M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.

Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour ma part, j’ai cosigné très spontanément la proposition de loi de notre collègue Yves Détraigne. L’idée d’instituer une évaluation médicale des conducteurs âgés m’a semblé intéressante, courageuse, et m’a paru répondre à une véritable question. Au-delà d’un certain âge, est-il raisonnable de laisser des conducteurs utiliser leur véhicule sans contrôler leur capacité à le faire ?

Après avoir pris connaissance des débats en commission et des oppositions formulées, je tiens à expliquer ma position.

De nombreuses études françaises et internationales ont été menées sur le thème « Vieillissement et conduite automobile ». Les plus anciennes datent des années quatre-vingt-dix. Elles portent sur les particularités des accidents de la route des personnes âgées, en se focalisant sur la manière dont ces accidents se produisent et en étudiant plus précisément la spécificité des erreurs et des difficultés auxquelles les conducteurs âgés sont sujets, ainsi que les conditions qui expliquent les défaillances identifiées.

Ces études s’appuient sur l’exploitation des données issues du recueil des études détaillées d’accidents, les EDA. Elles permettent la reconstitution et la description du déroulement des accidents afin de détecter et d’identifier les mécanismes générateurs.

Toutes ces études soulignent deux points.

En premier lieu, elles insistent sur le fait que des qualités plus ou moins liées à l’expérience de la vie sont attribuées au conducteur âgé, en particulier la prudence et le respect des règles élémentaires. Cela se traduit par un style de conduite caractérisé par la réduction de la vitesse, la réduction de la distance parcourue et une moindre prise de risques.

En second lieu, elles constatent que le vieillissement peut entraîner des altérations structurelles et fonctionnelles de l’organisme à l’origine de modifications dans le fonctionnement physiologique et psychologique, voire de pathologies, qui retentissent sur les capacités à conduire. Dans ces conditions, des informations mal détectées ou mal intégrées peuvent contribuer à la survenue de situations dangereuses, incompatibles avec une réaction motrice adaptée.

L’examen de différents types d’indicateurs montre une croissance de risques d’être tués ou impliqués dans un accident mortel chez les conducteurs âgés, comparés aux conducteurs d’âge moyen.

J’ai retenu deux études particulièrement significatives.

La première étude se situe dans le cadre d’une évaluation de l’impact sécuritaire des futurs systèmes d’aide à la conduite au sein des véhicules légers.

Une analyse des besoins en information et en assistance des usagers a été entreprise à partir de la lecture des procès-verbaux d’accidents. Un examen spécifique des accidents de conducteurs âgés de 65 ans et plus a permis d’étudier les difficultés qu’ils ont pu rencontrer et de mieux connaître leurs besoins en aide à la conduite.

En agglomération, les besoins des conducteurs âgés ne sont pas très différents de ceux de l’ensemble des conducteurs. En revanche, hors agglomération, leurs besoins en diffèrent significativement.

La différence la plus discriminante provient de la détection transversale. On retrouve la surimplication des accidentés âgés aux intersections. D’autres besoins, comme l’estimation du créneau nécessaire pour s’insérer ou dépasser, sont également surreprésentés dans la population âgée.

Les circonstances des accidents mettent en scène des usagers âgés au comportement lent ou hésitant, qui vont réaliser des manœuvres surprenantes sur la trajectoire d’un autre véhicule, voire des manœuvres aberrantes, telles que le fait de s’arrêter en pleine route ou au milieu d’une intersection pour lire un panneau de signalisation, ou prendre une route ou une autoroute à contresens à la suite d’une erreur de trajet inexplicable.

La seconde étude met l’accent sur les défaillances fonctionnelles et cognitives des conducteurs âgés.

Les auteurs observent un déclin marqué des performances sensorielles – vision périphérique, acuité – et du maintien de la trajectoire du véhicule. Le vieillissement affecte en effet les capacités sensorielles, dégrade la récupération de l’éblouissement, l’accommodation, la sensibilité au contraste, l’acuité...

Le vieillissement a aussi un impact sur la vitesse de traitement des informations, ce qui peut avoir des conséquences importantes sur l’ensemble des opérations motrices et cognitives.

Cette dégradation des fonctions sensorielles et cognitives avec l’âge est en relation avec celle des niveaux de vigilance et des processus attentionnels.

Cette constatation s’explique en grande partie par une modification du rythme circadien veille-sommeil et des altérations du sommeil. Les médecins ici présents apprécieront... (Sourires.)

Que concluent les auteurs de ces études et analyses ?

« La participation croissante des seniors aux différents trafics soulève de multiples interrogations en termes de sécurité routière, de contrôle des capacités des conducteurs âgés, d’adaptation des véhicules, de cohabitation sur la route des générations aux types de conduite différents.

« Les conducteurs âgés [...] doivent être pris en compte de manière spécifique en matière de mobilité de sécurité. »

Mes chers collègues, c’est l’objectif premier de cette proposition de loi.

Il n’est aucunement question de stigmatiser ou de discriminer les conducteurs âgés. Il s’agit de prendre en compte une réalité largement démontrée. Il n’est pas question non plus d’interdire purement et simplement à toute personne âgée de conduire.

Il s’agit d’un examen d’aptitude à la conduite à partir de 70 ans, réalisé par un médecin agréé par la préfecture et renouvelable tous les cinq ans. Ce dispositif souple et encadré devrait permettre d’éviter des accidents dus à des inaptitudes pas toujours discernées, ni par la personne concernée ni par sa famille.

Je sais que ce texte est contesté par certains d’entre nous.

Mme Muguette Dini. Cependant, je suis sûre que, d’une manière ou d’une autre, à l’instar d’un certain nombre de pays d’Europe, nous devrons de nouveau nous pencher sur cette question. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe CRC soutiendra la motion tendant au renvoi de ce texte en commission. Pour autant, cela ne signifie pas que la question de la prévention routière ne nous intéresse pas, loin s’en faut. Sans doute faudrait-il que cette question fasse l’objet d’une étude plus poussée avant de légiférer, et j’ai cru comprendre qu’un groupe de travail allait se constituer. Cela nous apparaît souhaitable, particulièrement dans un contexte marqué par une accélération du travail parlementaire et une progression continue du nombre de textes adoptés par le Parlement.

Qui plus est, permettez-moi de m’interroger, sans vouloir offenser quiconque, sur l’opportunité d’examiner une telle mesure, qui nous semble en décalage avec les attentes de nos concitoyens. En effet, ne croyez-vous pas que l’explosion du chômage et de la précarité, l’érosion des services publics, les bas salaires, les vagues de licenciements ou encore l’asphyxie de l’hôpital public, sont davantage au cœur des préoccupations de nos concitoyens ?

Cela étant dit, je n’entends nullement minorer l’importance de la prévention routière, qui revêt tout à la fois un aspect tant individuel, dans le drame qui touche les familles, que collectif, dès lors que l’on appréhende la question sous l’aspect de la santé publique. Toutefois, convenez-en : il n’y a pas urgence à légiférer sur cette question.

Je profiterai néanmoins de l’occasion qui m’est donnée pour aborder un certain nombre de questions.

Tout d’abord, personne ne peut l’ignorer, le vieillissement n’est pas sans effet sur les capacités motrices des conducteurs. Il peut diminuer leurs capacités de réaction, de la même manière que l’âge altère les capacités visuelles et auditives. Pour autant, aucune étude scientifique n’est aujourd’hui en mesure de démontrer que les personnes âgées sont impliquées dans un plus grand nombre d’accidents de la route que les actifs. Le site internet de l’Association prévention routière en fait état, comme l’ont rappelé Mme la ministre et certains orateurs à l’instant.

Sur ce site, on apprend également que 399 personnes de plus de 65 ans sont mortes au volant en 2011, et 254 en tant que piétons. En d’autres termes, elles sont presque aussi nombreuses à mourir du fait de conduire que du fait de ne pas conduire. C’est un peu cynique, mais c’est un fait. Aussi, en poussant à son paroxysme le principe de précaution qui sert de fondement à cette proposition de loi, on pourrait être tenté de légiférer pour encadrer les sorties piétonnes de nos concitoyennes et concitoyens les plus âgés !

Compte tenu du nombre important de jeunes qui décèdent chaque année des suites d’un accident de la route, l’application de ce même principe de précaution devrait nous inviter à interdire la conduite des jeunes âgés de 18 à 25 ans qui sont, et de loin, les publics les plus concernés par les accidents de la route. Les pouvoirs publics se sont naturellement mobilisés et saisis de cette question, non pas pour interdire la conduite – ce à quoi pourrait amener à terme cette proposition de loi –, mais pour responsabiliser les jeunes conducteurs, par un mélange subtil de contrôle, de sanction et de prévention.

Sans doute aurait-il été souhaitable que cette approche soit transposée aux publics visés par cette proposition de loi, ne serait-ce que pour une raison : l’application de cette mesure pourrait, en l’état, être profondément discriminante et lourde de conséquences pour ceux qu’il est convenu d’appeler les seniors.

Cette mesure est discriminante, car, à n’en pas douter, ce sont les plus modestes de nos concitoyens, ceux qui ne pourront ni faire face au coût de la visite médicale ni à celui, encore plus important, du stage qu’il est proposé d’instituer ici, qui se verront retirer le droit de conduire.

Cette mesure est lourde de conséquences. En effet, pour nos concitoyens, l’interdiction de conduire, si elle n’est accompagnée d’aucune mesure destinée à compenser cette décision, aura tendance à accroître non seulement leur isolement, qui constitue une source de souffrance psychique, mais aussi les difficultés qu’ils rencontrent déjà dans leur quotidien, que ce soit pour faire leurs courses, aller voir le médecin ou assurer des démarches administratives.

Malheureusement, ces aspects sont ignorés par cette proposition de loi, et j’espère que le groupe de travail qui sera constitué en tiendra compte.

Je dois dire qu’il y a d’ailleurs un certain paradoxe à défendre ce texte aujourd’hui, alors que vous votiez, voilà quelques semaines à peine, la proposition de loi permettant aux retraités les plus pauvres de reprendre une activité.

Le paradoxe est également frappant avec le rapport Moreau, destiné à nourrir la future réforme des retraites, qui préconise notamment un allongement de la durée de cotisations et un recul de l’âge légal du départ à la retraite.

Je vous pose la question, mes chers collègues : est-ce à dire que l’on peut être suffisamment en bonne santé pour travailler plus et en trop mauvais état physique pour conduire ?

La réalité est que, dans l’immense majorité des cas, les personnes concernées par cette proposition de loi font preuve de prudence et décident elles-mêmes de limiter la conduite aux actes indispensables.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Laurence Cohen. Pour toutes ces raisons, le groupe CRC votera contre cette proposition de loi et soutiendra la motion tendant au renvoi du texte en commission des lois, afin que cette question puisse faire l’objet d’un travail collectif plus large, davantage à même de répondre à toutes les questions, directes et indirectes, qui y sont associées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à remercier M. Yves Détraigne, auteur et rapporteur de cette proposition de loi, d’avoir ouvert le débat sur cette question cruciale de l’accidentologie routière des personnes âgées, mais aussi, et surtout, de l’aptitude physique à conduire, sujet autour duquel notre débat est en train de se recentrer.

Même si nous sommes assez peu nombreux dans l’hémicycle, il semblerait qu’un certain consensus soit en train de se dégager autour de ce thème.

Bien évidemment, chaque accident est un drame et chaque victime, qu’elle soit blessée ou tuée, est une victime de trop, pour les familles, les proches, mais aussi pour la société dans son entier.

Pour autant, tout texte de loi se doit d’avoir une portée générale, en l’occurrence en matière de sécurité routière publique. Or, si la proposition de loi était adoptée en l’état, ses effets en termes de sécurité routière seraient très limités.

Puisque je dois reprendre la parole ultérieurement pour défendre la motion tendant au renvoi en commission, je vais tâcher de scinder mon propos, afin d’éviter les répétitions.

Pour l’heure, dans cette discussion générale, je vais définitivement tenter de vous convaincre, mes chers collègues, des raisons pour lesquelles vous ne devriez pas voter cette proposition de loi en l’état. J’essaierai ensuite, dans ma présentation de la motion, de vous expliquer quel travail il nous reste à faire, et pourquoi il est important de renvoyer le texte en commission.

Tout à l’heure, monsieur le rapporteur, vous avez précisé ne pas avoir de conflit d’intérêts sur le sujet.

Pour ma part, le conflit est patent. Même si je n’ai pas encore plus de 70 ans – si tel était le cas, on me dirait sans doute que je suis extrêmement bien conservée ! (Sourires.) –, je suis à l’âge où la myopie ne suffit plus à corriger les méfaits de la presbytie. Ainsi, ma vue évolue assez rapidement, et de façon substantielle.

Si je parle de conflit d’intérêts à mon propos, ce n’est pas parce que ma vue bouge, mais parce que je suis titulaire d’un permis E, qui impose une visite médicale tous les cinq ans. Je suis donc bien placée pour vous dire que, dans mon cas, une telle visite médicale n’apporte pas un suivi suffisant pour garantir une réelle aptitude à conduire. Je dois donc prendre la responsabilité de faire corriger ma vue en tant que de besoin, et pas seulement tous les cinq ans, sauf à devenir rapidement un danger public au volant !

En l’occurrence, une visite médicale tous les cinq ans, qui plus est à partir de l’âge de 70 ans, n’améliorerait nullement les choses en termes d’accidentologie.

Cette situation personnelle m’a sans doute incitée à réfléchir plus profondément sur les raisons de cette focalisation sur l’âge, alors même que j’étais initialement plutôt favorable à votre proposition, monsieur le rapporteur. Pourquoi les accidents impliquant des personnes âgées sont-ils à ce point médiatisés ?

Contrairement à toutes les autres causes d’accidents, l’âge est une condition qui nous est imposée. On n’a aucune prise sur lui, alors que les excès de vitesse, la conduite en état d’ivresse et la conduite sous l’effet de médicaments ou d’autres drogues dépendent de notre seule volonté et de notre seule responsabilité.

Le côté affectif joue également un rôle. On connaît tous des parents ou des grands-parents que l’on aimerait bien voir lâcher le volant, parce que l’on se fait un peu de souci pour eux, mais aussi pour nos enfants quand ils montent en voiture avec eux.

Cette dimension affective, et le fait que l’âge nous soit une condition imposée, entraînent une sorte de paralysie de la réflexion et de l’analyse.

Lorsqu’une personne âgée a un accident, ce serait donc forcément à cause de son âge. Sauf que c’est peut-être aussi à cause d’un excès de vitesse, d’un défaut d’attention, d’un endormissement, d’un panneau de signalisation mal lu ou encore d’un état d’ivresse ; on peut avoir 70 ans et boire un peu plus que de raison lors d’un repas.

L’âge nous apparaît donc comme la cause évidente de l’accident, alors qu’il ne l’est pas en tant que tel.

Cela a été dit et redit à cette tribune depuis le début de la discussion générale : à partir d’un certain âge, les causes physiques d’accidents peuvent certes être un peu plus fréquentes, parce qu’on fatigue plus vite, parce qu’on voit moins bien ou parce que nos réflexes sont moins rapides.

Mais ces problèmes ne surviennent pas seulement avec l’âge. Certaines maladies neurodégénératives peuvent ainsi entraîner dès l’âge de 20 ans des modifications physiques qui induisent un changement de l’état de santé et une moindre aptitude à conduire.

Certains diabètes, avant qu’ils ne soient stabilisés par un traitement médical, peuvent aussi être associés à des baisses d’attention, voire à des malaises qui rendent la conduite dangereuse.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Virginie Klès. De même, la prise de neuroleptiques ou de psychotropes, ponctuellement ou au long cours, peut entraîner une baisse de la vigilance.

Vous allez me répondre que des mises en garde sont apposées sur les notices de médicaments. J’ai déjà eu l’occasion de démontrer à cette tribune que les notices ne sont généralement pas lues ou, si elles le sont, ne sont pas comprises, parce qu’elles sont rédigées dans un langage incompréhensible pour le commun des mortels.

La prise de médicaments et la maladie elle-même sont donc souvent à l’origine d’une diminution de l’aptitude physique à conduire, et l’âge n’est pas seul en cause.

Au-delà de ce constat, plusieurs questions se posent inévitablement : pourquoi fixer l’âge de l’évaluation à 70 ans ? Pourquoi ne pas plutôt établir une liste de maladies ou de médicaments auxquels serait associée une interdiction de conduire, à court ou à long terme ?

Dans ce cas, il ne serait plus question d’un texte de loi, mais d’un catalogue à la Prévert de mesures inapplicables.

Les risques d’aptitude physique à la conduite d’un véhicule ne sont donc pas spécifiquement ou exclusivement liés à l’âge. Prenons garde aux statistiques et aux corrélations trop rapidement établies entre le nombre d’accidents et leurs causes plus ou moins visibles.

Certains accidents ont une résonance médiatique plus grande que d’autres, notamment en raison de la dimension affective que j’ai précédemment évoquée. On se sent tous concernés parce que chacun d’entre nous connaît un grand-père, une grand-mère, un beau-parent ou un parent qui prend le volant dans des conditions où l’on préférerait qu’il ne le prenne pas. Mais il s’agit avant tout d’une responsabilité individuelle.

Nous-mêmes, quand nous prenons le volant après avoir bu deux ou trois verres de vin lors d’un repas,…

M. Philippe Bas. Jamais ! (Sourires.)

Mme Virginie Klès. … nous prenons la responsabilité de conduire quand même, de nous faire éventuellement contrôler et de perdre des points, sans penser que l’on peut causer un accident. Les personnes âgées, qui sentent leur vigilance, leur attention et leur capacité de résistance diminuer, savent aussi s’autolimiter et prendre des risques mesurés.

Si les conducteurs qui empruntent l’autoroute en sens inverse ou s’endorment au volant sont parfois des personnes âgées, ce n’est pas toujours le cas. Interrogeons-nous plutôt sur les raisons de ces endormissements : sont-ils dus à la fatigue, à la prise de médicaments, à une maladie, à un temps de conduite trop long ?

Et lorsqu’on s’engage en sens inverse sur une autoroute, est-ce parce qu’on a mal lu un panneau, ou parce qu’il faisait nuit et que l’on voit moins bien dans l’obscurité, entre autres causes possibles ?

Les causes des accidents sont multiples et l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

Nous ne devons pas oublier non plus, il est vrai, que les personnes âgées sont beaucoup plus souvent victimes d’accidents, leur condition physique générale les rendant plus fragiles. Mais comme elles n’ont pas envie de se mettre en danger, elles ont tendance à se protéger en se responsabilisant et en limitant les prises de volant à de petits trajets, effectués de préférence en journée plutôt que le soir.

En conclusion : oui, nous devons nous préoccuper de la sécurité routière publique !

Oui, nous devons réduire encore le nombre de victimes, mais cela ne se fera pas seulement en imposant des visites médicales aux personnes âgées de plus de 70 ans, ou de tout autre âge que nous pourrions déterminer.

Oui, je défendrai tout à l’heure le renvoi de ce texte en commission, en vous expliquant dans quel sens nous pourrions travailler. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je profite du fait qu’il n’y a pas encore de loi interdisant aux personnes de 70 ans et plus de prendre la parole … (Sourires.)

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Heureusement !

Mme Gisèle Printz. … pour vous exposer les motifs qui me feront voter contre cette proposition de loi présentée par nos collègues du groupe UDI-UC.

Tout d’abord, j’observe que cette proposition de loi est un nouveau coup porté aux seniors et, in fine, à l’unité de la nation. Depuis de longues années, l’ambiance est à la division des Français : les riches contre les pauvres, les citadins contre les ruraux, les clients contre les commerçants, etc. Je n’énumérerai pas l’ensemble des groupes sociaux que l’on ne cesse de monter les uns contre les autres. Cependant, de toutes les divisions, celle qui revient inlassablement, comme l’automne après l’été, c’est la confrontation générationnelle.

Ce texte vise les personnes âgées de 70 ans et plus, car vous pensez qu’elles sont des dangers publics. Mais l’argumentaire qui sous-tend cette proposition de loi n’est qu’une somme d’exposés chaque fois plus démagogiques.

Bien entendu, chacun de nous a eu vent d’histoires rapportant qu’un senior n’a pas eu le réflexe qu’il aurait dû avoir en conduisant.

Bien entendu, il existe une véritable mythologie de l’accidentologie des seniors. Comme tous les mythes, elle s’appuie sur des faits, mais aussi sur des fables et des légendes qui mettent en scène des conducteurs seniors chaque fois plus irresponsables et plus dangereux.

Depuis quand le Parlement vote-t-il des lois parce qu’un sujet serait en vogue ? Nous sommes réputés être la chambre des sages de la République !

Cette proposition de loi n’est pas bonne car, en plus de diviser les Français, elle rendrait les seniors de plus en plus dépendants. Ce type de loi viendrait anéantir tous les efforts engagés par les pouvoirs publics pour garantir l’autonomie des personnes âgées. Nous savons que le transport est un axe essentiel dans cette démarche, particulièrement pour la ruralité.

De plus, comment pourrait-on justifier le durcissement de l’octroi du permis de conduire auprès de seniors qui lisent et entendent à longueur de journée dans les journaux, à la radio ou sur les chaînes de télévision que « les gens doivent travailler plus longtemps pour sauvegarder le système de retraite » ? Il y a là un paradoxe insurmontable : travailler plus, mais se voir contraint dans ses déplacements…

Cette proposition de loi n’est pas bonne car, en plus de stigmatiser certaines catégories de conducteurs, elle dévoilerait le secret médical. C’est en ce sens que le Conseil national de l’ordre des médecins rappelait, en mai 2011, son opposition claire à tout dispositif qui conduirait le médecin à être le « valideur de l’aptitude à conduire ».

En outre, l’argument consistant à ériger en exemple les pays nordiques ne saurait tenir. Comme le soulignait justement l’Automobile club médical de France, « cet examen pratiqué dans les pays nordiques n’a pas conduit à une amélioration ».

Quant à l’âge retenu pour pratiquer cette visite médicale, on voit bien toutes les difficultés pour le définir. Un jour on parle de soixante-dix ans, le lendemain de soixante-quinze ans. Actuellement, aucune étude ne permet d’établir définitivement un âge auquel la conduite serait devenue impossible.

Plus généralement, nous pouvons nous réjouir du fait que nous vivons plus longtemps et en meilleur santé. Nous conviendrons tous que les seniors sont des personnes responsables. Ils payent leurs impôts, participent le plus souvent bénévolement à la vie de nos cités en s’engageant très fortement au sein d’associations. Ils s’impliquent même en politique en faisant part de leur expérience et en contribuant à la construction d’une société plus juste et plus fraternelle.

De surcroît, les seniors apportent de plus en plus souvent un soutien essentiel et quotidien aux familles, par exemple, en allant chercher les petits-enfants à la sortie de la crèche, de l’école ou du centre aéré.

Je le disais, les seniors sont des personnes responsables. Alors faisons confiance à leur intelligence. Ils vont régulièrement chez le médecin et s’inquiètent de leur état de santé. S’ils ne sont plus aptes à la conduite, vous pouvez être assurés qu’ils ne prendront plus leur véhicule. Ne les stigmatisons pas de façon générale, alors que les individus irresponsables qui prennent le volant sans le maîtriser ne constituent que quelques cas isolés.

Mes chers collègues, n’adoptons pas une loi qui pénaliserait une partie des Français en raison de leur âge ! Restons plutôt cette assemblée où la rigueur et la mesure sont de mise dans une recherche permanente de l’équilibre et de la concertation.

Pour toutes ces raisons, je soutiendrai la motion tendant au renvoi à la commission. (MM. Jacques Gillot et Félix Desplan ainsi que Mme la ministre déléguée applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai beaucoup apprécié toutes vos prises de parole. J’aimerais apporter des réponses très rapides à quelques points particuliers que vous avez abordés.

Monsieur Barbier, madame Benbassa, il faut que vous sachiez que le médecin, dont la fonction est tout à fait décisive et qui s’appuie bien souvent sur la famille, doit jouer deux rôles auprès de son patient.

Premièrement, il peut prescrire des examens complémentaires, c’est-à-dire conseiller à son patient, qui ne s’y soustraira pas, de passer tel examen de la vue, de faire contrôler ses lunettes, de vérifier s’il ne doit pas être opéré de la cataracte, ou encore d’effectuer un champ visuel. Cet acte est une première réponse au problème soulevé.

Deuxièmement, et vous n’en avez peut-être pas conscience, s’il sent sa responsabilité engagée, il peut prescrire en négatif. On a l’habitude que le médecin prescrive des médicaments, des actes, mais il peut parfaitement prescrire de ne pas conduire la nuit, voire de ne pas conduire du tout. Ainsi, en cas de pathologie cérébrale en particulier, nous avons le devoir d’attirer l’attention de nos patients sur le risque de conduire une automobile, voire de conseiller l’interdiction.

M. Gilbert Barbier. C’est une recommandation !

Mme Michèle Delaunay, ministre déléguée. En effet, nous conseillons. Mais un conseil écrit sur une feuille d’ordonnance, laquelle peut être montrée à la famille, par un médecin qui a pensé que la parole ne suffisait pas a un poids considérable. Et je ne voudrais pas priver le praticien de ce beau rôle. (Mme la ministre déléguée met ses lunettes.) Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, je fais partie d’une tranche d’âge où le risque s’accroît : à défaut de porter mes lunettes, je n’arrive pas à décrypter mon horrible écriture de médecin ! (Sourires.)

Par ailleurs, – c’est Mme Garriaud-Maylam qui a souligné ce point – nous serions particulièrement injustes si nous adoptions une mesure systématique car nous punirions les moins coupables, c'est-à-dire les personnes vivant en zone rurale, qui, bien souvent, sont d’une immense prudence. Elles veulent seulement pouvoir se rendre à la réunion du maire ou au supermarché, qui est proche. Elles effectuent, en fait, des petits trajets pendant la journée. Si nous adoptions la disposition dont nous discutons, ces personnes, dont l’autonomie dépend de leur possibilité de se déplacer, seraient les plus punies, j’ose employer ce terme.

Madame Dini, si j’étais ciblée par cette mesure, je me tournerais vers la Cour européenne des droits de l’homme parce qu’il n’y a aucune raison de stigmatiser des personnes en raison de leur âge, et nous l’avons tous reconnu. S’il y a bien une catégorie de la population à laquelle nous devrions interdire la conduite, c’est celle qui est située dans la tranche d’âge comprise entre dix-huit et vingt-cinq ans. Mais qui le ferait ?

Si un utilisateur s’élevait contre le type de préconisation que vous souhaitez mettre en place, il serait susceptible d’obtenir gain de cause. En tout cas, s’il venait me trouver, moi, ministre chargée des personnes âgées, je l’encouragerais à faire un recours. Je le dis très clairement.

Loin de moi la volonté de retarder les débats, néanmoins je souhaite aborder quelques points supplémentaires.

Madame Printz, heureusement que le droit à la parole n’est pas interdit aux personnes âgées ! J’irai même plus loin, je voudrais qu’il soit obligatoire, car les personnes âgées ne s’expriment pas suffisamment et ne s’élèvent pas suffisamment. (Mme Gisèle Printz opine.)