M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, le présent projet de loi relatif à l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État n’appelle pas de réserve de la part des membres du groupe UDI-UC, qui le voteront volontiers dans la rédaction qui nous est soumise.

J’aborderai, tout d’abord, les dispositions du texte, puis je développerai quelques considérations émises par mon groupe, plus particulièrement par ma collègue Muguette Dini, qui ne peut malheureusement pas assister ce soir à ce débat.

Nous comprenons la nécessité de réviser certains articles du code de l’action sociale et des familles, afin de clarifier des textes très anciens, rédigés à des époques où le nombre de pupilles de l’État et les conditions d’abandon étaient très différents.

Les précisions concernant tant les délais relatifs à l’arrêté d’admission qui permettront d’harmoniser les pratiques des conseils généraux que les personnes ayant qualité à agir sont indispensables. La liste de ces personnes, auxquelles l’arrêté devra être notifié, est également importante, de même que le point de départ du délai de recours.

Le texte que nous examinons constitue indéniablement une avancée par rapport au droit existant. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce point.

En revanche, madame la ministre, de nouveaux progrès pourraient être réalisés ; je souhaite vous en faire part.

Tous les sénateurs, en particulier ceux qui ont siégé ou qui siègent dans les conseils de famille, s’interrogent sur la qualité de pupille de l’État. On peut légitimement se demander pour quelles raisons un enfant dont le désintérêt des parents est manifeste doit attendre trois ou quatre ans, voire beaucoup plus, avant que le juge prononce son abandon au titre de l’article 350 du code civil. Pendant ce laps de temps, il est confié à une pouponnière, à une ou plusieurs familles d’accueil, ou encore à un établissement. Un tel placement sera inévitablement source d’instabilité et de troubles définitifs chez l’enfant.

Au Québec, la durée maximale d’hébergement d’un enfant se trouvant dans les conditions évoquées ci-dessus, laissée à l’appréciation du juge, ne peut être supérieure à douze mois s’il est âgé de moins de deux ans, à dix-huit mois s’il est âgé de deux à cinq ans et à vingt-quatre mois au-delà. Les services doivent rechercher une stabilité accrue pour les enfants et une participation active des parents, le maintien dans la famille étant toujours privilégié, mais non pas impératif au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.

La mission conduite sur ce sujet par ma collègue Muguette Dini, au mois de septembre 2010, proposait d’envisager l’introduction, dans la législation française, de délais maximaux de placement des enfants en danger établis en fonction de leur âge, au-delà desquels une solution de vie stable devrait avoir été trouvée.

Comme au Québec, l’application de cette règle serait conditionnée à l’accompagnement effectif des parents et, dans tous les cas, laissée à l’appréciation du juge, qui pourrait toujours y déroger en raison de circonstances particulières.

Hormis la question de l’abandon volontaire ou imposé par la loi et de la stabilité de vie de l’enfant concerné, se pose celle des pupilles de l’État handicapés placés dans des familles d’accueil.

Ces familles, qui se voient confier des enfants adoptables très jeunes, quelquefois lourdement handicapés, et auxquels elles peuvent être très attachées, hésitent à les adopter avant qu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans. En effet, d’une part, elles perdraient le salaire qui leur est versé et, d’autre part, elles auraient à leur charge ces enfants, qui demandent des soins et traitements souvent onéreux. Ne faudrait-il pas réfléchir à l’adoption de ces enfants avant leur majorité et maintenir le versement à la famille d’une aide substantielle ?

Enfin, le couperet de l’âge de la majorité, qui donne théoriquement l’autonomie totale aux pupilles de l’État, se révèle souvent une catastrophe, ces jeunes adultes pouvant se retrouver à la rue, sans ressources et sans référent. Même si la plupart des conseils généraux continuent à s’en occuper, le risque est grand pour certains de plonger dans des difficultés sociales dont ils auront bien du mal à sortir.

Avant de terminer mon propos, je ne peux m’empêcher de faire une comparaison – Muguette Dini s’est exprimée en ce sens en commission – entre deux décisions du Conseil constitutionnel : celle qu’il a rendue sur le sujet dont nous traitons ce soir et celle sur le harcèlement sexuel. Pourquoi la première d’entre elles, qui ne concerne en fait que quelques dizaines d’enfants, peut-elle disposer d’un délai de six mois avant d’être appliquée, alors que la seconde a dû être appliquée immédiatement, interdisant ainsi l’examen de plus de 500 procédures en cours et laissant dans un grand désarroi, pour ne pas dire plus, les victimes qui n’auront eu aucun recours ? Elles auraient, elles aussi, bien aimé disposer d’un délai suffisant pour réagir. Pourquoi une telle différence ?

Afin de ne pas achever mon intervention sur cette note pessimiste, je veux remercier Mme la rapporteur de la clarté de son exposé, utile à nos débats. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, madame le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour de la tenue de ce débat.

Avec l’examen de ce projet de loi, nous abordons une question éminemment sensible, puisqu’il s’agit de répondre à deux impératifs éventuellement contradictoires dès lors que sont en cause des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance, à savoir le respect du droit au recours effectif des parents, de la famille et des proches de l’enfant et la préservation des intérêts légitimes des enfants eux-mêmes.

Les membres du groupe CRC estiment que le projet de loi, tel que l’a transmis l’Assemblée nationale au Sénat, a réussi à trouver un point d’équilibre. De plus, le texte répond aux exigences du Conseil constitutionnel, qui, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a décidé d’abroger l’actuel article L.224-8 du code de l’action sociale et des familles dès le 1er janvier 2014. Tout comme M Capo-Canellas et Mme Dini, je m’interroge sur le sort différent réservé par le Conseil aux pupilles de l’État et aux personnes victimes de harcèlement sexuel.

Cela étant, l’article précité, qui fait l’objet d’une réécriture totale dans le présent projet de loi, rendait impossible, dans certains cas, la contestation d’un arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État d’un enfant, alors même que la loi reconnaissait à un tiers la capacité à agir. Cette impossibilité reposait sur le fait que l’arrêté en cause n’était pas pris contradictoirement et ne faisait l’objet d’aucune publicité, ce qui est regrettable. Par voie de conséquence, les personnes susceptibles de le contester pouvaient soit ne pas être informées de l’édiction de cet arrêté, soit découvrir la situation après expiration du délai d’un mois prévu dans la loi.

À juste titre, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il n’était pas possible de rendre opposable un délai d’action quand les personnes susceptibles d’agir n’étaient pas informées du point de départ de ce délai.

À cette censure logique, le projet de loi que nous examinons apporte une réponse tout aussi logique, pertinente et consensuelle. Il permettra ainsi de résoudre de nombreux cas complexes. N’oublions pas ces enfants, déjà meurtris par une vie chaotique et difficile, qui doivent pouvoir se construire dans une atmosphère apaisée et dans un contexte juridique sécurisé. Tel est en tout cas le sens que moi et les membres de mon groupe donnons à ce texte.

Aux termes de l’article 1er, les parents de l’enfant, les membres de la famille et les personnes qui ont eu la garde de l’enfant, de fait comme de droit, obtiendront dorénavant notification par les services départementaux de l’édiction de l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État.

Quant au délai d’extinction de l’action en contestation contre cet arrêté, il s’éteindra à compter d’un mois après la réception de la notification.

Par ailleurs, les personnes qui ont un lien avec l’enfant mais qui ne sont pas connues des services de l’ASE et ne peuvent pas recevoir la notification de l’arrêté précité, elles conserveront la possibilité de contester cet arrêté au-delà du délai d’un mois opposable à celles qui auront accusé réception de la notification.

Toutefois, une précision s’impose en la matière. L’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, tel qu’il est rédigé et tel qu’il résultera de nos travaux si le projet de loi est adopté, n’indique pas le délai de forclusion de l’action opposable aux personnes qui n’auraient pas reçu notification de l’arrêté en question. Les juristes ou les personnes les plus avisées comprendront sans doute que cette action reste possible jusqu’à ce que l’enfant ait fait l’objet d’une mesure de placement en vue de son adoption, telle que proposée à l’article 352 du code civil.

Aussi, par souci de respecter le principe d’intangibilité de la loi – comme chacun le sait, c’est une obligation constitutionnelle –, nous estimons souhaitable que le présent projet de loi éclaire réellement les personnes concernées. Cela est d’autant plus important que l’article 352 du code civil s’applique essentiellement aux familles. Or les personnes qui peuvent contester l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État ne sont pas nécessairement des membres de la famille. Sont également visées au 4° du II de l’article 1er les personnes « ayant assuré la garde de droit ou de fait de l’enfant. » Dans ce cas, l’action en contestation de l’arrêté n’aura pas pour effet nécessairement de restituer l’enfant à la famille d’origine ou d’établir une filiation à l’égard de celui-ci. C’est, en quelque sorte, par extension que cette disposition leur sera appliquée.

Selon les membres du groupe CRC, il est de notre devoir de législateur, conformément d’ailleurs au choc de simplification prôné par le Président de la République, de rendre la loi compréhensible par toutes et tous. C’est pourquoi nous aurions préféré qu’une telle précision soit apportée explicitement dans le projet de loi.

Néanmoins, nous saluons l’apport de l’article 1er bis. Il prévoit que, lorsque des personnes confient un enfant aux services de l’aide sociale à l’enfance, elles soient immédiatement informées des conséquences de l’admission définitive comme pupille de l’État, admission qui, théoriquement, devrait intervenir dans les deux ou six mois qui suivent. De la sorte, les droits des parents de l’enfant ou des personnes qui le confient aux services de l’ASE seront renforcés. Cette information, délivrée très amont, y compris en dehors de tout recours, est particulièrement sécurisante.

Le présent projet de loi est attendu, indépendamment de l’impératif posé par le Conseil constitutionnel. Il nous semble être de nature à apaiser des parcours de vie que les processus juridique et administratif ont pu rendre hier chaotiques, pour ne pas dire douloureux.

Pour toutes ces raisons, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC voteront en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat
Article 1er bis

Article 1er

(Non modifié)

L’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé :

« Art. L. 224-8. – I. – L’enfant est admis en qualité de pupille de l’État par arrêté du président du conseil général pris soit après la date d’expiration des délais prévus aux 1° à 4° de l’article L. 224-4 en cas d’admission en application de ces mêmes 1° à 4°, soit une fois le jugement passé en force de chose jugée lorsque l’enfant est admis dans les conditions prévues aux 5° ou 6° du même article.

« II. – L’arrêté mentionné au I peut être contesté par :

« 1° Les parents de l’enfant, en l’absence d’une déclaration judiciaire d’abandon ou d’un retrait total de l’autorité parentale ;

« 2° Les membres de la famille de l’enfant ;

« 3° Le père de naissance ou les membres de la famille de la mère ou du père de naissance, lorsque l’enfant a été admis en application du 1° de l’article L. 224-4 ;

« 4° Toute personne ayant assuré la garde de droit ou de fait de l’enfant.

« L’action n’est recevable que si le requérant demande à assumer la charge de l’enfant.

« III. – L’arrêté mentionné au I est notifié aux personnes mentionnées au 1° du II, ainsi qu’à celles mentionnées aux 2° à 4° du même II qui, avant la date de cet arrêté, ont manifesté un intérêt pour l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance. Cette notification, qui est faite par tout moyen permettant d’établir une date certaine de réception, mentionne les voies et délais de recours ainsi que la juridiction compétente. Elle précise que l’action n’est recevable que si le requérant demande à assumer la charge de l’enfant.

« IV. – Le recours contre l’arrêté mentionné au I est formé, à peine de forclusion, devant le tribunal de grande instance dans un délai de trente jours à compter de la date de la réception de sa notification.

« V. – S’il juge la demande conforme à l’intérêt de l’enfant, le tribunal prononce l’annulation de l’arrêté mentionné au I et confie l’enfant au demandeur, à charge, le cas échéant, pour ce dernier de requérir l’organisation de la tutelle, ou lui délègue les droits de l’autorité parentale. Dans le cas où il rejette le recours, le tribunal peut autoriser le demandeur, dans l’intérêt de l’enfant, à exercer un droit de visite dans les conditions qu’il détermine. »

M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat
Article 2

Article 1er bis

(Non modifié)

Le 3° de l’article L. 224-5 du code de l’action sociale et des familles est complété par les mots : « ainsi que des modalités d’admission en qualité de pupille de l’État mentionnées à l’article L. 224-8 ». – (Adopté.)

Article 1er bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat
Article 3 (début)

Article 2

(Non modifié)

I. – L’article 1er est applicable sur tout le territoire de la République, sauf en Nouvelle-Calédonie.

II. – L’article L. 552-2 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« – “service de l’aide sociale à l’enfance” par : “service chargé de l’aide sociale à l’enfance”. »

III. – À l’article L. 552-2-1 du même code, après le mot : « service », il est inséré le mot : « chargé ». – (Adopté.)

Article 2
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat
Article 3 (fin)

Article 3

(Non modifié)

La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 2014 – (Adopté.)

M. le président. Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission.

(Le projet de loi est définitivement adopté.)

M. le président. Je constate que le projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements.)

Article 3 (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat
 

18

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 23 juillet 2013 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

(Le texte des questions figure en annexe.)

À quinze heures :

2. -Projet de loi organique portant actualisation de la loi n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (Procédure accélérée) (n° 719, 2012-2013).

Rapport de Mme Catherine TASCA, fait au nom de la commission des lois (n° 777, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 778, 2012-2013) ;

-Projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer (Procédure accélérée) (n° 718, 2012-2013).

Rapport de Mme Catherine TASCA, fait au nom de la commission des lois (n° 777, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 779, 2012-2013).

À vingt et une heures trente :

3. Suite éventuelle de l’ordre du jour de l’après-midi

4. Proposition de loi fixant le nombre et la répartition des sièges de conseiller de Paris (Procédure accélérée) (n° 755, 2012-2013).

Rapport de M. Roger MADEC, fait au nom de la commission des lois (n° 780, 2012-2013).

Texte de la commission (n° 781, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le vendredi 19 juillet 2013, à zéro heure quinze.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART