M. Manuel Valls, ministre. C’est la vérité !

M. François-Noël Buffet. Vous avez ajouté que l’Assemblée nationale ayant de toute manière le dernier mot, nous pouvions circuler, il n’y avait plus rien à voir ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Permettez-moi de vous rappeler un événement déjà un peu ancien. Au mois de janvier 1995, Jacques Chirac, alors candidat à la présidence de la République, était au plus bas dans les sondages, et tout le monde donnait un autre candidat déjà élu. Souvenez-vous alors de cette apostrophe de Philippe Séguin : « Arrêtez de croire qu’il va y avoir une élection présidentielle ! Arrêtez de croire qu’il va y avoir une campagne, un débat, des explications, toutes choses si vulgaires ! Le vainqueur a déjà été désigné. Proclamé. Fêté. Encensé. Adulé. Il est élu. Il n’y a pas à le choisir ; il y a à le célébrer. Ça n’est pas la peine de vous déranger. Circulez, il n’y a plus rien à voir! » On a vu ce qu’il en était quelques mois plus tard…

M. Manuel Valls, ministre. La comparaison m’échappe !

M. Jean-Jacques Mirassou. Ça n’a rien à voir !

M. François-Noël Buffet. Aujourd'hui, vous êtes venu dire aux sénateurs que notre débat – j’imagine que vous le suivrez avec beaucoup d’attention – ne servirait à rien, puisque telle est votre conviction. Ce faisant, vous êtes venu dire au Sénat qu’il ne comptait pas. Vous êtes venu dire au Sénat que vous n’aviez pas besoin de lui. Vous êtes venu dire au Sénat que son rôle n’avait plus d’intérêt dans les institutions de la République. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Voilà, monsieur le ministre, ce que vous avez déclaré cet après-midi. C’est probablement ce qui est le plus insupportable de la part d’un ministre de la République, de surcroît investi des fonctions qui sont les vôtres. Vous êtes chargé non seulement, bien évidemment, de la sécurité, mais également des collectivités territoriales ; dans cet hémicycle, vous êtes un élu parmi les élus.

J’aimerais vous faire part d’un autre souvenir. L’un de mes prédécesseurs à la tête de ma commune était un sénateur socialiste. Peut-être certains d’entre vous l’ont-ils d’ailleurs connu. Je fais référence à M. Roland Bernard, qui était maire de la ville d’Oullins, 26 000 habitants, et sénateur du Rhône en même temps. Il a perdu sa mairie, comme cela peut arriver, dans le cadre d’une élection municipale partielle en 1990. Lors du renouvellement sénatorial suivant, en 1995, son parti ne lui a pas accordé l’investiture, estimant qu’un candidat n’exerçant plus de mandat local n’avait plus de légitimité pour être candidat au Sénat et représenter les collectivités territoriales. »

En d’autres termes, dans l’esprit de nos institutions, la Haute Assemblée est bien la chambre de nos collectivités et de nos territoires. Tout le monde a bien rappelé ici les fondements de la distinction entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Voilà ce qui fait la richesse de notre Parlement et de notre organisation institutionnelle, reconnue par notre Loi fondamentale.

Nous sommes d'accord pour envisager des réformes. Il faut rediscuter, avancer. D’ailleurs, avec notre collègue Georges Labazée, nous avons remis un rapport sur le sujet à la demande de la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Mme Jacqueline Gourault. Nous avons dressé des constats simples. Tout à l’heure, M. le ministre a invoqué certains titres du rapport pour pouvoir railler nos travaux. Mais il n’est pas entré dans le détail de nos propositions…

M. Manuel Valls, ministre. Ce n’est pas à moi de le faire !

M. François-Noël Buffet. Je voudrais attirer votre attention sur un point. Ce n’est pas une réforme que vous engagez : outre que vous programmez à terme la suppression du Sénat – notre collègue Gérard Larcher l’a rappelé –, vous vous livrez à des arrangements et à des petits calculs électoraux.

Si vous aviez véritablement voulu moderniser notre vie politique, vous auriez abordé de nombreux autres sujets. Par exemple, le cumul des fonctions est bien plus insupportable que le cumul des mandats. Combien d’entre nous président, au titre de leur mandat de maire, de président d’établissement public de coopération intercommunale ou de parlementaire, une société d’économie mixte ou un office public d’aménagement et de construction ? Je pourrais encore vous citer bien d’autres occupations diverses et variées extrêmement chronophages ! Voilà un sujet qu’il aurait fallu traiter ; avec Georges Labazée, nous avions émis des propositions dans notre rapport. Je ne vois rien de tel dans votre texte.

Vous auriez également pu évoquer le cumul de certains mandats de manière transversale. Dans le cadre de nos travaux, nous avons constaté de grandes disparités : la situation des élus cumulant deux mandats locaux est bien plus intéressante, du point de vue de la réalité du pouvoir et des indemnités, que celle d’un élu local en même temps parlementaire. Nous avons même découvert que certaines indemnités n’étaient pas déclarées par un grand nombre d’élus – j’ignore s’il s’agit d’omissions volontaires… –, échappant ainsi parfois aux règles de l’écrêtement, faute d’un dispositif opérationnel permettant de véritablement contrôler qui fait quoi dans les territoires.

M. Michel Vergoz. Mais que faisait Nicolas Sarkozy ? Tout cela ne date pas de 2012 !

M. François-Noël Buffet. Nous avons formulé des propositions ; le projet de loi organique, lui, est totalement muet sur toutes ces questions.

Je précise d’ailleurs que nos travaux avaient débuté avec Mme Voynet, sous la précédente mandature. Si vous n’avez pas lu notre rapport, vous pouvez aller le retirer à la distribution ; il est à votre disposition.

Voilà ce que je tenais à dire sur le cumul des fonctions.

La semaine dernière, le journal L’Express a publié un dossier sur le cumul des mandats. Nos concitoyens auront du mal à se forger une opinion sérieuse à partir des déclarations de cet hebdomadaire, qui ne tiennent pas longtemps la route. Elles contiennent des aberrations, voire des contrevérités. De plus, un certain nombre d’élus sont placés sur le banc des accusés d’une manière qui est globalement injuste. Je tenais à le rappeler, car ce qui nous a été présenté relève tout simplement du populisme.

Tels sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous faire part, en sachant que tout cela a déjà été dit, et sans doute plus brillamment.

Il aurait cependant été possible d’aller beaucoup plus loin, au fond des choses, en nous concentrant sur nos objectifs, c'est-à-dire une plus grande disponibilité de nos élus, des agendas mieux organisés, plus d’assiduité.

Nous aurions aussi pu commencer par toiletter le règlement de nos assemblées, par balayer devant notre porte…

M. Gérard Larcher. Bien sûr !

M. François-Noël Buffet. … afin de mettre un peu d’ordre sur ce sujet. Le président Larcher a essayé,…

M. François-Noël Buffet. … il a fait avancer les choses. Mais nous savons d’où sont venus les blocages…

On ne peut donc pas tout mettre sur le dos du cumul des mandats, en agitant, à la veille des élections municipales, une population qui, déjà, fait l’amalgame entre cumul des mandats et cumul des indemnités. En ajoutant à tout cela l’affaire de votre collègue Cahuzac et en mélangeant bien, on obtient une situation politique de circonstance bien intéressante, dont on espère tirer les fruits le moment venu, au moment des élections.

Ce n’est pas comme cela que l’on doit réformer la République et nos institutions ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Eblé.

M. Vincent Eblé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’interdiction du cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur représente une véritable mutation démocratique dans notre pays, où le cumul des mandats est une caractéristique de la vie politique.

Il s’agit bien, en effet, d’une spécificité française, ainsi que le démontre indiscutablement la comparaison avec les grandes démocraties. Dans tous ces pays, le cumul est extrêmement faible, atteignant au maximum 20 %. En France, six parlementaires sur dix exercent en même temps une fonction exécutive locale, huit sur dix, un autre mandat. Et cette réalité n’a cessé de progresser dans l’histoire de notre République.

Cette spécificité française, qui concerne l’ensemble du territoire, s’est imposée dans les faits, petit à petit, à bon nombre d’entre nous. Elle nous oblige à revoir notre manière d’exercer nos responsabilités politiques.

Dans cette période où nous voyons croître la défiance des citoyens quant à la capacité de la classe politique à répondre à leurs attentes, et alors que cette relation de confiance est de plus en plus fragile, il me semble nécessaire de réfléchir à une nouvelle manière de concevoir la vie politique en France.

Depuis trente ans, les lois de décentralisation ont très fortement modifié l’exercice d’un mandat local et l’ont rendu de plus en plus complexe, nécessitant de plus en plus d’expertise et de disponibilité pour écouter les citoyens, comme pour accompagner des projets.

Dans le même temps, le mandat national, lui aussi, est chronophage et exigeant. Chacun le sait, si nos agendas du mardi, du mercredi, parfois du jeudi, sont aussi compliqués à bâtir, c’est parce que toutes les réunions se tiennent durant ces quelques jours.

Mmes Corinne Bouchoux et Hélène Lipietz. Voilà !

M. Vincent Eblé. C’est parce que, à partir du mercredi soir, nombre d’entre nous retournent dans leur circonscription,…

M. Vincent Eblé. … sans pouvoir poursuivre au Sénat le travail engagé.

M. Vincent Eblé. La question du non-cumul a été maintes fois posée. Les lois organiques de décembre 1985 et d’avril 2000, portées par des majorités de gauche, ont constitué de premières avancées. Elles ont, en effet, limité les possibilités de cumul en mettant fin à la possibilité d’être simultanément maire, président de conseil général, président de conseil régional, député ou sénateur et même parlementaire européen !

Aujourd’hui, il semble nécessaire, pour nos citoyens, d’aller plus loin. C’est la volonté du Président de la république, c’est également la volonté de nombre d’entre nous, en particulier à gauche.

Cette avancée démocratique, la gauche ne saurait la limiter à ses propres élus. Une même loi s’appliquera donc à tout le monde, en même temps et dans les mêmes conditions, non en limitant, cette fois-ci, mais bien en supprimant le cumul d’un mandat de parlementaire avec celui d’un exécutif local.

Ce changement, qui concerne une grande majorité d’entre nous, est un changement fort. Il emportera des conséquences directes sur notre vie, sur le renouvellement de la classe politique, sur la manière même de concevoir et de faire de la politique, et cela tant sur un plan personnel que sur un plan plus technique, « professionnel », pourrait-on dire.

La vie politique est en pleine évolution, grâce au projet de loi sur la réforme des collectivités locales, dont nous débattons depuis quelques semaines, grâce à la parité dans les conseils départementaux et, désormais, dans les communes de plus de 1000 habitants, que nous avons votée, grâce à l’élection au suffrage universel des représentants communautaires, votée également. Ce projet de loi de non-cumul s’inscrit dans cette dynamique, dans cette évolution.

J’entends ceux qui pensent que l’interdiction de cumuler va diminuer l’enracinement des parlementaires. En aucun cas, pourtant, ce projet de loi n’interdit à un parlementaire de poursuivre son implication dans une équipe locale. La dynamique sera différente, le parlementaire ne sera plus l’animateur de l’équipe locale, mais, n’en doutons pas, il s’insérera toujours dans la dynamique de la collectivité, il accompagnera une nouvelle génération dans les responsabilités politiques,…

M. Vincent Eblé. … il apportera une vision nationale à l’équipe locale, et il nourrira sa vision d’élu des expériences locales afin d’alimenter le débat national. Dans cette nouvelle dynamique, quelle que soit la taille de la commune ou de l’EPCI, le parlementaire ne pourra plus être le leader exécutif local.

La souplesse chronologique dans la mise en place du non-cumul permet à chacun de s’organiser, ou, pour le moins, d’établir un plan d’action afin de se trouver en situation de non-cumul au bon moment. Je sais d’expérience que cette souplesse est nécessaire car, comme je le disais en introduction de mon propos, le non-cumul est une réelle évolution pour chacun d’entre nous, mais aussi pour tous ceux qui font, ou veulent faire, de la politique.

Les mandats se succéderont, au lieu de se cumuler, et les parlementaires que nous sommes disposeront, sans aucun doute, de plus de temps pour se consacrer à la richesse d’une session parlementaire. (Mme Corinne Bouchoux opine.) ; plus de temps pour exercer nos mandats, mais pas encore plus de moyens ou de protection. (Mme Corinne Bouchoux opine de nouveau.)

À la suite des états généraux de la démocratie territoriale, la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault sur la problématique du statut de l’élu marquait les prémices de cette évolution. Ce travail doit se poursuivre, en parallèle de celui que nous accomplissons aujourd’hui. Le statut de l’élu est en effet incontournable pour l’évolution démocratique que nous appelons de nos vœux. Cela ne concerne que peu, il est vrai, les parlementaires que nous sommes, qui avons droit à une sécurité sociale, une retraite…

Enfin, il semble nécessaire de réfléchir aux moyens de travail dont doivent bénéficier les parlementaires pour exercer leurs missions. Aujourd’hui, si nous ne nous battons pas plus pour cela, c’est parce que nombre d’entre nous, faute d’en bénéficier comme parlementaires, trouvent ces moyens au sein des exécutifs locaux.

Une fois la loi sur le non-cumul mise en application, nous aurons besoin de moyens supplémentaires, et nous devrons l’expliquer. Nous devons tout à la fois faire la loi, en évaluer les effets et l’effectivité, contrôler l’activité du Gouvernement : cela mérite de disposer de temps et de moyens.

J’avais commencé mon propos en vous parlant de mutation démocratique, eu égard à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. Il s’agit en réalité d’une étape, afin que nous parvenions à maintenir le dialogue avec nos citoyens et que nous confortions nos institutions démocratiques.

Notre société n’est pas figée, nos institutions non plus, et la vie politique accompagne ce mouvement. Le changement est nécessaire, il est réclamé par nos concitoyens. (Mme Corinne Bouchoux opine.) Nous devons, chaque jour, nous réinventer, nous assurer que nous jouissons toujours de leur confiance, et traduire concrètement leurs nouvelles exigences, même si cela est parfois difficile.

C’est donc la manière de faire qui changera. Nous articulerons mieux le travail parlementaire et le dialogue avec les citoyens sur le terrain. Nous articulerons mieux l’élaboration de la loi et la réalité dans nos circonscriptions.

Cette loi renforcera l’image et la fonction parlementaires. Elle participe ainsi à la rénovation de notre vie politique. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe socialiste et sur les travées du groupe écologiste.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellent !

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé. (MM. Rémy Pointereau et René-Paul Savary applaudissent.)

M. Éric Doligé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout d’abord, je remarque que beaucoup de ceux qui sont encore présents à cette heure cumulent, alors que beaucoup des absents ne cumulent pas ! Voilà une démonstration intéressante ! (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux s’exclame également.)

Mme Hélène Lipietz. Il faudrait faire un sondage !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas d’excès, je vous prie !

M. Éric Doligé. Je voudrais également m’adresser à mon collègue Jean-Pierre Sueur, dont j’ai beaucoup apprécié l’intervention. Il a fait la démonstration que, pendant trente ans, dans notre département – nous avons la chance d’être issus du même –, il a rencontré de grandes difficultés pour cumuler plus d’un an et demi.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela démontre la sagesse des électeurs !

M. Éric Doligé. En revanche, les mêmes électeurs ont décidé que moi, qui le côtoie dans mes fonctions politiques locales depuis trente ans, je devais cumuler pour être performant !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est parce que vous êtes beaucoup plus fort que moi ! (Sourires.)

M. Éric Doligé. Cela prouve que, finalement, les mêmes électeurs d’un même territoire préfèrent parfois que l’on cumule, d’autres fois que l’on ne cumule pas. La démonstration de Jean-Pierre Sueur n’était donc pas forcément très convaincante ! (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées de l'UMP.)

M. Vincent Eblé. Mon cher collègue, je ne crois pas qu’il s’agisse vraiment des mêmes électeurs !

M. Éric Doligé. Cela n’entrave pourtant pas notre amitié ni les bonnes relations que nous entretenons sur le terrain.

M. Manuel Valls, ministre. Je vois ça !

M. Éric Doligé. Je voudrais également remercier mon collègue Bruno Retailleau, qui m’a fait don de son temps de parole.

J’ai préparé une courte intervention et je me suis posé quelques questions. Qu’est-ce qui conduit le Gouvernement à nous jeter des leurres en permanence et à nous détourner de l’essentiel ?

Le principal sujet de préoccupation des français, en septembre 2013, est-il la transparence ou le cumul des mandats de leurs parlementaires ?

M. Éric Doligé. Ces sujets sont-ils prioritaires…

M. Éric Doligé. … sur le chômage, l’emploi, la sécurité, la fiscalité, la complexité administrative, les poids des charges, ou encore la compétitivité ?

Monsieur le ministre, observez bien les actuels mouvements de rue, les grèves qui s’enchaînent, les pétitions qui circulent, la mauvaise humeur des contribuables, des entrepreneurs, ou des commerçants agressés. Voyez ce qui se passe à Nice, à Marseille (M. Claude Bérit-Débat s’exclame.), en Corse, ou dans nos quartiers. Pas une banderole sur le cumul !

Il est vrai que le nouveau Président avait promis de renforcer la République exemplaire. Cela n’a nullement empêché un ministre du budget de frauder le fisc. Il faut donc faire croire aux Français que leurs malheurs viennent du cumul, les médias s’en chargent actuellement. (M. Michel Vergoz s’esclaffe.)

Lorsqu’on prend connaissance du projet de loi organique et de toutes déclarations qui fleurissent dans les médias et lorsqu’on voit la manière dont on oriente, voire manipule l’opinion, on peut vraiment s’interroger sur les véritables objectifs des concepteurs de ce texte et sur la fiabilité de leurs arguments.

N’y a-t-il pas beaucoup d’hypocrisie et d’arrière-pensées ?

M. Éric Doligé. Loin de moi l’idée de prétendre qu’il n’y a ni anomalies, ni abus, et qu’aucune amélioration ne doit être apportée. Cependant, la manière dont le sujet est abordé suscite de multiples interrogations. Comme toujours, on traite non pas le fond, mais seulement la forme.

Le PS, qui, comme d’autres bien sûr, a beaucoup péché en matière de cumul, veut-il se faire pardonner ?

Mme Hélène Lipietz. Il lui sera beaucoup pardonné, en effet.

M. Éric Doligé. Comment expliquer que ce parti, qui est en tête de tous les classements des grands cumuls, se veut aussi radical dans ses propositions ? Y a-t-il des règlements de comptes en vue ?

Le Président de la République, qui a fait partie de ceux qui cumulaient beaucoup, est aujourd’hui, comme par un hasard heureux, à la tête de la meute qui traque cette catégorie aujourd’hui honteuse, celle des cumulards ! Il a été touché par la grâce ! Il fait partie des repentis, avec vous, monsieur le ministre, comme notre collègue Jacques Mézard en a fait tout à l'heure la démonstration. (Mme Hélène Lipietz s’exclame.)

M. Éric Doligé. Nous voilà face à un syndrome bien connu, qui consiste, pour quelqu’un qui manque de force de caractère ou se trouve en situation de dépendance, à supplier son prochain afin de se protéger de ses propres turpitudes. (M. Michel Vergoz s’exclame.)

Ce n’est pas nouveau : vous connaissez ces joueurs invétérés qui se font interdire de casino.

Mme Corinne Bouchoux. Cela ne vole pas haut, vraiment !

M. Éric Doligé. Nous découvrons aujourd’hui une nouvelle race à protéger : les parlementaires tentés par le cumul ! Vincent Eblé vient de nous en faire la démonstration en disant : « Nous ne pouvons pas l’appliquer seulement aux socialistes, donc nous allons l’appliquer à tout le monde ».

Nous avons déjà entendu, il y a quelques mois, la chanson de « l’exemplarité ». Les membres du Gouvernement étaient, par définition, des héros de l’honnêteté. Subitement, est apparue l’affaire Cahuzac, puis le texte sur la transparence. Le débat qui a suivi nous a clairement montré que la majorité voulait de la transparence, mais pas trop…

Face à la grogne des Français, qui croulent sous les prélèvements, la complexité administrative ou les ras-le-bol en tous genres, il fallait faire diversion, et voilà cette belle affaire du cumul.

Avant d’en revenir à quelques aspects de ce texte qui, nous le savons, est très attendu et va changer la vie des Français (Sourires sur les travées de l’UMP.), permettez-moi d’aborder quelques points très superflus, je vous prie de m’en excuser. Mais, comme vous nous avez dit, monsieur le ministre, que notre vote n’avait aucune importance, je vais élargir un peu le sujet. Je vais évoquer le chômage, l’emploi, les impôts, la sécurité.

La courbe du chômage, selon le Président et ses ministres, et ce malgré les analyses contraires de l’INSEE, de l’OCDE, et de bien d’autres encore, devait baisser avant l’été, puis avant la fin de l’année 2013. Quelle belle promesse, répétée ! Promesse non tenue et intenable du fait de choix destructeurs. Nous constatons que les agences de Pôle emploi rayent des chômeurs à jet continu, sur instruction. Par ailleurs, la course aux emplois aidés est engagée, il faut en inscrire un maximum avant la fin de l’année. Je pense que le Sénat devrait lancer une commission d’enquête sur ce sujet. (M. Michel Vergoz s’esclaffe.)

Il est vrai qu’il n’a jamais été dit que le chômage devait baisser, mais seulement que la courbe de la progression devait s’inverser, ce qui n’implique pas une baisse. Le Gouvernement part toutefois à l’assaut avec des sabres de bois. Les emplois d’avenir, qui n’ont d’avenir que le nom, les contrats de génération, le crédit d’impôt aux entreprises, dont on sait comment il fonctionne... Tout cela est compliqué et coûteux, et ne fait qu’illusion.

Où est l’embellie promise, qui doit nous sortir de cette spirale infernale ? La fin du cumul va-t-elle enfin chasser les nuages ?

Les impôts ne devaient pas augmenter.

M. Claude Bérit-Débat. Et si vous parliez du sujet ?

M. Éric Doligé. On a vu ce qu’il en a été. Depuis, on est entré dans l’ère de la pause, dont on sait qu’elle est totalement improbable, avec la hausse de la TVA et la suppression de certaines politiques familiales ainsi que l’autorisation donnée aux départements d’augmenter leurs impôts pour combler les faiblesses de l’État.

Dimanche, le Président annonçait la pause en 2014 ; hier, on apprenait que ce serait en 2015.

M. Michel Vergoz. Hors sujet ! Vous avez déjà zéro !

M. Georges Labazée. Rendez-nous Retailleau ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Éric Doligé. En augmentant les prélèvements, le Gouvernement affaiblit la compétitivité des entreprises.

M. François Rebsamen. Vous pouvez parler !

M. Éric Doligé. Je sais que vous êtes dérangés lorsqu’on vous dit certaines choses. Ce n’est pas grave !

Je repense en cet instant à une possibilité qui pourrait être ouverte d’explorer une piste d’économies. Chaque année, la facture énergétique nous coûte 68 milliards d’euros. Ne pourrait-on chercher à comprendre comment exploiter l’huile et le gaz de schiste ? Nos deux collègues Jean-Claude Lenoir et Delphine Bataille viennent de nous offrir l’opportunité de rechercher des solutions sans nuire à l’environnement.

Et puis, il y a le modèle américain. Ayant actuellement des affinités avec le Président Obama, le Président de la République pourrait lui parler de cette question...

M. François Rebsamen. C’est mieux qu’avec Bush !

M. Éric Doligé. Il n’en est rien, nous avons une idée géniale pour faire des économies et donc baisser la pression fiscale : mettre en place la fin du cumul des mandats des parlementaires. Cela n’aura aucun effet. Bien au contraire !

Abordons maintenant la sécurité, vaste sujet qui pourrit la vie quotidienne des Français.

Une sénatrice du groupe socialiste. Quel rapport ?

M. Éric Doligé. Il y en a un, écoutez-moi !

« Je vais déclarer la guerre à la barbarie à Marseille », avez-vous déclaré, monsieur le ministre. C’était là l’une des grandes promesses-annonces, répétée d’ailleurs en boucle.

M. Manuel Valls, ministre. Elle a été utile !

M. Éric Doligé. Les jours se suivent et se ressemblent : toujours plus d’agressions et de violence. La délinquance et la criminalité progressent. La violence ne cesse d’augmenter.

De manière subliminale, on fait croire aux habitants de ces communes qu’un maire qui ne cumulera plus cette fonction avec un mandat parlementaire aura plus de temps pour s’occuper de la question de la criminalité dans sa ville.

M. Éric Doligé. Non, c’est la réalité ! Vous êtes en permanence en train de faire croire aux Français que nous n’arrivons pas à diriger nos communes parce que nous cumulons !

Finalement, au travers de ces trois sujets, je ne me suis pas vraiment éloigné de celui qui nous occupe, à savoir le cumul des mandats des parlementaires.

M. François Rebsamen. Ce n’est pas votre meilleure intervention !

M. Éric Doligé. Qu’y a-t-il de si honteux dans le cumul des mandats ? Les fonctions cumulées ? Les indemnités qui s’additionnent ? L’impossibilité de remplir ses missions ? Le risque d’absentéisme ?

D’ailleurs, est-ce une spécificité des parlementaires ? Il est évident que non.

J’évoquerai le cumul des mandats des élus en général, mais nombre de catégories de citoyens cumulent, et ce dans des secteurs très variés. Si je les cite, c’est non pas pour les montrer du doigt – à mes yeux, le mot « cumul » n’est pas honteux en soi –, mais parce que ce sont les sous-entendus qui donnent parfois à ce terme une connotation très négative. Nous sommes là au cœur du sujet, avec le coupable cumul des parlementaires. Peut-être faudrait-il démystifier le cumul ?

Dans tous les secteurs associatifs, des présidents cumulent des mandats au niveau local, départemental, régional, national et dans de multiples commissions pour défendre leurs associations.

Dans les grands conseils d’administration, des chefs d’entreprise s’adoubent parce qu’ils souhaitent profiter de leur savoir-faire et de leurs réseaux.

Chez nos amis les pompiers, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, certains ont des responsabilités multiples, syndicales, associatives. Tout en étant professionnels durant 96 gardes de 24 heures par an, ils peuvent également, les autres jours, être volontaires dans un ou plusieurs centres.

Nombre d’enseignants publics donnent également des cours dans des structures privées.

N’y a-t-il pas de réels cumuls dans le monde des médias ?

Dans tous les domaines, vous pourrez trouver des cumuls de fonctions, de métiers et de revenus ou d’indemnités. Est-ce honteux ? Pour ma part, je ne le pense pas.

Parmi les élus, vous avez fléché uniquement les parlementaires. Pourquoi ne pas évoquer les élus non parlementaires ? Cela aurait été plus transparent et plus courageux.

Comme cela a été souligné, de nombreux élus locaux cumulent parfois plus de fonctions que les parlementaires. De plus, la règle du cumul des indemnités à une fois et demie celle du parlementaire ne leur est pas appliquée ou rarement.

Trouvez-vous normal que des élus, parfois au plus haut niveau – puisque c’est le cas du Président de la République ! –, puissent être placés en détachement auprès de collectivités, afin de pouvoir bénéficier d’avantages, notamment en matière de progression de carrière et de retraite ?