M. Rémy Pointereau. Très bien !

M. Éric Doligé. Faut-il légiférer pour faire découvrir aux Français que l’on peut avoir commencé au bas de l’échelle à la Cour des comptes et franchir tous les échelons sans y mettre les pieds et toucher la retraite maximale ? On dit que tout travail mérite salaire. Dans le cas présent, il est possible d’avoir une retraite à taux plein sans avoir travaillé. Est-ce normal ?

Monsieur le ministre, vous avez choisi, à la demande du Président de la République, de supprimer tout cumul de fonctions exécutives avec un mandat de parlementaire. Dans la mesure où, en dépit des réticences du Sénat et de nombre de vos collègues du parti socialiste, l'Assemblée nationale imposera, comme vous l’avez dit dans votre intervention liminaire, le texte, nous pouvons essayer de l’améliorer.

Pour ma part, je défendrai quelques amendements visant à souligner certains aspects.

En premier, je considère que, si l’on doit réorganiser le cumul des fonctions, on ne doit pas prendre des dispositions maximalistes et irréversibles.

On est en droit de se poser une multitude de questions légitimes, qui n’ont pas été traitées. Nous sommes plus dans la précipitation et la pression que dans la réflexion.

Monsieur le ministre, souhaitons que ce débat évite de dresser une caricature des parlementaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. Michel Vergoz. La caricature, c’est vous !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest. (M. Rémy Pointereau applaudit.)

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans une société hypermédiatisée, il faut bien sûr trouver des boucs émissaires. Je vous conseille à tous – je dis bien « tous » ! – de relire la fable intitulée Les Animaux malades de la peste.

La crise de la représentation dont nous voyons l’aggravation dans tous les secteurs de la vie non seulement politique, mais également économique et sociale – il existe une véritable crise de la représentation ! – tiendrait, paraît-il, à une raison unique pour ce qui concerne les parlementaires : le cumul des mandats. D’ailleurs, beaucoup de nos concitoyens critiquent plus le cumul des indemnités que celui des mandats. Ainsi que l’a très justement noté précédemment le président Rebsamen, ils ne font pas vraiment la distinction entre les deux.

Dans ce cas, il convient aussi de s’attaquer au cumul des indemnités de certains barons locaux, qui ne sont pas parlementaires. Monsieur le ministre, je pourrais vous donner quelques exemples qui montrent que la multiplication des indemnités ne se justifie pas vraiment.

Certes, la décentralisation, qui a confié aux collectivités locales de nouvelles responsabilités, autrefois assumées par l’État, a vu émerger des fonctions de plus en plus lourdes et sans doute aujourd’hui peu compatibles avec l’exercice d’un mandat parlementaire. Notre excellent collègue de Seine-et-Marne a indiqué précédemment qu’il se repentait presque d’avoir été président de conseil général et parlementaire ; il a, me semble-t-il, quitté l’hémicycle.

Certains se vantent de ne pas cumuler de mandats. Voilà qui est formidable ! Mais je me méfie des repentis. Pour ma part, je me garderai bien de vous faire part de mon expérience personnelle – il faut garder une certaine humilité, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre –, si ce n’est pour vous dire que, depuis 1986, j’ai assumé à la fois un mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales. Je suis un affreux ! (Sourires.) Cependant, toutes ces fonctions, quelles qu’elles soient, ont nourri, je vous l’assure, à la fois ma réflexion de législateur et mon expérience de gestion locale.

Néanmoins, ce qui m’a toujours frappé, c’est la manière dont le Sénat aborde les questions relatives aux collectivités locales, mais pas seulement, monsieur le président Sueur. Voyez ce qu’il en est des textes concernant l’enfance. Des maires se retrouvent aussi confrontés à ces difficultés. Tout cela compte. Notre assemblée est révélatrice de la compétence et de l’expérience de beaucoup de nos collègues.

Pourtant, nos collègues députés sont aussi « cumulards » que nous. Pourquoi ne consacrent-ils pas autant de temps et de minutie à améliorer la législation ? Cela tient au fait qu’ils n’ont pas tout à fait les mêmes préoccupations que nous ! Ceux d’entre nous qui ont été député le savent bien. Certains n’accordent de l’importance qu’au créneau de quinze à seize heures des mardis et mercredis !

Il faut se poser la question : Pourquoi le cumul des mandats, pourtant limité en 1985 et en 2000, avec l’accord du Sénat…

M. Philippe Bas. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest. … – je ne me souviens pas de la loi de 1985, mais les dispositions de la loi organique de 2000 ont été votées en termes identiques par les deux assemblées –, n’a pas vraiment cessé, ou, plutôt, s’est étendu en raison, notamment, du développement de l’intercommunalité et du démembrement des collectivités locales dans d’innombrables institutions. Et avec la métropole de Paris, on ne pourra plus faire que cela !

Ce cumul s’explique par le besoin d’une implantation. C’est ainsi que cela se passe. On fait confiance aux personnes reconnues localement pour accéder au mandat de parlementaire.

M. Rémy Pointereau. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest. Pourquoi serait-ce choquant et scandaleux ? Je ne pense pas qu’il en soit ainsi, à condition toutefois de ne pas cumuler trop de mandats et fonctions au point de ne plus pouvoir exercer pleinement chacun d’entre eux.

Faut-il interdire totalement le cumul du mandat parlementaire et des fonctions exécutives locales, le limiter, et faut-il réserver un traitement particulier au Sénat ?

Tout d’abord, il n’est pas prouvé, même si des contre-exemples existent, que l’exercice de fonctions locales empêche d’assumer pleinement un mandat parlementaire. C’est une question d’organisation et de disponibilité. Il ne faut pas non plus prendre trop de loisirs !

M. Michel Vergoz. Et la famille !

M. Jean-Jacques Hyest. Je réponds par là même à l’interview de M. Sutour ce matin. De ce point de vue, le rapport de notre collègue n’est pas totalement pertinent.

Pour avoir cosigné, avec plusieurs de mes collègues, une proposition de loi interdisant aux parlementaires d’exercer une fonction exécutive locale importante – présidence d’un conseil général ou régional, maire d’une grande ville, présidence d’une communauté d’agglomération, etc. –, j’estime que nous devrions plutôt nous engager dans cette voie. C’est d’ailleurs ce que nous proposons, d’autant que la limitation du cumul des indemnités serait liée à celle du cumul des mandats.

Toutefois, la question importante sur laquelle vous avez longuement insisté, monsieur le ministre, monsieur le président Sueur, est relative à la spécificité du Sénat.

On nous brandit la perspective apocalyptique d’un abaissement du Sénat si l’on adopte la disposition visant à réserver un sort particulier aux sénateurs. Or si abaissement il y a, il est largement dû à l’absence de majorité dans notre assemblée et à la manière dont les choses se passent depuis quelques mois. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)

M. François Rebsamen. Avant aussi !

M. Jean-Jacques Hyest. Même si cela ne s’est pas passé sans difficulté avec le général de Gaulle, la Constitution de la Ve République avait redonné au Sénat, à comparer avec le Conseil de la IVRépublique, un rôle équivalant à celui de l’Assemblée nationale : il est législateur comme l’Assemblée nationale, tout en assurant, de surcroît, la représentation des collectivités locales. La règle du dernier mot donné à l’Assemblée nationale n’est donc que subsidiaire, même si elle a été très utilisée au cours des derniers mois. Le recours à la procédure accélérée pour l’examen des textes devient presque une habitude. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Hélène Lipietz. Ça, c’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest. Certes, tel n’a pas été le cas pour le projet de loi relatif aux métropoles, mais, sur un tel texte, il était difficile de recourir à cette procédure. En ayant recours à la procédure accélérée quasiment sur tous les textes, il n’y a plus de dialogue entre les deux assemblées. Telle est la réalité !

Je suis d’accord pour déclencher cette procédure pour des textes simples n’exigeant pas de longs débats, mais je ne le suis pas pour tous les textes similaires à celui que nous examinons aujourd'hui.

Vous affirmez, monsieur le ministre, que la suppression du cumul des mandats va magiquement revaloriser le rôle du Parlement. La révision constitutionnelle de 1995 visait en théorie principalement – souvenez-vous-en, mes chers collègues qui étiez alors parlementaires – à réguler le travail parlementaire. Le Parlement devait siéger trois jours par semaine et un nombre maximum de jours de séance avait été fixé. Ces principes ont été oubliés, et tout s’est même accéléré. L’échec de cette révision est évident. La révision constitutionnelle de 2008, que la gauche avait pourtant refusée dans sa majorité, avait aussi pour objectif de revaloriser le Parlement. Malgré ces révisions constitutionnelles, avons-nous véritablement progressé dans le sens d’une République plus parlementaire ? Je vous laisse le soin de répondre à cette question.

On connaît une inflation échevelée de la législation, mais on n’a, il est vrai, plus rien à dire : à partir du moment où l’on trouve une phrase dans le programme d’un candidat à l’élection présidentielle, on ne devient que spectateur de la future législation.

Un spécialiste aussi avisé que Pierre Avril nous met en garde contre une réforme qui couperait la représentation nationale des élus locaux et, surtout, qui accélérerait la présidentialisation du régime. Aussi, je ne suis pas prêt à accepter le dogmatisme et le manichéisme dont beaucoup de rapports nous ont asséné la nécessité, au nom de la modernité.

D’ailleurs, je constate que les auteurs de ces trois rapports, MM. Balladur, Attali et Jospin – qui certes a été conseiller général –, n’ont jamais exercé de mandat exécutif local. Jamais !

Mme Corinne Bouchoux. Raymond Barre non plus, et il a été Premier ministre !

M. Jean-Jacques Hyest. Il a été maire de Lyon… Tout de même !

Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz. Après !

M. Éric Doligé. Peut-être, mais il n’a pas écrit un rapport sur le cumul !

M. Jean-Jacques Hyest. En tout cas, Raymond Barre m’a toujours dit que le mandat de maire était sa plus belle expérience, et qu’il regrettait de ne pas l’avoir exercé plus tôt.

M. Manuel Valls, ministre. Pas d’attaque personnelle contre M. Hyest ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Hyest. Surtout s’agissant de Raymond Barre ! (Nouveaux sourires.)

Mes chers collègues, il semblerait que notre débat soit vain.

Je n’ignore rien des menaces qui pèsent sur la commune, au nom de la modernité : le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles ainsi que le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové en sont les prolégomènes – nous en reparlerons. D’autres menaces pèsent sur le département, déjà asphyxié financièrement, avec l’invention du binôme.

M. Antoine Lefèvre. Très moderne ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Jacques Hyest. Demain, d’autres peut-être viseront le Sénat, qui pourtant a bien servi la République.

Monsieur le ministre, moi qui ai toujours défendu l’égale qualité de législateur du Sénat et de l’Assemblée nationale, je voterai les amendements instaurant une spécificité du Sénat en matière de cumul des fonctions exécutives locales. Je les voterai d’autant plus que votre projet de loi organique est sans nul doute un projet de loi organique relatif au Sénat, comme l’a très brillamment démontré notre collègue Philippe Bas ! (Applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP.)

M. Philippe Bas. Merci, mon cher collègue !

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.

M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en prenant la parole, après de nombreux autres orateurs, dans ce débat sur le cumul des mandats, j’ai l’impression d’aborder une arlésienne, et sans doute l’une des plus anciennes de notre République, en tout cas pour ce qui est des dernières décennies.

Quelque respect que j’éprouve pour Alphonse Daudet, et pour Bizet qui s’est efforcé de mettre en musique son vaudeville, je ne suis pas mécontent que le Gouvernement nous offre la possibilité de mettre un terme à cette dispute en nous présentant un projet de loi organique et un projet de loi dont l’annonce – peut-on s’en étonner ? – figurait dans le programme du Président de la République.

Il me semble donc que nous sommes fondés à débattre de cette question, mais aussi à nous interroger sur les raisons qui poussent le Gouvernement à nous présenter ces projets de loi et qui peuvent nous pousser à les adopter.

S’il s’agissait de moraliser la vie publique, comme j’ai cru comprendre que certains le soutenaient, nous serions tous en droit de protester ; nous n’avons pas à rougir de tenir nos mandats, et parfois plusieurs mandats, de la confiance de nos concitoyens. De ce point de vue, du reste, il eût suffi d’interdire le cumul des indemnités pour régler le problème d’une manière claire, nette et définitive.

Si, en revanche, il s’agit de moderniser nos institutions politiques, parlementaires et locales, le débat mérite d’être repris, tant le malaise civique est profond. Je regrette d’ailleurs que cette question n’ait été évoquée qu’à la marge par les oratrices et les orateurs qui m’ont précédé.

Au fond, ce qui pose aujourd’hui question, c’est le fonctionnement de nos institutions, l’idée que nos concitoyens s’en font et l’écart, qu’ils perçoivent comme de plus en plus grand, entre ce que nous représentons et leur vie quotidienne.

Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait !

M. Gaëtan Gorce. Dans ces conditions, la limitation, voire l’interdiction, du cumul d’un mandat parlementaire avec un mandat exécutif local sont-elles la solution ? La réponse est : oui et non à la fois.

Oui, si l’on veut bien considérer que, en réponse aux appels que nos concitoyens nous adressent, nous devons commencer à nous adapter et à mettre en place des règles accordées au temps présent.

D’où vient le cumul ? Il est, au départ, la conséquence de la centralisation de nos institutions. En effet, bondir au Parlement, à la Chambre des députés ou au Sénat était une manière pour l’élu local de pouvoir résister au préfet ou au ministre.

Paradoxalement, la décentralisation, qui aurait dû mettre un terme à ce phénomène, l’a presque accentué. C’est dire qu’il a une autre cause, qui tient à la dévalorisation de notre Parlement, lequel est le cœur même des institutions de la Ve République.

En d’autres termes, si l’on veut aujourd’hui renforcer la confiance que nos concitoyens portent à la politique et à leurs parlementaires, il faut à la fois interdire le cumul et supprimer la cause qui l’entraîne, c’est-à-dire l’insuffisance des moyens et des prérogatives propres de nos assemblées.

À cet égard, monsieur le ministre, je regrette que le Gouvernement n’ait pas présenté, ni même annoncé, une réforme d’envergure propre à satisfaire cette ambition.

Monsieur le président, monsieur le président du groupe socialiste, je souhaiterais que le président du Sénat se saisisse très rapidement de cette question, afin qu’une réflexion soit engagée qui débouche sur des propositions concrètes pour conforter la réforme sur le cumul des mandats en donnant à nos assemblées les moyens et les prérogatives qui leur manquent.

Certains orateurs ont prétendu que, si nous votions cette réforme, nous mettrions en danger l’équilibre des institutions. Je suis de l’avis contraire et je crois même qu’elle assurera l’avenir de notre Sénat.

Il y a quelques instants, un ancien président du Sénat, qui s’est d’ailleurs absenté,…

M. Philippe Bas. Comme la plupart de vos collègues !

M. Gaëtan Gorce. … comme Mme Benbassa, ainsi qu’il l’a alors souligné, a évoqué le risque qui pèserait sur notre assemblée ; sans doute pensait-il à de futures responsabilités… Assurément, il y a dans ce débat une démagogie populaire, ou populiste ; mais il me semble qu’il y a aussi une forme de démagogie parlementaire, qui consiste à flatter les habitudes et à refuser le changement. (M. Claude Dilain ainsi que Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz applaudissent.)

Mes chers collègues, si nous voulons que le Sénat se renforce et qu’il joue pleinement son rôle, nous ne devons pas le tenir à l’écart des mouvements plus généraux réclamés par nos concitoyens !

S’il est une idée que nous devons garder à l’esprit et qui doit commander notre réflexion, c’est la raison pour laquelle le cumul, qui ne posait pas problème à nos concitoyens il y a vingt ou trente ans et qui a été toléré sous les IIIe, IVe et Ve Républiques, est brusquement devenu un sujet de préoccupation et de réprobation, ce dont témoignent toutes les indications dont nous disposons.

De fait, le lien de confiance entre nos concitoyens et les parlementaires s’est progressivement affaibli ; mes chers collègues, c’est ce lien qu’il faut de nouveau renforcer !

Ce renforcement passe par l’interdiction du cumul dans les conditions qui nous sont proposées, comme par la transparence des patrimoines ; à cet égard, je regrette que l’Assemblée nationale ait poussé une forme d’hypocrisie jusqu’à prévoir la sanction de ceux qui révéleraient le contenu des déclarations de patrimoine, lesquelles seront consultables. Ce renforcement passera aussi par une réforme de nos institutions et par une extension des prérogatives des assemblées.

Bien plus, restaurer la confiance exigera de nous tous, non seulement que nous prenions les mesures indispensables pour améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens, mais aussi que nous incarnions la République dans ses valeurs les plus hautes – je suis persuadé que ce souci habite en permanence chacune et chacun d’entre nous. En d’autres termes, nous devons faire preuve à la fois de constance, d’humilité, de travail et d’attention à ce que pensent nos concitoyens.

Mes chers collègues, ce n’est pas là seulement l’affaire d’une loi ; il nous appartient d’opérer une prise de conscience si nous voulons que la politique, qui est un art noble et un engagement digne d’être valorisé, soit de nouveau respectée, c’est-à-dire que notre démocratie fonctionne. Pour cela, il faut avancer pas à pas sur le chemin qui nous est proposé, et même aller un peu plus loin – monsieur le ministre, j’y invite le Gouvernement et la majorité.

Oui, le changement est nécessaire ; je me réjouis que, dans ce domaine, pour le coup, le changement, ce soit maintenant ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi organique et le projet de loi qui nous sont soumis auraient pu être importants et fondateurs, du point de vue de notre conception de la politique et de son exercice. Malheureusement, je pense que ce n’est pas le cas, tout simplement parce que leur objet n’est pas celui qui est affiché.

M. Manuel Valls, ministre. Comment cela ?

M. Hugues Portelli. On prétend lutter contre le cumul des mandats. En réalité, ces projets de loi ne régleront pas le problème.

Plusieurs collègues ont déjà souligné la nécessité de distinguer précisément le cumul des mandats, le cumul des fonctions et le cumul des indemnités. Or le phénomène qui se produit en France depuis des années, et qui s’est accéléré ces derniers temps, entretenu encore par le projet de loi en cours d’examen sur la réforme territoriale, est la multiplication du nombre des mandats.

De fait, on n’arrête pas de créer de nouveaux mandats…

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Oui, même chez les Français de l’étranger !

M. Hugues Portelli. … et de nouvelles fonctions, alors que la première façon de régler le problème du cumul serait d’arrêter d’en créer (M. René-Paul Savary applaudit.), ou du moins d’en supprimer quand on en crée de nouveaux !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Absolument ! Regardez les Français de l’étranger !

M. Hugues Portelli. Alors que nous avions déjà les communes, les départements et les régions, on crée des établissements publics de plus en plus nombreux, les derniers en date étant les métropoles. Du coup, la distinction entre les établissements publics de coopération intercommunale et les collectivités territoriales ne tiendra plus, puisque ces établissements auront des compétences et des financements de plus en plus importants, et que leurs responsables seront élus comme ceux des collectivités territoriales.

Je vous le demande : comment peut-on lutter contre le cumul des mandats et des fonctions lorsqu’on s’emploie de façon systématique à multiplier lesdits mandats et lesdites fonctions ?

Par ailleurs, quand on discute avec nos concitoyens, on s’aperçoit qu’ils se préoccupent surtout du cumul des indemnités. Compte tenu de la passion égalitaire qui caractérise la France, notamment la France républicaine, c’est sur ce plan qu’il aurait fallu porter le fer ; or on ne l’a pas fait, ou de façon tout à fait partielle et insuffisante.

Si l’objet réel des projets de loi n’est pas la lutte contre le cumul, quel est-il donc ? À mon avis, ils ont deux buts précis.

En premier lieu, ils visent à abattre une fois pour toutes une certaine façon de faire de la politique dans notre pays.

Traditionnellement, en France, on faisait de la politique en s’engageant au niveau local : on était d’abord conseiller municipal, ensuite maire, éventuellement conseiller général, puis on grimpait les échelons du cursus jusqu’à devenir député, voire sénateur, et même, si possible, Président de la République.

Cette conception de la politique, fondée sur un cursus honorum, avait une cohérence, qui tenait principalement à la volonté des élus locaux de tenir face au pouvoir central de l’État : en cumulant sa fonction avec celle d’élu national, l’élu local se donnait les moyens de résister au préfet et au ministre.

M. Philippe Bas. Très juste !

M. Hugues Portelli. Entre nous, mes chers collègues, cette vérité vaut toujours aujourd’hui. En effet, ce n’est pas parce qu’on a donné un pouvoir réglementaire résiduel aux collectivités territoriales qu’on a créé un véritable pouvoir local. La France ne sera jamais l’Allemagne, ni l’Espagne ou l’Italie, ni même le Royaume-Uni !

Cette cohérence était aussi électorale : elle reposait sur le scrutin uninominal majoritaire, dont l’élu local tirait une assise et une légitimité propre qui lui permettaient de résister à la légitimité administrative du pouvoir central.

Mes chers collègues, de cette conception française de la politique, le Sénat était en quelque sorte le fleuron.

Seulement, cette conception est aujourd’hui battue en brèche par deux autres.

La première conception, traditionnelle, est dominante dans les pays voisins : les élus sont des « fonctionnaires de parti » dont la carrière est réglée par leur parti. Ce système fonctionne lorsque les partis ont de nombreux adhérents, ce qui n’est pas le cas en France : dans la plupart des pays voisins, un seul parti a autant d’adhérents que tous les partis français réunis !

M. Philippe Bas. Très intéressant !

M. Hugues Portelli. En outre, dans les pays où il existe, ce système repose sur un scrutin proportionnel de liste.

M. Hugues Portelli. Ma ville est notamment jumelée avec des villes d’Italie, d’Espagne ou d’Allemagne : leurs maires m’expliquent qu’après un mandat de quatre ou huit ans, n’ayant pas le droit de rester en fonction, ils passeront à l’échelle de la région, voire un jour à l’échelle du Parlement national. Cette façon de faire de la politique ne fonctionne pas chez nous, parce que les Français n’aiment pas les partis et n’y adhèrent pas, de sorte que ce système ne serait pas légitime.

La seconde conception qui s’oppose à la conception traditionnelle dont j’ai parlé est arrivée avec la Ve République, mais a été complètement pervertie.

Le général de Gaulle voulait l’indépendance de l’État, garantie par des hauts fonctionnaires neutres au service de l’intérêt général. Seulement, un phénomène s’est produit que le Général n’avait pas prévu : ces hauts fonctionnaires se sont mis à faire de la politique.

Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !

M. Hugues Portelli. Ils ont peuplé les cabinets ministériels, sont entrés dans les partis, et de là se sont fait élire député, voire sénateur ; ils ont accédé au Gouvernement, et jusqu’à la présidence de la République.

C’est cette nouvelle classe politique, bien évidemment, qui porte le fer contre l’ancienne, dont nous sommes les derniers fossiles, les derniers dinosaures. Elle y arrive en s’alliant avec les fonctionnaires des partis. C’est la réalité aujourd’hui.

M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Hugues Portelli. Tel est l’unique objet de ce projet de loi,…

M. Michel Savin. Très juste !

M. Hugues Portelli. … dont je reconnais au demeurant la cohérence.

C’est la raison pour laquelle ce texte s’attaque au maillon le plus fort, le Sénat, bastion de la politique « à l’ancienne »,…

Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !

M. Hugues Portelli. … pour parler en termes de modernité, comme M. le ministre.

Il est nécessaire d’amoindrir la Haute Assemblée, et ce de deux façons. Premièrement, il faut empêcher que les sénateurs soient en même temps des élus locaux. Alors qu’ils tiraient leur légitimité de leur seule élection locale, puisqu’ils ne sont pas élus au suffrage universel direct, ils ne pourront plus prétendre à un tel mandat. Deuxièmement, il convient d’introduire, par doses progressives, la proportionnelle, pour que les partis nomment les sénateurs et que ces derniers n’aient plus d’ancrage territorial. La boucle est ainsi bouclée ! Tel est le vrai but. (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l'UMP. – MM. Yves Détraigne et Joël Guerriau applaudissent également.)

Monsieur le ministre, ce projet de loi permettra, à terme, de couper le personnel politique français en deux.

Il y aura les élus nationaux, dont le destin sera de plus en plus lié à celui du président de la République, puisque les députés, sans ancrage territorial, seront élus comme lui et finiront leur carrière politique comme lui. Notez une chose : en 2007 et en 2012, quels députés ont résisté aux vagues bleue puis rose ? Ceux qui étaient également des élus locaux ! Tous les autres ont été balayés (MM. Joël Guerriau et Yves Détraigne ainsi que Mlle Sophie Joissains et Mme Caroline Cayeux applaudissent.), ils n’ont pas résisté, après le scrutin présidentiel intervenu quelques semaines plus tôt. Quant aux sénateurs, ce seront des figurants.

En face, vous aurez un personnel politique local. Sera-t-il puissant pour autant ? Pas du tout ! Il sera atomisé par la multitude des collectivités et des EPCI, dans lesquels il se répartira. Du coup, il n’aura pas les moyens de peser face au pouvoir central.

Monsieur le ministre, à titre personnel, je suis plutôt favorable au cumul des mandats, mais un vrai et je vais vous dire lequel. On aurait pu faire une vraie réforme. Cela aurait supposé de limiter le nombre des collectivités et des établissements publics locaux et de créer un véritable pouvoir local. (M. Jean-Marie Bockel applaudit.) Car celui qui a un vrai pouvoir local, grand ou petit, n’est pas tenté de cumuler au niveau national. La carrière locale qu’il déroule le satisfait amplement.

Par ailleurs, il fallait également réformer la représentation nationale, y compris le Sénat. Je suis de ceux, minoritaires, qui pensent qu’une représentation identique à celle que nous avions sous la IIIe République n’est ni moderne ni démocratique.