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Motion d'ordre (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la consommation
Discussion générale (suite)

Consommation

Suite de la discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la consommation.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la consommation
Article additionnel avant l'article 1er

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient avant toute chose de remercier les rapporteurs, Martial Bourquin et Alain Fauconnier, qui ont effectué avec talent et opiniâtreté un travail très important. Ce travail, qui date d’avant les vacances d’été, nous permet d’avoir aujourd’hui ce débat fort intéressant malgré un calendrier législatif contraignant.

Comme cela a été dit, le projet de loi comporte une dimension véritablement historique, car il se propose ni plus ni moins que de conforter le consommateur dans ses droits, en inscrivant pour la première fois ces droits dans un texte qui regroupera, selon un éventail relativement élargi, toutes les embûches et tous les pièges auxquels le consommateur est confronté au quotidien.

Le consommateur est, chacun le sait, un acteur central de notre système économique. Il reste, maintenant plus que jamais, particulièrement vulnérable. Précédemment, notre collègue François Calvet a évoqué l’insécurité juridique ; j’ai l’impression qu’une réflexion de bon sens devrait nous inciter à penser que, si insécurité juridique il y a, c’est plutôt du côté du consommateur qu’il faut la chercher. Ce sera du reste beaucoup moins vrai désormais grâce à la création de l’action de groupe à la française, qui est sans doute la mesure la plus emblématique du projet de loi.

Monsieur le ministre, je veux également saluer votre travail, qui a permis de créer les conditions nécessaires à la réalisation de l’une des promesses de campagne de François Hollande. Le texte que vous nous présentez aujourd’hui, amendé par l’Assemblée nationale, témoigne de votre détermination à lever les obstacles, à passer à travers un maquis d’intérêts contradictoires pour finalement aboutir à la mise en place de mesures très attendues par les Français, qui ont compris qu’elles étaient aussi destinées à les protéger.

Pour ma part, il est cependant un sujet dont je déplore qu’il soit abordé de façon relativement discrète, même si nous en avons déjà parlé cet après-midi : il s’agit de l’obsolescence programmée, sujet qui devrait, à mon sens, trouver toute sa place dans ce débat. Cela permettrait à votre projet de loi de répondre encore mieux aux attentes des consommateurs que je viens d’évoquer.

J’ai du reste déjà eu l’occasion de m’exprimer ici même sur ce sujet, à l’occasion de la question orale avec débat inscrite à l’ordre du jour sur l’initiative de nos collègues du groupe écologiste. Le constat que je faisais, mais que je n’étais pas le seul à faire, puisqu’il semblait largement partagé, était celui d’une dimension véritablement sociétale sur laquelle nous devons nous pencher. Nous semblons en effet collectivement victimes d’une sorte de fatalité qui nous pousse vers un consumérisme aveugle, dépourvu de sens et de conscience, qui prend malheureusement de plus en plus d’ampleur.

Cette tendance nous entraîne lentement mais sûrement dans une impasse avec, à la clé, l’appauvrissement des ressources et l’affaiblissement très préoccupant des écosystèmes dans le cadre d’un fonctionnement économique qui apparaît de plus en plus dépassé, en tout cas pas en mesure d’affronter les enjeux du XXIe siècle. Ce constat révèle en fait une incapacité à inventer un modèle économique qui soit non seulement plus vertueux, plus porteur d’innovations, mais également plus créateur d’emplois, comme vous le souhaitez, monsieur le ministre.

L’innovation consiste aujourd’hui à proposer des solutions aux consommateurs, aux entreprises et à la puissance publique susceptibles de satisfaire non plus les objectifs définis unilatéralement par le marché et le profit, mais ceux qui le sont par les peuples, lesquels marquent de plus en plus leur attachement à une consommation davantage raisonnée et donc durable. Cela pourra se faire en réalisant des efforts bien plus importants en ce qui concerne l’éco-conception des produits de consommation, tout en préservant la dynamique de nos filières industrielles. Ce défi de taille passe par une nouvelle relation qui doit exister entre les consommateurs, les distributeurs et les industriels.

Pour nous engager dans cette voie, nous devons d’abord identifier les pratiques douteuses au moyen d’un diagnostic le plus précis possible et les sanctionner lorsqu’elles constituent une démarche pénalisante vis-à-vis du consommateur. Tout le monde aura compris que je fais ici précisément allusion aux stratégies dites d’obsolescence programmée : il s’agit de l’ensemble des techniques qui visent à mettre sur le marché un produit dont la durée de vie ou l’utilisation potentielle est délibérément raccourcie, notamment par sa conception, afin d’en augmenter le taux de remplacement.

Au cours des débats, j’espère – j’en suis même sûr – que nous aurons l’occasion d’y revenir de manière plus approfondie, car il y a là une réalité que chacun a le sentiment d’avoir vécu, sans pouvoir toujours en démontrer l’existence.

Au passage, je précise que je ne fais pas de procès d’intention aux entreprises vertueuses, nombreuses, qui se comportent bien ou à celles qui commercialisent des produits technologiquement très performants que leur extrême sophistication est susceptible de rendre fragiles.

En revanche, quel que soit le niveau de fabrication, il ne saurait servir à dissimuler des pratiques, que je qualifierai, pour être sympathique, d’expéditives et de simplistes, afin d’en raccourcir la durée de vie. Ces comportements existent, et nous avons tous en tête de nombreux exemples. Le cas le plus typique et le plus banal se présente lorsque nous achetons un produit électroménager tout en sachant, en sortant du magasin, qu’il ne fonctionnera plus dans trois ans et que l’idée même de sa réparation éventuelle ne nous traversera pas l’esprit. À mon sens, c’est une insulte au bon sens et à l’intelligence.

Quelles en sont les conséquences ? Je pense bien sûr, comme il a été dit précédemment dans le débat, à l’épuisement des ressources naturelles, qui s’accompagne d’un renchérissement du prix des matières premières. Je pense également à la saturation de l’environnement par la surproduction de déchets toxiques et son corollaire qui est le coût croissant du retraitement.

Lutter contre l’obsolescence programmée, c’est aussi, dans un registre beaucoup plus positif, promouvoir le secteur de la réparation. Monsieur le ministre, vous avez démontré votre attachement à ce sujet en expliquant que, plutôt que d’échanger ou de remplacer dans le cadre d’une garantie, il convenait avant tout d’essayer de réparer. À la clé, c’est le maintien, voire la création d’emplois qui est en jeu. On sait d’ailleurs que, lorsque des professions n’existent plus, on atteint le seuil de l’irréversibilité.

Pour toutes ces raisons, et parce qu’il importe d’atteindre ces objectifs, votre texte est un outil précieux. Nous devons donc l’étudier non seulement avec le souci d’en préserver l’équilibre initial, mais également avec celui de l’enrichir, autant que faire se peut. Au reste, j’ai cru comprendre que, dans le registre que je viens d’évoquer, à savoir l’obsolescence programmée, vous étiez disposé à entrouvrir la porte. J’espère que cet état d’esprit permettra de laisser toute sa place au débat, notamment sur ce sujet éminemment sociétal. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu.

M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais également m’associer aux louanges exprimées par bon nombre d’orateurs à l’adresse de MM. les rapporteurs de la commission des affaires économiques, Alain Fauconnier et Martial Bourquin, pour saluer la qualité de leur travail. Je sais qu’ils ont travaillé dans des conditions contraintes et je mesure bien l’ampleur de leur tâche face à un texte où chacun a à cœur de défendre son sujet, ce qui entraîne l’examen de nombreux articles additionnels. L’épaisseur de leur rapport après la discussion à l’Assemblée nationale en rend bien compte.

Il aura quand même fallu presque deux ans pour que soit à nouveau inscrit à l’ordre du jour de notre assemblée un texte ayant trait à la consommation, au pouvoir d’achat, à l’ajustement du droit aux nouvelles pratiques commerciales liées au commerce électronique notamment. Presque deux ans, en effet, puisque c’est en décembre 2011 que nous discutions dans cet hémicycle du projet de loi présenté par Frédéric Lefebvre, alors en charge, notamment, du commerce et de la consommation.

Il aura encore fallu attendre un an après l’élection du Président Hollande pour qu’enfin des sujets de fond intéressant la vie des Français nous soient soumis. En effet, nous avons consacré toute la session ordinaire à alourdir la fiscalité des ménages et des entreprises (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) et à voter des textes totalement déconnectés de la réalité avec, in fine, un véritable tripatouillage électoral.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Et allez donc !

M. Antoine Lefèvre. Ce n’est pas faux !

M. Gérard Cornu. Pendant ce temps, les Français déchantent avec un Président de la République hésitant et la France ne sort pas de cette crise dans laquelle elle est encore engluée. Les mesures économiques ambitieuses qui devraient soutenir la croissance ne viennent pas.

Cela étant, ce projet de loi reprend en réalité en partie le texte du précédent gouvernement qui était parti des problèmes concrets rencontrés par les consommateurs dans leur vie quotidienne pour parvenir à des mesures complétant utilement la loi Chatel. De ce point de vue, je ne peux que me satisfaire de certaines de ses dispositions. Je constate toutefois que près de la moitié du texte est consacrée à créer de nouvelles sanctions pour les entreprises. Elles apprécieront… D’ailleurs, on peut se demander si la consommation et le consommateur y gagneront.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui comporte un sujet majeur : l’action de groupe, que l’actuelle majorité avait déjà défendue et fait adopter en décembre 2011, mais dans une version bien plus large.

Le dispositif qui nous est ici proposé, très complexe au passage, encadre l’action de groupe. C’est déjà mieux, mais la question de sa rétroactivité inquiète les entreprises. Nous aurons bien sûr l’occasion d’en discuter et je ne m’étendrai donc pas, puisque, durant les cinq minutes qui me sont imparties, je souhaite parler d’un sujet qui me tient à cœur : l’encadrement de la profession d’opticien-lunetier.

En 2011, avec Alain Fauconnier, déjà rapporteur du projet de loi présenté par Frédéric Lefebvre, nous avions construit, après consultation des différents intéressés, un dispositif équilibré que nous avions fait adopter en commission. Dans le cadre du présent projet de loi, MM. Fauconnier et Bourquin ont souhaité reprendre à l’identique ce dispositif, qui a été adopté en commission. Je tiens à leur redire mon soutien à cet amendement, qui avait d’ailleurs été voté à l’unanimité du Sénat en décembre 2011.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Exact !

M. Gérard Cornu. L’une de ses dispositions est particulièrement sensible, alors que la désertification médicale se poursuit : il s’agit de celle qui consiste à relever de trois à cinq ans la durée pendant laquelle les opticiens-lunetiers peuvent adapter une prescription de verres correcteurs. Les ophtalmologistes étant de plus en plus rares et les délais de rendez-vous de plus en plus longs, il est impératif de rendre possible ce relèvement dans l’intérêt des patients consommateurs.

Pour moi, un projet de loi relatif à la consommation n’est ni de droite ni de gauche. Il doit relever du simple bon sens et ses auteurs doivent être à l’écoute des problèmes rencontrés par les consommateurs, tout en veillant à ne pas pénaliser l’économie et les entreprises. Il s’agit d’un équilibre subtil respectant à la fois les acheteurs et les vendeurs, équilibre que nous défendrons lors de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Trucy.

M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’occasion de cette discussion générale, je tiens moi aussi à féliciter Mmes et MM. les rapporteurs de leur travail sur un projet de loi relatif à la consommation qui touche à de nombreux et délicats sujets. Pour ma part, je ne m’exprimerai que sur la partie qui concerne la gestion de jeux d’argent et de hasard.

N’ayant pas de goût particulier pour défendre des amendements d’appel dont le sort est réglé par avance et qui font perdre un temps précieux, je vais ici, en quelques brèves minutes, tenter de vous convaincre, monsieur le ministre, sur quelques points qui me semblent importants.

Si l’adoption de la loi relative à l’ouverture du marché français aux jeux en ligne a efficacement contribué à légaliser et réguler un marché jusqu’ici totalement illégal, elle a aussi créé et mis en place des outils nouveaux et importants pour aider et conseiller les gouvernements, pour peu qu’ils acceptent d’écouter les experts dans un domaine où, jusqu’à présent, l’État est resté complètement sourd à tout ce qui lui était dit et qui était susceptible de contrarier sa démarche autoritaire et lucrative. C’est ainsi que les très graves problèmes sociaux et médicaux liés à l’addiction au jeu n’ont jusqu’ici pas bénéficié de l’attention et des moyens de l’État qu’ils méritaient.

La loi a donc créé l’Autorité de régulation des jeux en ligne, l’ARJEL, dont les analyses et les conseils débordent efficacement du cadre strict de jeux en ligne. Elle a aussi créé le Comité consultatif des jeux, que j’ai l’honneur de présider pour l’instant, et qui a pour vocation de conseiller le Gouvernement, même si celui-ci ne réclame pas les conseils.

Dans ce projet de loi, monsieur le ministre, vous avez abordé plusieurs problèmes. À l’article 72 quater, vous apportez des précisions utiles sur la définition des jeux. À l’article 72 quinquies est prévu un accroissement du temps de réponse de l’ARJEL.

Vous avez par ailleurs, et c’est une très bonne chose, renforcé les garanties que les opérateurs doivent donner à leurs joueurs par des dispositions qui manquaient dans la loi de 2010.

En revanche, s’agissant des sanctions que l’ARJEL est susceptible d’avoir à prononcer à l’égard de certains opérateurs, permettez-moi de vous dire que je les trouve relativement lourdes et excessives. J’ai appelé l’attention de Mme Michèle André, notre excellent rapporteur pour avis de la commission des finances, sur ce point, car, jusqu’ici, je n’ai jamais observé que la procédure instaurée par la loi de 2010 ait montré des défaillances. II m’est apparu, au contraire, que les rares incidents que l’ARJEL a eu à connaître ont été correctement sanctionnés, et ce dans des délais raisonnables. Mais passons sur ces procédures que vous mettez en place ; il nous appartiendra à tous de vérifier qu’elles ne sont pas contre-productives.

En outre, vous avez eu parfaitement raison d’interdire aux opérateurs de « relancer » par leurs publicités ou leurs offres d’avantages divers des joueurs qui se sont mis sous la protection de l’interdiction volontaire de jeux. Dernier recours des joueurs fragiles et dépendants quand ils ne maîtrisent plus leur comportement, l’interdiction est indispensable. Elle est parfaitement gérée par le ministère de l’intérieur et, si elle n’est pas encore adaptée aux paris hippiques et aux loteries de la Française des jeux, elle joue parfaitement son rôle pour les jeux de casino et les jeux en ligne. Encore fallait-il qu’elle soit respectée par les nouveaux opérateurs ; c’est maintenant le cas, et c’est très bien ainsi !

À l’Assemblée nationale comme devant la commission des affaires économiques du Sénat, vous avez refusé d’admettre les skill games dans le champ de la régulation française. En l’état actuel des choses, je ne vous désapprouve pas, car ce champ des jeux est pour l’instant beaucoup trop flou et l’on voit mal comment il pourrait d’ailleurs s’adapter aux contraintes nombreuses et rigoureuses que l’État impose à tous les opérateurs agréés.

Cela étant, il serait regrettable de ne pas étudier le problème des skill games avec attention. Je ne saurais trop vous conseiller de faire réaliser ces études par l’ARJEL et par l’Observatoire des jeux, qui, au sein du Comité consultatif des jeux, a une très bonne maîtrise des études et des travaux liés. En effet, si le refus de toute extension du domaine des jeux rassure les services et les fonctionnaires de l’État, qui ainsi n’ont rien à changer à leur travail, les professions du jeu ne se portent pas si bien qu’elles puissent indéfiniment se passer de jeux nouveaux, innovants, attractifs, mais bien entendu légaux et contrôlés.

J’en dirai tout autant du refus que vous opposez, dans le jeu de poker en ligne, à ce que les opérateurs agréés soient autorisés à ouvrir leurs tables de poker « à des jeux de cercle avec des joueurs inscrits sur le site d’un opérateur contrôlé par une autre autorité en charge de la régulation du secteur des jeux en ligne d’un État membre de l’Union européenne ou d’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ».

La définition complète que je viens de citer est importante. Elle mérite attention. À partir du moment où les conventions nécessaires seraient passées dans des conditions rigoureuses, cette formule donnerait à l’industrie du poker en ligne de solides arguments pour lutter contre les jeux illégaux ou contre l’hémorragie que l’on constate quand les principaux joueurs dits « professionnels » quittent le jeu en ligne français pour retourner au secteur illégal.

Cette situation n’est pas bonne ! Il ne s’agit nullement d’aller vers une augmentation intempestive du jeu, que personne ne souhaite dans les milieux responsables, mais de donner à cette industrie des chances de se développer face à la concurrence illégale. C’est dans cet esprit que la sous-direction des libertés publiques du ministère de l’intérieur et la commission consultative des jeux de cercles et de casinos autorisent actuellement plusieurs expérimentations dans ces établissements – il s’agit du punto banco, de la bataille, du bingo sous une forme ou sous une autre, et même du pittoresque et, paraît-il, traditionnel jeu réunionnais qui s’appelle le devant-derrière. (Marques d’amusement sur diverses travées.) Ce n’est qu’un nom de jeu, n’y voyez aucune connotation... (Sourires.)

Monsieur le ministre, examinez, s’il vous plaît, mes observations. Elles ne visent qu’à conforter un secteur industriel majeur de notre pays, mais en difficulté dans les domaines que j’ai évoqués, sans affaiblir, à aucun moment, le contrôle que l’État a le devoir de maintenir sur les activités à risques pour les individus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Chantal Jouanno applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à vous remercier du ton très constructif que vous avez adopté sur toutes les travées à l’égard du projet de loi, en distinguant les aspects qui vous agréent et ceux qui suscitent encore des débats. Je reviendrai en quelques mots sur deux chapitres qui ont fait l’objet de l’essentiel des interventions, à savoir la création d’un registre national des crédits aux particuliers et l’action de groupe. Je dirai également quelques mots de la résiliation des assurances et de la question des pouvoirs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF.

Je souhaite tout d’abord procéder à une mise au point concernant l’évolution des effectifs de la DGCCRF, puisque la question a été abordée par M. Tropeano et Mme Schurch. Il est clair que le présent projet de loi aura des conséquences importantes sur les pouvoirs dont disposera la DGCCRF pour remplir correctement sa mission. Il me semble que l’on se réjouit, sur toutes les travées, à l’idée que les contrôleurs de la DGCCRF disposent demain de davantage de pouvoirs pour mieux protéger les consommateurs. Encore faudrait-il que leurs effectifs soient suffisants ! Incontestablement, cette administration a été très ébranlée, voire abîmée, par cinq ans de réduction de ses effectifs, puisque, sur les cinq dernières années, ceux-ci ont décru de 16 %, si bien qu’un certain nombre de départements ne disposent plus que de cinq agents en capacité d’effectuer des contrôles.

Au regard des exigences nouvelles liées aux directives européennes ou tout simplement des exigences des consommateurs qui souhaitent être correctement protégés, il a fallu développer la polyvalence, parfois au détriment de la qualité et de la fréquence nécessaire des contrôles sur le terrain, aux dires mêmes des syndicats et des agents de la DGCCRF. Les contrôleurs passent moins de temps dans les entreprises, effectuent des contrôles moins approfondis qu’auparavant et ne sont pas aussi efficaces qu’il le faudrait pour débusquer les tentatives de tromperie et de tricherie – j’y reviendrai tout à l’heure à la lumière d’une actualité récente concernant l’ex-entreprise Spanghero à Castelnaudary, dans l’Aude.

Je peux simplement vous dire que j’ai obtenu, l’année dernière, que les effectifs de la DGCCRF soient stabilisés, alors que la quasi-totalité des administrations étaient mises à contribution, à l’exception de l’éducation nationale, de la police et de la gendarmerie. L’année prochaine, la DGCCRF, au même titre que l’éducation nationale, la police ou la gendarmerie, sera la seule administration de Bercy à voir ses effectifs augmenter, même si cette augmentation reste modeste au regard des besoins enregistrés sur le terrain : elle ne sera pas considérable, mais nous avons obtenu que cette administration dispose de quelques moyens supplémentaires pour mieux remplir ses missions.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économique. C’est l’inversion de la courbe !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Cette augmentation ne réglera pas tous les problèmes, car, au-delà de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, ce service a été également concerné par la réforme de l’administration territoriale de l’État, ou RÉATE, qui a réorganisé les missions des services déconcentrés. La DGCCRF a besoin de retrouver une chaîne de commandement beaucoup plus efficace et, à la demande du Premier ministre, nous avons engagé, depuis la réunion du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, un travail spécifique sur l’organisation des services de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les territoires, pour améliorer l’efficacité de ces services en fonction de la variété des missions de leurs agents : ceux-ci sont amenés à se rendre aussi bien dans un restaurant que dans un centre de loisirs sportifs, voire dans une entreprise, pour contrôler des activités très différentes, quand on ne leur demande pas de vérifier les pratiques du commerce en ligne…

Même si l’annonce n’est pas encore tout à fait officielle, je peux malgré tout vous dire que les effectifs de la DGCCRF devraient modestement augmenter en 2014. Je tenais à vous en informer en ouverture de notre débat.

Je souhaite revenir sur la question du registre national des crédits aux particuliers, le RNCP, et élargir le débat aux autres questions relatives au crédit, comme l’a fait Mme Dini, qui a rendu un rapport important que j’ai lu et dont le Gouvernement s’est inspiré pour construire sa politique à l’égard du crédit.

Nous avons voulu adopter une approche complète et cohérente de la politique du crédit. Il ne faut pas se contenter d’examiner mesure par mesure le dispositif proposé par le Gouvernement, mais avec un peu de recul, pour l’embrasser dans sa totalité comme s’il s’agissait d’un tableau impressionniste.

La mesure phare proposée par le projet de loi est effectivement la création du registre national des crédits aux particuliers. Je tiens à affirmer que jamais je n’ai dit ou pensé que la création de ce registre éliminerait le problème du surendettement en France. Il s’agit d’un instrument qui nous permettra de détecter de manière plus précoce les ménages qui pourraient basculer dans le surendettement. Reste que c’est un instrument d’encadrement de l’activité de crédit parmi d’autres, qui a pour principe d’être équilibré, car on peut vouloir encadrer l’activité de crédit sans pour autant remettre en cause le principe du crédit à la consommation. Ce dispositif, je le répète, interviendra parmi plusieurs autres et il ne faut pas lui attribuer davantage de vertus que ne l’ambitionne le Gouvernement lui-même : ce dispositif est important à nos yeux, mais il ne réglera pas la question du surendettement. Je le dis d’autant plus que j’ai parcouru un chemin inverse du vôtre, madame Dini : je n’étais pas très favorable à la création de ce registre lorsque je suis devenu ministre, mais c’est à l’écoute des principaux acteurs de la lutte contre le surendettement et des différentes expertises des administrations de Bercy que je me suis rangé à l’idée que la création de ce registre était nécessaire.

Pour répondre à M. Le Cam, le registre, tel que nous l’avons construit, ne recensera pas 25 millions de personnes, sinon nous ne vous le proposerions pas. Notre réflexion embrassait, au départ, les découverts, les crédits à la consommation, les crédits immobiliers, mais le Conseil d’État comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, nous ont objecté que ce fichier serait disproportionné au regard de l’objectif visé, à savoir la lutte contre le surendettement et qu’il n’échapperait pas, par conséquent, à la censure du Conseil constitutionnel. Nous avons donc retravaillé notre copie pour définir un fichier proportionné à notre objectif initial.

J’indique donc à Mme Lamure que nous avons adopté une attitude exactement contraire à celle du précédent gouvernement lorsqu’il a voulu créer un fichier des cartes nationales d’identité biométriques ou électroniques : la censure du Conseil constitutionnel était tombée, parce que le gouvernement de l’époque n’avait pas écouté les remarques qui lui avaient été présentées. Le gouvernement actuel a revu sa copie, parce qu’il a voulu présenter un texte équilibré : je ne tiens pas à faire passer une mesure en force devant les deux assemblées, avec toute la détermination du Gouvernement, pour qu’elle soit ensuite censurée par le Conseil constitutionnel ! Je veux doter notre pays d’un instrument supplémentaire qui permette de vérifier la solvabilité des ménages avant de leur attribuer le crédit de trop.

J’en viens au désaccord qui nous oppose, monsieur Le Cam. Regardez qui est pour ou qui est contre ? Qui veut aujourd’hui du registre national des crédits aux particuliers ? Le Secours catholique, la fédération CRESUS et le Secours populaire. Qui n’en veut pas ? La BNP, la Société générale et le Crédit agricole !

Ceux qui sont aux côtés des ménages surendettés souhaitent la création du registre national des crédits, mais ils ne pensent pas que nous allons éliminer ainsi le surendettement. En revanche, ce registre leur évitera, demain, d’avoir à gérer les dossiers de quelques dizaines de milliers de familles supplémentaires ; je rappelle que 200 000 nouveaux dossiers de surendettement sont déposés chaque année ; en stock – bien que le mot ne soit pas joli –, 700 000 à 800 000 familles sont concernées, d’où la question des plans de désendettement et de la durée de ces plans.

Cette réalité va croître avec les conséquences de la crise, et je sais que vous allez déposer un amendement sur la question du salaire minimum, parce que vous menez un combat pour augmenter la rémunération du travail. En raison de la crise, parce que le chômage est élevé et parce que les pensions et les salaires sont modestes, nous savons que les plus défavorisés, en premier lieu les familles monoparentales – souvent des mamans seules –, vont souscrire un crédit à la consommation, sur internet ou dans une grande surface, non pas pour procéder à un achat, mais pour régler des factures.