M. Vincent Capo-Canellas. L'article 53 prévoit un régime de sanctions administratives en cas de non-respect de certaines dispositions du droit de la consommation. Il propose notamment un paiement immédiat d'une amende administrative dès l'émission du titre de perception par l'administration, même en cas de contestation devant la justice administrative.

Cet amendement a pour objet de prévoir que tout recours ait un effet suspensif, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue. Le principe du paiement immédiat porte atteinte, à mes yeux, aux droits de la défense puisque toute discussion sur un potentiel manquement commencera d'abord par une sanction, le débat contradictoire n’intervenant réellement qu’après le paiement de l'amende en cas de contestation devant la justice.

Dans un tel schéma, une entreprise pourrait donc être condamnée à tort, alors que, au surplus, les infractions visées dans le code de la consommation à l'article 54 du présent projet de loi soulèvent des débats et devraient à ce titre être soumises, en premier lieu, à l'appréciation du juge.

De plus, compte tenu du montant des amendes, cette procédure pourrait s'avérer très pénalisante, voire catastrophique pour les entreprises les plus fragiles, et ce dans un contexte de crise marquée. C'est la raison pour laquelle nous proposons que tout recours ait un effet suspensif.

Cette suspension du paiement de l’amende, jusqu’à ce qu’une décision de justice devenue définitive soit intervenue, permettrait de rétablir un équilibre dans ce texte, qui confère des pouvoirs exorbitants à l'administration tout en réduisant parallèlement les droits et garanties dont bénéficiaient les intéressés en matière pénale jusqu’alors.

Mme la présidente. L'amendement n° 619, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéa 7

Supprimer les mots :

et émettre le titre de perception correspondant

II. - Alinéa 8

Remplacer les mots :

est publiée

par les mots :

peut être publiée

La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Il s'agit de modifier l'article 53 sur les sanctions administratives en supprimant la mention de l'émission d'un titre exécutoire et en prévoyant la possibilité de publication.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Martial Bourquin, rapporteur. L'amendement n° 361 rectifié vise à suspendre le paiement de l'amende administrative en cas de recours.

Lorsque l'urgence le justifie et qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision administrative, les articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative prévoient une procédure de référé, ce qui peut permettre d'obtenir la suspension d’une amende.

L'amendement est donc en partie satisfait par le droit en vigueur. En allant plus loin, nous prendrions le risque de provoquer un engorgement des juridictions. C’est pourquoi je propose d’en rester là.

En ce qui concerne l'amendement n° 619, j’y suis favorable et je salue son pragmatisme.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 361 rectifié ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote sur l’amendement n° 361 rectifié.

M. Vincent Capo-Canellas. J’ai du mal à comprendre en quoi l’adoption de mon amendement provoquerait un engorgement des juridictions. M. le rapporteur, lui, invite les justiciables à recourir à une autre procédure : le référé. Finalement, une instance sera bien saisie !

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 361 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 619.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 573, présenté par Mme Lamure et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 7

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

« La personne mise en cause est informée de sa faculté de former devant le juge judiciaire un recours de pleine juridiction, dans les soixante jours de la notification de la décision. Ce recours est suspensif.

La parole est à Mme Élisabeth Lamure.

Mme Élisabeth Lamure. Cet amendement tend à introduire en faveur des entreprises une voie de recours juridictionnel devant le juge judiciaire à l'encontre des sanctions prononcées par la DGCCRF. Ce recours aurait un effet suspensif. En effet, le principe selon lequel une même autorité instruit, sanctionne et recouvre l'amende prononcée sans l'intervention d'un juge soulève des craintes importantes quant au respect des droits de la défense.

Par ailleurs, l'imposition d'une sanction administrative d'un montant trop élevé risquerait de s'avérer fatale pour la pérennité de certaines petites et moyennes entreprises, quand bien même la sanction serait in fine annulée ou considérablement réduite par le juge.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Martial Bourquin, rapporteur. Ce débat est revenu de façon lancinante au cours des auditions et des travaux menés par la commission des affaires économiques.

Sans entrer dans le détail, je rappelle que la compétence du juge administratif en matière de sanctions administratives est traditionnelle. Dans sa décision du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi de la loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, a certes admis qu’il était loisible au législateur, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, d'unifier les règles de compétence juridictionnelle. Cependant, le juge constitutionnel a souligné qu’il s'agissait d'une dérogation au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publique par les autorités administratives.

L'amendement que vous défendez, ma chère collègue, est donc contraire à l'orientation qu’a choisie la commission des affaires économiques, laquelle vise à faire en sorte que ces nouveaux droits et pouvoirs des consommateurs soient rendus effectifs grâce à l'intervention d'un bras armé dans ce domaine, incarné par la DGCCRF.

La commission a donc émis un avis défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je vais tenter d'étayer l'avis du Gouvernement. Pardonnez-moi donc si je répète certains arguments déjà avancés par M. le rapporteur.

Le juge administratif est déjà compétent pour statuer sur les recours formés contre les mesures d'injonction et de police administrative prises par les agents de la CCRF. Il est donc d'ores et déjà conduit à trancher des contentieux en matière de contrats de service ou de clauses abusives. À cet égard, il est de plus en plus familier avec le droit de la consommation, par exemple lorsqu’il doit examiner son application dans les contrats de fourniture d'énergie entre les collectivités et les usagers. Il n’y a donc aucune raison de transférer ce nouveau contentieux au juge judiciaire, d'autant plus que le droit de la consommation n’a pas suscité de divergences d'interprétation entre les deux ordres de juridiction.

En outre, ce transfert de compétence juridictionnelle concernerait uniquement les amendes administratives créées par le présent projet de loi tandis que les contestations relatives aux injonctions et mesures de police administrative prises sur le fondement du code de la consommation continueraient à relever de la compétence du juge administratif.

Ce transfert ne permettrait donc pas véritablement d'unifier le contentieux du droit de la consommation au profit du juge judiciaire. Il ne serait par conséquent pas conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle ne permet au législateur de déroger au champ de compétence constitutionnelle dévolue au juge administratif qu’uniquement dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, c'est-à-dire afin d'éviter la dispersion des contestations.

De plus, le fait que, devant le juge administratif, la possibilité d'obtenir le sursis à exécution des décisions administratives contestées existe, sans qu’il soit besoin de le prévoir expressément, ne fait que renforcer la position du Gouvernement en faveur du maintien de ces contentieux dans le champ de compétence du juge administratif.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 573.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 35, présenté par Mme Bonnefoy, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Alinéa 10

Supprimer les mots :

passibles d’amendes dont le montant maximal excède 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis de la commission des lois. Cet amendement vise à remédier à un problème de constitutionnalité du texte, qui risquerait d’exposer les entreprises à des niveaux de sanctions cent, deux cents, voire mille fois supérieurs à la répression pénale correspondante.

En matière pénale, lorsqu’un même contrevenant se rend coupable de plusieurs infractions identiques, il ne peut être condamné qu’à concurrence du niveau le plus élevé de peine encourue. Le présent article reprend cette règle, conforme au principe de la nécessité des peines, en ne l’appliquant toutefois qu’aux amendes d'un montant supérieur à 3 000 euros.

Je vais prendre un exemple : supposons qu’un commerçant ait mal étiqueté un peu plus de mille produits en rayon ; même si la DGCCRF ne le condamne qu’à 1 % du montant de l'amende encourue, il pourrait se trouver dans la situation de devoir acquitter 30 000 euros, soit un montant hors de proportion avec l'infraction pénale correspondante ou la sanction de manquements beaucoup plus graves. Potentiellement, si la DGCCRF le condamne à la peine maximale, l’amende encourue est de 3 millions d’euros !

Ce faisant, le dispositif pose question au regard de l’exigence constitutionnelle de nécessité et de proportionnalité des peines. J’ajoute d'ailleurs que la rédaction proposée pour cet amendement reprend celle qui a été retenue dans le projet de loi à l'alinéa 11 de l'article 59 relatif aux amendes prononcées en cas de manquement aux règles du droit de la concurrence : « Lorsqu’une amende administrative est susceptible de se cumuler avec une amende pénale infligée, à raison des mêmes faits, à l'auteur du manquement, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé. »

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Martial Bourquin, rapporteur. Cet amendement vise à étendre la règle de non-cumul des infractions non seulement aux amendes supérieures à 3 000 euros, comme le prévoit le projet de loi, mais aussi à celles inférieures à ce seuil.

L'application plus systématique de la règle de non-cumul des sanctions est conforme à la logique juridique, mais, ici encore, la réalité du terrain et l’efficacité peuvent conduire le législateur à adopter une disposition dérogatoire.

La commission des affaires économiques a émis, pour sa part, un avis favorable, mais nous souhaiterions connaître l’avis du Gouvernement sur cette question. Peut-il nous éclairer sur la justification d'une éventuelle différence de traitement entre les sanctions d'un montant de 3 000 euros et les autres ?

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Je vais tenter de dissiper l'inquiétude de Mme la rapporteur pour avis quant à la question de constitutionnalité.

La rédaction du texte a naturellement été visée par la Chancellerie, en lien avec mon ministère, afin d’assurer la plus grande sécurité juridique possible.

Cela étant, les règles de cumul des sanctions administratives posées par le présent projet de loi sont très largement inspirées de celles qui sont applicables en droit pénal. Par dérogation au principe de non-cumul des peines, en vertu duquel les peines de même nature ne peuvent se cumuler que dans la limite du maximum légal le plus élevé de l'une des infractions, il se trouve que l'article 132-7 du code pénal prévoit que les peines d'amende de niveau contraventionnel peuvent se cumuler sans aucun plafonnement.

En prévoyant qu’en cas de manquement, en concours, le montant global des sanctions pécuniaires prononcées ne pourra dépasser le montant le plus élevé de l'une des sanctions administratives encourues, hormis pour les manquements passibles d'amendes d'un montant inférieur à 3 000 euros, le projet de loi ne fait donc que transposer les règles de cumul applicables en droit pénal.

Dans ces conditions, adopter le présent amendement reviendrait à diminuer le montant global des amendes susceptibles d'être prononcées en cas de cumul de manquements passibles d'amendes d'un montant inférieur à 3 000 euros, donc de niveau contraventionnel. Cela reviendrait ainsi à diminuer l'effet dissuasif des sanctions administratives qui pourront être prononcées en lieu et place des sanctions pénales. J’insiste sur ce point, car le projet de loi répond à une recommandation de la Commission européenne, qui a demandé à la France d'élever le quantum des peines.

Quel est l'objectif du dispositif ? Faire en sorte que le système ne profite plus au tricheur, à celui qui tente de réduire ses coûts en commettant une infraction. Dans l’affaire dite « de la viande de cheval », que représentent 185 000 euros d'amende maximale encourue au regard des 500 000 euros de bénéfice indu ? Au bout d’un mois de tromperie, on est certain d’amortir le montant de la sanction.

Dans un souci de cohérence et dans la mesure où le présent projet de loi vise à renforcer le caractère dissuasif et répressif des sanctions susceptibles d’être prononcées à l’égard des professionnels qui portent atteinte aux intérêts des consommateurs, le Gouvernement ne peut qu’être défavorable à cet amendement. Je rappelle en outre que la rédaction des articles en question a été validée par le Conseil d’État.

Enfin, il convient de rappeler à toutes fins utiles que si, sur ce point, la rédaction de l’article 53 du projet de loi diffère de celle de l’article 59, qui concerne les sanctions administratives qui pourront être prononcées en application du code de commerce, ce n’est pas parce qu’aucune de ces dernières n’est inférieure à 3 000 euros. C'est ce qui explique que ce cas de figure n’est pas prévu à l’article 59.

Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin, rapporteur.

M. Martial Bourquin, rapporteur. Après avoir entendu les éclaircissements apportés par M. le ministre et au vu des fraudes qui défraient aujourd’hui la chronique – je pense notamment aux agissements de certains traders sur le marché de la viande, que M. Le Foll nous a décrits en commission –, j’estime qu’il faut voter le cumul des peines. Face à des problèmes aussi graves, la sanction doit être maximale ! C’est la peur de cette sanction qui va agir sur le comportement des tricheurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. La position de la commission des lois, exprimée par Mme la rapporteur pour avis, me paraît explicite au regard de l’exigence constitutionnelle de nécessité et de proportionnalité des peines.

Je suis donc favorable à cet amendement, et mon groupe le votera.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)

Mme la présidente. L'amendement n° 362 rectifié, présenté par Mmes Létard et Dini, M. Tandonnet et les membres du groupe Union des Démocrates et Indépendants - UC, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 10

Insérer un paragraphe ainsi rédigé :

« … – Le recours de pleine juridiction formé contre les décisions prononçant une amende administrative mentionnées aux I, II et III de l’article L. 141-1 du code de la consommation s’exerce devant la juridiction judiciaire, dans les deux mois de la notification de la décision, selon des modalités déterminées par décret en Conseil d’État.

La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Le rapport pour avis de la commission des lois a souligné le problème posé par l’éclatement du contentieux du droit de la consommation entre les deux ordres de juridiction, administratif et judiciaire. Nous partageons cette inquiétude.

Hormis un basculement total du droit de la consommation, ce dualisme juridictionnel pour une même branche du droit manque totalement, me semble-t-il, de cohérence. Mme la rapporteur pour avis rappelle d’ailleurs qu’une telle position avait été celle du Sénat en 2011, avec le soutien de la commission des affaires économiques. Elle pointe le risque de divergence de la jurisprudence entre ces deux ordres.

Nous souhaitons le réaffirmer, le juge naturel des relations entre professionnels et consommateurs est le juge judiciaire et non le juge administratif. Il serait dangereux et contre-productif pour la protection du consommateur de laisser se créer un deuxième contentieux du droit de la consommation devant le juge administratif.

L’adoption de cet amendement permettrait de conserver l’ensemble du contentieux du droit de la consommation au juge judiciaire et d’éviter que différents ordres de juridiction aient à se prononcer sur une même branche du droit.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Martial Bourquin, rapporteur. Dans le débat opposant les juridictions judiciaires et administratives, nous avons clairement pris position pour que la compétence relative aux sanctions et aux injonctions soit confiée à la DGCCRF et au juge administratif.

L’avis de la commission est donc le même que sur les amendements précédents. Il s’agit d’un choix politique. Il y a un vrai savoir-faire de la DGCCRF et les juges administratifs sont des juges à part entière, capables de se prononcer sur de grandes affaires semblables à celles que nous connaissons aujourd’hui.

Nous défendrons cette position lors de l’examen des différents amendements portant sur le sujet.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Chacun l’a parfaitement compris, nous avons fait le choix de ne pas judiciariser le contentieux. Nous ne voulons pas nous retrouver dans cette situation – j’observe toutefois que différentes approches existent – où l’on complique les conditions dans lesquelles on met en œuvre le droit. Nous faisons donc en sorte de lutter contre la palette des infractions et des tromperies que l’on peut aujourd’hui, hélas ! constater.

Les organisations patronales et les grandes entreprises en particulier préféreraient, je le sais, que le juge judiciaire soit compétent dans ces affaires. Pour notre part, nous pensons au contraire qu’il faut rendre le droit beaucoup plus effectif.

Tel est, je le confirme, le choix du Gouvernement. Il justifie que nous soyons défavorables à cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 362 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 34, présenté par Mme Bonnefoy, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. L. 141-1-3. – L’examen des recours formés contre les amendes administratives prononcées par l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation sur le fondement de l’article L. 141-1-2 et les injonctions prononcées par la même autorité sur le fondement de l’article L. 141-1-1-1 est de la compétence du juge judiciaire. »

La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur pour avis de la commission des lois. Cet amendement tend à consacrer la compétence du juge judiciaire, juge naturel du droit de la consommation, pour connaître des sanctions administratives et des injonctions prononcées par la DGCCRF. Il s’inspire de la position adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat en 2011, qui avaient prévu de retenir la compétence judiciaire pour les sanctions relatives aux clauses abusives et aux contentieux de l’information contractuelle.

Le débat sur la compétence du juge judiciaire et celle du juge administratif tourne autour de quatre questions.

Premièrement, est-il constitutionnel de confier au juge judiciaire la compétence en matière de sanctions administratives relatives au droit de la consommation ? La réponse de la commission des lois est oui ! Le Conseil constitutionnel reconnaît, de manière constante, que si un principe fondamental reconnu par les lois de la République réserve bien en principe à la juridiction administrative le contentieux de l’annulation ou de la réformation des décisions administratives, le législateur a toujours la possibilité de déclarer la juridiction judiciaire compétente en ces matières si cela répond à l’intérêt général d’une bonne administration de la justice.

Deuxièmement, est-ce conforme avec ce que le législateur a fait jusqu’à présent ? Pour la commission des lois, la réponse est oui ! Les exemples en la matière abondent : il y va ainsi du contentieux relatif aux sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence, l’Autorité des marchés financiers, l’administration fiscale pour les taxes indirectes et l’ARCEP.

À chaque fois, le fil suivi par le législateur a été celui de la cohérence entre la compétence au fond et celle relative aux sanctions : le juge judiciaire étant le juge naturel des parties, il était logique que les sanctions des manquements aux règles soumises à son interprétation lui soient soumises aussi.

Rien ne distingue de ce point de vue le champ de la consommation de celui de la concurrence ou des marchés financiers, ce qui plaide en faveur de la compétence du juge judiciaire. C’est d’ailleurs cet argument qui avait convaincu le Sénat et l’Assemblée nationale en 2011

Troisièmement, est-ce conforme aux souhaits des principaux intéressés ? Une nouvelle fois, la réponse est positive : ni les représentants des entreprises ni ceux des consommateurs ne réclament la compétence du juge administratif. Au contraire, les représentants des entreprises se sont clairement prononcés en faveur du juge judiciaire, et les associations de consommateurs, lorsqu’elles ont exprimé une préférence, privilégient le juge judiciaire, en qui elles ont une grande confiance.

Enfin, et surtout, est-ce plus efficace ? Là encore, la réponse est oui ! Je rappelle en effet que la durée moyenne de traitement des affaires devant le juge administratif est bien supérieure à celle des affaires portées devant le juge judiciaire. Ainsi, en 2011, pour les affaires ordinaires, le délai de traitement était systématiquement plus court devant les juridictions judiciaires au civil que devant les juridictions administratives : dix-sept mois devant le Conseil d’État, contre un peu moins de treize mois devant la Cour de cassation ; un an et deux mois et demi devant les cours administratives d’appel, contre seulement un an et quinze jours devant les cours d’appel judiciaires ; surtout, plus de deux ans devant les tribunaux administratifs, contre seulement neuf mois devant les tribunaux de grande instance !

Selon la commission des lois, l’efficacité et la célérité en matière de consommation sont clairement du côté du juge judiciaire. L’intérêt du justiciable, comme celui d’une bonne administration de la justice militent donc pour qu’il reste compétent pour les contentieux des sanctions relevant du droit de la consommation.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Martial Bourquin, rapporteur. La commission des affaires économiques a longuement abordé cette question. Elle pense, comme le Gouvernement, que le fait de choisir la juridiction administrative est un choix politique. La CCRF, grâce à de nouveaux effectifs – ils avaient été singulièrement diminués durant la législature précédente – et des pouvoirs confirmés, pourra faire appliquer ce projet de loi de défense des consommateurs.

La CCRF montre déjà son efficacité dans les territoires. À chaque fois que le recours à une juridiction sera rendu nécessaire, le juge administratif devra être capable de rendre la justice dans les délais les plus courts.

Ce débat est identique à celui que nous avons eu tout à l’heure. La commission des affaires économiques estime, comme le Gouvernement, que le juge administratif doit avoir compétence pour appliquer les dispositions prévues par ce projet de loi. Elle est donc défavorable à l’amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Le Gouvernement émet un avis très défavorable, et je vais en expliquer les raisons.

La compétence du juge judiciaire est effectivement réclamée par les organisations patronales et les entreprises. Leur position est parfaitement assumée.

Reste, madame la rapporteur pour avis, que vos statistiques sont spécieuses, car, en matière de contentieux administratif, elles intègrent les contentieux de masse, notamment ceux qui concernent les étrangers. Hors contentieux des étrangers, les statistiques de la juridiction administrative sont meilleures que celles du juge judiciaire en termes d’effectivité du droit. Or l’analyse du Gouvernement est fondée sur la recherche de l’efficacité. D’ailleurs, la doctrine reconnaît aujourd’hui les difficultés et les lenteurs de la juridiction judiciaire.

Je vous signale au passage que la proposition visant à la dépénalisation et la déjudiciarisation de ce contentieux émanait de M. Novelli, suivi par M. Lefebvre et tous les membres du gouvernement Fillon. Tout le monde a fait le même constat : il faut en passer par le juge administratif pour rendre plus effectif le droit et le contentieux liés à la consommation.

Par conséquent, je le redis avec beaucoup de force, si nous voulons protéger plus efficacement les consommateurs et régler les litiges liés à la consommation, c’est l’orientation qu’il nous faut prendre. J’espère que le Sénat suivra en cela les options prises à l’Assemblée nationale et les propositions du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Je me suis permis d’évoquer tout à l’heure l’excellent rapport de la commission des lois en présentant mon amendement, et je me réjouis que Mme la rapporteur pour avis maintienne sa position avec brio. Nos deux amendements se rejoignent et doivent nous inviter à réfléchir.

Monsieur le ministre, ce n’est pas parce que les entreprises ou certains représentants du monde patronal réclament quelque chose qu’il faut par essence l’écarter. Il convient d’envisager toutes les positions et d’écouter les acteurs de terrain. Pour ma part, je ne comprends pas que le Gouvernement continue dans la voie de la justice administrative. Nous cherchons à rendre effectif ce texte. Or la dualité juridictionnelle risque de l’affaiblir.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.

M. Joël Labbé. Après avoir recueilli l’avis de nos collègues juristes qui siègent à la commission des lois, je puis dire que le groupe écologiste soutiendra la proposition contenue dans l’amendement n° 34.

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, je demande une suspension de séance.

Mme la présidente. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le président de la commission.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt-cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

Je mets aux voix l'amendement n° 34.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)