nous avons pris nos responsabilités comme il se devait dans une situation particulièrement difficile.

Comme vous le savez, le déficit nominal est le seul véritable indicateur pour l’évolution du niveau de la dette. Malgré tout, nous maîtrisons la dette. Nous voulons en effet, dans notre trajectoire, que la dette baisse de six points de PIB à partir de 2015, et nous nous y employons. Je veux vous rappeler, sans esprit de polémique, qu’elle a crû de vingt-cinq points de PIB au cours des dix dernières années, ce qui, en volume, représente une augmentation de la dette de près de 900 milliards d'euros ! (M. le président de la commission des finances acquiesce.)

Vous dites, par ailleurs, que nous reportons le retour sous le seuil de 3 % de déficit public à 2014 en prenant le risque de devoir franchir alors une marche beaucoup plus haute. Cependant, cela donne le temps d’approfondir la réflexion sur des économies intelligentes, de les documenter devant vos assemblées. En effet, il est très important que nous puissions dire, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, là où se feront les économies, et que nous le fassions de façon extrêmement précise.

Je voudrais conclure sur cette question des économies, car la réalité est moins manichéenne que nos débats pourraient le laisser penser.

J’entends dire que nous ne serions pas prêts à faire des économies et à les documenter, et que la précédente majorité aurait toujours, de façon extrêmement méticuleuse, procédé à ces économies avec des résultats spectaculaires.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nul n’est parfait, hélas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vais livrer quelques chiffres sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Ils sont particulièrement précis, incontestables et de nature à mettre tout le monde d’accord – et pour toujours, puisque la RGPP est derrière nous !

Sur la période 2009-2012, les gains cumulés de la RGPP se sont élevés à 11,9 milliards d'euros. Sur ces 12 milliards d’euros environ, 30 % sont imputables à la masse salariale, soit 3,6 milliards d'euros, 22 % ont été réalisés sur le fonctionnement, soit 2,6 milliards d'euros, et 48 % sur les interventions, soit 5,7 milliards d'euros.

Il faut préciser, concernant les économies sur la masse salariale, que les 3,6 milliards d'euros représentent un gain brut : en réalité, le gain réel ne s’est élevé qu’à 1,7 milliard d'euros, compte tenu du recyclage d’une grande partie des économies réalisées sur la masse salariale en mesures catégorielles.

Bref, si l’on retient toute la période du précédent quinquennat, l’économie réelle n’a été que de 10,2 milliards d'euros, puisqu’il faut retrancher des 11,9 milliards d'euros 1,7 milliard d'euros de recyclage.

Chaque année, la RGPP n’a donc permis de dégager que 2,5 milliards d'euros d’économies nouvelles.

J’entends les propositions des groupes de l’opposition, notamment des partis politiques qui les soutiennent : l’UMP voudrait revenir à 3 % de déficit public dès 2013 et nous demande des lois de finances rectificatives à cet effet. Cela revient à demander 15 % d’économies complémentaires sur les dépenses – puisque ce même parti ne souhaite pas que nous augmentions les impôts.

On aimerait comprendre comment il serait possible de réaliser en une année six fois plus d’économies que la RGPP n’en aura permis sur toute la durée du quinquennat précédent !

On voit bien que ces débats sont de pure politique, qu’ils ne sont articulés à rien d’opérationnel, à rien de pragmatique, à rien de sérieux. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Madame Des Esgaulx, ce n’est pas la rhétorique, ce sont les chiffres qui parlent. Si je faisais ce que vous me demandez, des chiffres incontestables montrent que je prendrais alors des mesures totalement absurdes, et vous seriez la première à me les reprocher. C’est d’ailleurs parce que je ne veux pas essuyer de reproches supplémentaires – compte tenu du nombre et de l’injustice de ceux que vous m’adressez – que je ne ferai pas ce que vous me suggérez !

Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant pour votre présence à ce débat et dans l’attente des prochaines occasions d’échanges sur ces questions rigoureuses, difficiles mais passionnantes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le projet de programme de stabilité.

8

Nomination des membres d’une mission commune d’information et des membres d’une commission d’enquête

M. le président. Je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures :

- d’une part, pour la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République ;

- d’autre part, pour la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame :

- MM. Philippe Adnot, Alain Bertrand, François-Noël Buffet, Pierre Camani, Luc Carvounas, Philippe Dallier, Marc Daunis, Éric Doligé, Jean-Léonce Dupont, Christian Favier, Jacques Gillot, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Yves Krattinger, Gérard Larcher, Dominique de Legge, Mme Hélène Lipietz, M. Rachel Mazuir, Mme Michelle Meunier, MM. Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Yves Rome, Mme Mireille Schurch, M. Bruno Sido, Mme Catherine Troendle, M. René Vandierendonck, membres de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République ;

- MM. Michel Bécot, Michel Berson, Éric Bocquet, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jacques Chiron, Yvon Collin, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, M. Christophe-André Frassa, Mme Nathalie Goulet, MM. Joël Guerriau, Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Roland du Luart, François Pillet, Charles Revet, Mme Laurence Rossignol, M. Richard Yung, membres de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.

9

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen, d’une part, du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique, déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale le 24 avril 2013 ; d’autre part, du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 24 avril 2013.

10

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, et que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a présenté une candidature pour la mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.

La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Frédérique Espagnac membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en remplacement de M. Gaëtan Gorce, démissionnaire, et M. Robert Hue, membre de la mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement, en remplacement de M. Yvon Collin, démissionnaire.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)

PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

11

Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’immigration étudiante et professionnelle, organisé à la demande du groupe socialiste.

La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu’elle est une part constitutive de notre nation, de son histoire, de son présent et, surtout, de son avenir, l’immigration doit intéresser au premier chef la représentation nationale. Que celle-ci puisse se saisir pleinement de cette question, tel était l’engagement du Président de la République, telle est la raison du débat que nous allons avoir.

Il s’agit de débattre non pas de l’existence en soi des phénomènes migratoires – c’est un fait majeur et incontestable, dont le développement s’accélère à l’échelle de notre planète –, mais des priorités que nous voulons instaurer pour notre immigration, en particulier pour les mobilités professionnelles et étudiantes : une immigration qui répond aux besoins de notre économie et permet le rayonnement de notre pays dans le monde.

La France est belle de ses paysages, de la diversité de ses reliefs, de la variété de ses plaines, du contraste de ses littoraux. La France est belle, car elle est plurielle. Elle a mille visages, mais elle n’a en tête qu’un seul et même idéal : la République. Cet idéal républicain de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité et, bien sûr, de laïcité est, comme notre langue, notre culture, le garant non négociable de notre unité.

Dans notre monde globalisé, un monde d’échanges qui a considérablement réduit les distances, la France doit être sûre d’elle-même, de ses atouts. La France s’est en partie construite et renforcée au fur et à mesure des vagues d’immigration venues d’abord d’Europe, puis d’Afrique du Nord, d’Amérique latine, de Chine, ou encore de l’Afrique de l’Ouest. Sait-on que 19 % de celles et de ceux qui vivent en France sont immigrés ou fils d’immigrés ? La France a été un grand pays d’immigration. Elle ne peut le demeurer qu’à la condition de définir un cadre réfléchi, organisé, régulé.

Ce débat est l’occasion d’éclairer la représentation nationale pour que nous puissions aborder sereinement, dans un esprit de responsabilité et d’apaisement, cette question de l’immigration, loin des clichés, des raccourcis – des outrances, aussi – qui l’entourent depuis longtemps.

Nous devons engager ce débat dans un esprit de responsabilité, d’abord, parce que, nous le savons, l’immigration, pour être acceptée, doit être maîtrisée, contrôlée. Ne faisons pas semblant d’ignorer les inquiétudes, les peurs, les pulsions qui peuvent se manifester sur ce sujet et dont témoignent les enquêtes d’opinion. Comment pourrions-nous être faibles lorsque des filières exploitent la misère humaine, lorsque des marchands de sommeil ou des employeurs, en toute illégalité, profitent de la détresse de ceux qui n’ont rien ? Il nous faut aussi être fermes lorsque des étrangers sans titre se maintiennent, en toute connaissance de cause, illégalement sur notre territoire.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Manuel Valls, ministre. La République implique des règles, qui doivent être appliquées avec fermeté : c’est cela, l’esprit de responsabilité.

Nous devons engager ce débat dans un esprit d’apaisement, ensuite, car comment bâtir notre société, qui est ouverte sur le monde, si l’étranger y est vu avec méfiance, si nous confondons la maîtrise – indispensable – des flux migratoires et la stigmatisation – inacceptable – de l’autre ?

Depuis onze mois, c’est une nouvelle politique en matière d’immigration qui a été mise en place, et je ne laisserai pas caricaturer ce qui a été fait. Nous avons agi et nous continuerons à agir avec beaucoup de réalisme et de pragmatisme, avec humanité, bien sûr, mais sans naïveté, avec fermeté, mais sans arbitraire ni outrance.

La circulaire Guéant sur les étudiants étrangers a été abrogée. Ma collègue Geneviève Fioraso et moi avons défini des critères de régularisation exigeants, clairs et uniformément appliqués.

Nous avons mis un terme, sauf circonstances exceptionnelles – je pense au cas difficile de Mayotte –, à la rétention des familles avec enfants. Nous avons – enfin ! – abrogé le délit de solidarité qui pesait sur les personnes de bonne foi apportant aide et assistance. Nous avons, à la suite de la décision de la Cour de cassation de juillet 2012, confirmant celles de la Cour de justice de l’Union européenne de juin et de décembre 2011, créé une retenue de seize heures permettant aux services de police et de gendarmerie, ainsi qu’aux préfectures, de vérifier, dans de bonnes conditions, le droit au séjour de personnes étrangères se trouvant sur le territoire ; nous en avons débattu ici même.

Enfin, dans quelques semaines, en fonction de l’avancée des travaux législatifs, nous vous proposerons de généraliser le titre de séjour pluriannuel, en nous appuyant, pour ce faire, sur le rapport qui sera remis par le député Matthias Fekl.

Aujourd’hui, nous débattons de l’immigration professionnelle et étudiante. Cette volonté de débattre, je le sais, a pu surprendre, notamment parmi ceux qui pensent que l’on parle déjà suffisamment d’immigration. Mais la vérité, c’est que nous ne parlons jamais de nos flux migratoires. Lorsque nous débattons de l’immigration, nous mélangeons tout : des personnes d’origine étrangère, mais nées françaises, sont confondues avec des naturalisés ; des immigrés sont confondus avec des étrangers ; des enfants de Français sont, du fait de leur couleur de peau ou de leur religion, assimilés à des immigrés. Jamais, dans notre pays, nous n’acceptons de regarder sereinement nos flux migratoires, puis de nous poser ces questions simples : au regard de nos flux actuels, de nos valeurs et de nos besoins, quelle politique est la mieux adaptée ? Quels étrangers pouvons-nous ou devons-nous accueillir ? Dans la circulation mondiale des personnes que j’évoquais il y a un instant, comment se situe la France ? Que souhaite la représentation nationale ? Ces questions simples – je reconnais que les réponses le sont sans doute moins –, je propose que nous nous les posions ensemble.

Au préalable, il m’apparaît cependant nécessaire d’établir précisément ce qu’a été la politique menée, au cours des dernières années, par le précédent gouvernement. Une formule la résume, même si je ne sous-estime pas les problèmes : empressement dans les réformes, emportement dans les discours, mais, en vérité, des flux migratoires inchangés.

D’abord, on a expliqué qu’il fallait faire baisser l’immigration dite subie, et donc qu’à l’immigration familiale, indésirable, il fallait préférer une immigration triée sur le volet – à un point tel, d’ailleurs, que l’on a créé un titre de séjour spécifique, la carte « compétences et talents », qui a été attribuée à moins de 300 personnes par an.

M. Jean-Pierre Sueur. Quel succès !

M. Manuel Valls, ministre. Ce n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une politique d’attractivité…

M. Jean-Pierre Sueur. C’est une antipolitique !

M. Manuel Valls, ministre. Puis, devant l’impossibilité de faire diminuer l’immigration familiale, qui obéit à des principes enchâssés dans la Convention européenne des droits de l’homme – j’y reviendrai dans un instant –, on a expliqué que l’urgence était – quel non-sens ! – de faire fuir les étudiants étrangers très diplômés souhaitant travailler dans nos entreprises. On a également estimé que le problème, c’était que la France naturalisait trop…

Ensuite, on nous expliqua qu’il y avait, de toute façon, trop d’immigrés, qu’il fallait diviser les flux migratoires par deux. Mais, pour diviser les flux migratoires par deux – en partant des vrais chiffres, pas des chiffres fantasmés –, il faudrait réduire drastiquement les mobilités étudiantes. Est-ce bien ce que nous voulons pour notre pays ? De telles approximations ne peuvent pas faire une bonne politique.

J’ai demandé au secrétariat général à l’immigration et à l’intégration de préparer notre débat en entendant l’ensemble des acteurs concernés par l’immigration professionnelle et étudiante, puis de vous soumettre, dans un rapport, l’ensemble de ces contributions et des données à ce jour disponibles. Ce rapport a été élaboré en lien avec tous les ministères concernés : les ministères des affaires étrangères, du travail et de l’emploi, de l’économie et des finances, du redressement productif, du commerce extérieur et, bien sûr, chère Geneviève Fioraso, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un partenariat étroit. C’est comme cela que nous pourrons, ensemble, définir des priorités d’action ; c’est comme cela que nous pourrons regarder nos flux migratoires les yeux ouverts.

Ces flux, quels sont-ils ? Pour une part – un peu plus de la moitié, soit environ 100 000 personnes par an –, ils obéissent à une logique de droits, protégés par la Constitution et les conventions internationales. Parce que vous épousez une Française ou un Français, parce que vous êtes persécuté dans votre pays d’origine, parce que vous êtes gravement malade, vous avez un droit au séjour en France. Ces flux migratoires ne sont pas subis ; ils sont la traduction de ce que nous sommes, un État de droit, et des valeurs que nous défendons.

Concernant ces flux migratoires, nous devons viser deux objectifs.

Le premier est de lutter efficacement contre les détournements de procédure, bref contre la fraude. Or, disons-le simplement, notre organisation administrative fabrique aussi de la fraude.

En effet, les préfectures, confrontées à un flux incessant de demandeurs, renouvellent les titres de séjour sans pouvoir exercer de contrôle : 99 % des titres de séjour « vie privée et familiale » sont renouvelés chaque année. Demain, le titre de séjour pluriannuel nous permettra de passer d’une logique de suspicion à une logique d’intégration, d’une logique de guichet à une logique de contrôle.

De même, le droit d’asile – faut-il le rappeler ? – est un droit fondamental, qui doit être protégé. Toutefois, notre procédure d’asile, trop longue, trop complexe, peut conduire, si nous n’y prenons garde – c’est le cas déjà, je vous dois cette franchise –, à des détournements. Il nous faudra également la réformer en profondeur pour raccourcir les délais de manière drastique, comme s’y était engagé le chef de l’État, dans l’intérêt des demandeurs d’abord, qui ont le droit à une réponse rapide, et dans l’intérêt de la société ensuite, pour permettre l’éloignement – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – de ceux à qui le statut de réfugié aura été refusé.

Le second objectif consiste à mieux accueillir ceux qui ont vocation à rester en France.

L’instauration du titre de séjour pluriannuel répond à cet objectif. Surtout, le contrat d’accueil et d’intégration – dont je ne conteste pas le principe ni la finalité – mérite d’être revu. Pour 75 % de ses signataires, son contenu se limite à quelques heures de formation sur le « vivre en France » et à un bilan de compétences. Cela n’est pas à la hauteur de la République ni des besoins de ceux qui arrivent dans notre pays. Une réforme d’ampleur sera là aussi nécessaire. Nous devons faire vivre le principe, cher à Jean-Pierre Chevènement, des droits et des devoirs.

Le rapport qui vous a été remis décrit plus finement les autres flux migratoires, ceux sur lesquels les pouvoirs publics ont la plus grande maîtrise et qui font l’objet de notre débat : l’immigration professionnelle et étudiante.

Regardons, en premier lieu, l’immigration de travail. Contrairement à ce que l’on entend parfois dire, la France se caractérise par une immigration de travail très réduite depuis 1974 : environ 20 000 cartes sont délivrées à ce titre chaque année. Nous sommes donc loin, très loin des chiffes fantasmés que certains – et certaine – mettent en avant !

Cette immigration est strictement encadrée par un système très dissuasif : aucun étranger ne peut venir travailler en France sans autorisation de travail. Cette dernière est délivrée après prise en compte de toute une série de paramètres, parmi lesquels la situation de l’emploi dans la profession considérée, le niveau de rémunération ou encore la formation de l’étranger.

Malheureusement, notre droit, devenu bien bavard, fait coexister pas moins d’une quinzaine de titres de séjour différents à destination des étrangers désirant travailler dans notre pays : à chacun son régime, ses modalités d’obtention, sa durée, sa procédure. Certains titres ne concernent que quelques dizaines de personnes chaque année.

En outre, la règle d’opposabilité de la situation de l’emploi a été contournée par le biais de tant d’exceptions qu’elle est devenue illisible. Je ne vais pas vous la décrire par le menu, mais sachez, par exemple, qu’il existe une liste des métiers dits « en tension », c’est-à-dire pour lesquels on a du mal à trouver des postulants aux offres d’emploi, élaborée en 2008 selon une nomenclature datant de 2003, et que ces métiers « en tension » ne sont pas les mêmes suivant que vous êtes Sénégalais, Gabonais ou Tunisien ! Bref, plus personne ne s’y retrouve. Nous avons, là aussi, besoin de lisibilité et de stabilité.

À cette complexité pointilliste, coûteuse et inutile, j’ai l’ambition d’opposer des principes simples.

Le premier est contenu dans le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi : certains étrangers, par leurs talents, constituent non pas un risque pour l’emploi, mais une chance pour notre croissance. Il existe aujourd’hui, à l’échelle du monde, une concurrence acharnée pour attirer ces étrangers, ces chercheurs, ces créateurs, ces investisseurs. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, la compétence est une richesse à part entière : l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, les pays scandinaves, le Canada modifient leur législation pour attirer et retenir ces talents. Si nous n’y prenons garde, si nous conservons notre droit complexe, alors nous courons le risque d’être, demain, marginalisés, dépassés. Je propose donc de simplifier notre droit en rapprochant, autant que nous le pourrons, tous ces dispositifs afin de rendre nos règles plus lisibles, plus stables, plus claires.

Le droit au séjour pour les talents étrangers devra reposer sur un titre pluriannuel. Il devra offrir des garanties de renouvellement à l’étranger et à son conjoint. Les conditions d’accueil des talents étrangers dans nos préfectures et nos consulats seront spécifiquement adaptées. Ces étrangers devront aussi savoir qu’ils pourront bénéficier d’un accès privilégié à un visa de circulation, même après l’expiration de leur titre de séjour.

La France, mesdames, messieurs les sénateurs, doit changer de discours : les talents étrangers doivent savoir qu’ils sont et seront toujours bien accueillis dans notre pays. À la suspicion généralisée, il faut préférer la confiance liée au mérite. C’est d’ailleurs cette confiance méritée, cette confiance sélective qui a guidé mon action lorsque j’ai signé, le 22 mars dernier, avec le ministre des affaires étrangères, une instruction aux postes consulaires visant à faciliter la délivrance des visas de circulation pour les talents étrangers. Soyons attentifs à la mise en œuvre de ces préconisations.

Le second principe, c’est que nous devons, particulièrement dans le contexte économique que nous connaissons, protéger notre marché de l’emploi. Ainsi, face à un besoin en main-d’œuvre, comme il s’en manifeste dans certains secteurs, il faut d’abord penser à former des chômeurs. Tel est le sens de l’action menée par le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Toutefois, il peut exister, dans une région ou un bassin d’emploi, des besoins précis et ponctuels tels que notre formation professionnelle ne pourra y répondre. Je propose donc la mise en place, dans chaque région, d’un dispositif souple pour actualiser en continu, avec les partenaires sociaux, ces besoins exceptionnels. Mes services travailleront avec ceux de Michel Sapin à la définition de ce dispositif.

Nous devons donc attirer les talents étrangers et identifier, au plus près des besoins et dans le dialogue social, les quelques métiers ou secteurs pour lesquels des tensions exceptionnelles justifient le recours à la main-d’œuvre étrangère. Je ne sous-estime pas les obstacles techniques – je pense notamment aux accords de gestion concertée des flux migratoires –, mais voilà notre feuille de route.

La mobilité étudiante constitue, quant à elle, une des mutations les plus profondes de notre monde contemporain. Le nombre d’étudiants dans le monde a doublé en quinze ans ; il doublera encore d’ici à 2020. En Chine, en Inde, au Brésil, dans toute l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est, en Russie, des jeunes qualifiés aspirent à donner une dimension internationale à leur carrière. Les accueillir n’est pas faire preuve de générosité : c’est jouer sur un levier stratégique pour assurer la place de la France dans le monde d’ici à vingt ou trente ans, c’est agir avec réalisme au regard de la concurrence actuelle entre les pays et les continents. Réussir à attirer ces chercheurs, ces scientifiques, ces étudiants, c’est assurer à la France une place centrale dans la circulation des savoirs et de la recherche, c’est favoriser l’ouverture internationale et le rayonnement de nos universités, c’est promouvoir aussi la francophonie ; c’est choisir, tout simplement, de compter dans le monde de demain.

La France, terre de savoir, d’excellence, de culture et d’innovation ne doit pas rester à la traîne. Nous avons des résultats intéressants – 41 % des doctorants, par exemple, sont de nationalité étrangère –, mais nous perdons du terrain. En 2012, nous avons accueilli 10 % d’étudiants en moins, notamment en raison de la circulaire Guéant, alors que les flux mondiaux d’étudiants augmentaient. L’Allemagne est en train de nous dépasser, et nous ne sommes plus le premier pays non anglophone pour l’accueil des étudiants étrangers. Il est de bon ton de mettre en cause l’Allemagne, mais regardons aussi ce qui se passe chez nous !

Pour tenir notre rang, nous avons deux possibilités.

La première consiste à privilégier une approche quantitative : il y a plus d’étudiants dans le monde, nous devons donc en accueillir plus encore. Cette voie, qui a été retenue à la fin des années quatre-vingt-dix, a ses défenseurs. Toutefois, notre situation budgétaire ne nous permet pas aujourd’hui d’accroître indéfiniment le nombre d’étudiants accueillis.

Ce que je crois, c’est que la France a des marges de manœuvre substantielles pour améliorer qualitativement l’accueil des étudiants étrangers. Plusieurs chantiers peuvent être ouverts. Il s’agit, d’abord, de repenser nos dispositifs de sélection en les centrant davantage sur les étudiants de niveau master et doctorat. Il s’agit, ensuite, de tenir un discours clair et transparent à ceux qui choisissent de nous rejoindre : venir en France pour étudier, c’est venir en France pour réussir. Nous devons poser des exigences claires à cet égard : il me semble que prévoir un seul redoublement possible par cycle d’études pour les étudiants étrangers est, sauf cas particulier, suffisant.

Parce que nous voulons attirer les meilleurs, nous devons aussi mieux les accueillir : je proposerai la généralisation du titre de séjour pluriannuel pour les étudiants étrangers, ainsi qu’un rapprochement entre universités et préfectures pour limiter le plus possible les démarches inutiles ou redondantes. Notre stratégie en matière de versement de bourses devra également être repensée pour l’orienter vers les étudiants les plus prometteurs.

Notre capacité à attirer les meilleurs étudiants ne dépend pas que de la réglementation du séjour, mais aussi – Geneviève Fioraso y reviendra – de l’accompagnement que les universités sont en mesure de fournir. Elle dépend également des stratégies internationales de l’enseignement supérieur.

Afin de répondre à cet enjeu, certains interlocuteurs nous ont suggéré de faire contribuer davantage les étudiants étrangers des pays émergents au coût de leur formation universitaire. Cette idée, qui n’appelle pas de réponse simple ni évidente et qui a déjà fait couler un peu d’encre, pourra être débattue entre nous.

Enfin, un mot doit être dit du passage du statut d’étudiant à celui de salarié. Là encore, notre dispositif législatif est mal rédigé, trop complexe, et peut recevoir des interprétations divergentes. Il nous faudra préciser, dans la loi, quels étudiants ont la possibilité de changer de statut, et ce sans que puisse leur être opposée la situation de l’emploi. Étant donné le contexte économique, je pense qu’il faudra centrer le changement de statut sur les étudiants à haut potentiel qui ont accès à un emploi de haut niveau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de gestion des flux migratoires, la fermeté est nécessaire, indispensable. Mais la fermeté, ce n’est pas la fermeture : si des talents étrangers peuvent, demain, contribuer à notre croissance, à notre rayonnement, notre droit doit savoir les distinguer, nos préfectures et nos consulats les accueillir dans les meilleures conditions.

Il nous faut faire vivre ensemble, dans un cadre partagé, ces deux exigences : maîtriser les flux migratoires et faire de notre pays une destination de choix au titre des mobilités de la connaissance et de l’excellence. Voilà le chemin que nous vous proposons, voilà ce sur quoi il nous appartient de débattre collectivement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà près d’un an, confirmant ainsi les engagements du Président de la République, le Gouvernement abrogeait la circulaire du 31 mai 2011, dite circulaire Guéant, texte de fermeture, de repli sur soi, marquant une rupture avec la longue tradition d’accueil et de rayonnement scientifique de notre pays. En interdisant aux meilleurs chercheurs et étudiants étrangers un accès au marché du travail, cette circulaire les dissuadait de fait de choisir la France et nous privait de l’apport culturel, scientifique, affectif et économique de ces échanges.

Nous avons pris, Manuel Valls et moi, un engagement devant les Français : la nouvelle politique d’attractivité universitaire et scientifique de la France ne s’arrêterait pas à ce geste aussi nécessaire que symbolique. Il fallait aller plus loin et redonner à notre pays toute sa place dans la compétition scientifique mondiale pour attirer les talents, en premier lieu les étudiants et les chercheurs.

Cette priorité du Gouvernement recouvre un enjeu stratégique. Nous assistons en effet, à l’échelle internationale, à un double mouvement : d’un côté, la diversification des pays d’origine des étudiants internationaux ; de l’autre, un renforcement de la compétition entre les pays d’accueil pour les attirer.

Les pays émergents fondent leur développement sur l’élévation du niveau de qualification et sur la recherche. L’exemple de la Corée du Sud, qui compte 3,3 millions d’étudiants pour 59 millions d’habitants et consacre 4,34 % de son PIB à la recherche et au développement, illustre ce fait de manière frappante. La France, quant à elle, compte 2,4 millions d’étudiants et la part de son PIB allouée à la recherche et au développement plafonne depuis dix ans à 2,2 %, bien loin de l’objectif de 3 % arrêté à Lisbonne.

La France n’est que le huitième pays d’accueil des étudiants coréens : alors que 154 000 d’entre eux partent chaque année à l’étranger, seulement 5 500 sont inscrits dans nos établissements, dont 3 % en ingénierie et en sciences. Ces étudiants coréens s’inscrivent principalement dans des filières artistiques ou littéraires, pour étudier les humanités, parce qu’ils ne perçoivent absolument pas la France comme une puissance scientifique et technologique. Par ailleurs, le fait qu’aucun cours ne soit dispensé en anglais les amène assez systématiquement à se diriger vers les universités anglo-saxonnes. Or nous manquons d’étudiants en sciences et technologies, et notre industrie en souffre.

L’Inde veut doubler le nombre de ses étudiants, mais ceux-ci ne sont que 3 000 en France, tandis que seulement 1 000 étudiants français sont en mobilité dans ce pays de près de 1 milliard d’habitants. La mondialisation des connaissances est une réalité en marche. Dans le monde, le nombre d’étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. Il doublera à nouveau d’ici à 2020.

Face à ces flux croissants, les pays d’accueil s’organisent. Alors que l’accueil des étudiants internationaux était concentré, jusqu’à une période assez récente, au sein de quelques grandes institutions disposant de traditions universitaires anciennes, il fait désormais l’objet de politiques nationales ambitieuses. Le président Barack Obama, par exemple, vient de lancer une politique d’attractivité scientifique pour attirer les talents du monde entier. Les grands pays, en particulier anglophones, prennent des positions offensives dans les échanges internationaux : je pense notamment au Canada ou à l’Australie. Plus près de nous, l’Allemagne et les pays scandinaves ont développé une stratégie d’accueil qui a déjà prouvé son efficacité.

La France ne doit pas rester à l’écart de ces dynamiques. Nous sommes le premier pays d’accueil non anglophone des étudiants internationaux, au coude à coude avec l’Allemagne, qui vient de nous dépasser, alors qu’elle était loin derrière nous il y a seulement cinq ans.

Chaque année, 290 000 jeunes étrangers font le choix d’étudier dans notre pays ; 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étudiants étrangers ; 60 000 titres de séjour de longue durée sont accordés annuellement à des étudiants, contre 17 000 à des salariés et 90 000 au titre du regroupement familial. Notre pays peut s’honorer de ce rayonnement international, qui témoigne à lui seul de la qualité scientifique et pédagogique de nos universités et de nos établissements d’enseignement supérieur.

Mais cette position est fragile. La France a perdu du terrain, passant en dix ans de la troisième à la cinquième place dans le classement des pays les plus attractifs en matière d’études supérieures. L’impact n’a pas seulement été quantitatif ; il a aussi, et surtout, été qualitatif, les meilleurs étudiants, surtout en sciences, se détournant de notre pays pour trouver des destinations plus propices à leur épanouissement.

La politique migratoire mise en œuvre par le précédent gouvernement a fait des ravages en termes d’attractivité universitaire et scientifique. La complexité et la lenteur des démarches administratives, la défiance manifestée à l’égard des étrangers, les mesures dissuasives que j’ai évoquées : tout était réuni pour décourager les candidats à la mobilité. À force de considérer les chercheurs et les étudiants étrangers comme une menace migratoire dont il convient de se protéger, on a durablement entaché la réputation d’accueil de notre pays. Il fallait inverser la tendance.

À l’occasion de ce débat, nous souhaitons rappeler notre philosophie en matière de mobilités étudiantes et scientifiques. Je voudrais le redire ici, ce gouvernement considère que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse, une chance, et certainement pas un problème.

Nous constatons chaque jour le rôle primordial joué par les chercheurs étrangers dans nos écosystèmes scientifiques : nombreux sont ceux que l’on retrouve coordonnant de remarquables projets de recherche fondamentale ou technologique. Mais il s’agit également d’un enjeu pour notre compétitivité et notre politique d’influence, reposant sur la diffusion à travers le monde de notre langue, de notre culture et de nos valeurs. Les étudiants étrangers que nous accueillons sont les cadres de demain. Quel que soit leur parcours professionnel, qu’ils retournent dans leur pays d’origine, mènent une carrière à l’international ou restent en France, ils connaîtront et aimeront toute leur vie notre pays et notre langue. Ces mobilités créent les conditions de partenariats professionnels ultérieurs, bien utiles pour notre balance commerciale extérieure, dont nous voulons combler le déficit abyssal, qui n’a cessé de se creuser depuis dix ans.

Pour être de nouveau compétitive, la France doit non seulement continuer à attirer les meilleurs étudiants internationaux, mais aussi diversifier leur origine géographique. J’identifie deux priorités : nous devons nous tourner vers les pays émergents – les « BRICS » –, mais nous devons également être accueillants à l’égard de l’Afrique, car c’est aussi au travers des échanges avec ce continent, où la Chine est déjà très présente, notamment en Afrique subsaharienne, que se joue une partie du rebond économique de l’Europe.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devons agir dans trois directions : l’intensification de l’internationalisation et des partenariats entre universités, l’amélioration des conditions d’accueil et de séjour des étrangers et la sécurisation des premières expériences professionnelles.

Je souhaite tout d’abord renforcer les politiques d’internationalisation des universités et développer des partenariats diversifiés et équilibrés. La France n’est pas seulement une terre d’accueil, elle doit aussi savoir envoyer ses étudiants dans les universités des pays émergents, notamment en Asie. Nous devons parallèlement développer l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur français dans les pays d’Afrique, du Maghreb, mais aussi dans les pays émergents, pour les aider à satisfaire leurs besoins croissants en matière de formation d’étudiants à tous les niveaux.

L’université scientifique et technologique d’Hanoï, l’École centrale de Pékin, celle de Casablanca ou l’université de Galatasaray sont des exemples de ce dynamisme. Le développement de diplômes conjoints entre la France et l’étranger me paraît tout aussi intéressant pour intensifier ces coopérations internationales.

Pour attirer les étudiants internationaux, nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur à l’étranger et des formations que nous dispensons. La simplification de l’offre de formation que j’ai engagée le permettra. Personne, en France, ne s’y retrouve parmi les quelque 10 000 spécialités et mentions de master et les plus de 3 000 intitulés de licence. Imaginez ce que cela donne, vu de Séoul ou de São Paulo ! Le regroupement des établissements sur chaque territoire permettra de coordonner et de simplifier la carte des formations.

Pour attirer les étudiants internationaux, je souhaite également faciliter l’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités. Je sais que cette question suscite un débat, qu’il nous faut mener sans tabou.

L’un des obstacles à la venue des étudiants des BRICS dans les filières scientifiques et technologiques françaises, c’est la maîtrise de la langue. Je souhaite que les étudiants étrangers puissent suivre des enseignements en langues étrangères tout au long de leur cursus, mais obligatoirement accompagnés de cours en français, afin qu’ils puissent valider leur formation en langue française. La langue de l’enseignement dans notre pays demeurera le français, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire ici ou là, mais nous élargirons le socle de la culture francophone en accueillant des étudiants qui, aujourd’hui, se dirigent massivement vers les universités anglo-saxonnes. C’est ce que prévoit, de façon très encadrée, sur la base de protocoles et de conventions, l’article 2 du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 22 mai prochain.

Il est également indispensable d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers dans notre pays. C’est toute la chaîne de l’accueil qui doit être simplifiée et rendue plus cohérente. Ne fermons pas les yeux sur le parcours du combattant que représente trop souvent l’obtention d’un visa ou le renouvellement, chaque année, d’un titre de séjour. Il n’est pas possible d’étudier ou de mener sereinement ses activités de recherche sous la menace d’une interruption, d’une année sur l’autre, de son droit au séjour ou d’une reconduite à la frontière.

Nous allons aussi encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d’inscription universitaire et de délivrance des visas. Les rôles seront clarifiés : les consulats et les préfectures devront rendre un avis administratif, en s’appuyant sur l’avis pédagogique et scientifique des universités.

Nous souhaitons améliorer le positionnement et le fonctionnement de Campus France, dont la mission essentielle consiste à faire la promotion de nos formations à l’international. À l’issue de l’évaluation en cours, nous examinerons avec Laurent Fabius comment favoriser une meilleure articulation des acteurs, notamment avec le réseau des œuvres universitaires.

Nous devons surtout attribuer des titres de séjour « étudiant » valables pour tout un cycle d’études. Le renouvellement annuel de leur titre de séjour angoisse les étudiants et encombre les administrations. Le prix Nobel de physique Serge Haroche m’a présenté un jeune chercheur ukrainien de grand talent, très convoité par les États-Unis, qui a choisi de travailler à ses côtés, compte tenu de l’excellence des travaux menés dans son laboratoire. Ce dernier est régulièrement contraint de se rendre en famille à la préfecture et de se joindre à une interminable file d’attente pour régulariser sa situation administrative.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je remercie de tout cœur Manuel Valls d’avoir répondu favorablement aux demandes des chercheurs et des étudiants, en annonçant la généralisation du titre de séjour pluriannuel. Il est aujourd’hui l’exception, il doit devenir la règle. La circulaire permettant de l’appliquer aux étudiants de master et aux doctorants sera signée très prochainement. Et nous irons plus loin, puisque je souhaite également la mise en place d’un titre pluriannuel pour les cours de licence, ce qui nécessiterait une évolution législative.

Il faut enfin faciliter les démarches en ouvrant au plus près des lieux de formation et de recherche un véritable guichet unique, regroupant les services de la préfecture, de la caisse d’allocations familiales, des œuvres universitaires, des collectivités, où les étudiants et les chercheurs pourront accomplir en un seul lieu toutes les démarches liées à une installation : dépôt de dossier concernant le titre de séjour, demande de bourse ou de logement, accès aux soins, obtention de titres de transport…

M. Ronan Kerdraon. Excellent !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Cela doit se faire, naturellement, en lien avec les administrations et les collectivités territoriales compétentes.

Quant à l’effort historique conduit par le Gouvernement en faveur du logement étudiant, avec la construction programmée de 40 000 logements étudiants supplémentaires d’ici à 2017 – c’est la feuille de route que m’a fixée le Président de la République –, il contribuera à l’amélioration de l’accueil de tous les étudiants, notamment ceux en mobilité. Le déblocage des « opérations campus », grâce à la diversification des procédures que j’ai mise en place, permet d’ores et déjà de programmer la réalisation de 13 000 logements, dont une partie sera réservée aux étudiants et aux chercheurs étrangers. Manuel Valls et moi avons en outre relancé, voilà une dizaine de jours, la réhabilitation de logements de la Cité internationale universitaire.

Alors qu’un tiers des nouveaux titres de séjour attribués aux salariés concernent des jeunes diplômés étrangers, je crois nécessaire de sécuriser les premières expériences professionnelles des meilleurs diplômés étrangers.

Je me réjouis de la relance des travaux sur ce sujet, en concertation avec Manuel Valls et Michel Sapin. L’orientation choisie est claire : renforcer notre compétitivité passe par une ouverture plus large et plus simple non seulement aux meilleurs étudiants, mais aussi aux jeunes professionnels qualifiés.

Concrètement, il nous faut favoriser la transition du statut d’étudiant à celui de salarié, en allongeant la durée de l’autorisation provisoire de séjour. Comme Dominique Gillot l’avait proposé dans son excellente proposition de loi, un allongement de cette durée à un an permettrait de donner aux intéressés une chance réelle de s’insérer professionnellement.

M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je souhaite également que nous puissions proposer aux étrangers ayant soutenu un doctorat en France une forme de visa permanent leur permettant de se rendre de nouveau dans notre pays, chaque fois que de besoin.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les orientations retenues par le Gouvernement. Les mobilités étudiantes et scientifiques ne relèvent pas de la politique migratoire de droit commun. Elles sont une chance formidable pour notre pays et supposent un effort permanent d’adaptation à une compétition universitaire toujours plus vive sur le plan international.

Je vous sais déterminés à rechercher les voies d’un renforcement du dynamisme de la France. Notre pays doit être tourné vers le monde et le progrès. Je salue à cet égard l’action qu’avait menée Jean-Pierre Chevènement en son temps. La France repliée sur elle-même, c’est une France qui dépérit ; la France qui s’ouvre, c’est une France qui se renforce. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, orateur du groupe ayant demandé ce débat.

Mme Bariza Khiari, pour le groupe socialiste. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le Président de la République s’était engagé à ce que la question de l’immigration professionnelle fasse l’objet d’un débat annuel au Parlement. Cet exercice, auquel certains pays européens à fort taux d’immigration professionnelle sont habitués, représente pour nous une nouveauté. Ce débat nous est proposé aujourd’hui déconnecté d’enjeux électoraux, ce qui est une très bonne chose.

Nous devons, mes chers collègues, être capables de débattre de ce sujet de manière apaisée et, pourquoi pas, consensuelle. Les conditions d’un tel débat reposent en premier lieu sur la méthode mise en œuvre, à savoir une concertation étayée par des données indiscutables, en vue de dessiner, au fur et à mesure de la progression de nos échanges, les arêtes d’un discours qui fasse sens.

Permettez-moi de vous faire part de l’analyse établie par le conseiller d’État Thierry Thuot dans son rapport sur la refondation des politiques d’intégration :

« En ce qui concerne les enjeux de l’immigration, n’importe qui peut s’affranchir de toute rigueur scientifique, soutenir à peu près n’importe quoi quant aux flux migratoires. Pourtant, des statistiques scientifiquement élaborées et assorties de commentaires impartiaux et objectifs permettraient de mettre fin à de nombreuses illusions et aux propos démagogiques qui les exploitent. »

Monsieur le ministre, le rapport que vous avez fourni à la représentation nationale contribuera à faire éviter cet écueil. C’est un premier pas vers l’apaisement, car une discussion sereine s’appuie avant tout sur la transparence.

La méthode choisie doit être saluée : vos services ont, après concertation avec des organisations syndicales et des représentants de l’enseignement supérieur, présenté des données, pour certaines inédites.

Nous avons reçu ce rapport suffisamment tôt pour que nous ayons le temps de l’étudier et de faire en sorte que notre débat de ce soir échappe aux « figures imposées », souvent périlleuses, qu’il contribue à éclairer la direction que nous souhaitons prendre pour notre pays et qu’il fasse honneur à la dignité, à la sagesse et à la clairvoyance de la Haute Assemblée.

À la faveur d’un changement de calendrier, il revient aux sénateurs de s’exprimer les premiers. Au regard de la sensibilité particulière de ce sujet, je m’en réjouis. Nous sommes, dans cette enceinte, et sur toutes les travées, assez peu amateurs de polémiques stériles, de postures et de caricatures.

Je n’oublie pas que, en 2007, la droite républicaine du Sénat avait dénoncé avec vigueur l’introduction du recours aux tests ADN dans le cadre de la procédure du regroupement familial et avait fait en sorte de vider de sa portée cette mesure inique.

En 2009, la proposition de loi, que j’ai portée, relative à la suppression de la condition de nationalité pour l’accès à certaines professions règlementées a été adoptée dans cette assemblée à l’unanimité. Il en a été de même pour plusieurs textes visant à lutter contre les discriminations dont font l’objet généralement les étrangers, qu’il s’agisse des vieux travailleurs migrants ou des jeunes, avec la mise en place du curriculum vitae anonyme.

L’an passé, lorsque j’ai défendu la proposition de résolution demandant l’abrogation de la circulaire Guéant, mes collègues de droite, s’exprimant à cette tribune, étaient bien en peine de justifier leur vote, tant leur intervention allait dans le sens de mon propos. Vous trouverez donc dans cette enceinte, madame, monsieur les ministres, des interlocuteurs soucieux de faire avancer le débat et de le mener sereinement.

Puisque nous parlons d’immigration étudiante, il me semble nécessaire de revenir sur cet épisode. Voilà un an, les étudiants étrangers avaient alerté tous les acteurs de la société sur le mauvais sort qui leur était fait. À la faveur de l’aberrante circulaire du 31 mai, votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait sacrifié l’attractivité de notre système d’enseignement supérieur sur l’autel de la fameuse politique du chiffre.

Cet épisode a laissé des traces : le rayonnement de la France a été écorné, certains étrangers diplômés sont partis vers des cieux plus hospitaliers. Bref, l’ensemble des éléments qui fondent l’attractivité de notre politique d’accueil des étudiants étrangers ont été rudement secoués.

Le débat d’aujourd’hui ne vise pas à décider si la France doit augmenter ou réduire son immigration professionnelle. Il ne vise pas non plus à fixer un volume des besoins de main-d’œuvre. Peut-être, à l’avenir, cet exercice devra-t-il être mené, mais, pour cette première édition, notre débat a pour objet d’éclairer les Français sur le visage de l’immigration professionnelle et étudiante, ainsi que d’évaluer la performance des outils de régulation dont nous disposons de manière à les améliorer, en vue aussi de contribuer à notre redressement économique.

Tout d’abord, les données du rapport soulignent que l’immigration professionnelle, hors étudiants, est, en France, un phénomène limité, en léger recul depuis 2008. Elle concerne, en termes d’admission au séjour, 16 921 personnes, ce à quoi il faut ajouter 7 485 passages du statut d’étudiant à celui de salarié. L’immigration professionnelle est souvent l’aboutissement d’un parcours commencé par l’immigration étudiante. Cela signifie que les personnes autorisées à travailler dans notre pays sont issues de notre système d’enseignement supérieur, maîtrisent parfaitement le français et sont familières de nos valeurs.

Dernier élément, l’immigration professionnelle, moins pérenne que l’immigration familiale, s’inscrit dans des stratégies de mobilité internationale.

Notre débat d’aujourd’hui porte donc sur un sujet dont le périmètre est limité : l’immigration étudiante, dont le flux représente 60 000 entrées par an pour un stock de moins de 285 000 personnes, et l’immigration professionnelle, qui représente, en termes d’admissions au séjour avec titre de travail, toutes catégories confondues, moins de 24 000 personnes par an ; en stock, cette immigration concernait moins de 105 000 personnes en 2012, comme indiqué, à la page 24 du rapport, dans un tableau recensant les titres valides de l’année 2012.

Au regard de ces premiers chiffres, il me paraît justifié de souligner que la France n’est plus un pays à forte immigration ; or, nous le savons, la mobilité internationale des étudiants va rapidement doubler.

Le monde se dispute les étudiants étrangers et de nombreux pays redoublent d’efforts pour les attirer. Le nombre d’étudiants étrangers accueillis en France constitue en soi un indicateur de l’attrait de notre système d’enseignement supérieur. Les efforts opérés par nos universités et nos écoles pour les attirer sont également des vecteurs d’excellence. La politique d’attraction de l’immigration étudiante participe ainsi d’un cercle vertueux, en créant une émulation interuniversitaire et internationale. Mais si la plupart de ces étudiants reconnaissent la qualité de l’enseignement français – mes collègues du groupe socialiste présenteront des pistes pour améliorer son attractivité –, ils sont légion à dénoncer le traitement administratif qui leur est réservé.

En effet, les étrangers résidant en France, qu’ils soient étudiants ou salariés, vivent dans l’inquiétude en raison de la précarité de leur situation administrative. Ils doivent, tous les ans, consacrer des heures, des journées entières à préparer leur demande de renouvellement de titre de séjour, avec toujours l’angoisse qu’on leur réclame un document supplémentaire. Leurs vies sont suspendues à des démarches administratives aussi humiliantes pour eux qu’éprouvantes pour les agents préfectoraux, que d’aucuns considéreraient comme relevant d’un harcèlement, l’indignité du traitement administratif tenant lieu de politique de fermeté.

Vous venez d’annoncer, monsieur le ministre, que les étudiants étrangers allaient pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pluriannuel valide pour la durée de leurs études. Cette simple mesure de rationalisation administrative porte en elle des avancées considérables. Elle permettra, d’une part, de renforcer l’attractivité de nos filières de formation, et, d’autre part, de soulager considérablement les services des préfectures et de réorienter le travail de leurs agents, notamment vers les contrôles.

Je suis d’avis que l’humanisation des conditions d’accueil des étrangers doit se traduire avant tout par la suppression de ces files d’attente interminables qui serpentent à l’extérieur de certaines préfectures. Est-il admissible, dans notre République, que des hommes et des femmes passent des journées et des nuits entières à se battre pour une place dans une file d’attente, parfois en la monnayant, posent des jours de congé ou manquent des cours importants pour obtenir un document qui, la plupart du temps, relève d’un simple renouvellement ?

Monsieur le ministre, essayons de conjuguer ensemble rationalisation administrative et humanisation des rapports sociaux.

Dans cette perspective, envisagez-vous de généraliser le caractère pluriannuel du titre de séjour « étudiant » à d’autres titres de séjour ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas faire profiter les étrangers des vertus de la dématérialisation, en mettant en place un système de prise de rendez-vous par voie électronique ?

Il existe onze titres de séjour différents. Cette fragmentation ne repose sur aucune logique professionnelle. Il faudrait, en plus d’une harmonisation de leur durée de validité sur une base pluriannuelle, regrouper les titres « salarié », « commerçant, industriel et artisan » et « travailleur indépendant », fusionner les cartes « scientifiques », « compétences et talents », « profession artistique et culturelle », et même la carte bleue européenne, en une seule catégorie et conserver un titre pour les travailleurs temporaires, afin de parvenir à trois, voire quatre, titres de séjour.

Au-delà de la rationalisation administrative, je plaide aussi pour la performance statistique. Nous sommes nombreux à être convaincus que, en matière d’immigration plus encore que dans d’autres domaines, la sincérité des chiffres est de nature à apaiser les esprits. Force est de constater que nous disposons d’une marge importante de progrès sur ce plan.

Par exemple, le rapport annuel au Parlement sur les chiffres de la politique d’immigration et d’intégration est d’une précision d’apothicaire en ce qui concerne le nombre de visas délivrés par catégorie. Si ce rapport recense l’intégralité des entrées légales sur le territoire, il est en revanche silencieux sur les sorties, accréditant ainsi l’idée que les flux annuels s’additionnent. Ce rapport devrait également intégrer les flux sortants et présenter les soldes migratoires.

Troisième question, monsieur le ministre, envisagez-vous l’amélioration de notre outil statistique, dont nous mesurons les limites ?

Ces données, assorties d’études prospectives sur nos besoins de main-d’œuvre, doivent nous permettre d’élaborer un discours cohérent et de présenter une vision d’avenir à moyen terme qui répondent tant aux préoccupations des Français et des entreprises qu’à celles des candidats à l’immigration étudiante ou professionnelle, afin d’éclairer leur décision.

Beaucoup ignorent que, depuis 1974, la règle qui régit l’immigration professionnelle est celle de l’opposabilité de la situation de l’emploi, qui oblige les entreprises à recruter en priorité sur le marché national de l’emploi. Cette règle s’applique à l’aide de plusieurs outils, de natures très diverses, mais qui présentent un point commun : la lourdeur bureaucratique. L’octroi de l’autorisation de travail repose sur une procédure longue et complexe, inadaptée à la réactivité économique à laquelle nos entreprises sont astreintes.

Cette démarche peut être, dans certains cas, assouplie, quand l’emploi visé relève de la liste des métiers en tension. Pour ces métiers connaissant une pénurie de main-d’œuvre, la situation de l’emploi n’est pas opposable.

En soi, la liste des métiers sous tension pourrait être un outil pertinent pour répondre aux besoins des entreprises et guider l’administration dans son instruction des dossiers. Mais il suffit de la parcourir pour mesurer les difficultés de mise en œuvre par l’administration et, au-delà, le manque de lisibilité pour les employeurs et les postulants. Il existe une liste nationale de trente emplois, puis des listes régionales, et enfin neuf autres listes établies dans le cadre des accords de gestion concertée des flux migratoires, sans parler des différents accords bilatéraux.

Le tableau 14 du rapport que vous nous avez remis, qui occupe tout de même quatre pages, reprend une liste de plus de cent métiers pouvant ou non donner accès, en fonction des nationalités et en vertu d’accords bilatéraux, à un titre de travail, sans que la situation de l’emploi soit opposable. C’est ainsi, si l’on s’en tient à ce tableau qui donne véritablement le tournis, qu’un Mauricien peut être chaudronnier-tôlier, mais pas ouvrier du béton, tandis qu’une Béninoise peut être chef de cuisine, mais pas sage-femme…

L’interpénétration de ces listes, dont certaines répondent à des considérations diplomatiques, parfois de codéveloppement, et d’autres à des considérations économiques, est facteur de confusion et amène à s’interroger sur leur adéquation avec l’objectif visé, à savoir répondre aux besoins de main-d’œuvre des entreprises, d’une part, et protéger notre marché de l’emploi en évitant le dumping social, d’autre part.

Finalement, tous ces outils lourds, complexes, n’ont-ils pas pour effet pervers d’encourager les entreprises à utiliser des voies de contournement ? Il suffit d’observer l’augmentation très importante du recours aux salariés européens détachés et de considérer les estimations non officielles du nombre des salariés détachés et non déclarés pour se convaincre que le dumping social est une réalité intra-européenne. Michel Sapin, ministre du travail, s’est saisi de cette question ; monsieur le ministre, disposez-vous d’informations sur ce sujet ?

Concernant l’immigration étudiante, ne faudrait-il pas envisager que le titre de séjour pluriannuel délivré aux étudiants intègre la possibilité, à l’issue du diplôme, de travailler, de droit, une année, afin de compléter la formation initiale reçue par une expérience professionnelle significative ? Une mesure en ce sens, l’autorisation provisoire de séjour, avait été introduite dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration : c’était l’une des rares dispositions de ce texte que nous avions soutenues. Cependant, les étudiants étrangers n’ont pas souhaité s’approprier cet outil, bien trop contraignant en termes de mise en œuvre administrative. Aujourd’hui, 75 % des étudiants diplômés qui demandent un changement de statut l’obtiennent. L’ouverture de cette possibilité, qui fait actuellement l’objet d’un projet de directive européenne, serait, si la France l’adoptait rapidement, un facteur d’attractivité puissant. Si, au terme d’une année, le diplômé étranger a trouvé un poste en adéquation avec sa formation, il pourra, en vertu de conditions qui seront à définir, obtenir son changement de statut ; dans le cas contraire, le séjour lui sera naturellement refusé.

Je suis d’avis que plus les règles sont lisibles et cohérentes pour tous et plus elles sont connues tôt en amont, plus la fermeté, quand elle doit s’appliquer, devient légitime. Or je pense, monsieur le ministre, que, dans l’exercice de leur devoir, les forces de l’ordre chargées d’appliquer la loi ont besoin de cette légitimité, en plus de la légalité.

Les Français sont très sensibles à cette notion de légitimité. C’est notamment à partir de cette problématique que, en 2008, le Sénat, à l’unanimité, avait approuvé la suppression de la condition de nationalité pour l’accès aux professions réglementées, telles que celles de médecin, de géomètre, d’architecte, d’expert-comptable. La discussion de cette proposition de loi, bien que le processus législatif ne soit pas allé jusqu’à son terme, a porté ses fruits : la plupart de ces professions libérales, organisées de façon ordinale, ont supprimé la condition de nationalité tout en maintenant la condition de détention d’un diplôme français, à l’exception, je crois, de celle de vétérinaire.

J’avais, à l’époque, exclu du champ de cette initiative parlementaire les emplois de la fonction publique, qui représentent près de 30 % de l’ensemble des emplois : ils restent inaccessibles aux étrangers non communautaires, à l’exception des emplois d’enseignant-chercheur de l’enseignement supérieur, pour lesquels la condition de nationalité a été supprimée en vertu d’un décret de 1983. Pourquoi ce qui a été fait pour l’enseignement supérieur ne serait-il pas envisageable pour l’enseignement secondaire, si les besoins de notre système scolaire le justifiaient ?

La France manque d’enseignants du secondaire, notamment de professeurs dans les matières scientifiques. Ce débat devrait nous donner l’occasion de réfléchir à l’opportunité de poursuivre cette réduction du périmètre des emplois fermés. Ces emplois, en maintenant une discrimination légale dans l’accès au marché de l’emploi, engendrent, par effet de système, des discriminations illégales.

J’aimerais terminer mon intervention en évoquant brièvement, quitte à sortir du cadre strict de ce débat, l’immigration familiale, qui répond à des règles conventionnelles.

Cette immigration, que le précédent gouvernement avait qualifiée de « subie », est celle à qui nous confions le soin de s’occuper de nos enfants et de nos vieux, à qui nous donnons les clés de nos maisons.

Une étude récente menée par trois économistes a mis en évidence que le travail des femmes immigrées a un effet « positif et significatif » sur le produit intérieur brut. Pour expliquer les ressorts de cet effet, les économistes avancent une explication dans laquelle de nombreuses familles se retrouveront : parce que ces femmes immigrées sont très présentes dans les métiers de garde d’enfants et de personnes en perte d’autonomie, elles permettent aux parents, aux familles de libérer du temps au profit d’emplois qualifiés. Ils concluent en soulignant que le travail de ces femmes « a un effet multiplicateur puisqu’elles contribuent, pour ainsi dire, deux fois ».

À cet égard, je me suis longuement interrogée sur l’absence troublante des métiers liés aux services à la personne dans les listes de métiers sous tension.

Le rapport de cadrage que vous nous avez remis présente un graphique, en page 34, établissant la liste des métiers qui offriraient le plus de postes à pourvoir à l’horizon de 2020. L’économie française a un besoin grandissant de services à la personne. Ces besoins reposent sur un triptyque : premièrement, une natalité qui ne faiblit pas, et c’est tant mieux ; deuxièmement, un allongement de l’espérance de vie, tant mieux également ; troisièmement – ce qui est moins réjouissant –, un fractionnement des cellules familiales.

Ces métiers sont aujourd’hui en grande partie occupés par des femmes ayant bénéficié du regroupement familial ou des Français issus de l’immigration. Ceux-là mêmes qui s’occupent de nos enfants, de nos vieux, de l’entretien de nos villes, qu’on ne vienne pas me dire qu’on les subit !

Le taux d’activité des femmes issues de l’immigration familiale, qui s’établit à 54 %, est de 10 points inférieur au taux d’activité des femmes. À nous de faire en sorte que cet indicateur augmente à la faveur d’actions d’inclusion, de formation professionnelle, qui, au besoin, s’appuieraient sur les métiers ici recensés.

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n’ai pas évoqué dans cette intervention l’histoire et l’apport de l’immigration, ou son rôle aussi bien économique que culturel. Croyez bien que j’y pense ! Les étrangers et les Français issus de l’immigration, nouvelle ou ancienne, après avoir été stigmatisés, instrumentalisés à des fins politiques, aspirent à de la dignité. Ce débat, ainsi que le prochain projet de loi relatif à l’immigration doivent impérativement s’attaquer à ce mal récurrent de la société française qu’est cette extrême sensibilité à l’égard du migrant, à l’égard de l’autre.

Pour que les migrants du monde ne se détournent pas de la France et nous privent ainsi de leurs talents, il convient non seulement de modifier leurs conditions de séjour et d’améliorer l’attractivité de la destination France auprès des étudiants du monde, mais aussi, je le crois, de faire de l’immigration une politique, un discours, une réalité qui gagne en légitimité. Ainsi, ensemble, nous démentirons Milan Kundera, pour qui l’immigré reste et restera ce « grand souffrant ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Voilà de très bonnes orientations, conformes à celles que le Président de la République a fixées et parfaitement cohérentes avec les priorités définies dans le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, en application du rapport Gallois !

J’ai apprécié, monsieur le ministre de l’intérieur, votre expression réaliste, solide, conforme à l’intérêt national, de même, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que votre vision à long terme, qui s’inscrit dans la meilleure tradition du rayonnement scientifique de la France.

Je tiens à vous féliciter tous les deux, ainsi que le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration du ministère de l’intérieur pour l’excellent rapport que vous nous avez fourni sur l’immigration professionnelle et étudiante. Ce document permet d’en finir, comme vous l’avez indiqué, monsieur le ministre de l’intérieur, avec l’ère des approximations. C’est du beau travail !

Le rapport nous rappelle excellemment que les flux très importants d’immigration sont régis dans des domaines essentiels par des règles qui s’imposent à la France : réfugiés et malades, immigration familiale, immigration en provenance de l’Union européenne. En chiffres absolus, les flux d’immigration – c’est-à-dire, madame Khiari, les entrées auxquelles on a soustrait les sorties – sont plus faibles en France que dans tous les autres grands pays d’Europe occidentale : 110 000 personnes, contre 200 000 en Grande-Bretagne et 300 000 en Allemagne.

L’immigration en France, il faut le dire, reflète un moindre niveau de qualification. Si les flux sur lesquels nous pouvons agir sont importants s’agissant des étudiants – environ 60 000 admissions –, il y va différemment de l’immigration de travail, particulièrement faible, comme vous l’avez remarqué, puisqu’elle est inférieure à 20 000 admissions.

Les efforts que nous devons nécessairement faire s’articulent autour de deux axes.

Le premier consiste à accroître encore l’attractivité universitaire de la France, comme vous l’avez rappelé, madame la ministre.

Nous occupons le cinquième rang mondial pour l’accueil des étudiants étrangers. Certes, nous avons perdu un peu de terrain, notamment par rapport à l’Allemagne, mais l’étonnant est d’en avoir perdu si peu après la politique menée sous le quinquennat de M. Sarkozy !

Nous accueillons près de 290 000 étudiants, représentant plus de 15 % des inscrits, ce ratio s’élevant à 41,3 % en doctorat. Cette dernière proportion est un signe de l’excellence : nous le devons à la qualité de la recherche française. Cette performance, j’hésite à le dire, est le résultat d’une politique lancée dans les années 1998 et 1999, de concert entre les trois ministres de l’éducation nationale, de l’intérieur et des affaires étrangères de l’époque. Ce n’est pas M. Guéant qui était à la manœuvre ! Près de la moitié de ces étudiants étrangers sont originaires de pays d’Afrique, 21 % de pays d’Asie et 18 % de l’Union européenne.

Je tiens à appeler votre attention sur un point essentiel : si les étudiants chinois représentent 10 % du total – c’est une bonne chose –, ce ratio tombe à 1,7 % pour les étudiants russes, qui sont à peine plus de 4 000, à 0,7 % pour les Indiens et à 1,6 % pour les Brésiliens. Or ce sont là les grandes puissances du XXIe siècle, et nous avons intérêt à attirer leurs étudiants.

Permettez-moi également, madame la ministre, de nuancer légèrement mon approbation précédente : je ne pense pas que la promotion de l’anglais comme langue d’enseignement dans les universités – mais vous avez employé une autre expression, quelque peu atténuée – soit le meilleur moyen de promouvoir l’attractivité globale de la France.

MM. Jacques Legendre et André Reichardt. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. En effet, comme le disait Fernand Braudel, la langue française, c’est 80 % de son identité. On peut envisager des cours de mise à niveau en français...

Mme Dominique Gillot. Bien sûr que oui !

M. Jean-Pierre Chevènement. Mais nous trouverons certainement un terrain d’entente, j’en suis persuadé.

Je tiens à ouvrir une parenthèse concernant la Russie. Alors qu’on dénombre 7 millions d’étudiants dans ce pays et 800 000 apprenants de français maîtrisant souvent remarquablement notre langue, il n’y a qu’un peu plus de 4 000 étudiants russes en France. Ils sont quatre fois plus nombreux en Allemagne !

Le taux de refus de visas étudiants était de 17 % en 2011. Voilà que, en 2012, il est passé à 34 %. Il y a du retard à l’allumage, monsieur le ministre de l’intérieur ! Mais il est vrai que cela ne dépend pas de vous… Cela dépend des services de Campus France, qui sont d’ailleurs livrés à des recrutés locaux croyant utile de manifester leur supériorité.

Il faut aussi évoquer, dans ce cadre, l’attitude frileuse des bureaux parisiens qui refusent une procédure simplifiée d’inscription dans des établissements supérieurs dont la liste aurait été arrêtée de concert avec la partie russe. Pourtant, rien n’est plus facile ! Une présélection au niveau des établissements supérieurs est la manière la plus efficace d’attirer en France les meilleurs étudiants. II faut partir des besoins – ceux de la France et ceux du pays source –, qui bien souvent se rejoignent. Ainsi, la Russie aimerait orienter ses étudiants, en particulier ses boursiers, vers nos écoles d’ingénieurs. N’est-il pas possible de définir des quotas par école ? Si notre réglementation s’oppose à ces mesures simples et pratiques, alors il faut en changer !

Je me réjouis des dispositions que le Gouvernement a arrêtées ou s’apprête à arrêter s’agissant des visas pluriannuels ou de la prolongation de ces visas d’un an pour permettre aux étudiants qui le souhaitent de réaliser une première expérience professionnelle en France après l’obtention de leur diplôme. Il est bon également que les doctorants étrangers puissent bénéficier d’un visa permanent.

L’ouverture d’un guichet unique, madame la ministre, est une excellente initiative, que je salue. Mais un accompagnement personnalisé manque encore. Ne pourrait-on pas, par exemple, recruter des emplois-jeunes…

M. André Reichardt. Des emplois d’avenir !

M. Jean-Pierre Chevènement. … pour aller accueillir à l’aéroport les étudiants qui arrivent souvent de fort loin ?

La question d’une modulation des droits d’inscription se pose. Je ne suis pas favorable à cette modulation, je tiens à le dire. Elle irait à l’encontre de l’objectif fixé, car il faut renverser la vapeur et hisser la France, à nouveau, à la troisième place mondiale pour l’accueil des étudiants étrangers.

Le deuxième axe a trait à l’immigration professionnelle.

Celle-ci représente 12 % des nouvelles admissions au séjour de ressortissants étrangers. La France accueille aujourd’hui deux fois moins d’immigrés qualifiés que le Royaume-Uni, trois fois moins que l’Allemagne.

La délivrance de l’autorisation de travail conditionne dans notre pays l’admission au séjour, en fonction notamment, vous l’avez rappelé, monsieur le ministre de l’intérieur, de la situation de l’emploi. La France comptant plus de trois millions de chômeurs, il est inenvisageable de supprimer ce système d’autorisation. Il vaut mieux former les chômeurs dans le secteur des métiers dits « sous tension ».

M. André Reichardt. Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement. Mais il est devenu nécessaire d’assouplir et d’alléger le système de l’autorisation de travail pour attirer la main-d’œuvre qualifiée.

N’hésitons pas à multiplier les dispenses pour les travailleurs très qualifiés ! Accordons plus largement des dérogations dans le cadre d’accords bilatéraux ! Si je prends l’exemple de la Russie, c’est parce que le Président de la République, lors de son dernier voyage à Moscou, a déclaré qu’il était indispensable d’encourager les hommes d’affaires, les investisseurs, les artistes, les chercheurs, les étudiants à se rendre en France sans difficulté. J’ajoute à cette liste les touristes, qui ne demandent que ça ! Maintenant, si je puis m’inspirer du général de Gaulle, l’intendance doit suivre !

En matière d’immigration professionnelle, la carte de séjour « compétences et talents », comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, est demeurée un titre marginal. S’agissant de l’immigration de travail qualifié, les préfectures ont été sensibilisées, mais dans le mauvais sens. Il faut, là aussi, renverser la vapeur et former les personnels à une meilleure prise en compte de l’intérêt national, tel que nous le percevons à travers la nouvelle politique de l’immigration, à la fois ferme et humaine, que vous avez évoquée.

N’hésitez pas à simplifier les titres de séjour existants, à en modifier les critères de délivrance, à diminuer le nombre des pièces justificatives et à créer de nouveaux outils à destination de l’immigration professionnelle qualifiée. Le système de pré-validation des dossiers pour les grandes entreprises, comme les préinscriptions dans les universités, est ce qui permet le mieux de « coller aux besoins ». L’immigration de travail est un terrain excellent pour le « choc de simplification » annoncé par le Président de la République.

Trop souvent et à tort, l’immigration professionnelle, et même étudiante, apparaît comme un danger pour certains de nos concitoyens. Il nous revient à tous de démontrer combien celle-ci peut constituer un atout pour la France, notamment pour ce qui concerne le redressement nécessaire de notre commerce extérieur. Nous vous faisons confiance, madame, monsieur les ministres, pour aller de l’avant audacieusement, au service de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, si vous me le permettez, j’interviendrai dans ce débat à la fois comme parlementaire et comme professeur d’université, focalisant ainsi mon attention sur l’immigration étudiante, laquelle représente tout de même la moitié environ de l’immigration légale annuelle issue des pays non membres de l’Union européenne.

Je me réjouis d’avoir retrouvé nombre de mes préoccupations d’enseignante dans les interventions de nos ministres, et j’attends la réalisation de leurs promesses sans laquelle la France, qui, en raison de la crise, perd actuellement ses cerveaux, attirés par la Silicon Valley, risque de prendre encore plus de retard dans les domaines des sciences, des humanités, des arts, de la recherche ou de l’innovation.

Comme vous le savez, entre 2007 et 2011, le nombre d’étudiants étrangers admis au séjour en France a augmenté de 40 %, passant de 46 663 à 64 558. L’année 2012 a en revanche été marquée par un important reflux de presque 10 %, avec seulement 59 000 entrées sur le territoire.

En 2011, 288 500 étudiants étrangers étaient inscrits dans les établissements d’enseignement supérieur français. Parmi eux, 81,4 % étaient extracommunautaires. Ils représentaient 11 % des inscriptions en licence, 19 % en master et 41,3 % en doctorat, lequel est une porte d’entrée vers le monde de la recherche. Ce dernier taux, élevé, témoigne, dans certains secteurs, du dynamisme de la recherche française, qui reste compétitive par rapport aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, mais dont l’attractivité, ne nous leurrons pas, est aussi liée au coût très bas des frais de scolarité en France comparativement à ceux qui sont pratiqués dans ces deux pays.

M. Jacques Legendre. C’est un problème !

Mme Esther Benbassa. En France, mes étudiants en doctorat paient, me semble-t-il, quelque 300 euros, alors qu’une inscription à Harvard coûte 45 000 dollars ; cette différence très importante a des incidences dans le choix des étudiants, car le coût de l’inscription à l’université reste très attractif.

M. André Reichardt. C’est exact !

Mme Esther Benbassa. De fait, plus des trois quarts des étudiants étrangers en France sont inscrits à l’université. Viennent seulement ensuite les écoles de commerce et d’ingénieurs.

Si 18,6 % de ces étudiants sont issus de l’Union européenne, la majorité vient de pays attachés historiquement et linguistiquement à la France, à savoir du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Il apparaît plus difficile d’attirer les élites des pays émergents, même si la Chine fournit 10,3 % du contingent. Les femmes sont majoritaires, puisqu’elles représentent 52,9 % des étudiants étrangers venant de tous les continents, à l’exception de l’Afrique, où leur proportion n’est que de 42,8 %.

Ce constat, nuancé, doit l’être encore d’une autre façon. Qui dit immigration dit aussi fuite des cerveaux. On sait par exemple que la moitié des migrants hautement qualifiés se concentrent aux États-Unis, ce qui explique qu’ils obtiennent tant de prix Nobel. L’émigration qualifiée n’induit cependant un préjudice pour le pays source que lorsqu’elle se transforme en émigration durable. Pour volontariste qu’elle doit être, notre politique ne saurait, en la matière, faire fi de cet aspect des choses.

Cela étant dit, la France doit indéniablement se donner les moyens de devenir une destination de premier choix pour l’immigration de haut potentiel en augmentant les moyens alloués à la coopération universitaire et en créant des antennes des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger.

De nombreux pays ont développé des stratégies de recrutement d’étudiants internationaux avec des objectifs ambitieux. Certains sont même entrés en compétition pour attirer des étudiants au niveau de masters et doctorats. Ce n’est pas encore notre cas. Chaque établissement d’enseignement supérieur doit pouvoir définir sa propre politique internationale dans le cadre des grandes orientations définies par l’État, Campus France pouvant ensuite aider ces établissements à atteindre leurs objectifs.

Notre pays doit aussi impérativement améliorer les conditions d’accueil – vous l’avez dit, madame la ministre –, souvent déplorables, réservées aussi bien aux étudiants qu’à la main-d’œuvre hautement qualifiée. La généralisation du titre de séjour pluriannuel pourrait être un élément important de cette amélioration, de même que la création d’un titre de séjour permanent pour les doctorants.

Pour que l’immigration estudiantine donne tous les résultats qu’on est en droit d’en attendre, il serait tout aussi indiqué d’améliorer le processus de sélection et d’orientation de ces étudiants, afin de limiter leur taux d’échec, plus élevé que celui des étudiants français. Il n’est sans doute pas tout à fait normal qu’un étudiant recalé à l’entrée de l’université de Rabat puisse venir poursuivre ses études, sans autre forme de procès, à l’université Paris-Sorbonne, où j’enseigne, laquelle, de son côté, ne pratique pas la sélection.

Mme Esther Benbassa. De même, pourquoi ne pas s’assurer que les étudiants étrangers participent aux coûts réels de la formation, en proportion bien sûr de leurs ressources et des bourses françaises ou étrangères dont ils bénéficient, comme cela se fait aux États-Unis ?

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. André Reichardt. Absolument !

Mme Esther Benbassa. Compte tenu de la prédominance de l’anglais dans le monde – je sens que M. Chevènement ne va pas être d’accord avec moi –, nos universités pourraient dispenser des enseignements dans cette langue, tout en faisant de la maîtrise du français une condition non négociable à l’obtention du diplôme – Mme la ministre l’a dit à peu près dans les mêmes termes. (M. André Reichardt s’exclame.) Nombre de pays de l’Est européen, par exemple Cluj en Roumanie, délivrant leurs enseignements en anglais, attirent de nombreux étudiants venus du monde entier pour y suivre des études médicales ou dentaires.

Pour que ces étudiants puissent, une fois diplômés, exercer leurs compétences dans notre pays et les importer ensuite efficacement dans leur pays d’origine lorsqu’ils décident d’y retourner, il paraît urgent d’élaborer une législation claire et stable relative au changement de statut d’étudiant en salarié. Malgré l’assouplissement de l’interprétation du droit en la matière, certaines situations injustes et injustifiables perdurent.

La France, son économie, son industrie, sa recherche, ont besoin de compétences et de talents dans tous les domaines. Elles ont plus que jamais besoin de jeunes et de moins jeunes habités par un projet, ayant le goût des défis, capables d’enthousiasme et de courage. L’immigration étudiante et l’immigration professionnelle, qui ne représentent malheureusement qu’une faible part de l’immigration globale, peuvent leur en fournir. À nous d’accueillir ces immigrants, de les former et de les accompagner, qu’ils décident de rester sur notre sol et de partager nos destinées ou de rentrer dans leur pays, contribuant à notre rayonnement, attestant, à leur façon, de la grandeur du nôtre. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. André Reichardt.

M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur l’immigration étudiante et professionnelle est une bonne occasion pour le groupe UMP d’exposer avec clarté et sincérité sa position. En effet, les débats entourant les questions migratoires sont devenus, à la faveur de passions exacerbées, d’une stérilité des plus dommageables pour le débat public et pour notre démocratie. Aussi, que la représentation nationale puisse s’emparer de ce débat et que nous puissions, chacun dans cet hémicycle, exprimer la complexité de nos positions est une excellente chose. Espérons simplement que les frappes préventives d’anathèmes qui précèdent généralement ce genre de débat nous soient épargnées.

Sans plus attendre, il me faut préciser la doctrine qui a guidé notre formation politique et qui continuera de la guider, pour appréhender les problématiques migratoires.

L’immigration est une constante de l’histoire, l’expression tantôt de la liberté, tantôt de l’asservissement de certains hommes et de certains peuples à changer de terre.

L’immigration peut aussi être le fruit de circonstances malheureuses, comme le montre le cas des réfugiés politiques et climatiques.

Or notre époque n’échappe pas à cette dualité. Nous assistons toujours à la coexistence de ces deux formes d’immigration. La question est donc de savoir quelle réponse nous souhaitons apporter à ces phénomènes migratoires, à l’aune de ces deux critères.

Il apparaît certain que la France peut et doit rester une terre d’accueil, et que les migrants d’aujourd’hui feront la richesse de demain. C’est dans cet esprit que nous souhaitons appréhender l’immigration étudiante et professionnelle.

En ce qui concerne l’immigration étudiante – je crois, madame Khiari, qu’un large consensus peut se dégager à cet égard –, la formation universitaire des forces vives d’autres nations est de nature à favoriser les intérêts de notre pays.

M. Daniel Raoul. Ça, c’est nouveau !

M. André Reichardt. Par cette immigration, nous participons au rayonnement de la France et réalisons de formidables opérations de soft power – pardonnez-moi cet anglicisme, mais j’ai cru comprendre que certains voudraient même que nos universités dispensent des cours en anglais...

Pour cette raison, contrairement aux idées reçues, l’immigration étudiante en France a atteint 65 000 personnes en 2010, c’est-à-dire une augmentation de 30 % par rapport à l’année 2009. Aujourd’hui, l’immigration étudiante reste stationnaire.

Notre formation politique n’a jamais été hostile, quoi qu’on en dise, à l’immigration étudiante ; au contraire, nous l’avons privilégiée, car elle répond autant à nos propres intérêts qu’à ceux des pays d’origine, qui n’ont pas toujours la possibilité de former leur jeunesse à certaines activités professionnelles. Nous sommes donc favorables à l’immigration étudiante en tant que telle, c’est-à-dire en tant que projet d’étude construit. À l’instar de ce qui se fait dans beaucoup de pays, il est normal qu’une distinction entre titre de séjour étudiant et titre de séjour professionnel perdure, car ces immigrations ne sont pas de même nature et ne concernent pas le même public.

Nous avons donc noté avec intérêt la récente annonce gouvernementale visant à accorder aux étudiants étrangers des visas de la durée de leurs études, plus une année pour leur permettre d’avoir une première expérience professionnelle en France. Nous souhaiterions toutefois en savoir plus à cet égard. C’est pourquoi, monsieur le ministre, je vous remercie par avance de toute information complémentaire que vous voudrez bien nous donner concernant notamment l’entrée en vigueur et les modalités d’application de cette mesure.

Dans le même ordre d’esprit, nous formulons à l’inverse plus de réserves sur la délivrance d’un visa permanent pour les doctorants, d’autant plus que certaines affaires ont, par le passé, égratigné l’enseignement supérieur français en raison, dit-on, de la délivrance de diplômes de complaisance pour des étudiants étrangers.

Enfin, il n’est évidemment pas possible, cela a été dit, de faire abstraction du coût réel de l’immigration étudiante. Celui-ci est en effet estimé à près de 3 milliards d’euros. Or la France pratique des tarifs étonnamment bas, voire quasiment nuls – notamment à l’endroit des étudiants extracommunautaires –, en comparaison de ses voisins européens, qui proposent leurs formations à des coûts beaucoup plus élevés.

S’agissant de l’immigration de travail, sans convoquer de formules alambiquées, je dirai simplement que celle-ci est non seulement une chance, mais aussi un facteur de prospérité qui doit s’intégrer à une politique migratoire clairement définie.

Avant de parler plus précisément de l’immigration professionnelle, je tenais néanmoins à ce que nous nous entendions sur la réalité de l’immigration de travail, telle qu’elle existe en France en 2013. En effet, il ne faut pas circonscrire ce débat à la simple évocation des 25 000 étrangers admis au séjour sur un motif économique. J’entends par là que notre volonté de rationaliser l’immigration de travail doit prendre acte du fait que 75 % des migrants familiaux accèdent aussi au marché du travail. Or nul ne peut ignorer que les migrants familiaux représentent environ la moitié de l’immigration totale. Aussi le nombre de migrants familiaux qui accèdent au marché du travail avoisine-t-il les 75 000 personnes. Il ne s’agit pas ici de faire peur, mais je veux vous transmettre les informations figurant sur le document préparatoire à ce débat relatif à l’immigration professionnelle et étudiante fourni par le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration.

En conséquence, indépendamment de toute réflexion sur notre immigration de travail, nous devons admettre le postulat selon lequel la France est déjà très accueillante en termes d’immigration de travail, particulièrement pour ce qui est des emplois à faible valeur ajoutée, et cela alors même que nous sommes en phase d’explosion du chômage – ce n’est malheureusement un scoop pour personne – et donc, mécaniquement, d’augmentation du nombre de travailleurs pauvres.

Si l’on se réfère au nombre total d’autorisations de travail délivrées en 2012, à savoir 42 234, près de 30 000 d’entre elles se font en faveur d’employés qualifiés ou très qualifiés, pour 10 443 travailleurs non qualifiés.

En conséquence, une question se pose : quelle est cette immigration de travail destinée à des emplois à faible valeur ajoutée, qui, de fait, viendra concurrencer les travailleurs étrangers issus de l’immigration familiale, que je viens d’évoquer ? Monsieur le ministre, n’observe-t-on pas ici une redondance ? Je vous remercie de bien vouloir nous éclairer sur ce point.

Quoi qu’il en soit, l’immigration de travail est ainsi structurée en France. Il s’agit de salariés destinés non seulement à des emplois à faible valeur ajoutée, pour lesquels notre pays présente un déficit de demandeurs d’emplois, notamment en raison de la faiblesse des salaires, mais aussi à des emplois à forte valeur ajoutée de secteurs en expansion économique ou à des emplois pour lesquels nous connaissons des déficits d’effectifs chroniques. L’immigration contribue donc directement à l’accroissement de nos richesses, puisqu’elle vient répondre à cette demande.

Encore convient-il de ne pas occulter une autre question de fond que pose l’immigration de travail : celle-ci peut-elle rendre nos entreprises plus compétitives ? Même si l’immigration permet de recruter des personnels adaptés aux besoins de nos entreprises, n’est-elle pas précisément le symptôme d’un manque de compétitivité de ces entreprises et d’une inadaptation de nos demandeurs d’emplois ?

Mme Bariza Khiari. Bien sûr !

M. André Reichardt. À cet égard, prenons garde à ce que l’immigration de travail ne devienne pas, à terme, pour certaines entreprises, une étape sur le chemin de la délocalisation.

M. Daniel Raoul. Oh là là !

M. André Reichardt. Si la France ne connaissait pas les problèmes que l’on sait en termes de formation professionnelle, d’adaptation des diplômes, d’inflation des diplômes et de sur-tertiarisation de nos étudiants, peut-être le problème ne se poserait-il pas de la même manière.

Dès lors, même si, à court terme, cette immigration est indispensable dans notre pays, à long terme, parce qu’elle témoigne de dysfonctionnements structuraux de notre économie, elle doit être mieux appréhendée. Bref, la question migratoire doit également nous informer sur la conduite à tenir dans les prochaines années sur les politiques de l’emploi, eu égard aux besoins de nos entreprises.

Notre formation politique a soutenu une position équilibrée consistant à stabiliser les effectifs de l’immigration de travail en France, en moyenne, sur la dernière législature, légèrement au-dessus de 30 000 personnes par an. Nous ne sommes donc pas pour l’immigration zéro ; nous sommes – faut-il le rappeler ? – pour l’immigration maîtrisée, c'est-à-dire celle qui est utile à la France. C’est dans cet esprit que notre formation politique et le précédent gouvernement ont agi. (Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce.)

Je souhaite m’arrêter un instant pour analyser minutieusement les dispositions qui ont été adoptées durant la précédente législature, car on a trop dit et trop médit à cet égard. Ces précisions permettront de mettre en valeur la position équilibrée que je viens d’évoquer et que nous continuerons de défendre.

Parmi ces dispositions, il nous faut rappeler l’étendue des problématiques auxquelles s’est confrontée la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité. Cette loi n’était ni injuste ni laxiste. Elle était tout autant accommodante avec les immigrés qui le méritaient bien que stricte, en ce sens qu’elle ne faisait ni plus ni moins que faciliter l’éventuel travail de la justice, s’il y avait lieu.

Ainsi, ce texte a permis de mettre en place une procédure d’accès accélérée à la nationalité française pour les ressortissants étrangers qui satisfaisaient déjà à la condition d’assimilation prévue par le code civil. Cet accès à la nationalité française pour les naturalisés était ensuite conditionné à la signature d’une charte des droits et devoirs du citoyen.

Enfin, il a été rendu possible aux jeunes majeurs étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance entre seize et dix-huit ans, sous certaines conditions il est vrai, de se voir délivrer une carte de séjour temporaire dans l’année suivant leur dix-huitième anniversaire.

Dès lors, qui peut croire que ce texte n’était que la traduction d’un repli sur soi, d’une peur de l’étranger ou d’une politique migratoire inspirée par des théories nauséabondes, comme tant de responsables politiques de l’époque se sont plu à la qualifier ? La simple lecture de ce texte indique qu’aucune disposition n’était de nature à contrevenir aux principes les plus élémentaires de notre République. Au contraire, ces valeurs ont été depuis réaffirmées.

En effet, qui considère ici que le respect des frontières est secondaire et saurait être bafoué dans l’intérêt de quelques-uns ? Personne, assurément ! Qui peut décemment penser qu’il ne faut pas aider la justice à faire appliquer ses décisions ?

Mes chers collègues, quelles pouvaient être ces dispositions qui ont soulevé, chez certains, une indignation parfois si peu maîtrisée ?

Il s’agit sans doute de l’introduction de nouvelles procédures pour le renouvellement des cartes de séjour et la délivrance des cartes de résident, visant à prendre en compte le respect des exigences du contrat d’accueil et d’intégration et à préciser les critères permettant de l’apprécier, à savoir l’assiduité, le sérieux du suivi des formations civiques et linguistiques, la réalisation du bilan de compétences professionnelles et, le cas échéant, la participation à la session d’information sur la vie en France, ainsi que le respect des principes et valeurs essentiels de la République. Monsieur le ministre, j’en conviens, ces dispositions étaient certainement insuffisantes.

Peut-être s’agissait-il de la volonté de faire exécuter les obligations de quitter le territoire français et les arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière ? Cette volonté s’est traduite, d’un côté, par l’allongement de la durée maximale de rétention administrative à trente-deux jours, alors que nos voisins s’accordent plusieurs mois et parfois une durée de détention illimitée, et, de l’autre, par la réorganisation de l’intervention des deux juges compétents en matière de contentieux de l’éloignement des étrangers.

Toutes ces dispositions relèvent à mes yeux du bon sens. Elles ont pourtant soulevé des critiques, naturellement infondées, mais surtout injustifiées.

Cette loi que nous avons fait adopter sous notre majorité a permis, on l’oublie souvent, de transposer trois directives européennes. La première visait à promouvoir l’immigration professionnelle, la deuxième était dédiée à la lutte contre l’immigration irrégulière et la troisième donnait de nouveaux outils pour la répression des employeurs d’étrangers sans titre.

Or, dans le cadre de ce débat relatif à l’immigration étudiante et professionnelle, il convient de rappeler solennellement que la France est le premier État de l’Union européenne à avoir mis en œuvre la directive Travailleurs hautement qualifiés, dite « carte bleue européenne ». Outre la rapidité de transposition de cette directive dans notre droit, la France a retenu les options les plus avantageuses en faveur de ces travailleurs hautement qualifiés. Tout d’abord, il leur a été accordé une carte de séjour temporaire de trois ans. Ensuite, la possibilité a été offerte à leur conjoint de bénéficier sans délai d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » les autorisant à travailler pendant trois ans sur le territoire national. Enfin, cette dernière possibilité a été étendue aux conjoints de salariés en mission, dans le cas d’une mission supérieure à six mois.

Les dispositions choisies pour l’introduction de la carte bleue européenne mettent ainsi parfaitement en valeur l’a priori positif qui doit prévaloir à l’égard de ces travailleurs venant soutenir l’économie nationale.

Dans le même temps, la circulaire du 31 mai 2011, vilipendée, mais que nous assumons volontiers,…

M. Ronan Kerdraon. Il était temps ! Après dix minutes de discours !

M. André Reichardt. … fixait des limites claires et justes à ce que nous pouvions tolérer. Chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne renions pas l’édifice normatif passé.

M. Ronan Kerdraon. Même pas une petite critique ?

M. André Reichardt. Nous assumons ce que nous croyons être une œuvre équilibrée et qui n’aura pas vu un mauvais sentimentalisme conduire notre action au mépris de la réalité des phénomènes migratoires contemporains.

Avec la même force, nous tenterons de promouvoir notre vision d’une politique migratoire généreuse et pleinement consciente des nouveaux enjeux économiques que soulève l’immigration, particulièrement dans ces circonstances économiques et sociales difficiles.

Fondamentalement, malgré le caractère polarisant des décisions politiques relatives à l’immigration, nous visons le même but : faire de l’immigration, notamment de l’immigration étudiante et professionnelle à laquelle le présent débat est consacré, une réussite, une source de richesses et non un handicap pour la France, les immigrés et leur pays d’origine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis très longtemps les puissances du monde ont mesuré l’enjeu de la formation des élites des pays étrangers. La mondialisation est aujourd’hui un élément moteur de la mobilité étudiante et étend les logiques concurrentielles à l’université.

Les meilleures universités ont essaimé. Comme les précédents orateurs l’ont déjà évoqué, l’Amérique du Nord et l’Europe rivalisent désormais avec les pays émergents où rayonnent des établissements réputés pour l’excellence de leurs formations. Pour exister, les universités doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs.

Au-delà de l’attractivité et de la compétitivité, l’enjeu est bien stratégique : l’enseignement supérieur contribue au soft power des États, à leur politique d’influence, à la diffusion de leur culture, de leur langue et de leurs valeurs à travers le monde.

Dans cette évolution du paysage universitaire mondial, la France a perpétué une longue tradition d’accueil des étudiants étrangers, et ce avec raison puisque notre enseignement supérieur a bénéficié des apports de brillants esprits venus d’ailleurs, sans oublier les prix Nobel ou médailles Fields d’origine étrangère dont la France s’enorgueillit.

Prenant conscience du risque d’érosion du rayonnement de nos universités dans un contexte de concurrence mondiale, le gouvernement Jospin a affirmé une nouvelle ambition pour notre pays. Entre 1998 et 2002, le nombre de visas étudiants est ainsi passé de 29 000 à 65 000. Le rapport de Patrick Weil sur la politique d’immigration a entraîné un travail de simplification des démarches administratives. La politique de bourses d’études, déjà généreuse, a été renforcée. Un Conseil national pour l’accueil des étudiants étrangers en France a été mis en place. Enfin, Claude Allègre et Hubert Védrine ont créé l’agence EduFrance pour promouvoir l’enseignement supérieur français à l’étranger.

Les gouvernements ultérieurs ont poursuivi cette action, jusqu’à la création d’un opérateur unique, Campus France, destiné à faire connaître les formations françaises à l’étranger et à gérer l’ensemble de la chaîne de l’accueil des étudiants, dont l’efficacité et la fiabilité restent à construire. Madame la ministre, je sais que vous en êtes convaincue.

Notre pays a donc mené, sur le long terme, une politique constante mais non moins entachée d’incohérences et de brutalités, nuisibles à sa lisibilité au-delà de nos frontières. Les dommages à l’attractivité de notre système universitaire sont évidents, tant celle-ci est autant déterminée par les conditions de vie et d’accueil que par la qualité de la formation et de la recherche.

Malgré des évolutions plutôt positives des échanges intellectuels et l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers accueillis – environ 290 000 actuellement –, notre pays accuse un retard par rapport à ses concurrents directs : la France est désormais reléguée au cinquième rang mondial des pays d’accueil des étudiants étrangers, derrière l’Australie et l’Allemagne.

En la matière, le retard français a plusieurs causes.

Il s’explique par l’hésitation entre l’intérêt d’accueillir les meilleurs éléments et l’obsession du « risque migratoire », revenant à considérer l’étudiant étranger comme un clandestin potentiel.

À cela s’ajoute une autre ambiguïté : la volonté de tirer immédiatement parti des compétences des meilleurs au service de l’influence française et l’affirmation récurrente que l’étudiant étranger a vocation à rentrer dans son pays d’origine sitôt sa formation terminée.

Cette politique brouillonne s’est illustrée par la circulaire Guéant du 31 mai 2011, qui a considérablement abîmé l’image de la France.

M. Ronan Kerdraon. C’est peu de le dire !

Mme Dominique Gillot. Un décret du 6 septembre 2011, toujours en vigueur, a relevé à 615 euros mensuels le niveau de ressources exigibles pour l’admission au séjour en France, montant bien supérieur aux bourses des gouvernements français ou étrangers, et qui fait barrage à bien des vocations.

Sans tarder, le Gouvernement a abrogé cette circulaire inconséquente et injuste du 31 mai 2011 et l’a remplacée, le 31 mai 2012, par de nouvelles dispositions qui permettent de rétablir l’image de notre pays auprès des étudiants et chercheurs du monde entier. Malgré tout, il reste encore beaucoup à faire pour assurer la considération que l’on doit à ces étrangers qui deviennent, après leurs études, les meilleurs ambassadeurs de notre pays.

C’est ce qui m’a conduite à déposer, le 12 février dernier, une proposition de loi relative à l’attractivité universitaire de la France,…

M. Ronan Kerdraon. Excellente proposition de loi !

Mme Dominique Gillot. … dans le but de lever des obstacles qui nuisent au rayonnement international de nos universités. Je remercie Mme la ministre d’avoir salué ce texte.

Les difficultés liées aux démarches administratives restent l’obstacle majeur, totalement désastreux pour la France, comme Mme Khiari l’a souligné. Pour venir étudier en France, les étudiants étrangers, coupés de leur environnement culturel et social, doivent en effet s’engager dans un véritable parcours du combattant.

Mme Dominique Gillot. Dans une enquête récente, 53 % d’entre eux dénoncent des processus administratifs kafkaïens. Le renouvellement des titres de séjour constitue notamment « un cauchemar annuel » à cause de démarches inutilement complexes et souvent vexatoires.

Cette situation est nuisible à la renommée de notre pays. « Je ne recommanderais pas à un ami non européen de venir passer son doctorat en France en raison des problèmes de visa », lit-on par exemple sous la plume d’un étudiant brésilien. À l’heure d’internet, un tel constat fait un mal considérable.

Malgré les récentes mesures de simplification mises en œuvre, les complications inutiles perdurent, y compris dans le cadre de mobilités encadrées. Je ne multiplierai pas les exemples à ce propos, car mon temps de parole est compté.

Des progrès importants restent à accomplir, et c’est avant tout dans les pays d’origine qu’il faut améliorer les dispositifs d’accueil, en limitant le nombre de demandes par candidat et en imposant un délai de réponse rapide de l’établissement, en identifiant dans tous les établissements un correspondant chargé du suivi « recrutement international » et en centralisant les dossiers dématérialisés à transmettre à un correspondant désigné de l’établissement.

S’agissant des conditions d’entrée et de séjour, je me réjouis de l’annonce d’un titre de séjour pluriannuel pour la durée des études. Le texte de ma proposition de loi prévoit la délivrance de ce titre pluriannuel après un an seulement de présence sur le territoire.

L’effectivité de l’inscription et le sérieux des études devraient être attestés chaque année afin d’en garantir le bon fonctionnement, l’absence de ces éléments entraînant l’annulation du titre de séjour. Une année supplémentaire devrait être accordée à l’étudiant étranger qui en aurait besoin pour compléter son cycle d’études, comme c’est le cas pour les étudiants boursiers.

De telles mesures soulageraient les étudiants des tracasseries qui les distraient de leurs études et ajoutent du stress à la nécessaire concentration sur ce qui doit être leur objectif final : le diplôme ! Elles simplifieraient aussi le travail des préfectures, qui gagneraient à dématérialiser certaines tâches ou à les déléguer aux universités, comme c’est déjà le cas avec les mairies pour la réalisation des passeports.

L’annonce de la création de guichets uniques sur les sites universitaires, où toute l’information sur les droits et devoirs des étudiants étrangers sera disponible, va assurément dans le bon sens.

Afin d’amplifier les échanges fructueux, j’ai inscrit dans ma proposition de loi un droit illimité au séjour pour tout étranger diplômé d’un doctorat obtenu en France, lui permettant de s’installer et de travailler, le cas échéant avec sa famille, autant que de besoin. Je me réjouis, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que vous souteniez cette idée.

Je suggère aussi de faciliter la liberté d’aller et venir hors du territoire national, y compris hors de l’espace Schengen, à tout étudiant ou chercheur ayant un titre de séjour, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Les aspirations des étudiants étrangers ne se limitent pas au suivi d’une formation ; une expérience professionnelle dans le pays d’obtention du diplôme est très recherchée. C’est pourquoi je propose d’assouplir les conditions d’insertion professionnelle des étrangers diplômés en France. Quel est en effet l’intérêt, pour les pays d’origine et pour la France, de renvoyer chez eux les étrangers dès la fin de leurs études et l’obtention de leur diplôme ? Ce n’est qu’après une mise à l’œuvre professionnelle que ces diplômés pourront, à leur retour chez eux ou ailleurs, déployer les compétences acquises en France.

Il n’est pas non plus très pertinent que d’autres pays bénéficient de la formation dans laquelle la France a investi : la délivrance automatique, en cas d’embauche, d’un titre de séjour « salarié » de trois ans, par exemple, paraît ainsi indispensable au retour sur investissement en augmentant les chances de maintenir ces talents au service de la France.

La situation administrative des jeunes chercheurs étrangers est indigne de notre pays et de ce qu’ils lui apportent. Il est urgent de résoudre les difficultés de recherche d’emploi et de changements de statut, en clarifiant le régime de la carte de séjour « scientifique-chercheur ». Tout comme le caractère pluriannuel des titres de séjour, les règles régissant ces changements de statut devront être clarifiées par la loi, le cadre législatif et réglementaire assurant une homogénéité de traitement selon le consulat ou la préfecture de rattachement.

La simplification des démarches administratives ne peut cependant résumer une politique d’immigration étudiante. Les choix stratégiques restent en discussion pour enclencher une véritable rupture avec la séquence antérieure. Il me semble que la stratégie de rayonnement et d’attractivité de la France pourrait se déployer selon trois axes.

Le premier concerne les pays en développement. En conciliant les intérêts de la France et ceux des pays d’origine, l’attraction de leurs étudiants ne conduit pas au pillage des cerveaux des pays les plus faibles. La formation des étudiants étrangers relève de l’aide au développement et nécessite l’identification de cibles prioritaires. Peut-on en effet considérer de la même façon étudiants chinois et étudiants togolais, alors que les enjeux sont différents ?

Ainsi, les bourses du gouvernement français pourraient être orientées vers les étudiants originaires des pays dont le système d’enseignement supérieur est encore peu développé ou servir à attirer des publics moteurs de développement, comme les jeunes femmes africaines, par exemple, qui sont très sous-représentées.

Le deuxième axe a trait aux pays émergents, dont les étudiants cherchent à se doter de compétences recherchées dans leurs pays et sont disposés à investir financièrement pour cela, le coût de la formation étant souvent un indicateur de sa qualité. Au-delà de la répétition des principes, il faudra donc examiner objectivement une modulation des droits d’inscription en fonction du pays de résidence des étudiants étrangers et du cadre des conventions bilatérales. Une telle politique pourra être compensée par un renforcement des bourses, corrélé à une meilleure qualité de l’accueil et des services proposés aux étudiants étrangers et, par extension, à l’ensemble de la communauté étudiante.

Cependant, face aux flux croissants d’étudiants étrangers à travers le monde, nos capacités d’accueil ne seront pas extensibles. Poursuivre notre politique d’influence et de rayonnement nécessitera donc d’accompagner les établissements d’enseignement supérieur pour développer des formations à l’étranger, en y implantant des campus délocalisés.

Le troisième axe consiste à attirer des profils scientifiques de très haut niveau. Il faudra les accueillir dans des conditions administratives et matérielles favorables afin de les retenir dans notre pays, en finançant substantiellement, par exemple, leurs études de troisième cycle et leur assurant un débouché à l’issue de leur doctorat.

Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les étudiants et chercheurs étrangers contribuent à la construction de nouveaux savoirs, à l’élévation du niveau de compétence de nos universités et de nos entreprises, à l’innovation et aux transferts technologiques utiles au redressement de la France.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Dominique Gillot. Partie intégrante de la jeunesse de France, ils permettent aux étudiants français d’apprendre l’ouverture à l’autre, la capacité à collaborer comme à échanger et participent à affermir nos relations diplomatiques, culturelles et commerciales. L’accueil des étudiants et chercheurs étrangers est donc bien un investissement d’avenir durable.

Si nous devons assurer respect et dignité à tous les étrangers qui viennent sur notre territoire, dans le cadre d’une politique d’immigration juste, exigeante et bienveillante, les étudiants étrangers doivent recevoir une considération particulière au sein de la masse globale des flux migratoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours intéressant que le Parlement prenne le temps de débattre de sujets sensibles dans la société, comme l’est l’immigration.

On se souvient des très fortes mobilisations du monde associatif et de forces politiques de gauche contre des mesures prises par les précédents gouvernements, sous la houlette des ministres de l’intérieur – voire de l’intérieur et de l’immigration –, qui ont plongé des milliers de personnes étrangères dans des situations précaires et ont privé certaines d’entre elles de leurs droits. À ce titre, nous pensons avec de nombreuses associations, dont la CIMADE, qu’il serait peut-être temps de réformer en profondeur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de revoir l’ensemble des législations adoptées sous le règne de la droite, qui n’ont cessé de se durcir au fil des années.

On peut donc regretter que le débat qui nous occupe ce soir se limite aux migrants qualifiés et ne soit pas plus large. Or les migrants qualifiés – je parle des hommes comme des femmes – sont déjà très nombreux sur notre territoire et participent au développement économique de notre pays alors même que beaucoup d’entre eux n’ont pas de papiers. Je profite donc de ce débat pour me faire la porte-parole de toutes celles et de tous ceux qui demandent la régularisation de ces sans-papiers selon des critères justes. Sur ces deux questions, peut être pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner ce soir quelques éléments ?

Sur le sujet du débat qui nous occupe, je partirai du rapport du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration publié il y a peu, qui précise que la France ne serait plus « un très grand pays d’immigration ». En d’autres termes, elle ne serait plus un pays attractif. Elle connaît en effet moins de flux migratoires que ses voisins européens : 110 000 entrées-sorties en France, contre 200 000 au Royaume-Uni et 400 000 en Espagne et en Italie. Le solde migratoire global apparaît donc modéré, du fait de la relative faiblesse des flux migratoires.

Si l’on compare les sondages d’opinion, les discours de Nicolas Sarkozy et ce rapport récent, on peut aisément conclure à un décalage important entre le sentiment répandu selon lequel il y aurait « trop d’étrangers sur notre territoire » et la réalité chiffrée. Reste que ce n’est pas selon moi le plus important : il faut dépasser les idées reçues et « sortir des fantasmes avec des données chiffrées », pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre. Mais encore faut-il passer aux actes !

Près d’un an après l’élection d’une majorité parlementaire et d’un Président de la République de gauche, où en est-on en matière de politique à l’égard des étrangers ? Certes, nous n’avons pas été abreuvés de promesses sur ce sujet durant la campagne électorale, les attentes n’étaient donc pas très élevées. Malgré cela, le bilan est en deçà de ce que l’on pouvait espérer. On ne perçoit pas réellement de changement en profondeur. En témoignent notamment vos affirmations concernant les régularisations. Elles indiquent clairement que vous n’entendez pas dépasser le chiffre maximum de 30 000 cartes de séjour délivrées par an.

Il est important de peser cet immobilisme gouvernemental. Il s’apparente à un renoncement à améliorer le sort des étrangers et refuse de fait l’ouverture d’une réflexion en vue de poser les bases d’une réforme en profondeur à moyen ou long terme. Ce débat est donc bienvenu ; nous espérons qu’il sera l’occasion de cette réflexion et non une simple façade sans conséquences concrètes.

Voyager et changer de pays sont des libertés individuelles dont jouissent tous les riches, partout dans le monde. Les mesures de limitation de l’immigration ne s’appliquent donc qu’aux pauvres. Certes, on ne peut nier la demande migratoire exercée aux frontières. Elle existe, en particulier au travers de la procédure de demande d’asile, mais ne peut aucunement être assimilée à une invasion, car elle correspond pour l’essentiel à un mouvement régulier en provenance de nos anciennes colonies d’Afrique et d’Asie, où les étudiants sont de plus en plus nombreux.

Cela n’a rien à voir avec les migrations massives que l’Allemagne a accueilli en provenance de l’ex-Union soviétique et de l’ex-Yougoslavie, ni avec les migrations de main-d’œuvre qui affluent vers les pays d’Europe méditerranéenne. L’immigration étudiante et professionnelle est un vrai sujet en soi, dont la droite pensait se débarrasser en prônant le concept d’immigration choisie.

En se limitant volontairement à l’immigration étudiante, ce débat s’attelle à une question spécifique de l’immigration mais ne permet pas de cerner le sujet en totalité dans l’ensemble de ses tenants et aboutissants. Mais puisqu’il faut s’y restreindre et se cantonner à la question de l’immigration étudiante et professionnelle, je tiens à soulever plusieurs points.

Le savoir est la propriété de l’humanité, et son partage se situe au cœur du mouvement d’émancipation des peuples. L’échange, que l’accueil d’étudiants permet, est source d’enrichissement pour les étudiants, et plus largement pour la France. En effet, les connaissances, les savoirs, plutôt que d’être dispersés en multitudes de propriétés nationales et individuelles, sont forgés collectivement dans le partage et dans la confrontation.

Ainsi, l’immigration est une chance fantastique pour le pays d’accueil. C’est la preuve qu’il fait encore rêver, qu’il peut séduire. On ne choisit pas un pays dans lequel on ne voudrait pas vivre. Il ne faut pas croire que les jeunes et les étudiants des pays d’émigration se dirigent n’importe où. Ils vont là où ils ont les meilleures chances de réussir, là où la société est la plus fluide et la plus attentive aux capacités de chacun.

La France que veulent construire ceux qui font de l’immigration le problème clé du XXIe siècle est une France tout juste capable de rêver de son passé, ce n’est pas la nôtre.

Nous assistons aujourd’hui à un double mouvement marqué, d’une part, par la privatisation des savoirs, qui sacrifie leur construction collective, et, d’autre part, par les mesures de restriction du séjour des étudiants étrangers sur le territoire.

Si le nombre d’étudiants admis au séjour en France n’a cessé de croître d’année en année depuis la fin des années 1990, les étudiants sont de plus en plus sélectionnés dès leur pays d’origine par le biais des centres d’études en France, qui conditionnent leur autorisation à venir étudier en France à leurs ressources financières : 7 680 euros sur l’année, soit un revenu de 620 euros par mois.

Plus les ressources de l’étudiant sont limitées, plus la liste des justificatifs à fournir à la préfecture s’allonge. Les étudiants étrangers, précaires, ne pouvant prétendre à aucune aide sociale, sont jetés « tout crus » dans la gueule du patronat, où ils s’épuiseront en heures de travail non déclarées, avant, malheureusement, de tomber sous le coup de l’expulsion.

Nous pourrions avoir l’illusion que la vie est bien plus rose du côté des programmes d’échanges européens. Mais il n’en est rien ! Le processus de Bologne n’a pas seulement conduit à une harmonisation des diplômes, il a également abouti à une harmonisation des exigences patronales à l’échelle européenne.

Aujourd’hui, le programme Erasmus tant vanté, en l’absence quasi totale de cadrage structurel et financier, permet à moins de 2 % des étudiants français de partir étudier à l’étranger. Il s’agit le plus souvent d’ailleurs d’étudiants favorisés par leurs ressources familiales. Il paraît donc important de remettre le savoir au cœur de la solidarité.

Le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration énumère douze leviers d’action pour rationaliser la politique sur cette question, mais on ne peut que déplorer l’absence, dans ce texte, de réflexion sur les immigrés travaillant illégalement. Le document du ministère de l’intérieur n’aborde pas ce sujet, alors même qu’un grand nombre de migrants viennent actuellement en Europe en se contentant de visas de tourisme.

Pour s’assurer que « l’investissement dans la formation d’étudiants étrangers rapporte à la France », puisque tel est le souci du Gouvernement, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration suggère de s’interroger sur le nombre de redoublements autorisés ou sur le niveau des frais d’inscription. Or il ne nous semble pas que l’augmentation des frais d’inscription contribue à l’amélioration de l’accueil des étudiants étrangers.

Comme cela a été souligné, la France a décroché de la quatrième à la cinquième place des pays les plus accueillants. Pourtant, notre pays dispose de nombreux atouts sur la scène internationale, qu’il s’agisse de la qualité de sa formation et de ses diplômes ou du faible montant des frais d’inscription à l’université, un point sur lequel nous ne devons en aucun cas revenir, car cela constituerait un recul majeur.

Certes, nous devons faciliter les démarches administratives, mais nous devons aussi nous atteler à la mise en place d’une véritable politique de simplification des formalités administratives, qui favorisera l’attractivité de la France et essaiera de faciliter au mieux la vie des étudiants étrangers.

Tels sont, à nos yeux, les axes prioritaires de la politique qui doit être menée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité organiser au Parlement un débat préparatoire à une future loi relative à l’immigration. Par d’heureuses vicissitudes du calendrier parlementaire, ce débat a lieu en premier devant la Haute Assemblée. Nous sommes donc ravis d’avoir la primeur des annonces du Gouvernement.

Nous traitons ce soir de l’immigration légale et, plus encore, de l’immigration professionnelle et étudiante. On pourrait soutenir qu’il s’agit des immigrations qui suscitent le moins de passions, mais nous le vérifierons à l’issue du débat.

Il est en effet consensuel de veiller à la venue d’étudiants étrangers pour étudier dans nos universités et dans nos écoles. Reste encore à convenir des modalités, du contrôle et des flux. Sur ce point, il y a eu débat, un débat que vous nous invitez à dépasser, madame, monsieur les ministres, ce dont je me félicite.

Pour ce qui concerne l’immigration professionnelle, on peut l’aborder sous l’angle de l’évidence : nous ne devons pas empêcher une entreprise française de recruter un salarié étranger qualifié qui possède les compétences recherchées par cette entreprise pour développer son activité.

Mais ces deux sujets peuvent en eux-mêmes susciter des interrogations sur l’ensemble de la politique migratoire. Il faut donc les aborder avec prudence, et on ne peut le faire sans partir de la politique migratoire.

En organisant ce débat parlementaire, vous souhaitez traiter la question de l’immigration de façon apaisée. Dans ce contexte de crise économique et en ces temps troublés pour nos concitoyens, nous approuvons cette volonté de dépassionner le débat. Les questions d’immigration, du droit au séjour et de l’asile entraînent malheureusement trop souvent dans le débat public des affrontements idéologiques et démagogiques, qui peuvent empêcher d’aborder réellement ces sujets.

Sur cette question de l’immigration, il peut y avoir une grande variété d’approches. Par simplification, j’en retiendrai deux : une approche idéologique, non dénuée d’angélisme, qui voudrait que notre pays accueille tout étranger se présentant à ses frontières, et, à l’opposé, la fermeture totale de nos frontières, avec l’immigration zéro, qui ne peut être qu’un slogan.

Pour notre part, nous défendons une approche réaliste. Oui, la France se caractérise par une tradition humaniste d’accueil ! Mais cela ne veut pas dire que nous devons être favorables à l’entrée et au séjour irréguliers d’immigrés, ni à des régularisations massives. La lutte contre l’immigration clandestine est non seulement indispensable, mais aussi légitime. Si nous voulons que notre pays reste un pays d’intégration et conserve sa tradition d’accueil, il faut rester ferme dans la lutte contre l’immigration illégale.

Par ailleurs, il faut également s’interroger sur les conditions d’accueil que nous pouvons offrir et, je veux le dire posément, sur la constitution de ghettos qui, peu à peu, parfois presque inexorablement, se développent.

Ce non-dit, souvent commode, nous devons l’aborder avec franchise, car il conduit, à terme, à isoler les populations en difficulté et a pour effet de jouer contre la volonté d’intégration. Il faut vivre dans ces territoires pour le mesurer, cette situation est très mal vécue par nos concitoyens. Ce non-dit porte aussi en lui-même les risques d’une explosion sociale dans certains quartiers.

Il nous faut donc trouver un équilibre entre une politique migratoire respectueuse de la dignité humaine et le refus de tout angélisme en matière d’immigration clandestine. Comme vous aimez à le citer, monsieur le ministre, Michel Rocard avait rappelé que notre pays ne pouvait plus accueillir toute la misère du monde, même s’il devait y prendre toute sa part.

Nous devons aussi nous interroger sur une forme de territorialisation de fait de l’accueil des populations étrangères. Je le dis avec prudence et mesure, il faudra bien, un jour, se pencher sur les effets de la territorialisation de fait de l’accueil des étrangers. Aujourd'hui, ce sujet est éludé.

Monsieur le ministre, depuis votre arrivée place Beauvau, votre politique en matière d’immigration se veut réaliste et responsable et, dites-vous, sans naïveté et ferme. Ce discours et cette politique peuvent recevoir notre assentiment, mais nous jugerons bien sûr aux actes. Il est vrai que vous faites preuve de fermeté en démantelant les camps illicites de Roms notamment. Cette fermeté, nous l’approuvons, mais nous savons aussi que vous faites preuve de beaucoup d’humanisme.

Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, nous avons compté plus d’une centaine de camps en lisière des habitations, où vivaient près de 8 000 personnes. Outre la misère de ces populations, que nous reconnaissons, bien sûr – comment pourrait-il en être autrement ? –, nous constatons bien souvent de multiples trafics et un développement d’une forme de délinquance de proximité. Ces situations ne sont pas tolérables, et je salue votre lucidité.

Mon groupe soutient votre approche réaliste et conforme au droit. J’ai cru entendre qu’elle était fortement critiquée par une partie de votre majorité...

Cette approche réaliste se traduit par plusieurs principes affichés. Vous avez ainsi affirmé qu’il n’y aurait pas de régularisations massives comme celles qui ont été opérées par les gouvernements de gauche en 1981 et en 1997. C’est heureux, car la situation économique et sociale nous l’interdit. Il ne saurait être question de procéder ainsi aujourd’hui.

Vous vous êtes également engagé – c’est important pour nous – à ne pas régulariser plus d’immigrés que lors du précédent quinquennat. La régularisation d’un immigré clandestin par l’administration doit en effet rester une exception. Ces régularisations se feront, dites-vous, sur la base de critères définis, clairs et objectifs prenant en compte notamment la réalité de l’intégration à la société française. Nous sommes tous pour des critères clairs et transparents, mais encore faut-il les définir. Nous savons aussi que cela n’évitera pas l’examen des situations individuelles, au cas par cas, dans les préfectures.

Enfin, il faut poursuivre la lutte contre l’immigration clandestine, en menant un combat déterminé contre les filières d’immigration clandestine qui exploitent la misère humaine et en tirent profit.

Ces préalables étant posés, venons-en à l’immigration professionnelle et étudiante.

Certes, la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit se faire au détriment ni de l’attractivité de l’enseignement supérieur ni des besoins de nos entreprises en compétences spécifiques de haut niveau. Toutefois, nous savons que ce sujet est particulièrement sensible en période de crise économique. D’ailleurs, l’immigration professionnelle ne se limite pas aux compétences de haut niveau.

Je tiens à le dire en préambule, compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi et du niveau de chômage dans notre pays, il serait dangereux de modifier l’équilibre général de la réglementation actuelle en matière d’autorisation du travail. La protection du marché du travail impose en effet de conserver une procédure administrative claire et opposable.

Il faut l’affirmer clairement, le régime d’autorisation du travail existant doit être maintenu, car il permet de réguler efficacement l’entrée de salariés étrangers pour occuper des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en tension.

N’oublions pas que des étrangers présents au titre de l’immigration familiale ou de l’immigration étudiante occupent des emplois sans passer par la procédure de l’autorisation de travail. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas simplifier les procédures lorsqu’elles sont trop complexes, pour permettre aux employeurs de recruter des travailleurs étrangers qualifiés répondant aux profils des postes recherchés ou pour remplir des missions spécifiques et temporaires. C’est une demande légitime des entreprises, notamment celles qui sont ouvertes à l’international et qui éprouvent des difficultés à recruter des salariés étrangers, alors que seuls ces salariés permettent de conquérir des marchés, notamment dans leur pays d’origine. Le document préparatoire suggère d’ailleurs, avec beaucoup de précautions, de promouvoir, dans le cadre de l’immigration professionnelle, une politique d’attractivité favorisant l’immigration de travailleurs hautement qualifiés, une sorte « d’immigration choisie » qui ne dirait pas son nom en quelque sorte.

De même, dans une perspective d’attractivité du territoire, on peut réfléchir à simplifier et à faciliter les procédures pour les secteurs d’activité et les emplois pour lesquels notre pays connaît une pénurie de main-d’œuvre. C’est une nécessité pour notre économie et pour nos entreprises qui recherchent, par exemple, des informaticiens ou des techniciens supérieurs. Nous ne pouvons nier cette réalité, qui existe déjà dans des secteurs en tension où les entreprises sont exonérées de la procédure d’autorisation de travail pour recruter plus facilement.

Le document préparatoire à ce débat nous invite à anticiper les pénuries de main-d’œuvre et de compétences qui se feront jour à l’avenir dans certains secteurs professionnels.

Une vision prospective du marché du travail serait sans doute un élément utile, mais veillons à ne pas ouvrir les vannes. L’immigration professionnelle doit rester principalement un moyen de répondre aux difficultés structurelles du marché du travail et, sous certaines conditions strictes, aux réalités conjoncturelles. Revoir régulièrement la liste des métiers ouverts aux étrangers sans opposition de la situation économique pour tenir compte des évolutions du marché du travail peut être une voie à explorer.

Vous nous invitez à réfléchir à des adaptations de la législation pour faciliter l’immigration de salariés étrangers qualifiés. Cela nécessite d’abord une plus grande efficacité et une plus grande fermeté dans la lutte contre le travail illégal et les fraudes. C’est l’une des conditions de l’acceptabilité de l’assouplissement des règles existantes en matière d’immigration professionnelle. Cela pose aussi la question des conditions d’accueil que nous pouvons offrir aux personnes immigrantes pour motifs professionnels.

Abordons maintenant l’immigration étudiante, qui fait l’objet d’un large accord parmi nous. En ce domaine, des mesures ont été récemment annoncées par le Gouvernement. J’y vois là une relation de cause à effet, ces sujets étant plus consensuels.

L’internationalisation des études est un phénomène établi aujourd’hui. Les pays émergents fondent de plus en plus leur développement sur l’élévation de leur niveau de qualification. L’accueil des étudiants étrangers est aujourd’hui un instrument d’influence majeur. Il existe d’ailleurs une concurrence entre les pays développés pour attirer les meilleurs étudiants, en développant des stratégies de recrutement, notamment des étudiants en master et en doctorat, issus des pays cibles, principalement les pays émergents, les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Bien entendu, il faut veiller à ce que cela ne s’apparente pas à une fuite des cerveaux des pays en développement.

Tout le monde admet qu’il faut mener une politique ambitieuse pour attirer les meilleurs étudiants, en privilégiant les niveaux master et doctorat et en favorisant les mobilités au travers d’accords entre les établissements d’enseignement supérieur.

Avec près de 290 000 étudiants étrangers dans ses universités et ses grandes écoles, principalement d’ailleurs à un niveau master et doctorat, la France occupe une place honorable, même si elle a perdu du terrain au cours de ces dernières années. Ce serait une erreur pour notre pays de se tenir à l’écart des échanges internationaux d’étudiants, car cela fait partie de la politique d’attractivité d’un pays.

Je pense que cette question fait consensus entre nous : l’accueil des étudiants étrangers bénéficie non seulement au rayonnement de notre culture, mais aussi à la compétitivité de nos entreprises.

Le document préparatoire pointe un certain nombre de questions, notamment les freins posés à l’accueil des étudiants étrangers dans notre pays, malgré le rôle utile joué par Campus France, alors que nous sommes en concurrence avec nos voisins.

Vous avez fait conjointement des annonces la semaine dernière pour renforcer l’attractivité de notre pays, en proposant d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers, notamment en matière de logement, de guichet unique et de formalités administratives. En revanche, reste encore à traiter, semble-t-il, la question des frais de scolarité.

La principale mesure que vous proposez est un titre de séjour pluriannuel, afin d’éviter les complications inutiles et l’accueil déplorable des étudiants étrangers dans les préfectures. Ces annonces ne nous posent pas de difficultés, et elles sont attendues, nous le savons, par la communauté universitaire. Certes ces mesures sont utiles, mais il faut veiller à faire en sorte que l’administration puisse continuer à contrôler la réalité et le sérieux des études entreprises.

Vous le voyez, madame, monsieur les ministres, en matière d’immigration, nous sommes réalistes : nous sommes prêts à discuter des modalités de simplification et d’assouplissement des procédures dans les champs de l’immigration professionnelle et étudiante si, en parallèle, vous poursuivez votre politique de maîtrise des flux migratoires et si vous faites preuve de fermeté dans la lutte contre l’immigration illégale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est essentiel de débattre de manière apaisée de l’immigration, d’évacuer les fantasmes et d’analyser les réalités auxquelles nous devons faire face. C’était un engagement du Président de la République, que nous commençons aujourd'hui à mettre en œuvre.

Des étudiants étrangers dans nos universités ? Les années étudiantes étant souvent parmi les plus marquantes de la vie, c’est une chance pour notre pays d’accueillir des jeunes à ce moment-là de leur existence. Si l’accueil et le cursus de ces étudiants se déroulent dans de bonnes conditions, ceux-ci iront ensuite exercer leur talent dans le monde et seront, pour la vie, des ambassadeurs de notre pays.

Une immigration professionnelle en adéquation avec les besoins du marché du travail ? C’est une nécessité pour nos entreprises. Si celles-ci ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin en France, elles y répondront en délocalisant, en passant des commandes de biens ou de services hors du pays, ce qui affaiblira notre situation économique. Nous perdrons des talents ainsi que des capacités d’innovation, de création et de développement.

Les grands pays d’immigration, ce que n’est plus la France, savent combien leur dynamisme, leur image et leur influence dépendent de leur ouverture à ces deux types d’immigration.

Par ailleurs, sait-on, par exemple, que moins de la moitié des personnes entrées en 2007 sur notre territoire pour raisons professionnelles y séjournent encore aujourd’hui ?

Une approche humaniste de l’immigration, respectant le droit à la vie en famille, oblige à établir un lien entre, d’une part, l’immigration étudiante et professionnelle et, d’autre part, l’immigration familiale qui peut en découler.

L’idée d’une immigration professionnelle choisie s’opposant à une immigration familiale subie est une caricature de la réalité : lesdits « choisis » sont aussi autorisés à venir avec leur famille et lesdits « subis » sont souvent aussi autorisés à travailler. C’est ainsi que peut s’engager un parcours d’intégration !

S’agissant de l’immigration étudiante, la France est en recul puisqu’elle est récemment passée de la quatrième à la cinquième place parmi les pays qui accueillent des étudiants étrangers.

De nombreux pays qui, traditionnellement, incitaient leurs jeunes à aller étudier en France se tournent aujourd’hui vers d’autres pays. La circulaire Guéant a eu une incidence réelle sur notre attractivité ; remonter la pente ne sera pas facile, car notre réputation est maintenant largement entamée en ce qui concerne notre volonté d’accompagner nos étudiants jusqu’au début de leur vie active et notre capacité à le faire. D’ailleurs, ce constat, loin de concerner seulement le séjour des étudiants étrangers, est un enjeu majeur pour l’ensemble de notre enseignement supérieur.

La simplification des démarches administratives d’arrivée et de séjour en France ne suffira pas à renforcer notre attractivité, qui dépend aussi de deux autres facteurs.

D’une part, elle est liée à la réputation de notre enseignement supérieur, qui ne pourra pas durablement être déconnectée de l’état de notre économie ; c’est sans doute la question la plus importante, bien qu’elle ne soit pas au cœur du débat de ce soir. À cet égard, il convient de souligner qu’accueillir les meilleurs talents du monde participerait à notre redressement.

D’autre part, notre attractivité dépend de notre outil de promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger : je veux parler de Campus France, qui connaît des dysfonctionnements. Cet organisme reçoit, dans les différents pays, les dossiers des étudiants étrangers désireux de poursuivre leurs études en France. Présenté comme un espace de conseil, il est d’abord et avant tout un espace payant de présélection des demandes de visa étudiant, suivant une procédure longue, opaque et coûteuse.

Initialement, Campus France devait jouer le rôle de guichet unique pour l’accès au visa en aidant à la décision des consulats, des universités et des étudiants. En réalité, Campus France émet un avis sur le dossier de l’étudiant au même titre que l’établissement d’accueil potentiel. Ensuite, indépendamment de l’avis dit pédagogique, le consulat décide si l’étudiant a droit ou non à un visa. Les divergences entre Campus France et les consulats sont souvent incompréhensibles et soulèvent la question du rôle effectif de cet organisme.

M. Jean-Yves Leconte. C’est ainsi qu’à Bamako, sur 2 000 demandes enregistrées pour l’année 2011-2012, 1 892 avis ont été rendus par Campus France et 527 dossiers instruits avec un avis favorable, mais seulement 213 visas ont été effectivement accordés. Cet exemple malien n’est pas une exception ; M. Chevènement a signalé la situation russe, qui est également scandaleuse. Mes chers collègues, pensez-vous qu’avec de tels chiffres et les coûts importants que les procédures occasionnent pour l’ensemble des demandeurs, les candidats aux études en France ne vont pas progressivement aller chercher ailleurs ?

Mme Dominique Gillot. C’est évident !

M. Jean-Yves Leconte. Sans compter que les espaces de Campus France sont parfois instrumentalisés pour améliorer artificiellement l’autofinancement des Instituts français, à l’intérieur desquels ils sont souvent hébergés.

Plutôt que d’être l’antichambre, pas toujours efficace, des consulats, Campus France doit réorienter son rôle vers l’information et l’orientation des étudiants, dans le respect de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur et de leur processus de sélection. À cet égard, madame la ministre, je me demande pourquoi cet établissement n’est pas placé sous l’égide de votre ministère.

Depuis quelques années, la priorité est donnée à l’accueil des étudiants de second cycle. Est-ce pertinent ? Avec ce système, les étudiants issus d’un pays où l’enseignement supérieur est déficient présentent des carences à leur arrivée en France, ce qui pourrait être évité si nous les accueillions plus tôt. Par ailleurs, avant la fin du premier cycle, certains étudiants se sont déjà orientés définitivement vers d’autres pays.

Certes, l’argument tiré de l’hétérogénéité de niveau des étudiants à leur entrée à l’université est fondé pour certains pays. Reste que nous pourrions profiter de notre réseau d’écoles françaises à l’étranger pour offrir des cours, non seulement aux élèves qui y sont scolarisés, mais aussi à des candidats étudiants, qui seraient ainsi mis à niveau avant leur départ en France. Nous sommes le seul pays au monde à posséder un tel réseau : pourquoi ne pas tirer parti de cet atout ?

Mes chers collègues, nous devons bien mesurer que l’action que nous mènerons au cours des prochaines années dans ce domaine marquera profondément l’avenir de la francophonie et la place de la France en Afrique.

Le prochain boom démographique est en Afrique, continent partiellement francophone et dont plusieurs pays tirent aujourd’hui la croissance mondiale. Dans ces conditions, c’est à la fois notre devoir et notre intérêt culturel, économique et politique d’aider les autres pays africains à accrocher le train de la croissance ; or ce soutien passe d’abord par l’éducation. Aussi, ne faisons pas la fine bouche devant l’appétence pour l’enseignement en France qui se manifeste dans ces pays. Sachons y répondre avant que les étudiants africains ne s’orientent vers les universités d’Asie, qui, elles, ont parfaitement compris l’enjeu.

N’oublions pas que l’image d’un système d’enseignement supérieur forme un tout et que, de ce point de vue, il y a aussi des actions à mener à l’étranger. C’est ainsi que nous devons veiller à l’image et à la pérennité des universités françaises à l’étranger ; ce n’est pas gagné d’avance dans un certain nombre de pays. Nous devons aussi faire un effort pour développer une offre de formation professionnelle à l’étranger. Nous avons des compétences et, d’autre part, des entreprises formulent des demandes qui sont pertinentes au regard des besoins économiques et de leur capacité d’emploi. Il est donc très clair que nous avons un défi à relever dans ce domaine.

La généralisation du titre de séjour pluriannuel serait une excellente nouvelle. Cette disposition est comprise dans la proposition de loi de ma collègue Dominique Gillot relative à l’attractivité universitaire de la France : il s’agit de poser pour principe que le titre pluriannuel est la règle générale et le titre provisoire l’exception, ce qui simplifiera la vie des étrangers en France et allégera la charge pesant sur les préfectures.

Pourquoi aussi ne pas envisager les guichets uniques dont plusieurs orateurs ont déjà parlé pour l’ensemble des formalités administratives sur les campus, quitte à externaliser certaines opérations comme cela se fait dans les consulats pour les demandes de visa ?

Une fois qu’ils sont diplômés, l’accès au travail est, pour les anciens étudiants étrangers, le couronnement logique de leurs études. Nous ne pouvons ni nous en désintéresser ni l’entraver par des complications administratives. À cet égard, les premières mesures annoncées vont dans le bon sens. Je pense notamment à l’allongement de six mois à un an de l’autorisation provisoire de séjour entre l’acquisition du diplôme et le premier contrat de travail. Tous les nouveaux diplômés, quelle que soit leur nationalité, doivent pouvoir en bénéficier.

Les anciens étudiants doivent également pouvoir accéder à un CDI. On ne peut pas vouloir lutter contre le recours abusif aux CDD en général et contraindre les entreprises à n’offrir que ce type de contrat à certains étrangers.

Enfin, il faut mentionner la non-opposabilité de la situation de l’emploi pour les anciens étudiants étrangers diplômés en France. La suppression de la mention du retour au pays d’origine dans les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est une nécessité. Demander à ceux qui ont terminé leurs études et qui sont prêts à rejoindre le monde du travail de rentrer dans leur pays d’origine est un non-sens ; c’est seulement un prétexte pour se débarrasser d’eux. Au nom de quoi, parce qu’ils sont souvent des étudiants du Sud, devrait-on leur imposer leur destination ? D’ailleurs, si la France ne veut plus d’eux, ils pourront toujours aller ailleurs : en Allemagne, en Australie, aux États-Unis ou au Canada.

À propos du débat sur les frais de scolarité pour les étudiants étrangers, il faut se rendre à cette évidence : accompagner la forte croissance annoncée du nombre d’étudiants faisant leurs études hors de leur pays d’origine est une nécessité pour tenir notre rang. Pouvons-nous y parvenir avec l’actuel modèle économique de notre enseignement supérieur ? Ce serait audacieux de le prétendre dans une période aussi contrainte sur le plan budgétaire. (Mme Bariza Khiari acquiesce.) Face à des concurrents qui ont pour tradition de faire payer le prix de la scolarité, la France doit offrir une qualité d’enseignement maximale dans ses domaines de compétence, sans que le poids en soit supporté par les contribuables français.

Améliorer la qualité de l’offre et assurer l’autofinancement des formations proposées aux étudiants extracommunautaires doivent être des objectifs affichés. Toutefois, disons-le clairement, dans un pays inspiré par les valeurs universalistes, il m’apparaît difficile d’envisager des tarifs différenciés en fonction des nationalités, mise à part la séparation, juridiquement acceptable, entre les ressortissants de l’Union européenne et les autres. Dans ce cadre, il faut que les étudiants non européens aient droit à des bourses spécifiques pour faire face aux nouvelles exigences.

Permettez-moi d’aborder, pour conclure, certains aspects du débat sur l’immigration professionnelle. Je commencerai par formuler deux remarques incidentes.

D’une part, la circulaire du 28 novembre 2012 a permis la régularisation de salariés jusque-là non déclarés selon des critères très précis. Comment concilier sans hypocrisie cette possibilité avec l’obligation de lutter contre le travail illégal ?

D’autre part, en raison de la liberté de prestation de services et de la directive relative au détachement de travailleurs, les marchés du travail dans l’Union européenne ne sont pas indépendants les uns des autres, de sorte que, si nous ne nous ouvrons pas suffisamment aux compétences dont nous avons besoin, nous subirons des délocalisations ou des prestations de services extérieures réalisées en dehors de notre droit du travail.

J’en viens à l’analyse du marché de l’emploi, pour me demander s’il est logique, dans le contexte contraint que nous connaissons aujourd’hui en matière d’emploi public, de concentrer des moyens importants pour le suivi de procédures qui entraînent des délais pour délivrer des autorisations de travail. Ne vaudrait-il pas mieux s’orienter vers des principes plus simples ? Ne serait-il pas préférable de fonctionner sur la base de la confiance puis du contrôle sélectif sur le terrain, plutôt que par une procédure complexe et peu transparente qui nécessite d’importants moyens dans les bureaux au détriment de la présence sur le terrain ?

Enfin, nous devons aussi nous interroger sur l’Office français de l’immigration et de l’intégration, sur la pertinence des taxes affectées qui le financent à 84 % et sur ses actions.

Nous nous étions félicités d’avoir pu baisser, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, le montant des taxes dues par les plus démunis et par les étudiants. Je m’interroge sur la proposition, avancée dans le document de cadrage, de moduler la taxe OFII afin de favoriser des formes déterminées d’immigration, notamment par la suppression du plafond de 2,5 SMIC pour les hauts niveaux de rémunération. En effet, cette mesure risque de discriminer les profils les plus qualifiés dans l’accès à un emploi. Pourquoi taxer l’employeur qui recrute la personne dont il a besoin lorsqu’elle est étrangère, alors que c’est justement cet emploi qui dynamisera notre économie et financera notre système social ?

Telles sont, monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les observations que je souhaitais présenter au sujet de l’immigration étudiante et professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.

M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’ai entendu avec un grand plaisir les propos de Mme Fioraso et de M Valls sur l’immigration étudiante. Ils tranchent singulièrement avec ceux de leurs prédécesseurs !

La mondialisation des économies et la valorisation du rôle de l’enseignement supérieur dans la croissance font de la mobilité internationale des étudiants un enjeu politique majeur. Les pays occidentaux ont toujours cherché à attirer les étudiants étrangers pour accroître leur influence économique et politique, ainsi que leur rayonnement scientifique et culturel.

Depuis la fin des années 1990, le nombre d’étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français a fortement augmenté ; les étrangers représentent désormais plus d’un étudiant sur dix. En 2011, plus de 289 000 étudiants étrangers se sont inscrits dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur français, soit une augmentation de plus de 77 % depuis 1998.

Les principales raisons pour lesquelles la France est choisie par les étudiants sont la qualité de la formation, pour 45 % d’entre eux, la connaissance de la langue française, pour 37 %, et l’intérêt culturel, pour 31 %. La France est perçue comme un pays ayant un grand rayonnement culturel et artistique par 90 % d’entre eux ; en outre, 87 % considèrent qu’elle a un grand rayonnement intellectuel et scientifique et qu’elle est riche d’une histoire prestigieuse.

Les étudiants étrangers se répartissent en trois grandes catégories : ceux qui relèvent de la coopération internationale de l’État ; ceux qui relèvent de la coopération internationale des universités, qu’ils soient en mobilité dans le cadre du programme Erasmus ou de conventions conclues entre universités ; enfin, les étudiants à titre individuel.

Dans la plupart des cas, à l’exception de quelques établissements qui font des efforts remarquables, les étudiants, pardonnez-moi l’expression, débarquent seuls. Pour certains, la première arrivée en France et dans une université française constitue réellement une entrée dans un autre monde, un véritable choc de cultures. Songez qu’il faut à ces étudiants trouver leur université et leur département, comprendre comment s’inscrire administrativement et pédagogiquement, choisir leurs cours en fonction de leur cursus et prendre connaissance des lieux incontournables de l’université, comme le bureau des étudiants étrangers. Parallèlement, il leur faut trouver un logement, l’équiper, régler leur situation de séjour, ouvrir un compte bancaire et d’autres choses encore. Nous sommes au cœur de la problématique des rites de passage, qui va conditionner irrémédiablement le dépassement de cette étape initiatique après cette phase d’étrangeté.

De ce point de vue, le travail salarié joue aussi un rôle important. Les postes occupés par ces étudiants n’ont généralement aucun lien avec leurs études. Parmi les étudiants étrangers interrogés par l’Observatoire de la vie étudiante, 80 % ont déclaré souffrir de difficultés financières relativement importantes ou très importantes. Plusieurs enquêtes relèvent ces problèmes notables chez les étudiants étrangers, ainsi que leurs conséquences négatives sur le parcours universitaire.

Ces étudiants se plaignent aussi des trop mauvaises conditions d’accueil dans les universités françaises, où rien n’est prévu pour faciliter leur adaptation et où les professeurs, souvent les seuls interlocuteurs visibles, se montrent en général peu disponibles à leur égard.

Permettez-moi de vous décrire, par ordre de fréquence, les difficultés que rencontrent les étudiants étrangers. Il y a d’abord les difficultés liées aux démarches administratives, notamment à la préfecture de police. Viennent ensuite celles liées au logement, même si elles ne sont pas propres aux étudiants étrangers : manque de places dans les cités universitaires, niveau trop élevé des loyers, inconfort général des logements, mais aussi refus discriminatoires opposés aux étudiants étrangers candidats à des locations dans le privé.

Les autres difficultés sont liées aux informations sur les aides financières publiques, aux informations de type universitaire lors des inscriptions et aux informations sur la vie pratique en France.

Mes chers collègues, il est regrettable qu’un étudiant étranger ne puisse pas, au moment où il met en règle ses divers documents d’autorisation de séjour, entreprendre dans un dossier quasi parallèle ses démarches auprès de la préfecture et de l’Office des migrations internationales, puisque les documents demandés sont bien souvent identiques. Ainsi, les services universitaires ne sont pas les seuls à présenter un déficit d’information : les préfectures de police et les organismes d’aide au logement, notamment, semblent également fournir aux nouveaux arrivants des renseignements encore trop confus, parcellaires et offrant donc trop peu de garanties.

Nous devons être bien conscients des véritables difficultés que les étudiants étrangers non francophones, ou théoriquement francophones, rencontrent pour s’orienter dans les labyrinthes de notre administration. Je songe au témoignage d’un jeune étudiant étranger sur ses difficultés lors de son arrivée en France. Il souligne ce paradoxe : l’administration ne veut pas inscrire certains étudiants parce qu’ils n’ont pas la carte de séjour, alors qu’à la préfecture on leur demande d’abord leur inscription ! De même, il explique que, pour ouvrir un compte, la banque demande un titre de séjour, alors qu’il faut un compte bancaire pour avoir le titre de séjour…

Si la situation et les problèmes des étudiants étrangers sont maintenant très bien documentés, comme en témoigne le nombre de rapports qui ont été publiés récemment sur ces sujets, il reste au Gouvernement à prendre des mesures concrètes pour améliorer la situation. Vous avez d’ailleurs annoncé des mesures en ce sens, monsieur le ministre.

Dans leur ensemble, les associations d’étudiants étrangers militent pour un regroupement, une centralisation et une simplification des procédures, ainsi que pour un traitement à part de leur dossier. Elles réclament notamment la création d’un guichet unique.

Faciliter l’accès à l’enseignement supérieur tout en offrant une intégration plus efficace nécessite non seulement une réflexion sur le plan pédagogique, mais aussi l’élaboration d’une politique générale de développement de la dimension internationale de l’enseignement supérieur. Dans cette course à l’excellence, la France doit se donner les moyens de ses ambitions. Néanmoins, d’un point de vue général, il faut souligner que près de 80 % des étudiants étrangers sont satisfaits de leurs études universitaires en France.

Concernant les critères de délivrance d’un titre de séjour à un étudiant étranger, ceux-ci reposent sur la combinaison de son cursus pédagogique et de ses ressources financières. N’oublions pas, mes chers collègues, la très controversée circulaire Guéant en date du 31 mai 2011, qui restreignait la possibilité pour les étudiants étrangers diplômés de travailler en France. Abrogée le jeudi 31 mai 2012 par le Gouvernement, elle a été remplacée par un nouveau texte. Je salue cette initiative. Cette circulaire avait un impact extrêmement préjudiciable et portait atteinte à notre image dans le monde.

Améliorer l’accueil des étudiants étrangers passe, à mon sens, par des autorisations accordées de plein droit, et non plus au cas par cas, au gré des préfectures. Ainsi, des visas et des titres de séjour seraient remis aux étudiants en fonction de la durée de leurs études. Cela leur permettrait, en outre, de prolonger d’une année après l’obtention de leur diplôme leur séjour en France, pour y vivre leur première expérience professionnelle.

Ces mesures sont les bienvenues. Elles referment, je le souhaite ardemment, le chapitre de la politique menée par l’ancien gouvernement.

Je tiens à rappeler l’excellente initiative de Dominique Gillot, qui a déposé, le 12 février 2013, une proposition de loi visant à améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France. Cette proposition de loi répond à une revendication forte des associations étudiantes concernant le dispositif des autorisations provisoires de séjour, les APS, notamment, qui était parfois vu comme un piège par les étudiants.

Les syndicats étudiants font d’autres propositions. Ils sollicitent la redéfinition du rôle de chaque organisme dans l’accueil des étudiants étrangers. Jean-Yves Leconte l’a souligné, d’ailleurs, à propos de Campus France.

Ils suggèrent aussi le retrait du décret du 6 septembre 2011 relatif aux conditions de ressources. Un étudiant étranger doit se prévaloir de plus de 7 000 euros de ressources annuelles, ce qui constitue mesure intenable socialement.

Ils demandent enfin l’ouverture du système d’aide sociale aux étudiants étrangers.

On le voit, l’accueil des étrangers en France doit représenter nos valeurs et témoigner de l’intérêt que nous portons à nos voisins, afin de nous permettre d’enrichir notre économie, notre culture et nos connaissances. Le Président de la République s’est engagé à continuer à accueillir 60 000 étudiants étrangers par an. Aussi devons-nous relever le défi et offrir à ces étudiants un accueil de qualité, à la hauteur de leurs attentes, eux qui viennent chercher dans notre pays l’excellence de nos universités. Je sais, madame, monsieur les ministres, que telle est votre ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je tiens à remercier le groupe politique qui a pris l’initiative de la tenue de ce débat, qui en appellera certainement d’autres.

Je tiens également à tous vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, du climat serein dans lequel se sont déroulées nos discussions. En cette période, cela fait du bien à la démocratie, surtout que ce sujet a pu parfois être plus conflictuel. Malgré l’heure tardive, nous sommes donc heureux, Manuel Valls et moi, d’y avoir participé.

Un grand esprit de convergence nous a animés sur la question de l’amélioration des conditions d’accueil et de vie des étudiants étrangers. En effet, ces dernières font partie des conditions de la réussite de ces étudiants et peuvent contribuer à la rendre plus difficile.

J’ai rappelé l’engagement du Gouvernement en faveur du logement, qui bénéficiera également aux étudiants et aux chercheurs étrangers. J’ai déjà donné les chiffres et les indications sur les moyens que nous nous donnons pour y parvenir, je n’y reviendrai donc pas. Sachez toutefois que, avec Cécile Duflot, nous travaillons plus particulièrement sur la question des cautions. Celles-ci répondront à des critères de droit commun qui s’appliqueront également aux étudiants et aux chercheurs étrangers. C’est un sujet très important. Très souvent, en effet, l’absence de caution bloque l’accès à un logement.

Par ailleurs, je voudrais vous convaincre que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche œuvre en faveur de la francophonie. C’est dans cet état d’esprit que nous voulons développer les échanges avec l’Afrique, plus particulièrement avec l’Afrique subsaharienne. Vous le savez, cette zone est aujourd’hui très convoitée par les pays asiatiques, notamment par les universités chinoises. Il s’agit d’un espace que nous avons peut-être un peu négligé. Pourtant, c’est l’un des leviers de notre développement et, plus largement, je suis convaincue que l’Afrique est l’un des leviers de la croissance de l’Europe.

Nous avons développé des relations avec le Maghreb, en particulier le Maroc, et le Sénégal, qui sont des lieux de passage et d’échange entre la France, l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Nous avons notamment mis sur pied une coopération qui comprend deux volets : l’accueil d’étudiants, d’une part, les étudiants africains et maghrébins constituant environ 50 % des étudiants accueillis par la France, et, d’autre part, l’établissement de formations dans au Maroc et au Sénégal, qui désirent eux aussi accueillir des préparations ouvertes sur l’Afrique subsaharienne. Nous comptons sur ces coopérations très fortes pour conforter des liens précieux, voire indispensables avec l’Afrique.

Monsieur Chevènement, je vous remercie d’avoir insisté sur la deuxième lettre de l’acronyme BRICS. Nous avons, c’est vrai, des affinités linguistiques avec la Russie, pays dont beaucoup d’habitants connaissent notre langue. C’est d’ailleurs un fait historique : Saint-Pétersbourg était une ville où l’on parlait français.

La culture industrielle, scientifique et technologique est très importante dans ce pays, et le niveau des étudiants dans ces matières est très élevé. Ces métiers, qui requièrent un haut niveau de qualification, sont en tension dans notre pays. Nous avons donc besoin d’accueillir davantage d’étudiants et de chercheurs russes. Je sais que vous vous y employez dans le cadre de votre mission spécifique visant à favoriser les échanges avec la Russie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la défense de la francophonie n’est pas incompatible avec le constat que nous devons tirer de la faiblesse de notre accueil des étudiants des pays émergents, comme la Corée, l’Inde ou le Brésil. Lorsque nous allons dans ces pays, les scientifiques, les universitaires et les politiques nous disent tous que l’obstacle du langage est important. Il l’est certes moins pour les formations artistiques, mais il est considérable pour les formations scientifiques et technologiques. Il faut savoir l’entendre.

C’est pourquoi nous avons proposé d’élargir le champ des dérogations à la loi Toubon, qui ne pourront se faire que dans un cadre extrêmement précis, matérialisé par des conventions. Nous avons donc décidé d’autoriser, sous conditions, les formations en langues étrangères. Cela concernera surtout, bien sûr, les formations en anglais, mais également en d’autres langues. J’ai vu récemment, à Tours, des cours dispensés en allemand et portant sur le droit roman, qui est, vous le savez, différent du droit saxon.

Cette mesure nous permettra d’accueillir des étudiants, qui, sans cela, se rendraient en masse dans les universités anglo-saxonnes. Nous avons imposé la condition expresse d’un accompagnement en français langue étrangère, qui leur permettra de passer et de valider leurs diplômes en français.

Vous le voyez, le dispositif est extrêmement encadré, et ce qui a été dit sur le sujet ne correspond pas toujours à la réalité. Nous nous inscrivons bien dans une logique d’élargissement de la francophonie et de développement de l’influence de la France dans le monde. Il nous semble simplement que nous ne pourrions pas le faire si nous n’accueillions pas ces étudiants.

J’ajoute que cela nous permettra de faciliter nos échanges économiques avec les pays émergents, marchés qui grossissent et qui peuvent accueillir nos produits. Ces pays nous aideront même à faire monter nos produits en gamme, en nous apportant, grâce aux échanges avec notre industrie et ses services, leur qualification en la matière.

Le programme Erasmus a également été évoqué. Je serai moins pessimiste que ce qui a été dit. Ce programme a bénéficié d’un financement en augmentation. En revanche, les actions à destination des pays de voisinage, notamment ceux de la Méditerranée, ont effectivement pâti des dernières décisions européennes. Nous le regrettons !

En revanche, la mobilité des étudiants en Europe – la France, je le rappelle, est le deuxième pays d’accueil d’étudiants dans le cadre du programme Erasmus, juste derrière l’Espagne – a été préservée. Elle s’est même accrue. Je me suis battue, avec mes collègues britanniques, espagnols, italiens et allemands, pour ce faire. Nous avons envoyé un courrier commun aux commissaires européens concernés, afin de développer davantage la mobilité des apprentis, des étudiants des filières professionnelles et technologiques, toujours dans le cadre d’Erasmus. Ces filières concernent en effet des étudiants issus de milieux plus modestes et qui n’ont pas acquis la pratique des voyages et de la mobilité. On le sait, la pratique d’une langue étrangère et les séjours à l’étranger représentent un vrai plus dans un curriculum vitae.

C’est donc une démarche que nous soutenons et qui, je l’espère, aboutira. Un programme a d’ailleurs été lancé par la Commission européenne sur le sujet.

Je ne dirai qu’un mot sur les droits d’inscription. Ce sujet n’est pas tabou. Néanmoins, il ne faut pas penser que les augmenter pour les étudiants étrangers nous permettra de faire entrer des devises. En effet, les ressortissants de l’Union européenne ne peuvent pas être concernés, pas plus que ceux des pays qui bénéficient d’une convention signée avec la France. Cela fait déjà beaucoup d’étudiants en moins !

Parmi les 290 000 étudiants étrangers en France, 50 000 ont passé leur baccalauréat et vivent dans notre pays. De ce fait, ils bénéficient des mêmes conditions que les étudiants français. Au final, il ne reste que peu d’étudiants à qui l’on pourrait appliquer des tarifs différenciés. Historiquement, d’ailleurs, les droits d’inscription dans les universités françaises sont assez bas. Il serait donc difficile de les multiplier par dix et de bénéficier, ainsi, d’un apport important.

Il faut regarder ce sujet de près. Pratiquer la discrimination tarifaire entre étudiants s’avère complexe, tout comme l’appréciation du niveau de ressources. Pour autant, accueillir des étudiants dont les familles ne paient pas d’impôts en France représente une charge supplémentaire pour la France. Ce débat est donc nécessaire. Il devra être serein, et ne pas exagérer l’afflux de devises que cette éventualité pourrait générer. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas faire un avantage de nos droits d’inscription, historiquement peu élevés ? Profitons-en pour accueillir des étudiants asiatiques ou africains, doués mais disposant de peu de ressources familiales, et qui, de fait, seraient susceptibles d’être davantage attirés par notre pays que par d’autres ! J’ai envie de retourner le problème et d’en faire un argument en faveur de l’attractivité de notre pays.

Je terminerai mon propos en évoquant les démarches qu’il nous reste à accomplir.

Félicitons-nous des cartes de séjour pluriannuelles et de l’extension d’un an du visa des étudiants après leurs études. Un peu comme les étudiants boursiers, les étudiants étrangers pourront disposer d’une carte leur permettant de rester en France le nombre d’années nécessaires aux études plus un an. En effet, on peut estimer que, en la matière, les étudiants étrangers ont plus de difficultés que les étudiants français.

Félicitons-nous également des convergences entre le ministère de l’intérieur, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et le ministère des affaires étrangères, malgré les différentes contraintes qu’ils rencontrent tous trois.

L’agence Campus France, quant à elle, fait l’objet d’une évaluation par une inspection conjointe, car elle est placée sous une double tutelle : celle du ministère des affaires étrangères et celle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un bilan sera fait à l’issue de cette inspection. Rappelons-nous qu’il s’agit, malgré tout, d’une structure assez récente et que les problèmes que nous constatons tous sont peut-être également dus à la phase de démarrage. Pour autant, si Laurent Fabius et moi-même avons décidé de la soumettre à une inspection, c’est que nous estimions que ces dysfonctionnements étaient très importants. Vous serez naturellement tenus au courant des résultats de cette inspection, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler.

En attendant, je vous remercie de partager l’état d’esprit qui est le nôtre, visant à ouvrir notre pays à la coopération internationale, dont l’impact sur notre économie, mais aussi sur la diffusion de notre culture et sur l’extension de nos réseaux à l’étranger est extrêmement bénéfique. J’insiste sur ce point de progression, car nous savons insuffisamment animer nos réseaux d’alumni, terme un peu barbare pour désigner les anciens étudiants. D’autres pays le font bien plus efficacement que nous. C’est un outil non seulement culturel, qui tend à promouvoir l’universalité, mais également économique, qui peut s’avérer redoutablement efficace. Notre marge de progression en la matière est réelle. Nous avons la volonté de nous améliorer, et cela sera fait au cours de ce quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Tout comme ma collègue Geneviève Fioraso, je suis très heureux de la sérénité des débats de ce soir. Ainsi que j’avais déjà eu l’occasion de le constater à propos d’un texte relatif à la retenue de seize heures, la Haute Assemblée a, sur ces questions, un recul et une capacité à s’abstraire des idées reçues qui lui font honneur.

Je partage le point de vue de Mme Cukierman : les migrations internationales et le rapport de l’individu à la frontière seront l’un des grands sujets du XXIe siècle. Comme sur l’ensemble des grands sujets, il faut oser en débattre sans a priori, ni outrance, mais aussi sans angélisme, ni naïveté ; je rejoins le souhait de M. Capo-Canellas à cet égard.

La France a une position doublement singulière en Europe. D’une part, contrairement à la plupart de ses voisins, notre pays a une démographie favorable ; notre situation, sans être exceptionnelle, est enviable, surtout par comparaison avec l’Allemagne, l’Italie ou même les pays d’Europe du Nord. D’autre part, nous faisons face à une crise qui pèse lourdement sur la situation de l’emploi. Dans ce contexte, comme l’a souligné M. Chevènement, je ne pense pas que nous puissions augmenter sensiblement les flux réguliers d’immigration. En revanche, ma collègue Geneviève Fioraso l’a rappelé, nous devons savoir répondre aux besoins de notre économie et à l’impératif de rayonnement de notre pays dans le monde.

Débattre est utile, mais cela ne suffit pas : il faut agir. À cet égard, je vous proposerai trois grands temps.

À court terme, nous nous engageons à mettre en place par voie de circulaire ou de décret certaines des orientations que vous avez souhaitées. Qu’il s’agisse de la pluriannualité du titre de séjour étudiant, à laquelle Mme Bariza Khiari a fait référence, de la sélection des étudiants, de l’autorisation de travail ou de l’accueil en préfecture, tout ce qui pourra être traité par voie réglementaire le sera. Oui, madame Gillot, il faut mettre fin au cauchemar annuel du renouvellement des titres de séjour !

Nous pouvons d’ores et déjà aller vers une plus grande pluriannualité des titres de séjour étudiant ; MM. Kerdraon et Leconte se sont également exprimés en ce sens. Nous pouvons améliorer l’accueil des étrangers en préfecture, en généralisant la prise de rendez-vous par internet, comme le propose Mme Khiari, et en rapprochant les préfectures des campus universitaires. Nous pouvons définir une stratégie d’accueil des étudiants basée sur l’excellence et le rayonnement. Cela impliquera sans doute de responsabiliser les universités dans leurs stratégies de développement international et dans leur recrutement, et de mieux cerner et évaluer l’action de Campus France. Vous avez été nombreux – je pense à M. Chevènement, à M. Leconte ou à Mme Benbassa – à évoquer le caractère parfois inadapté de cet outil.

Toujours à court terme, nous devons aussi réfléchir à l’évolution de nos outils d’immigration professionnelle. Le foisonnement de normes et de dispositifs rend notre système peu lisible. Mes services agiront de concert avec le ministère du travail pour définir un cadre plus efficace et plus réactif, qui protège le marché de l’emploi, comme l’a évoqué M. Chevènement, sans dissuader les arrivées de ceux qui peuvent contribuer à la croissance et au rayonnement de notre pays ; Mme Khiari ou M. Capo-Canellas y ont fait référence.

À moyen terme, il nous faudra faire évoluer notre cadre légal. Les travaux de ce jour, le rapport que M. Matthias Fekl va nous remettre à la demande du Premier ministre et les différentes missions d’inspection que j’ai diligentées serviront de base à un projet de loi que je souhaite pouvoir déposer à l’été. Mes objectifs seront assez simples.

Premièrement, il s’agira de généraliser le titre de séjour pluriannuel non seulement pour faciliter l’intégration de tous les étrangers nouvellement arrivés, et pas uniquement des étudiants,…

M. Manuel Valls, ministre. … mais également pour améliorer l’accueil en préfecture en allégeant leurs tâches et en centrant leurs missions sur la lutte contre la fraude.

Deuxièmement, il conviendra de refondre nos titres de séjour pour rendre notre droit en la matière plus lisible et moins décourageant pour les talents étrangers. Oui, il faut aller vers un moins grand éparpillement de nos titres de séjour !

Troisièmement, il faudra renforcer nos dispositifs de lutte contre l’immigration irrégulière, dans le respect des droits.

Ce projet de loi ne doit pas être l’occasion d’un grand déballage sur toutes les problématiques d’immigration – parfois, nous aimons bien les « cathédrales législatives » –, qui risquerait de susciter des passions inutiles dans le contexte actuel. En revanche, il devra permettre de répondre aux préoccupations concrètes que vous avez évoquées les uns et les autres.

Avec ce texte, nous tirerons un trait définitif sur la circulaire Guéant, en facilitant le changement de statut des étudiants les plus talentueux. Si nous sommes suffisamment sélectifs, nous pourrons considérablement favoriser l’usage de ce droit, en laissant à l’étudiant le temps nécessaire pour trouver un emploi correspondant à ses qualifications et en supprimant certaines conditions restrictives posées par la loi.

Sur ces axes, je pense que nous pourrons travailler ensemble à une réforme d’équilibre, durable et responsable. Pour ma part, je souhaiterais que nous parvenions au consensus le plus large possible sur ces questions. Peut-être faudra-t-il commencer par soumettre le texte au Sénat, qui pourra ainsi montrer l’exemple…

À plus long terme, nous devrons également prolonger la réflexion sur les questions migratoires, en conciliant deux objectifs : la lutte contre l’immigration irrégulière – je serai évidemment ferme à cet égard – et l’attractivité du territoire. Les questions d’immigration sont intimement liées à l’inscription actuelle et future de notre pays dans la mondialisation. Comme je le soulignais voilà un instant, si nous nous fermons aux migrations qualifiées, nous serons demain marginalisés par rapport à tous les grands États ; je pense aux États-Unis, à l’Allemagne, aux pays scandinaves ou au Royaume-Uni. Je le répète, la France ne doit pas être à la traîne.

Dans le même temps, nous devons faire preuve de pédagogie. Avec la crise économique que nous connaissons, il y a des peurs. Parfois, par souci de générosité, nous les oublions, et le message ne passe alors pas. Nos concitoyens nous jugeraient très sévèrement si l’immigration devenait incontrôlée.

Nous avons besoin d’un outil interministériel qui nous permette d’adapter en temps réel le contrôle des flux migratoires, indispensables, et la définition d’une stratégie d’attractivité pour les migrations d’excellence. Nous avons besoin que cet outil, ce nouveau comité interministériel, élabore des statistiques plus stables, plus riches, plus exhaustives pour éclairer la représentation nationale ; c’est ce que vous souhaitez à juste titre, madame Khiari, vous qui connaissez bien ces questions. Nous avons besoin que le comité s’appuie sur des travaux d’experts et de chercheurs – nous consulterons ainsi Mme Benbassa – pour mieux évaluer les effets macroéconomiques de nos flux migratoires. Je proposerai au Premier ministre de refonder rapidement le Comité interministériel de contrôle de l’immigration, pour en faire cet outil qui mette nos flux migratoires au service de notre compétitivité et de notre rayonnement.

Il nous faudra également – c’est essentiel, mais c’est un travail de longue haleine – dynamiser l’accueil des migrants légaux. Comme l’a souligné M. Reichardt, la France se caractérise par une immigration duale sur le marché du travail.

D’un côté, il y a une immigration professionnelle, limitée en nombre. Ce sont des migrants qui ont des compétences rares et prisées sur le marché du travail français et qui sont employés dans le respect de notre droit du travail. De l’autre, il y a une immigration essentiellement familiale, qui a accès au marché du travail.

Il convient donc, me semble-t-il, de densifier notre dispositif d’intégration par un meilleur lien avec la formation professionnelle et l’insertion sociale. Actuellement, 60 % de ces migrants familiaux ont un niveau égal ou inférieur au baccalauréat et 62 % de ceux qui s’inscrivent à Pôle emploi n’ont pas trouvé d’emploi après six mois d’inscription.

Le dispositif ne permet donc pas l’insertion rapide de ces primo-arrivants sur le marché du travail. C’est un élément dommageable, y compris pour l’intégration, notamment dans un certain nombre de quartiers, qui sont devenus de véritables ghettos urbains ou sociaux, voire ethniques. Il nous faudra réfléchir avec Michel Sapin aux moyens à mettre en œuvre pour dynamiser ce processus. Une inspection a été lancée pour faire le bilan de notre politique d’accueil. Nous devrons en tirer rapidement les conséquences.

J’ai noté dans certaines de vos interventions, par exemple dans celle de Mme Khiari, une interrogation sur le sort des emplois réservés aux nationaux. Comme cela a été rappelé, des travaux ont déjà été conduits au sein de la Haute Assemblée. Des questions nouvelles se posent, notamment dans la fonction publique. Elles sont parfois iconoclastes, mais elles méritent sans doute une étude attentive, en concertation avec les différents acteurs qui ont été mentionnés et les partenaires sociaux. Bien entendu, le Sénat devra, compte tenu du travail fourni, y être étroitement associé.

Enfin, il faut le souligner, certains employeurs sans scrupules contournent les règles applicables pour pouvoir utiliser des étrangers sans titre ou des travailleurs communautaires faussement détachés. Face à cela, il faut agir avec fermeté. Un nouveau plan national de lutte contre le travail illégal a été adopté. Il prévoit des contrôles renforcés et des sanctions exemplaires contre ces employeurs. Cela n’exclut d’ailleurs pas des possibilités de régularisation au cas par cas de certains travailleurs étrangers, dans les conditions prévues par la circulaire du 28 novembre dernier ; Mme Cukierman a abordé le sujet. La circulaire prévoit des critères stricts, exigeants, mais aussi uniformes, transparents et pérennes pour les étrangers en situation irrégulière.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le débat d’aujourd'hui n’est qu’une étape indispensable dans une refondation, que je souhaite à la fois ambitieuse et réaliste, de notre politique migratoire. Nous devons regarder les flux migratoires en face et comprendre qu’une immigration maîtrisée, intelligente et contrôlée peut être un vecteur non seulement de rayonnement et de croissance, mais aussi d’apaisement pour notre société.

Aucune politique publique ne peut se résumer aux clivages artificiels et aux postures, on peut en tout cas l’espérer. Le débat a démontré que l’on pouvait discuter des questions d’immigration dans un cadre apaisé ; la Haute Assemblée sait se saisir de telles questions et être à la hauteur des enjeux.

Grâce à la qualité de vos interventions, que je veux saluer, et à l’implication toute particulière de ma collègue Geneviève Fioraso, que je remercie une nouvelle fois, le débat de ce soir constitue un encouragement à refaire de la France ce pôle d’attractivité et de rayonnement qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’immigration étudiante et professionnelle.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 25 avril 2013 :

À neuf heures trente :

1. Débat sur la loi pénitentiaire.

À quinze heures :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

À seize heures quinze :

3. Débat sur la politique européenne de la pêche.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le jeudi 25 avril 2013, à zéro heure trente.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART