M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe soulève des enjeux considérables, tant sur le plan social que sur le plan environnemental.

Cela explique sans doute qu’il s’apparente, si vous me permettez cette expression, à un véritable serpent de mer. La réforme de la PCP est en effet attendue depuis de nombreuses années, mais ce n’est que cette année qu’elle est entrée dans ce qui devrait être la phase ultime de sa discussion.

Le Parlement européen s’est prononcé sur l’essentiel des propositions de la Commission, qui font désormais l’objet de discussions entre cette dernière et le Conseil des ministres ; je pense notamment au règlement qui constitue l’armature de la réforme et au texte visant à réorganiser le marché commun de la pêche.

Les nouvelles dispositions concernant le Fonds européen pour la pêche et son financement seront quant à elles étudiées ultérieurement.

La position des écologistes sur ce dossier est connue de tous, quoiqu’elle soit peut-être moins caricaturale que certains l’ont laissé entendre. Notre position s’explique par un chiffre, que nous nous accordons tous et toutes à trouver alarmant : en Europe, 88 % des stocks de poisson sont surexploités. Autrement dit, c’est bien à un pillage des océans que nous assistons.

L’ancienne PCP a échoué. Elle n’a pas permis de gérer correctement les ressources halieutiques, ce qui met en péril la biodiversité marine et la bonne alimentation mondiale, mais aussi les pêcheurs eux-mêmes. Ce secteur est aujourd’hui en déclin en raison de la baisse du nombre des emplois comme des rémunérations. Toutes ces dimensions sont liées, et la situation nous invite à changer radicalement de cap.

Les règles doivent donc évoluer. Elles devront naturellement être déterminées avec tous les pêcheurs – les gros comme les plus petits – pour aller dans le sens d’une gestion durable de la ressource. Cela suppose plusieurs changements structurels qui ne vont pas de soi.

Tout d'abord, les critères d’accès au droit de pêche doivent se fonder sur une économie de la ressource et donner lieu à une contrepartie, à savoir le renouvellement assuré des stocks.

Ensuite, nous devons mettre en place des plans de gestion à long terme basés sur une approche écosystémique, ce qui implique évidemment de collecter des données scientifiques pour établir les fondements d’une gestion durable.

C’est à une pêche de qualité, et donc à une petite pêche, à une pêche artisanale, que la priorité doit désormais être donnée. Les capacités de flotte doivent être proportionnées aux ressources disponibles, et les flottilles doivent être adaptées techniquement à ces nouvelles contraintes.

Nous devons également réfléchir à la mise en place d’une gestion décentralisée et régionalisée de la PCP et de ses moyens, tout en renforçant les mesures de lutte contre la pêche illégale.

À ce stade, je veux rappeler les points centraux défendus par les écologistes.

Les concessions de pêche transférables, CPT, que la Commission européenne souhaitait imposer constituaient notre principal point d’achoppement avec ses propositions initiales. Il s’agissait de pouvoir échanger des droits de pêche sur un marché, dans une logique proche de celle qui prévaut sur le marché du carbone, dont on voit, hélas ! les limites aujourd’hui. Ce système aurait été nuisible à l’exploitation durable des ressources halieutiques, en conduisant à concentrer les droits de pêche au profit de quelques-uns, au détriment de la pêche artisanale. Nous nous félicitons donc que le Parlement européen l’ait rejeté, en renvoyant aux États le soin d’attribuer les droits de pêche selon les modalités qu’ils choisiront.

Monsieur le ministre, j’espère que la France veillera à ce que cette avancée ne soit pas remise en cause lors des ultimes négociations. Je rappelle d’ailleurs que le Sénat, anticipant la réforme, avait adopté dès le 16 juillet 2010 une résolution critiquant les positions prises, en particulier sur ce point précis, par la Commission dans le Livre vert de 2009.

Certaines propositions formulées par les États constituent un autre point d’achoppement pour les écologistes. Je pense notamment à la question de l’interdiction des rejets en mer, qui est un élément central de la réforme initiée par la Commission européenne et que le Parlement européen a soutenue et même renforcée.

Cette mesure reviendrait à interdire purement et simplement les rejets, obligeant les navires de pêche à ramener à terre toutes les quantités pêchées, y compris les poissons aujourd'hui rejetés à l’eau faute de correspondre aux critères de taille et d’espèce – poissons qui, de manière générale, ne survivent de toute façon pas.

Plusieurs gouvernements se montrent opposés à cette interdiction. Les parlementaires écologistes français et européens sont en désaccord avec la position du gouvernement français. À dire vrai, nous souhaiterions même aller plus loin que la proposition actuelle, en couplant cette interdiction des rejets en mer avec l’obligation de déduire des quotas tous les poissons débarqués.

Nous sommes conscients que cette approche suppose que les pêcheurs soient incités à ne pas pêcher les espèces marines indésirables et protégées, par exemple en utilisant des engins plus sélectifs, mais aussi que soient adoptées des mesures propres à éviter la création d’un marché parallèle pour les prises dites accessoires et la pêche illégale.

La mise en œuvre de nos préconisations nécessiterait évidemment des moyens importants, afin d’attribuer des aides à la modernisation des flottilles et même à la mise en place de dispositifs de recherche et de développement renforcés.

Dans la conjoncture actuelle, c’est un des arguments avancés pour repousser cette proposition essentielle. Le manque de moyens n’est pourtant pas nouveau, et il ne doit rien à la conjoncture. Le Fonds européen pour la pêche n’était doté que de 4,3 milliards d’euros pour la période 2007-2013. Cette somme n’est certes pas anodine, mais elle paraît bien insuffisante au regard des enjeux.

Si nous voulons aider les pêcheurs à protéger la ressource, nous devons consentir à renforcer le Fonds européen pour la pêche dans le nouveau cadre financier pluriannuel, en insistant sur les dimensions de modernisation, de réduction et de capacité sélective des flottes européennes.

À ce titre, monsieur le ministre, il serait bon que vous nous éclairiez sur l’avancée des discussions budgétaires entre le Conseil et le Parlement européens, ainsi que sur les montants envisagés à ce stade pour financer la prochaine PCP.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’évoquais en introduction un serpent de mer que nous avions bien du mal à attraper, et c’est avec lui que je conclurai.

Une politique adaptée aux enjeux telle que celle que je viens de mettre en avant appartient à une espèce précieuse. Nous ne pouvons partir à sa recherche sans outils adaptés, car nous nous condamnerions à manquer notre cible, à constater qu’elle ne fait pas la maille, à devoir y renoncer alors que les enjeux sont considérables. Faisons en sorte que l’Europe, ses pêcheurs et ses citoyens ne reviennent pas bredouilles d’une quête qui n’a que trop duré. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Marcel-Pierre Cléach.

M. Marcel-Pierre Cléach. Monsieur le ministre, je suis très heureux de vous retrouver au banc du Gouvernement. Je salue l’ancien collègue, à qui je suis tenté de dire qu’il y a loin du logement social au cabillaud et à l’omble chevalier ! (Sourires.)

La pêche est une activité essentielle, un acte fondamental de subsistance, aux côtés de l’agriculture et de la chasse. Elle est aussi ancienne que l’humanité. Elle représente 20 % de l’apport en protéines animales de la population mondiale et en est la principale source pour un milliard d’êtres humains, essentiellement dans l’hémisphère Sud.

La pêche constitue également un prélèvement considérable sur la production vivante de notre planète. Le prélèvement sur les stocks sauvages pose directement la question de la durabilité. Or, sur une planète couverte à 70 % d’océans, l’homme est arrivé à la limite de son exploitation. Nous sommes donc contraints d’organiser la gestion des océans, richesse de l’humanité dont on commence à percevoir, bien tardivement, le caractère précieux et irremplaçable.

Nous sommes d’autant plus contraints de nous intéresser à ces enjeux que les pêcheries maritimes sont globalement en crise.

Les questions posées par la gestion des pêches n’ont pas qu’une dimension mondiale. Elles se posent bien évidemment aux niveaux français et européen. La PCP a été créée en 1983, à l’issue d’une négociation entre la Commission européenne et les États membres.

Cette politique s’appuie sur les rapports des scientifiques spécialisés, la pêche étant l’un des secteurs les plus gouvernés par la science. En effet, sur quoi fonder une décision de gestion, sinon sur des données scientifiques ? Et qui peut prendre une décision publique, sinon les représentants élus en charge de l’intérêt général ?

La pêche est la dernière activité de chasse-cueillette dans la nature sauvage. Ce fut longtemps une activité sans frein, les hommes prélevant autant que possible dans la mesure où la ressource paraissait infinie. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Dans plusieurs régions, les stocks semblent avoir été exploités au-delà du raisonnable, ce qui met en danger certaines espèces et même la biodiversité marine, ainsi que l’ont récemment rappelé, dans un livre intitulé Mange tes méduses !, Philippe Cury et Daniel Pauly, deux des plus grands chercheurs français en la matière.

En effet, petits poissons et méduses se mangent mutuellement à l’état de larves. En temps normal, cela permet la régulation de la population des méduses. Cependant, en cas de surpêche, la disparition des espèces pélagiques entraîne une augmentation du nombre de petits poissons et de méduses. Leur prolifération empêche le renouvellement des réserves halieutiques, menaçant ainsi la pêche. C’est le cas dans la mer du Japon, dans la mer Noire et dans la Méditerranée, où 92 % des espèces sont surexploitées, la survie du thon rouge ne tenant qu’à l’application rigoureuse des mesures de limitation des captures édictées par la Commission européenne.

Cette situation gravissime de l’état des stocks halieutiques n’est pas discutée. Les rapports annuels du CIEM, le Conseil international pour l’exploration de la mer, les rapports de la FAO, le dernier rapport de la Cour des comptes européenne soulignent que la politique commune de la pêche, non seulement n’a pas donné les résultats escomptés, mais s’est même traduite par un échec, malgré certaines améliorations constatées sur plusieurs stocks, à savoir là où les limitations de captures ont été observées et où la pêche a été organisée et appliquée par les pêcheurs eux-mêmes, pour la langoustine par exemple.

Ainsi la Cour européenne regrette-t-elle les faiblesses affectant la fixation des objectifs pour l’Espagne, la Pologne, le Portugal et le Royaume-Uni, ainsi que le financement européen de certains équipements des navires, qui aboutissent en fait à faciliter et à augmenter les captures.

En outre, elle déplore les faiblesses affectant la conception et la mise en œuvre des programmes de déclassement des navires ainsi que les insuffisances, voire les omissions, des rapports annuels des États membres qui ne permettent pas aux organisations européennes d’instaurer un équilibre amélioré entre la capacité de pêche et les possibilités offertes par l’état des stocks.

La Cour souligne à plusieurs reprises que la surcapacité de la flotte de pêche européenne reste une des causes principales de l’échec de la PCP en ce qui concerne la viabilité des activités de pêche. De plus, elle émet une série de recommandations tendant à la mise en place de mesures plus fermes pour rechercher un meilleur équilibre entre capacités et possibilités.

Le rapport Poséidon, document incontestable établi par le secrétariat général de la mer, concluait déjà en 2006 que seul le passage à la gestion durable permettrait la rentabilité et induirait un climat européen rasséréné. À cet égard était pointée la nécessité « d’équilibrer la flotte par rapport aux ressources exploitées, de la faire évoluer techniquement vers l’utilisation d’engins plus sélectifs, vers plus de sécurité, et d’améliorer l’encadrement de l’accès aux pêcheries ».

Les difficultés de la pêche française sont connues : elle fournit à peine 15 % de la consommation nationale, perd des navires et des emplois chaque année, et, du fait de sa spécialisation chalutière, elle est beaucoup plus vulnérable face à la hausse du coût de l’énergie et à la volonté d’accroître la sélectivité.

En situation de crise, les pêcheurs, qui ont constaté le retour du cabillaud dans l’Atlantique Nord-Est, sont de moins en moins enclins à comprendre et à accepter les dernières dispositions de la PCP, notamment en ce qui concerne l’interdiction des rejets, le cap de 2015 pour atteindre le rendement maximum durable et l’expérimentation, abandonnée depuis, des quotas transférables.

Ils y sont d’autant moins disposés qu’ils ont, en outre, l’impression que tous les pays européens ne sont pas aussi respectueux que la France des règles en vigueur. En effet, ils se trouvent souvent concurrencés sur les lieux de pêche par des « navires fantômes ».

Il n’en reste pas moins que la pérennité de leurs activités dépend de la durabilité des stocks halieutiques et que ceux-ci sont en grand danger. Ils le savent bien, d’ailleurs, car ils le constatent à chaque campagne de pêche. Mais ils ont aussi observé que les mesures de restriction ou de fermeture de certaines pêcheries ont permis, dans certaines zones, la reconstitution de stocks.

Les représentants des pêcheurs participent à toutes les concertations et discussions européennes et nationales. Ils ont appris à travailler avec les scientifiques de l’IRD, l’Institut de recherche pour le développement, et de l’IFREMER, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, pressentant qu’il n’y a guère d’autres choix que d’accepter la plupart des mesures préconisées par les scientifiques spécialisés et mises en œuvre par les autorités européennes et nationales.

Il leur appartient, ainsi qu’aux autorités nationales, de faire envers eux œuvre de pédagogie et de définir ensemble les mesures applicables aux différentes pêcheries, les spécificités à prendre en compte, les délais à retenir et les financements à mettre en place pour sauver l’un des plus beaux métiers du monde. Il s’agit d’une tâche difficile, mais rien ne serait pire qu’une attitude de contestation systématique et qu’une politique de l’autruche ou d’atermoiements.

Les pêcheurs doivent être considérés et leur expérience prise en compte ; les scientifiques doivent être entendus et les représentants professionnels écoutés, mais le politique, en charge de l’intérêt général, lequel dépasse ici notre seul territoire pour rejoindre une donnée essentielle du système terre, devra prendre les décisions courageuses mais nécessaires à la survie de nos pêcheries et donc des populations qui en vivent.

Comme vous le savez, le Parlement européen a adopté, le 6 février dernier, par 502 voix pour, 137 voix contre et 27 abstentions, les fondements d’une politique commune de la pêche à même de lutter contre la surpêche et de réguler les stocks halieutiques.

Les députés européens ont posé en principe qu’il ne fallait plus outrepasser les quotas au-delà desquels les stocks de poissons ne peuvent se reconstituer, mais qu’il fallait, au contraire, respecter les rendements maximum durables. Ils ont voté l’interdiction des rejets et donc revu à la baisse les quotas de pêche à partir de 2015, afin d’atteindre un niveau de renouvellement au-delà du RMD dès 2020.

Les eurodéputés français socialistes et UMP ont voté contre ces dispositions, conformément d’ailleurs à la position du Gouvernement et aux souhaits de plusieurs de mes éminents collègues qui connaissent bien les problèmes de la pêche française et qui ont fait partager au Sénat leurs convictions, exprimées dans une résolution adoptée le 3 juillet 2012.

Cette dernière tend à souligner l’insuffisance des connaissances scientifiques, moins de la moitié des stocks européens ayant fait l’objet d’une étude et d’un diagnostic, pour s’opposer à l’interdiction des rejets et à la mise en place, même à titre expérimental, des concessions de pêche transférables. Cependant, la légitimité de la démarche tendant à atteindre les RMD y est reconnue, sous réserve que plus de temps soit laissé aux opérateurs. Par ailleurs, la prise en compte de l’aquaculture dans la PCP est à juste titre saluée.

Enfin, la résolution préconise, concernant la connaissance des stocks halieutiques, une co-expertise entre scientifiques et professionnels, proposition qui figurait d’ailleurs dans le rapport que j’avais fait en 2008 pour le compte l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et que j’avais intitulé Marée amère – déjà !

L’ensemble de ces propositions figurent également dans l’avis de notre excellent collègue Gérard Le Cam, rendu au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, le 22 novembre 2012, dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2013. Il y évoque la brutalité des mesures européennes, la concurrence déloyale qui sévit sur les mers et la variabilité annuelle des quotas, qui empêche toute prévision.

Il y a donc une position française constante qui rassemble les professionnels, les parlementaires et les ministres successifs. C’est un peu, malgré quelques évolutions, le front du refus !

Sans doute cela part-il de louables intentions – préserver l’industrie de la pêche, le travail des pêcheurs et, partant, l’économie de nos zones côtières, ainsi que le savoir-faire français en la matière –, mais est-ce vraiment rendre service au monde de la pêche que de vouloir ignorer la réalité pour gagner du temps ? Pour ma part, je ne le crois pas, car ce sont les arguments des scientifiques, regroupés au sein de l’Association française d’halieutique et, surtout, du CIEM, qui ont servi de base aux propositions de la commissaire chargée de la pêche adoptées par le Parlement.

Ces scientifiques, tout en soulignant l’indispensable poursuite de la maîtrise des prélèvements, constatent d’ailleurs les quelques progrès enregistrés et saluent les efforts réalisés. Ainsi, ils rappellent que la pression de la pêche a diminué de manière significative pour plusieurs grands stocks européens. Dans l’Atlantique, l’objectif d’un effort de pêche conforme au RMD est désormais atteint pour 50 % des stocks ayant fait l’objet d’une évaluation complète, preuve qu’une gestion rigoureuse permet d’atteindre les objectifs fixés.

M. Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes. Bien sûr !

M. Marcel-Pierre Cléach. Mais la situation reste fragile : la baisse de la pression de pêche ne s’est pas encore traduite par une augmentation équivalente des stocks. D’ailleurs, la moitié des captures européennes proviennent de stocks n’ayant pas encore été évalués.

En s’appuyant sur ces avis, la Commission européenne propose une augmentation des quotas pour 2013 pour seize stocks et une diminution ou un maintien pour quarante-sept autres. Cet objectif traduit bien la situation actuelle : les stocks restent fragiles, et il importe de poursuivre dans la durée la baisse de la pression de pêche.

À l’occasion de l’établissement de mon rapport sur l’état des ressources dans le monde, j’ai pu rencontrer les plus grands chercheurs spécialisés en halieutique, en France, aux États-Unis, au Canada, au Chili, au Pérou, dans les pays scandinaves.

J’ai étudié leurs travaux, appréciant leur sincérité et leur désintéressement. Sachez, mes chers collègues, que leurs conclusions sont absolument unanimes sur la fragilité extrême des pêcheries dans le monde entier et sur l’urgence qu’il y a à mettre en œuvre une politique de long terme, malgré les difficultés, que je n’occulte pas, qu’une telle politique entraîne sur le court terme.

J’ai constaté les conséquences pour l’Est canadien de la disparition totale du hareng et de la morue : pour la morue 810 000 tonnes pêchées en 1968, puis effondrement total et fermeture de la pêche en 1992 ; pour le hareng, 1 000 000 de tonnes pêchées avant la Première Guerre mondiale, puis effondrement et fermeture de la pêche en 1970.

En Namibie, dans la zone océanique côtière du Nord-Benguela, on pêchait 1 500 000 tonnes de sardines en 1960. La dernière campagne scientifique d’évaluation de 2007 n’a compté que deux sardines dans tout l’écosystème de la zone !

M. Jean Desessard. C’est significatif !

M. Marcel-Pierre Cléach. Hélas, oui ! Les stocks halieutiques sont en détérioration continue. L’acidification des océans et la pollution s’ajoutent à la surpêche pour nous conduire à une situation qu’il ne sera bientôt plus possible de redresser.

Je n’ignore pas les difficultés qui frappent les flottes françaises, la dureté du métier de pêcheur, les angoisses des familles. Je mesure non seulement l’importance du maintien de l’activité de pêche pour nos territoires côtiers, mais aussi la difficulté, voire le sentiment d’indécence, que ressentent les responsables politiques à demander des efforts supplémentaires à une profession traversée par des crises récurrentes.

Néanmoins, j’ai acquis la conviction que seule une politique de vérité et de long terme autorisera la restauration des stocks halieutiques d’ici à 2020, voire au-delà, et, partant, la renaissance économique et sociale du secteur.

Les décisions du Parlement européen vont dans ce sens, et je souhaite que les responsables français, vous, mes chers collègues élus des régions côtières, vous, monsieur le ministre, trouviez les chemins des négociations et des adaptations nécessaires pour pouvoir appliquer, dans le temps, progressivement, en prenant les mesures d’accompagnement et de soutien adéquates, les régulations qui permettront à tous les acteurs de la pêche non seulement de sauver leur métier, mais aussi de participer à notre avenir commun. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.

Mme Frédérique Espagnac. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je placerai mon intervention sous l’angle particulier des difficultés rencontrées par la pêche artisanale française, notamment dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques.

Le 6 février dernier, le Parlement européen a arrêté sa position sur la politique européenne de la pêche pour la période 2014-2020.

À une très large majorité – 502 voix pour, 137 contre –, les députés européens ont réaffirmé leur volonté de changer radicalement la politique actuelle pour une politique qui doit « empêcher, réduire au minimum et éliminer dans toute la mesure du possible les captures indésirées ».

Ils ont par ailleurs souhaité promouvoir tant « une répartition équitable des ressources marines afin de contribuer à garantir un niveau de vie équitable et le respect de normes sociales aux personnes qui sont tributaires des activités de pêche » que « les activités de pêche côtière à petite échelle ».

Sur le plan de la gouvernance, ils ont souligné la nécessité de l’adoption d’une approche décentralisée et régionale en matière de gestion des pêches et de l’implication des parties prenantes, en particulier les conseils consultatifs et les partenaires sociaux, à toutes les étapes, de la conception à la mise en œuvre des mesures.

Dans le même temps, nos collègues socialistes au Parlement européen, particulièrement notre collègue Isabelle Thomas, qui mène avec talent un important travail pour la préservation de la pêche artisanale – qu’elle en soit remerciée ! –, tentaient d’aller plus loin en proposant notamment d’ajouter une classification propre aux micro, petites et moyennes entreprises, ainsi que le critère du patron dit « embarqué ».

Monsieur le ministre, ne nous y trompons pas, le nombre élevé d’embarcations impliquées, la grande diversité des techniques de pêche comme celle des pêcheries posent des exigences et des défis considérables à la petite pêche en termes de gestion.

Nous devrons aussi impulser l’élaboration d’un programme communautaire d’appui à la pêche artisanale par l’articulation de divers instruments, notamment sur le plan financier, qui viseront à donner une réponse aux problèmes spécifiques de ce segment en s’appuyant sur une gestion durable et de proximité des pêcheries impliquées.

Prenons garde également à garantir l’accès de ces mesures au plus grand nombre et pas seulement aux armateurs les plus puissants. En effet, nous savons que, pour les représentants de la pêche artisanale, l’accès aux documents n’est pas simple et l’information relative au partage des quotas presque impossible à obtenir.

Ne nous leurrons pas : compte tenu des fragilités et de la vulnérabilité accrue, ces dernières années, de la pêche traditionnelle dans notre pays, cette activité se trouve encore plus exposée à certains types d’impacts extérieurs ou à des modifications subites de la disponibilité des ressources que les flottes dites plus compétitives.

C’est pourquoi il est impératif de créer des mécanismes spécifiques d’appui, actionnables rapidement dans des situations d’urgence telles que les catastrophes naturelles ou l’augmentation subite du prix des combustibles.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, entendons enfin leurs demandes : il est grand temps de placer les acteurs d’une pêche artisanale, durable et à faible impact, au cœur de l’avenir des politiques européennes. Accordons enfin le droit de pêcher à ceux qui ont la pratique la plus durable ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste.

M. Maurice Antiste. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la politique européenne de la pêche est l’occasion pour moi de rappeler l’extrême importance de ce secteur d’activité en Europe et, plus encore, dans nos territoires d’outre-mer.

La France est le second pays au monde, en termes de surface maritime, avec près de 11 035 000 kilomètres carrés, juste derrière les États-Unis, avec leurs 11 351 000 kilomètres carrés : elle doit cet important espace maritime à la diversité géographique de ses départements et collectivités d’outre-mer.

Monsieur le ministre, vous connaissez tout mon intérêt pour les questions européennes relatives à ce sujet, les décisions prises ayant inévitablement et invariablement des conséquences importantes pour le secteur dans les DOM, l’application de la réglementation communautaire de la pêche mettant parfois nos marins-pêcheurs professionnels en difficulté.

Nous savons tous que la politique commune de la pêche, la PCP, est une des politiques les plus intégrées de l’Union européenne, puisqu’elle constitue même, pour partie, une compétence exclusive de l’Union.

Il n’est pas question pour moi de remettre en cause les objectifs de la PCP, construite autour de la notion de rendement maximal durable, belle synthèse entre la nécessité de préserver les ressources halieutiques et l’activité des pêcheurs.

D’ailleurs, les diverses révisions de cette politique européenne ont permis aux États membres de prendre conscience de la gravité de la situation et de la nécessité d’une réaction pour contrer les effets néfastes de la politique menée jusqu’alors. L’urgence de la mise en œuvre d’une réforme d’envergure, indispensable pour la survie du secteur, est donc connue.

Cependant, cette réglementation, conçue pour l’ensemble des zones de pêche de l’Union européenne, est inadaptée aux régions ultrapériphériques, les RUP. Pourtant, outre-mer, la pêche est principalement artisanale ; elle représente 20 % des effectifs de marins-pêcheurs français et 35 % de la flotte artisanale nationale, et elle constitue un véritable facteur de lien social.

Deux dispositifs sont particulièrement pénalisants pour les « petits pêcheurs » : l’un relatif au temps de travail, l’autre à l’aide aux constructions navales.

Concernant le temps de travail, l’articulation entre la législation nationale sur la durée du travail et la législation européenne sur les temps de marée, c’est-à-dire de pêche en mer, est difficile et parfois contradictoire.

La réglementation est rendue plus complexe encore dans les DOM par le fait que l’accord collectif du 28 mars 2001 sur la pêche artisanale et l’armement coopératif, qui permet de comptabiliser le temps de travail en jours de pêche plutôt qu’en heures de travail, ne s’y applique pas, exception faite de Mayotte. Les différents niveaux de réglementation atteignent une telle complexité qu’il est impossible de s’y retrouver.

Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour établir une plus grande clarté.

Le deuxième sujet concerne l’aide aux constructions navales. La réglementation sur ce point est à la fois fluctuante et inadaptée. L’actuel Fonds européen pour la pêche interdit toute aide publique à la construction de bateaux de pêche. Or la situation des DOM présente des caractéristiques spécifiques : le difficile accès au secteur bancaire pour la modernisation de la flotte, les surcoûts quotidiens de production liés à l’éloignement, les dégâts provoqués par la pollution au chlordécone constituent autant de sérieux handicaps au développement de la filière.

Cette réglementation, logique dans un cadre strictement européen, n’est pas adaptée aux DOM, puisque la plupart de nos bateaux de pêche mesurent moins de sept mètres.

La région Martinique, alors qu’elle en a les moyens et qu’elle a mis en place des dispositifs d’aide, est contrainte de respecter cette directive. Cependant, elle accorde des aides à la modernisation ou à la sécurité à bord.

Pour les îles, la pêche est évidemment un atout qui doit être valorisé, car elle est naturellement sélective, donc durable, avec des zones de cantonnement qui permettent de protéger la ressource. Or l’alignement des RUP sur une politique fondée sur les diagnostics des pêches d’Europe continentale et des surcapacités des flottes empêche de saisir les opportunités de développement existant dans les DOM.

La réforme de la PCP et celle du futur Fonds européen pour les activités maritimes et la pêche, le FEAMP, sont l’occasion d’adapter ces règles à la spécificité de nos départements, comme le déclarait la Commission européenne en 2008 lorsqu’elle affirmait, dans sa communication intitulée Les Régions ultrapériphériques : un atout pour l’Europe, qu’« il est nécessaire de soutenir le développement de secteurs porteurs dans lesquels les RUP possèdent des potentiels de spécialisation et des avantages comparatifs forts. […] Les RUP possèdent par ailleurs des ressources halieutiques riches et relativement préservées ».

Dans le cadre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, j’ai été coauteur d’une proposition de résolution européenne visant à obtenir la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises, proposition devenue résolution du Sénat le 3 juillet 2012.

Monsieur le ministre, dans les régions précitées, restaurons l’aide à la construction de navires, maintenons les aides aux investissements à bord des navires du type de celles accordées par le FEP, restaurons les financements publics pour les dispositifs de concentration de poissons, ou DCP, collectifs et mettons en cohérence les politiques et les instruments communautaires – Fonds européen de développement, Fonds européen pour la pêche, accords de partenariat économique... – déployés par bassin.

Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ces réflexions, qui doivent être intégrées dans la future PCP ? Les pêcheurs de nos régions ont besoin de vous ! L’Europe est sourde, et depuis longtemps, à leur cri séculaire. Personnellement, je mène un combat sur ces questions depuis plus de quinze ans ! Aidez nos pêcheurs à avoir envie de vous faire confiance ! Quant à moi, je compte sur vous et je reste à votre disposition pour la suite du combat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Éric Bocquet applaudit également. )

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol.