M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.

M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la paix et la sécurité collective sont les premiers biens publics que l’humanité doit préserver et la lutte contre toutes les formes de prolifération doit nécessairement animer la politique internationale des États. Plus qu’un axe de travail, c’est notre devoir et notre responsabilité d’élus de la nation qui est en jeu.

La prolifération est trop souvent lue sous son seul angle nucléaire, biologique ou chimique, et on le comprend. Cependant, nous faisons face ici à un paradoxe majeur de notre droit international. La communauté internationale s’est dotée à raison d’un arsenal juridique et politique sophistiqué pour prévenir la prolifération des armes de destruction massive. Elle s’est également indignée, à juste titre, dès les premières conventions de Genève, de l’emploi d’armes violant ouvertement le droit de la guerre, comme on disait à l’époque, à l’image des gaz asphyxiants ou toxiques.

Pour autant, ce sont les armes les plus basiques et les plus répandues qui font peser les plus graves menaces, les plus grands troubles sur la paix et la sécurité internationale. Vous avez cité les chiffres, qui sont impressionnants : plus de 800 millions d’armes dans le monde, responsables de plus de 500 000 morts par an. Autrement dit, plus de 90 % des victimes d’un conflit international sont le fait d’armes dites « conventionnelles ». Préserver la paix et la sécurité internationale, ou en tout cas s’en rapprocher, c’est avant toute chose parvenir à la maîtrise des armes classiques et conventionnelles.

Un rapide tour d’horizon des plus récentes crises internationales, où l’usage des armes légères contribue chaque jour à l’escalade de la violence, suffit à s’en convaincre. Peut-être sont-elles là les véritables armes de destruction massive, celles qui troublent le plus les consciences au regard de leur macabre efficacité.

Le débat international, les prises de position, les avancées sur les mines procèdent d’ailleurs de la même logique, et des mêmes progrès lents et difficiles. Je cite l’exemple des mines parce que l’on constate tout de même peu à peu, y compris par rapport à des conflits récents, des progrès concrets.

Cette prolifération représente non seulement un danger pour la sécurité internationale, mais aussi un risque pour la sécurité des États. En effet, un commerce des armes sans réglementation contraignante, c’est un commerce qui permet à n’importe qui de se doter par des voies plus ou moins légales de fusils d’assaut, par exemple.

C’est la porte ouverte à toutes les formes de prolifération, à tous les trafics, à toutes les mafias et donc à toutes les entreprises transnationales de déstabilisation – de la criminalité organisée au terrorisme, en passant par les actes isolés de folie meurtrière. Je pense aux drames d’Utøya en Norvège, en 2011, ou encore d’Aurora, en 2012, qui ont aussi été rendus possibles par la facilité de se procurer des armes basiques mais néanmoins capables de tuer, en l’occurrence massivement.

Au plan régional, les exemples se bousculent. On sait déjà comment la chute de l’URSS a conduit à armer les mafias et les groupes terroristes pendant les années quatre-vingt-dix. On sait également comment la dissémination des stocks d’armes libyens en 2011 a contribué à la déstabilisation de l’ensemble des pays de l’Afrique du Nord et du Sahel, en armant les trafiquants et les groupes fondamentalistes islamistes des pays frontaliers – les deux sont d’ailleurs très imbriqués.

Dès lors, il est essentiel d’agir non seulement sur la régulation des flux de transferts internationaux de ces matériels afin de garantir le monopole et la garantie des États, mais aussi, bien sûr, à l’intérieur des États, pour sécuriser les stocks laissés à l’abandon.

Il était donc temps que le paradoxe juridique des armes conventionnelles soit résolu par le droit international et que la communauté internationale se dote de l’appareillage technique pour y faire face.

La ratification du traité sur le commerce des armes est venue répondre à ce défi pour la paix.

Premier traité négocié sur la question dans l’enceinte des Nations unies depuis 1996, ce dispositif viendra épauler notre législation nationale et européenne déjà particulièrement contraignante – sans doute plus que dans d’autres continents, y compris les pays très développés outre-Atlantique.

En effet, la France, en tant que cinquième exportateur mondial de matériels de défense, s’est toujours fait un devoir de lutter contre les risques de prolifération de ses armes conventionnelles, de ses munitions ou de tout instrument pouvant être employé à cette fin. Cette préoccupation nationale a été renforcée dès 2011 au plan européen par la transposition des directives TIC et MDCS, qui ont permis de fluidifier le marché européen de la défense tout en garantissant à l’ensemble des États des contrôles réguliers et approfondis des transferts concernés.

D’une certaine manière, le traité que nous nous apprêtons à ratifier s’inscrit dans cette perspective et empreinte à d’autres traités ou directives récentes des outils juridiques modernes à la hauteur de l’enjeu.

Le présent traité s’inscrit également dans une démarche volontariste en faveur de la sécurité collective, en conditionnant la décision par les États vendeurs de transférer des armes classiques au respect des droits de l’homme par les États acheteurs. Un tel garde-fou, déjà pratiqué de fait par les États de l’Union européenne, devrait faciliter la stabilisation de la sécurité internationale en endiguant peu à peu la prolifération des armes classiques.

Ce traité est-il suffisant ? Je pose la même question que le rapporteur ; j’évoque les mêmes interrogations que le ministre. Bien sûr, nous pouvons en douter. Nous sommes réalistes et nous voyons bien ce qui se passe sous nos yeux. Les circuits commerciaux entre les États proliférants et les États acquéreurs resteront puissants. Le présent texte doit donc être adopté pour ce qu’il est : un point d’étape, une avancée substantielle, mais pas une destination finale, d’autant que la ratification de ce traité par l’ensemble des États de la planète reste un défi en soi.

C’est donc dans cet état d’esprit, monsieur le ministre, mes chers collègues, que les sénateurs du groupe UDI-UC, suivant la position de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, affirmeront, en votant en faveur du présent projet de loi, leur engagement pour la paix et la sécurité internationale. (Mme Françoise Férat, M. le rapporteur ainsi que MM. Jacques Gautier et Robert Tropeano applaudissent.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la ratification de ce traité a une portée symbolique d’une grande importance ; elle est aussi, cela a été dit, d’une brûlante et tragique actualité.

En effet, alors que l’Europe était déjà, à l’époque, en quête d’une position commune sur la livraison d’armes à l’opposition syrienne, les 193 pays membres de l’ONU entamaient, au mois de mars de cette année, un ultime round de négociations en faveur de l’adoption du premier traité international sur le commerce des armes conventionnelles.

Ce traité a enfin été adopté le 2 avril par l’Assemblée générale des Nations unies, malgré l’opposition de l’Iran, de la Corée du Nord et de la Syrie. Cet acte est une étape décisive d’un long processus et vient clore sept longues années d’atermoiements et de délicates tractations entre États.

Le rôle joué par notre pays, ainsi que par de nombreuses organisations non gouvernementales représentant la société civile, pour aboutir à ce résultat historique, doit être reconnu et apprécié à sa juste mesure. Je voudrais également souligner, à cette occasion, le rôle déterminant joué par notre diplomatie pour réussir l’élaboration d’un texte aussi complexe et aboutir à sa signature.

M. Laurent Fabius, ministre. Merci.

Mme Michelle Demessine. En matière de maîtrise des armements, c’est la première fois, depuis l’adoption du traité sur l’interdiction complète des essais nucléaires en 1996, qu’il s’agissait d’élaborer un instrument juridiquement contraignant établissant des normes strictes afin d’améliorer la réglementation du commerce des armes classiques.

La tâche était vraiment ardue quand on connaît, au-delà des bons sentiments, l’ampleur et la réalité de ce commerce, estimé en 2012 à 78 milliards d’euros, avec tous les enjeux économiques et géostratégiques qui le sous-tendent.

Dans ces conditions, qui ont bien sûr nécessité des compromis par rapport aux grands principes moraux et humanitaires, le texte de ce traité est globalement satisfaisant. Nous nous félicitons, en particulier, du maintien des armes légères de petit calibre dans le champ d’application du traité, du contrôle de l’ensemble de la chaîne des transferts, d’une relative prise en compte des munitions et des références explicites au droit international humanitaire et aux droits de l’homme.

En outre, le traité oblige chaque État à mettre en place un régime relativement strict de contrôle national et de transparence des exportations d’armements. Ce régime établit notamment des interdictions absolues de transfert s’il peut être suspecté que ces armes puissent servir à commettre des génocides, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. C’est un minimum, pourrait-on dire ! Il est toutefois appréciable que cela soit inscrit dans le marbre d’un traité international.

Si ces dispositions existent de longue date dans notre pays comme dans d’autres, il importe cependant qu’elles soient étendues à tous les signataires, de sorte qu’il y ait enfin, y compris dans ce domaine, une règle partagée par l’ensemble de la communauté internationale.

Cela étant, comme vous l’avez tous dit, il reste bien du chemin à faire pour améliorer un texte qui comporte quelques lacunes importantes.

Son champ d’application, en particulier, est trop étroit : il ne couvre que sept catégories d’armes conventionnelles, dont les chars, les avions, les artilleries de combat et certaines armes légères.

En revanche, les drones ne sont pas inclus. Aussi, en l’état actuel, le traité risque bien d’être dépassé dans quelques années. En outre, il faut relever que, sous la pression des États-Unis, les munitions sont traitées à part et feront l’objet de contrôles moins complets.

Enfin, compte tenu de l’ouverture de la période de ratification du traité, il faut impérativement veiller à ce que les principaux acteurs du commerce des armes y adhèrent rapidement. Nous devons également rallier les États non signataires qui s’autorisent en toute impunité à développer pour eux-mêmes des armements interdits et à les exporter de manière plus ou moins visible en fournissant de clients peu recommandables au regard du droit international.

Là encore, je compte sur la valeur d’exemple de la politique que mène notre pays dans ce domaine, ainsi que sur l’efficacité de notre diplomatie, pour que les choses avancent rapidement.

Le contexte actuel nous rappelle, s’il en était besoin, toute la complexité et toutes les difficultés que comporte une politique de vente à l’étranger de nos armements. Cela soulève bien entendu des questions d’éthique, mais aussi de défense de nos intérêts nationaux, qu’ils soient géostratégiques ou économiques.

Je comprends la difficulté du Gouvernement à maintenir un équilibre réaliste entre le respect d’un certain nombre de valeurs et de principes et à assurer, dans le même temps, la défense de nos intérêts économiques et géostratégiques. Je crois cependant qu’avec la signature de ce traité un engagement international de cette nature peut contribuer à résoudre ce type de difficulté.

C’est la raison pour laquelle je voudrais, avant de conclure, que nous saisissions l’occasion de cette ratification pour réfléchir aux possibilités dont nous disposons afin de donner plus de lisibilité et de cohérence au comportement de notre pays en matière d’exportation d’armements.

Nous en avons une illustration concrète en ce moment : alors que nous exportons nos armes dans presque tous les pays impliqués dans la crise syrienne, notamment le Qatar et l’Arabie saoudite qui soutiennent les rebelles, dans le même temps, nous entretenons des relations commerciales prometteuses avec la Russie, soutien jusqu’à présent indéfectible de Bachar Al-Assad.

La mise en place d’un système de contrôle plus démocratique et plus transparent peut nous y aider. Ainsi, l’an dernier, lors de la présentation du rapport annuel au Parlement sur la politique d’exportation d’armes de la France, le ministre de la défense s’est engagé à renforcer le dispositif actuel, en concertation avec les parlementaires, les ONG et les industriels concernés.

Que le Gouvernement saisisse donc maintenant l’occasion de la ratification du traité pour prendre des mesures concrètes d’amélioration du contrôle, par le Parlement, de sa politique d’exportation d’armements !

Les différents gouvernements de notre pays ont certes fait des efforts méritoires dans cette direction en publiant, tous les ans depuis treize ans, un rapport sur ce type d’exportations. Malheureusement, ce dernier pèche encore par ses graves lacunes : il est publié trop tardivement pour permettre aux parlementaires et aux ONG concernées de réagir de façon appropriée et il est trop peu précis. Pour ne prendre qu’un exemple, en l’absence de répartition détaillée des livraisons par catégories de matériels, il est impossible d’exercer un véritable contrôle.

D’une façon générale, notre groupe souhaite vivement que soit tenu l’engagement pris par le Président de la République de revaloriser le rôle du Parlement dans le domaine de la défense. Il faudrait notamment que le Gouvernement modifie profondément la conception de ce rapport présenté chaque année et que ce dernier soit discuté en séance publique afin que les parlementaires puissent exercer un réel contrôle et se prononcer en toute connaissance de cause lors de débats sur ces questions.

Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réflexions dont je souhaitais vous faire part sur ce projet de loi de ratification que le groupe CRC approuve pleinement. (M. le rapporteur ainsi que MM. Jean Desessard, Jacques Gautier et Raymond Couderc applaudissent.)

M. Jean Desessard. Bravo, madame Demessine !

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne se passe pas un jour sans que l’actualité nous informe des ravages commis par les armes à feu. Très récemment, l’attentat du Wesgate à Nairobi a été perpétré par des terroristes armés qui n’ont pas hésité à tuer de sang-froid, à bout portant, plusieurs dizaines de personnes, hommes, femmes et enfants.

Régulièrement, les ONG s’emploient à faire le terrible recensement des victimes, en majorité civiles, de violences par armes à feu : elles seraient près de 500 000 chaque année dans le monde, sans compter les nombreux blessés.

Je pense aussi aux enfants-soldats. Certains États ou organisations criminelles n’hésitent pas à foudroyer l’innocence de milliers d’enfants en leur mettant des fusils entre les mains. Ils alimentent la « liste de la honte » tenue par le secrétaire général de l’ONU.

La circulation incontrôlée des armes est un véritable fléau : en effet, entre 40 et 60% du commerce des armes légères est illicite. Il est urgent d’apporter des réponses au problème des transferts d’armes irresponsables.

Certes, l’utopie d’un monde sans armes n’est pas à l’ordre du jour. Personne n’est naïf et nous sommes loin du précepte un peu simpliste de Victor Hugo : « Ôtez l’armée, vous ôtez la guerre ».

Dans le monde, et en particulier dans la zone Asie-Pacifique, les budgets militaires ne cessent de progresser. Disons-le sans détour : la France est très dynamique s’agissant du commerce légal des armes, qui constitue un soutien non négligeable à notre industrie. Cette réalité économique nous conduit à figurer parmi les cinq premiers exportateurs de matériel de défense. Toutefois, ce poids n’est pas un handicap lorsque l’État et les industriels partagent des exigences fortes en termes de contrôle, ce qui est le cas.

Par ailleurs, notre pays a toujours été mobilisé en faveur du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Nous avons toujours pris une part active aux initiatives visant à la non-prolifération ou au contrôle des armes. À cet égard, l’énergie déployée par le Président de la République sur la question de l’utilisation des armes chimiques en Syrie illustre le souci qui guide l’action diplomatique de la France.

Nos dirigeants ont toujours œuvré avec responsabilité pour faire avancer les grands traités et les conventions internationales. Je pense au traité d’interdiction complète sur les essais nucléaires ou encore à la convention sur l’interdiction des armes à sous-munitions.

Dans cet esprit, nous avons très tôt soutenu le projet de traité sur le commerce des armes, qui s’est enfin concrétisé avant l’été. J’en profite pour saluer le travail accompli en amont par plusieurs ONG. Elles ont mené une campagne de sensibilisation exemplaire, comme bien souvent, d’ailleurs.

Le processus de négociation a été relativement long et il faut reconnaître que le ralliement des États-Unis au traité l’a accéléré. Il a fallu de la persévérance pour vaincre quelques États réticents, en particulier tous ceux qui, sous le coup de sanctions internationales, sont inquiets du progrès.

L’essentiel reste son adoption à une très forte majorité de l’Assemblée générale des Nations unies, le 2 avril dernier. Il s’agit d’une victoire politique, même si de grands pays comme la Russie, l’Inde et la Chine n’y ont pas apporté leur soutien. Depuis son adoption, au moins 107 pays l’ont signé, dont les États-Unis à la fin du mois dernier. L’enjeu réside aujourd’hui dans sa ratification.

Notre pays est parmi les premiers à décider sa mise en œuvre. Monsieur le ministre, nous devons nous féliciter de cette promptitude : elle honore la France. De la même manière, un vote positif, dont je ne doute pas, honorera notre Parlement.

Les orateurs précédents l’ont rappelé, le texte du traité vise deux objectifs : réguler le commerce légitime entre États et prévenir les trafics illicites. Dans les deux cas, la ratification du traité ne devrait bouleverser ni le droit français, ni le droit européen. L’étude d’impact jointe au projet de loi est sur ce point sans équivoque.

En effet, le principe général de prohibition, de fabrication et de commerce des matériels, armes et munitions, fonde la législation française. Comme vous le savez, mes chers collègues, il en résulte un régime très rigoureux d’autorisation et de délivrance des licences, que nous avons d’ailleurs renforcé par l’adoption de la loi du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés.

Le traité s’articule également très bien avec nos engagements européens, notamment ceux qui découlent de la position commune du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008. Le traité et la position commune convergent en effet vers un principe fondamental consistant à apprécier l’autorisation d’exporter au regard du risque de violation des droits de l’homme. Il s'agit, bien entendu, du point fondamental du traité sur le commerce des armes posé à l’article 6. C’est pour cette raison essentielle que mon groupe approuve totalement ce nouvel instrument juridique.

Certains regrettent l’absence de mesures de coercition. Bien entendu, ce traité ne réglera pas tout et ne fera pas taire, dès demain, le bruit des armes. Mais, à n’en pas douter, il s’agit d’une étape. Comme le disait François Mitterrand, parlant des pays en guerre, trop nombreux : « La paix n’est pas à préserver. Elle est d’abord à conquérir ». Le droit international participe de cette conquête et, avec lui, la France se situe à son avant-garde.

Mes chers collègues, si nous adoptons le projet de loi visant à la ratification de ce traité, ce dont je ne doute pas, nous serons ainsi parmi les premiers à ouvrir la voie à l’établissement d’une régulation des armes classiques. Selon nous, tout autre vote qu’un soutien à ce traité ne serait pas une position responsable. C’est pourquoi les membres de mon groupe l’approuveront sans réserve. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le rapporteur et M. Ronan Kerdraon applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le commerce international des armes peut-il être laissé au jeu des raisons d’État et des intérêts prédateurs ? Voilà une question qui ne saurait faire débat.

Et pourtant, dix-sept ans se sont écoulés depuis l’appel lancé par le président costaricain et prix Nobel de la Paix Oscar Arias. Il a fallu tout l’engagement de nos ONG et de nos diplomates pour aboutir à ce traité qui comble un vide juridique aberrant.

Certains le soulignaient à juste titre, nous disposions de normes strictes en matière de vente de bananes « mais d’aucune règle internationale solide et juridiquement contraignante en ce qui concerne la vente d’armes ». 

C’est pourquoi je tiens, au nom du groupe écologiste du Sénat, à rendre hommage à celles et ceux qui, chacun à son niveau, ont participé à cet indéniable progrès…

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jean Desessard. … pour la paix et l’effectivité du droit international.

Le traité sur le commerce des armes ne contient pas d’avancée normative majeure. Fruit d’un consensus large entre les nations, ce traité ne dispose d’aucune mesure de sanction. Il marque toutefois une avancée historique pour la responsabilisation des États. Les exportations d’armes ne peuvent plus être vues sous le seul aspect comptable et politicien. Ce message est d’ores et déjà porté par les législations française et européenne, et par les jurisprudences des cours et tribunaux internationaux qui vont tous dans le sens d’une responsabilisation accrue des acteurs étatiques.

Le chaos consécutif au dispersement des arsenaux libyens et la crise malienne qui s’est ensuivie auront achevé de nous convaincre des conséquences funestes des ventes d’armes irresponsables.

L’absence de régulation a jusqu’à présent nourri les conflits et ruiné les efforts de développement. Le continent africain en est le triste exemple : selon Oxfam international, « l’Afrique perd 18 milliards de dollars par an en raison de la violence armée, soit à peu près le montant annuel de l’aide au développement pour l’ensemble du continent ».

La généralisation des régimes juridiques nationaux de contrôle des exportations d’armes, y compris pour les armes légères et de petits calibres, apparaît alors comme une démarche de bon sens. C’est, selon les mots de Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge, « une réponse louable compte tenu de la souffrance humaine généralisée qui résulte de la disponibilité non réglementée des armes ».

Cependant, comme cela a été dit – y compris par le rapporteur –, soyons conscients des limites de ce texte.

M. Daniel Reiner, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean Desessard. Son champ d’application est restreint. Les dispositions pour renforcer la transparence ou pour lutter contre le détournement ne visent pas les munitions, ni les pièces détachées.

M. Daniel Reiner, rapporteur. Ah si, les munitions sont mentionnées !

M. Jean Desessard. Seules les pièces détachées n’y figurent pas ?

M. Laurent Fabius, ministre. Oui !

M. Jean Desessard. Merci de faire cette rectification en direct !

Je poursuis s’agissant des limites de ce texte. Seules les activités commerciales sont comprises par la notion de « transfert ». Les dons et les cessions en sont exclus.

Par ailleurs, la notion choisie de « risque prépondérant » laisse place à une très grande subjectivité dans l’appréciation de chaque situation.

Plus gênant, l’absence de dispositions concernant le financement de la conférence des États parties et du secrétariat dédié au traité interroge sur la volonté réelle des États dans ce domaine.

Enfin, cela a été dit, la non-signature de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie, de la Russie et les doutes sur la possibilité de la ratification du traité par le Sénat américain achèvent de tempérer les euphories.

Le chemin à parcourir pour la régulation de ce marché, qui participe à l’instabilité de régions entières, est encore long, et son terme ne peut être envisagé sans l’élaboration parallèle de réelles politiques de développement et de promotion de la résolution politique des conflits, dans le strict respect des normes de droit international.

L’efficacité des futures réglementations nationales sera en outre conditionnée par l’assistance financière et technique envers les États aux moyens réduits, sans quoi les promesses de ce traité resteront lettre morte.

C’est pour la France un impératif moral que de s’impliquer dans cette assistance et de clarifier les contours que celle-ci prendra.

L’administration américaine « estime que la corruption dans le commerce des armes représente près de la moitié de l’ensemble des transactions liées à la corruption dans le monde ». Ce constat ne peut manquer de résonner ici de manière particulière, alors que l’affaire Karachi, qui connaît ses derniers rebondissements, rappelle les conséquences néfastes de l’opacité de ce marché pour notre démocratie.

La recherche d’un consensus international large a pu justifier la minoration de certains points d’exigence. Cependant, elle n’empêche aucunement la France de poursuivre l’amélioration de sa législation. Comme le souligne l’Observatoire des armements, « s’il avait été en vigueur en 2011, [ce traité] n’aurait pas pu prévenir, par exemple, l’exportation du système d’espionnage par Amesys à la Libye de Kadhafi ».

Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste du Sénat, s’il affirme son adhésion à ce traité, rappelle que celui-ci ne saurait marquer qu’une étape et qu’une partie de la solution aux problèmes posés par la circulation des armes. Mais notre groupe, conscient de l’avancée qu’il représente, votera ce texte. (M. le rapporteur ainsi que Mme Michelle Demessine et M. Jacques Gautier applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc. (M. Roland du Luart applaudit.)

M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité dont nous débattons est très important. Les enjeux sont considérables pour tous ceux qui l’auront ratifié mais aussi, tout simplement, pour la paix.

Au nom du groupe UMP, je me félicite que la France, qui fut un des fers de lance dans la négociation de ce traité, soit aussi un des premiers signataires à le ratifier.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Seule une ratification la plus large possible permettra au traité sur le commerce des armes d’atteindre son objectif.

Bien que l’objectif initial du traité soit clair, son aboutissement ne fut pas sans difficultés.

Tout d’abord, il fallait parvenir à l’adoption d’une norme universelle juridiquement contraignante, régulant – mais n’interdisant pas – le commerce des armes classiques.

Ensuite, ce traité vise à instaurer une plus grande transparence dans les transferts d’armements, ainsi que la mise en place de règles de bonne gouvernance.

Enfin, et surtout, ce traité permet une véritable responsabilisation des États producteurs et exportateurs d’armes conventionnelles, mais aussi de leurs importateurs.

À l’heure où la communauté internationale se bat pour l’interdiction des armes de destruction massive – on pense bien évidemment à la Convention sur l’interdiction des armes chimiques, qui pourrait bientôt être signée par la Syrie –, il n’était plus supportable qu’aucun cadre juridique international n’existe concernant les armes conventionnelles.

Bien sûr, j’entends d’ici ceux qui diront que ce n’est pas assez, ou que cela ne va pas assez loin.