M. Jean Desessard. Je l’ai reconnu !

M. Raymond Couderc. On voit toujours le verre à moitié vide !

M. Jean Desessard. C’est vrai !

M. Raymond Couderc. Toutefois, mes chers collègues, en la matière, nous partons de zéro,…

M. Jean Desessard. C’est vrai !

M. Raymond Couderc. … c’est-à-dire d’un néant juridique.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Raymond Couderc. À l’échelle mondiale, aucune règle universelle ne régissait le commerce des armes.

M. Jean Desessard. Assurément !

M. Raymond Couderc. Jusqu’à ce traité, il n’existait que des embargos, relevant du cas par cas, et répondant à des problèmes particuliers posés par le commerce des armes depuis ou vers certains pays. Par exemple, l’interdiction de l’importation et de l’exportation d’armes fait partie du régime de sanctions contre l’Iran. Mais il s’agit d’engagements politiques, et non juridiques.

Ces engagements sont des preuves de transparence, pris depuis le début des années 1990, qui n’ont abouti qu’à des dispositifs d’incitation à coopérer en faveur de la lutte contre la dissémination des armes légères et de petits calibres.

Or nous savons bien que ce sont les trafics d’armes de petits calibres qui font le plus de morts à travers le monde. Nous en sommes les témoins quotidiens, tant dans des crises régionales qui se transforment en conflits, et qui poussent l’ONU à envoyer des soldats pour éviter de véritables guerres civiles, que dans nos banlieues, où il est très facile de se procurer des armes de guerre.

Mes chers collègues, vous me permettrez de profiter de cette tribune pour revenir sur ce que représente le commerce des armes dans le monde. Je le ferai en évitant de sombrer dans la caricature, trop facile, intellectuellement malhonnête et, au final, loin de la réputation de notre assemblée.

Les producteurs d’armes ne sont pas les auteurs de crimes. Un monde désarmé est un objectif qu’il faut viser, mais l’idéal doit aussi s’ancrer dans la réalité. Grâce à ce traité, les exportateurs et les acheteurs auront une plus grande responsabilité.

Oui, le commerce des armes constitue un volet important de l’économie mondiale. Le chiffre d’affaires des grands groupes d’armement mondiaux s’élève à 307 milliards d’euros, hors la Chine. Pour la seule année 2011, cela équivaut à plus d’un tiers du chiffre d’affaires des neuf plus gros constructeurs automobiles mondiaux.

Ainsi, hors groupes chinois, dont on ignore clairement les chiffres – et c’est là aussi l’un des problèmes majeurs de l’efficacité à terme du traité sur le commerce des armes –, le classement des 100 plus grands vendeurs d’armes est dominé par les groupes américains et européens, qui pèsent respectivement 60 % et 29 % du marché, et en monopolisent les 17 premières places.

La France, et nous ne devons pas en avoir honte, prend part à ce commerce en pleine croissance. En effet, les industries françaises ont enregistré en 2011 une hausse de 27 % de leurs prises de commandes, ce qui représente 6,5 milliards d’euros. Cela situe la France « parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux ».

Le commerce des armes est donc une industrie très importante, dans le monde et dans notre pays, au regard tant du volume financier qu’il engendre que du fait de la particularité du produit vendu et de son utilisation.

Toutefois, il faut le rappeler avec force, la France s’est dotée depuis longtemps d’une réglementation et d’un dispositif législatif de contrôle extrêmement rigoureux. Ce dispositif est fondé sur un système d’autorisations par étapes et une concertation interministérielle continue.

De plus, dès 2006, la France s’est fortement investie dans le processus visant à établir un traité international sur le commerce des armes. Donc, oui, la France est l’un des plus gros producteurs mondiaux, mais elle prend toute sa part de responsabilité. En matière de contrôle et d’exportation, elle se pose comme un modèle.

C’est aussi pour ces raisons qu’elle a participé activement aux réunions du comité préparatoire, qu’elle soutient la mise en œuvre rapide de ce traité, et qu’elle a œuvré en faveur d’une définition du champ d’application des matériels et des activités aussi large que possible.

Je veux rappeler que la France, depuis longtemps, s’est engagée en faveur des grands principes, tels que les droits de l’homme, le droit international humanitaire et le développement économique et social, principes regroupés sous l’appellation « règle d’or » par nos négociateurs.

Aussi, c’est tout naturellement, et devant l’importance de ces chiffres et la multiplication des crimes commis contre des civils à travers le monde, que la France, avec plusieurs États – le Royaume-Uni, par exemple – et des ONG, s’est mobilisée depuis 2006 pour favoriser la mise en place d’un traité sur le commerce des armes.

Par ailleurs, depuis 2008, la France et les États européens appliquent la position commune 2008/944/PESC, qui définit les règles régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires. En cela, l’Europe est un excellent élève, le seul au monde à avoir mis en place une procédure juridique efficace.

À un moment où l’euroscepticisme est de mise, où il devient une posture politique, soyons fiers que l’Union européenne se distingue par l’existence de règles contraignantes portant sur tous les armements conventionnels, qui soient communes à tous ses États membres. Ce fut d’ailleurs l’un des axes de la Présidence française en 2008.

Ce traité, fruit d’un long processus de négociation au sein des Nations unies, a été adopté à une très large majorité par l’Assemblée générale des Nations unies, le 2 avril 2013.

Il convient aussi de nous féliciter du large soutien des États sud-américains, mais aussi de celui d’une majorité des États d’Afrique subsaharienne, qui, tout en étant victimes de transferts d’armes déstabilisants, en sont également les acteurs principaux.

À ce titre, il importe de souligner que certaines de ces régions ont adopté un régime de contrôle du désarmement comportant des règles communes. La CEDEAO l’a fait en Afrique de l’Ouest pour les armes légères.

Pour autant, ces règles devront s’appliquer à tous, sous peine d’instaurer une concurrence déloyale entre les pays ayant signé et appliquant le traité, et les autres.

Parmi les contraintes qui s’exerceront sur elle, la France devra obtenir l’adhésion du plus grand nombre au traité, en particulier celle des principaux acteurs du commerce des armes.

Pour faire face aux réalités du monde, en matière de prolifération des armes comme de protection des populations civiles victimes de celles-ci, il est primordial que le traité sur le commerce des armes réponde à plusieurs critères.

Ce traité doit être un traité de régulation et non un traité d’interdiction. Il s’agit là d’une harmonisation par le haut de règles adoptées par tous les États producteurs ou importateurs, ainsi que par les pays « de transit ». La lutte contre les trafics d’armes illicites ne peut être conçue sans une régulation du commerce licite.

Aussi, la Chine, la Russie, ou ses anciens satellites, qui ont gardé sur leurs sols des chaînes de production d’armes, aujourd’hui réactivées – je pense notamment à l’Ukraine et au Kazakhstan, qui deviennent des sous-traitants –, devront eux aussi prendre leur part de responsabilité en ratifiant ce traité. La signature n’est pas suffisante.

Ce traité doit être ratifié par un maximum d’États, sinon par la totalité des États. Cela permettra une réelle régulation, et évitera une distorsion des règles commerciales appliquées et applicables par les différents États, selon qu’ils aient signé ce traité ou non. Seule l’universalité du traité pourra lui permettre d’atteindre ses objectifs premiers, principalement au regard des droits de l’homme. J’espère d’ailleurs que la France, par sa diplomatie et son influence, saura convaincre ses alliés et travaillera à une ratification rapide de ce traité par le plus grand nombre.

C’est pour toutes ces raisons que le groupe UMP votera en faveur de cette ratification. (MM. Jacques Gautier, René Beaumont et Jean Desessard ainsi que M. le président de la commission des affaires étrangères applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Je vais répondre, ne serait-ce que par courtoisie, aux questions posées par les divers orateurs.

Auparavant, je voudrais remercier tous ceux qui se sont exprimés. Si j’ai bien compris, le vote sera unanime. Cela montre à quel point chaque groupe a compris l’importance de ce texte qui, comme l’a souligné Daniel Reiner, ne fera probablement pas la une de l’actualité, mais qui est beaucoup plus important que certains autres qui pourtant la font.

M. Daniel Reiner, rapporteur. Eh oui !

M. Laurent Fabius, ministre. M. Reiner a posé une question portant sur notre interprétation du « risque prépondérant », auquel se réfère l’article 7 du traité.

Comme le sait M. Reiner, la France est déjà tenue par un engagement très strict, qui est la position de l'Union européenne, sorte de code de conduite qui définit des règles communes régissant le contrôle et l’exportation de technologies et d’équipements militaires.

Le texte européen demande aux États de ne pas autoriser une exportation d’armes s’ils jugent qu’il existe un risque manifeste qu’elles puissent être utilisées à des fins contraires aux droits de l’homme et au droit international humanitaire. Dès lors qu’un risque est « manifeste », pour reprendre la terminologie européenne, il est à notre sens forcément prépondérant. C’est donc autour de ce concept que l’on peut répondre à la question posée par M. Reiner.

M. Reiner s’est également interrogé sur les transferts d’armes à titre gratuit, et M. Desessard a, lui aussi, abordé ce sujet. Je précise que les transferts à titre gratuit ne sont pas formellement cités dans le traité parce que certains pays, notamment la Chine, s’y sont opposés. Cependant la France, à l’instar de la plupart des autres pays de l’Union européenne, considère que les cessions gratuites sont couvertes par le traité.

M. Reiner a aussi soulevé une question liée à l’article 26, qui dispose que le traité est sans préjudice des obligations souscrites par les États parties. Cet article a été inséré à la demande de grands États importateurs, qu’il était crucial d’inclure dans le consensus. Vous noterez que les obligations dont il est question doivent être cohérentes avec le traité. Il n’y a donc pas de contradiction entre l’article 26 et le reste.

M. Bockel, comme d’autres sénateurs, s’est demandé si le traité n’allait pas handicaper nos industriels. Comme vous l’avez tous noté, celui-ci ne vise pas à supprimer le commerce des armes, mais il l’encadre, en soumettant les États exportateurs à des règles communes. C’est vrai également, bien sûr, pour la France.

Mme Demessine a posé une question qui a été relayée par d’autres, en particulier MM. Tropeano, Desessard et Couderc : qui ratifiera le traité ? A-t-il des chances d’être ratifié notamment par les grands pays ?

L’état de nos informations est le suivant : tous les pays de l’Union européenne, qui représentent ensemble environ 30 % des exportations de modèles d’armement, ont signé le traité et se sont engagés à le ratifier rapidement. Nos principaux partenaires dans le domaine de la défense – le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie – sont aussi avancés que nous dans le processus de ratification, mais il ne faut pas prendre de retard. Hors d’Europe, – M. Couderc, notamment, a soulevé la question – la situation est plus contrastée. Plus de deux tiers des États de l’ONU – 113 signatures à la date du 3 octobre dernier – ont signé le traité, mais il manque de grands exportateurs, en particulier la Chine et la Russie.

Pour la Chine, il y a des raisons d’être optimiste : le traité lui convient ; Pékin s’est abstenu lors du vote à l’ONU en avril, mais, nous ont dit les Chinois, uniquement pour une raison procédurale. Les Chinois auraient préféré que l’on adopte le texte au consensus. Seulement, comme cela a été souligné, et ce n’est pas sans signification, l’Iran, la Corée du Nord et la Syrie ont voté contre – ce qui incite, d’ailleurs, à voter pour… (Sourires.) Avec la signature des États-Unis, les choses pourraient changer.

Pour la Russie, ce point est peut-être plus difficile. Le président Poutine ne souhaite pas ratifier ce traité, et il n’est pas, semble-t-il, sans influence sur son propre pays. Il aurait voulu que le traité serve mieux les intérêts de la Russie et ceux de ses alliés au Moyen-Orient. Nous allons voir si la situation évolue.

Aux États-Unis, l’administration du président Obama soutient ce traité depuis le début. Ils l’ont signé le 25 septembre dernier. Il faut maintenant convaincre le Congrès. C’est là où la question est difficile, d’autant qu’un lobby des porteurs d’armes a réussi à faire croire que ce traité menaçait le deuxième amendement de la Constitution américaine et le droit de tout citoyen de détenir une arme, alors que cela n’a rien à voir. Ces arguments ne sont pas fondés, mais ils trouvent un écho. Nous espérons néanmoins que le traité sera largement ratifié.

Plusieurs d’entre vous ont posé la question des drones : Sont-ils ou non concernés ? Le traité s’applique à l’ensemble des armes. Les catégories sont celles du registre des Nations unies sur les armes classiques, auxquelles on a ajouté les armes légères et de petits calibres, ainsi que les munitions, pièces et composants.

S’agissant des drones armés, en fait, on peut considérer que ce sont des avions de combat pilotés à distance. Rien n’interdit donc, à nos yeux, qu’ils soient inclus dans la catégorie des avions de combat du registre des Nations unies.

En outre, sur proposition de la France, une clause permettant d’amender le traité a été introduite. Il sera donc possible de faire évoluer le champ des matériels en prenant en compte, notamment, les développements technologiques.

M. Desessard s’est interrogé sur l’absence de sanctions. Il y a une sanction politique, avec l’examen par la Conférence des États parties de la mise en œuvre par les États. Il y a la possibilité – je viens de la citer – d’amender le traité par la suite, qui laisse cette voie ouverte. Il y a l’assistance à la mise en œuvre. Nous travaillons, au sein de l’Union européenne, à un programme d’assistance à la mise en œuvre, qui sera à la fois juridique et opérationnelle. Le sujet, je le précise, sera abordé lors du sommet « paix et sécurité sur le continent africain », que nous réunirons au mois de décembre prochain à Paris, pour aider à la mise en œuvre dans ces pays.

Quand aux pays qui n’ont pas ratifié le traité, la France a lancé une campagne en faveur de cette ratification par tous les États. Le vote de cette loi par la France montrera l’exemple.

J’ai une dernière réponse à faire si on a la gentillesse de ramasser le papier que j’ai laissé tomber. Peut-être n’avez pas encore vu le film Quai d’Orsay, qui est assez amusant, où un de mes prédécesseurs, d’après ce que j’ai compris, est décrit. Chaque fois qu’il entre dans une pièce, les papiers volent ! Désormais, c’est beaucoup plus calme ! (Sourires.)

Mme Demessine a soulevé la question du rapport sur l’exportation des armes. Un rapport est présenté par le ministre de la défense. Un travail est en cours avec les ONG concernées pour faire preuve de la plus grande transparence. C’était un engagement du Président de la République. Le ministère de M. Le Drian comme le Quai d’Orsay sont en train de préparer cela. Nous allons donc améliorer ce produit pour répondre à vos attentes et à celles de l’ensemble de ceux qui s’intéressent au problème.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je crois avoir répondu à la plupart de vos questions. Je vous remercie de vos interventions et, par avance, du vote qui va intervenir. Le Sénat s’honore en adoptant à l’unanimité un texte d’une grande importance ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP. – MM. Jean Desessard et Robert Tropeano applaudissent également.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique du texte de la commission.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée la ratification du traité sur le commerce des armes, signé à New York le 3 juin 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je vais mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Je vous rappelle que ce vote sur l’article unique a valeur de vote sur l’ensemble du projet de loi.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Je constate que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents.

Article unique (début)
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes
 

9

Nomination d’un membre d'une délégation

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la délégation à la prospective.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Louis Nègre membre de la délégation à la prospective, en remplacement de M. René Vestri, décédé.

10

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 9 octobre 2013 :

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

1. Proposition de loi relative aux missions de l’Établissement national des produits agricoles et de la pêche maritime (n° 819, 2012–2013) ;

Rapport de Mme Bernadette Bourzai, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 5, 2013–2014) ;

Texte de la commission (n° 6, 2013–2014).

2. Proposition de loi visant à l’indemnisation des personnes victimes de prise d’otages (n° 657, 2012–2013) ;

Rapport de Mme Esther Benbassa, fait au nom de la commission des lois (n° 25, 2013–2014) ;

Texte de la commission (n° 26, 2013–2014)

À dix-huit heures trente et le soir :

3. Proposition de loi organique relative à la nomination du président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (n° 812, 2012–2013) ;

Rapport de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 9, 2013–2014) ;

Texte de la commission (n° 10, 2013–2014).

4. Proposition de résolution visant à créer une station de radio française « Radio France Europe » : R.F.E., destinée à mieux faire connaître, dans tous les domaines, la vie quotidienne de nos partenaires européens, présentée en application de l’article 34–1 de la Constitution (n° 459, 2012–2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART