M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui deux propositions de loi, présentées par mes collègues sénatrices Catherine Procaccia et Caroline Cayeux, visant à améliorer le contrôle des comptes et la gestion des comités d’entreprise.

Le comité d’entreprise est un lieu important dans l’organisation d’une entreprise. C’est un organe au service des salariés, non seulement dans un but social et culturel, mais aussi en vue de les représenter dans les décisions qui concernent la vie économique de l’entreprise.

Ainsi, le comité d’entreprise doit être consulté en cas de modification de la durée du travail, d’introduction de nouvelles technologies, de modification du règlement intérieur ou encore de licenciement économique : autant d’événements majeurs durant lesquels ces comités ont toute leur place et qui confirment leur rôle central dans le monde du travail.

Ces derniers mois, l’actualité nous a révélé des dysfonctionnements majeurs concernant les finances de comités d’entreprise de plusieurs groupes. Si certains de ces dysfonctionnements peuvent être imputés à une gestion inefficace, d’autres sont clairement liés à des pratiques à la limite de la légalité. La justice est d’ailleurs saisie de plusieurs dossiers.

On sait bien que, à l’époque de l’argent roi, dans tous les secteurs, dans toutes les sociétés, dans toutes les catégories sociales, que ce soit dans le monde politique, le monde syndical, le monde de l’entreprise, il y a des déviances personnelles.

Mais la surprise est qu’aujourd’hui rien n’oblige les responsables d’un comité d’entreprise à communiquer leurs dépenses, et ce ni auprès des salariés qui en sont les bénéficiaires ni auprès de la direction de l’entreprise qui en est le financeur. Cette opacité est un obstacle majeur à toute tentative de régulation, et c’est le rôle du législateur d’y mettre un terme.

Les deux propositions de loi que nous examinons aujourd’hui visent à apporter certaines réponses à ce vide juridique. Ainsi, l’établissement, la certification et la publication des comptes des comités d’entreprise, sous contrôle des commissaires aux comptes, constituent des dispositions permettant une transparence accrue des activités de ces comités.

L’obligation de remettre ces documents au président du conseil d’administration et de soumettre à la réglementation des marchés publics les achats dépassant une certaine somme concourt également à une gestion plus saine. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous l’avez-vous-même approuvé en disant que le contenu de cette proposition de loi allait dans le bon sens. Vous avez donc salué le travail de Mmes Procaccia et Cayeux qui se sont particulièrement investies pour définir les conditions d’un meilleur contrôle des comités d’entreprise. Le travail en commission, en particulier les sept amendements déposés, précise de manière utile les procédures.

Ces amendements convergent avec les conclusions de la position commune des syndicats sur la transparence des comités d’entreprise d’avril 2012, notamment en ce qui concerne la modulation des obligations de certification des comptes selon la taille du comité d’entreprise, ou encore l’élargissement des dispositions de la loi aux structures comparables comme les comités interentreprises ou les comités centraux d’entreprise.

Vous avez donc, reconnu, monsieur le ministre – et je le fais également –, le bien-fondé de ces mesures et de ces dispositions.

Quel est donc le problème aujourd’hui posé ? Cette initiative, bien que louable et souhaitable, vous l’avez dit, se heurte à un calendrier législatif inadapté ou mal réglé. Le Gouvernement – et en particulier le ministre du travail que vous êtes, monsieur Sapin – mène actuellement une large concertation avec les syndicats visant à l’élaboration d’un projet de loi qui devrait nous être présenté en début d’année prochaine. Vous nous avez précisé, monsieur le ministre, que la date butoir était le mois de février 2014.

M. Michel Sapin, ministre. Février, c’est déjà tard !

M. Jean Desessard. En fait, janvier ou février 2014 !

Cette réforme globale, dont nous connaissons aujourd’hui les contours, portera aussi bien sur la formation professionnelle que sur le dialogue social, le financement des organismes paritaires et la transparence des comptes. Elle portera ainsi sur les comités d’entreprise et visera à créer les conditions d’une réelle transparence pour ces institutions. Les syndicats attendent beaucoup de ce texte – nous sommes restés en contact avec eux – afin d’améliorer la qualité du dialogue social dans l’entreprise et sont aujourd’hui impliqués dans la concertation.

En ce qui nous concerne, nous serons donc extrêmement attentifs au contenu de cette future loi-cadre ainsi qu’à tous les textes portant sur la transparence financière.

En conclusion, il s’agit là d’une proposition de loi correspondant à un vrai besoin de transparence et répondant aux exigences comptables demandées aujourd’hui à chaque organisation ; et il est normal que les comités d’entreprise soient soumis aux dispositions communes. Mais, en parallèle, une concertation a été menée avec les syndicats pour réussir cette transparence, le mieux – vous l’avez dit, monsieur le ministre, et je vous approuve – étant de faire avec, plutôt qu’à côté ou plutôt que contre. (M. Claude Jeannerot acquiesce.)

Par conséquent, même si l’on comprend la nécessité d’introduire des normes comptables dans les comités d’entreprise, cinq mois correspondent à un délai que l’on peut supporter.

Monsieur le ministre, votre réponse doit vous engager dans un délai de cinq mois : nous débattrons de nouveau de ce point, avec l’accord des syndicats, en février 2014. Ce dispositif peut être une réponse adaptée à ce besoin de transparence que nous approuvons aujourd’hui. Et il importe de faire en sorte que les syndicats soient moteurs et acteurs de cette volonté de transparence. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Sapin, ministre. Excellent, comme toujours !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme son intitulé l’indique, l’objet de cette proposition de loi est d’instaurer un contrôle des comptes des comités d’entreprise.

Concrètement, elle transpose aux comités d’entreprise les obligations de publication et, le cas échéant, de certification, déjà imposées aux syndicats par la loi du 20 août 2008.

Sur le fond, il y a consensus. Nul à ma connaissance ne conteste le bien-fondé de cette mesure. Les syndicats eux-mêmes la réclament depuis le 7 février 2011.

Les membres de mon groupe et moi-même soutiendront d’autant plus fortement la proposition de loi déposée par Mme Procaccia qu’elle reprend l’essentiel de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 26 janvier 2012, sur l’initiative de notre ancien collègue et ami Nicolas Perruchot.

Ce texte est juridiquement et éthiquement nécessaire.

Il est juridiquement nécessaire, parce que le code du travail, depuis sa recodification en 2008, oblige théoriquement tous les comités d’entreprise, sans distinction, à certifier leurs comptes, ce qui est impensable et les menace lourdement.

Il est éthiquement nécessaire, car il n’est pas compréhensible que seul le comité d’entreprise échappe aux obligations de transparence des comptes – vous l’avez rappelé, monsieur le ministre –, alors que, dorénavant, la quasi-totalité des organismes, publics ou privés, syndicats en particulier et bientôt hôpitaux, y seront ou y sont soumis.

C’est d’autant moins compréhensible que, d’une part, les sommes en jeu ne sont pas négligeables – elles ont été rappelées par Mme la rapporteur, et je ne reviendrai pas sur ce point – et surtout, d’autre part, certaines dérives ont de longue date et régulièrement été dénoncées ; elles l’ont été notamment par la Cour des comptes concernant le comité d’entreprise de la RATP et, plus récemment, la caisse centrale d’activités sociales d’EDF, qui est le plus grand comité d’entreprise de France.

Relativisons donc les choses : le plus souvent, le fonctionnement des 53 000 comités d’entreprise que compte notre pays et qui existent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ne suscite aucune difficulté particulière.

C’est la raison pour laquelle le présent texte a pour objet non pas de jeter la suspicion sur les comités d’entreprise, mais au contraire de renforcer ces derniers en garantissant que les abus de quelques-uns ne ternissent pas l’image de tous, et accessoirement ne se reproduisent plus.

Quant aux diverses mesures proposées – reprise des obligations comptables s’imposant aux syndicats adaptées aux comités d’entreprise en fonction de leur taille, consolidation des comptes, procédure d’alerte, champ de la mesure –, nous ne pouvons que les soutenir. C’est très exactement d’ailleurs le texte de la proposition de loi Perruchot.

La commission des affaires sociales, sous la houlette de Catherine Procaccia, rapporteur et auteur de cette proposition de loi, dont je tiens à saluer l’excellence du travail, a toutefois apporté quelques modifications pour tenir compte, notamment, de la négociation récente menée par la DGT.

Par rapport à la proposition de loi Perruchot, le présent texte prévient les conflits d’intérêts en interdisant à un même commissaire aux comptes de contrôler en même temps les comptes de l’entreprise et ceux du comité d’entreprise. Cela me paraît tout à fait naturel.

De plus, il détaille la procédure d’alerte et les modalités de publicité des comptes.

Enfin, là où la proposition Perruchot ne prévoyait que des « procédures » pour l’engagement et le paiement des travaux ou l’achat de biens et de services par le comité d’entreprise, le présent texte impose l’institution au sein des grands comités d’entreprise d’une commission des marchés.

Voilà autant de modifications qui vont dans le bon sens, et que nous soutenons, mais qui ne changent pas fondamentalement le texte adopté par l’Assemblée nationale il y a plus d’un an et demi.

Cela me conduit à conclure par une réflexion sur l’articulation entre démocratie sociale et démocratie politique.

Il se sera écoulé plus d’un an et demi entre l’adoption de la proposition Perruchot par l’Assemblée nationale et l’examen, aujourd’hui, par le Sénat, d’un texte quasi-identique. Et ce, pour répondre à une situation juridique d’urgence sur un sujet consensuel !

Ce cas pourrait être emblématique de la lourdeur et de la complexité du système, de sa pesanteur et de son inertie administrative.

Lorsque Nicolas Perruchot avait déposé sa proposition de loi, il lui avait été reproché de « shunter » la démocratie sociale, alors que des négociations devaient s’ouvrir sur le sujet. On retombe aujourd’hui exactement dans le même travers !

Mais voilà, tout en reconnaissant la nécessité d’agir, les partenaires sociaux ont finalement refusé de négocier en vue d’un accord national interprofessionnel sur ce thème.

Entre temps, un groupe de travail, piloté par la DGT, a rendu ses conclusions début 2013. Celles-ci reprennent le contenu de la proposition Perruchot, et sont elles-mêmes reprises dans la proposition de loi de Mme Procaccia.

Aujourd’hui, si je vous ai bien compris, monsieur le ministre, nous ne sommes même pas sûrs que le présent texte aboutisse. En tout cas, il n’aboutira pas avant la fin de l’année. Le Gouvernement s’est engagé à apporter une solution au problème début 2014, mais l’on sait que la période sera chargée, avec de surcroît la tenue d’élections municipales.

On marche sur la tête ! Le sujet est consensuel, la commission des affaires sociales et le Sénat sont d’accord, mais l’on veut repousser le vote à plus tard ! Après tout, qui fait la loi dans ce pays ? Il me semblait que c’était le Parlement, et non les ministres ! Pourtant, aujourd’hui, vous demandez en substance aux parlementaires d’attendre que vous puissiez intégrer – autant dire noyer ! – ce texte au sein d’un projet de loi plus large. Il s’agit pourtant d’un texte emblématique, clair et consensuel, qui provient d’une initiative parlementaire. Que peut-on lui reprocher ?

Il s’agit là d’une question non pas seulement de méthode, mais aussi de principe.

À cet égard, je désapprouve les propos récemment tenus par un dirigeant syndical, qui n’admet pas qu’un parlementaire fasse ainsi une loi dans son coin. Au nom de qui et de quoi peut-il juger de l’intérêt de légiférer sur cette question ? Ces propos m’ont paru insultants à l’égard de Mme Procaccia.

Si l’on n’adopte pas en l’état, aujourd’hui, cette proposition de loi qui fait consensus, ce sera une atteinte à la démocratie parlementaire et à la Constitution, qui nous a conféré ces droits ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’en venir à l’examen de cette proposition de loi, je voudrais, au nom de mes collègues du groupe CRC, saluer le travail et l’implication de milliers d’élus salariés, dirigeants des comités d’entreprise, qui se mobilisent de manière volontaire et bénévole pour faire vivre au quotidien les comités d’entreprise.

Ces femmes et ces hommes, par leur engagement personnel, œuvrent en faveur de l’émancipation et de l’épanouissement des salariés, en leur permettant de connaître, dans une certaine limite, au moyen d’analyses détaillées, la gestion de leur entreprise, et en leur donnant accès à la culture, au sport et aux loisirs pour tous.

Les deux propositions de lois qui nous conduisent à nous réunir aujourd’hui traduisent – et c’est un fait notable – le désir légitime, au sein de notre société, d’une transparence accrue. Personne ici, sur aucune des travées de la Haute Assemblée, ne peut prétendre que nos concitoyennes et concitoyens ne sont pas en attente de mesures permettant de s’assurer que plus aucun abus ne sera commis, dans quelque domaine que ce soit.

Il y a plusieurs mois, nous légiférions, insuffisamment d’ailleurs, sur la transparence dans le domaine médical et pharmaceutique. Plus récemment, il était question de la transparence de la vie politique. Aujourd’hui, il nous est proposé d’encadrer le fonctionnement des comités d’entreprise ; et demain, nous l’espérons, il faudra légiférer en faveur d’une réelle transparence bancaire et d’un contrôle strict des fonds publics et de leur utilisation.

Car il y a tout de même un paradoxe à vouloir imposer la transparence à des structures financées par des fonds privés, c’est-à-dire à des sommes issues des richesses produites dans les entreprises, quand, dans le même temps, ceux-là mêmes qui exigent cette transparence refusent qu’on l’applique aux sommes perçues par ces mêmes entreprises, sous la forme de subventions publiques ou d’exonérations sociales et fiscales, voire, comme cela fut le cas pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, sous la forme d’un crédit d’impôt.

Pour le groupe communiste, républicain et citoyen, l’urgence est ici, plutôt que de légiférer sur la transparence et l’encadrement des comités d’entreprise. Car, disons-le clairement pour lever toute ambiguïté, les dérives sont extrêmement rares. Qui plus est, les dirigeants des comités d’entreprise sont parmi les plus vigilants et n’hésitent plus à engager eux-mêmes des recours en justice lorsqu’ils constatent que des fautes ont été commises.

D’ailleurs, nous ne pouvons pas ignorer que, aujourd’hui déjà, les plus gros comités d’entreprise, qui se sont trouvés sous les projecteurs, se sont déjà engagés, de manière volontaire, en dehors de toute obligation légale, sur la voie d’une plus grande transparence.

À cet égard, rappelons que les comités d’entreprise communiquent annuellement leurs comptes à l’entreprise dont ils dépendent, et que certains d’entre eux n’ont pas attendu l’intervention du législateur pour organiser la publication de leurs comptes et la certification de ces derniers par un commissaire aux comptes.

Qui plus est – c’est un fait suffisamment rare pour être souligné –, les organisations syndicales et patronales, sous la houlette de la DGT, ont élaboré une position commune sur ce sujet, ce qui explique que les mêmes partenaires sociaux aient confirmé leur volonté que cette proposition, qui a fait l’objet d’un large consensus, soit appliquée au plus vite sans que s’ouvre une nouvelle phase de concertation ou de dialogue susceptible de remettre en cause l’équilibre qui a été trouvé.

Tout nous conduit aujourd’hui à considérer que, en lieu et place du « serpent de mer » invoqué par notre collègue dans son rapport, le financement et l’encadrement des comités d’entreprise ne constituent plus aujourd’hui une source de tensions, ni entre les groupes de la majorité parlementaire et les groupes de l’opposition ni entre les organisations syndicales et les organisations patronales. C’est pourquoi, bien que partageant la volonté de nos collègues Caroline Cayeux et Catherine Procaccia, nous nous dissocions de cette proposition de loi, qui repose sur une certaine forme de méfiance, voire de suspicion à l’égard d’un certain nombre de comités d’entreprise et de leurs élus.

Ainsi, en dépit des déclarations de Mme la rapporteur – « Je tiens d’emblée à dissiper tout malentendu et éviter tout procès d’intention : ma démarche aujourd’hui ne vise qu’à renforcer l’action des comités d’entreprise » –, comment ne pas regretter que cette proposition de loi n’aborde que l’aspect relatif aux œuvres sociales et culturelles des comités d’entreprise ? La compétence économique des comités d’entreprise est fondamentale et mériterait tout autant d’être traitée.

On ne peut renforcer les comités d’entreprise sans accroître leurs compétences en la matière, en leur accordant des droits nouveaux : je pense notamment à la possibilité de contrôler l’utilisation des aides publiques, en créant, enfin, de réels comités interentreprises, ou à l’instauration d’un droit suspensif en matière de licenciements.

Ces droits nouveaux, contrairement à ce qui été prévu dans le projet de loi transposant l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, devraient être financés par les employeurs.

Ainsi, le fait d’instaurer, comme cela a été fait par le Gouvernement, le droit pour le comité d’entreprise d’engager une expertise sur la situation économique de l’entreprise tout en laissant le comité financer cette expertise sur les ressources limitées du « 0,2 % » de fonctionnement ne constitue pas un droit effectif.

Sur tous ces sujets, pourtant essentiels, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner est silencieuse, et nous le regrettons.

Tout cela nous conduit à repousser aujourd’hui cette proposition de loi, avec d’autant plus de sérénité que le Gouvernement s’est engagé à présenter prochainement un projet de loi plus complet qui, nous l’espérons – nous serons vigilants, monsieur le ministre –, abordera ces deux questions, sans exclusive et dans l’intérêt évident des salariés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.

M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée est réunie aujourd’hui pour débattre de la proposition de loi présentée par notre collègue Catherine Procaccia, visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise.

Je veux à mon tour commencer par saluer l’important travail réalisé par l’auteur et rapporteur de ce texte, Catherine Procaccia, à laquelle j’associe bien sûr Caroline Cayeux, auteur de la proposition de loi relative à la gestion des comités d’entreprise, jointe à la proposition que nous examinons aujourd’hui.

Le texte proposé ici par la commission est le fruit de nombreuses auditions, témoignant d’un souci de dialogue et de concertation qui mérite d’être salué.

Cette proposition de loi vise à renforcer le contrôle des comptes des comités d’entreprise et à soumettre leur fonctionnement à plus de transparence.

Il est bien entendu normal que les comités d’entreprise gèrent librement les fonds dont ils disposent, que ce soit dans le cadre de leurs attributions économiques ou dans celui des activités sociales et culturelles qu’ils organisent.

Cette liberté de gestion est d’ailleurs protégée par le code du travail et ne fait pas débat.

Toutefois, chacun sait que la liberté, pour être réelle, implique des règles.

Dans le cadre des activités sociales et culturelles, les comités d’entreprise, outre la subvention de fonctionnement, reçoivent une contribution de l’employeur qui ne peut être inférieure au total des sommes affectées aux dépenses sociales de l’entreprise au cours de l’une des trois dernières années, sauf, bien sûr, si la masse salariale baisse. Dans ce cas, la contribution diminue à proportion, ce qui peut parfois être source de difficultés pour des comités d’entreprise dans la gestion des activités engagées sur plusieurs années au bénéfice des salariés.

La plupart des comités d’entreprise gèrent des sommes relativement modestes. Toutefois, certains, dans des groupes importants, disposent de fonds conséquents.

Quoi qu’il en soit, tous, à l’égal des autres organismes publics et privés, doivent se soumettre à des procédures de contrôle de leurs comptes et de leur gestion, qui peuvent être adaptées en fonction de leur taille.

Il y a à cela deux motifs.

Il s’agit, tout d’abord, de mettre un terme à des erreurs, voire à des errements de gestion dont la presse s’est fait l’écho et que la Cour des comptes a soulignés dans un rapport récent.

Comme l’a indiqué Mme la rapporteur, cela ne concerne que quelques cas sur les 53 000 comités d’entreprise que compte notre pays, et qui travaillent à la satisfaction de leurs mandants. Mais ces cas nous alertent sur les inconvénients d’une gestion non contrôlée. Ces faits de mauvaise gestion, souvent découverts a posteriori, révèlent surtout, a priori, une carence de conseil et de prévention des difficultés.

Par ailleurs, l’application du principe de transparence doit précisément permettre d’anticiper et de venir en aide aux gestionnaires, ce qui est particulièrement nécessaire dans le contexte de la crise économique et de la multiplication des plans sociaux.

La revendication d’une plus grande transparence n’est d’ailleurs pas nouvelle. La loi du 20 août 2008 a constitué une première étape pour clarifier la représentativité et le financement des organisations syndicales. Dans la même perspective, en février 2011, ce sont les organisations syndicales elles-mêmes qui ont sollicité le ministère du travail pour entamer une concertation sur les comités d’entreprise.

Un groupe de travail, piloté par la direction générale du travail et regroupant partenaires sociaux et pouvoirs publics, a alors été mis en place début 2012. Il s’est réuni plusieurs fois et a abouti à des conclusions validées unanimement en avril 2012.

Sur le fond, deux grands principes généraux ont été retenus : l’obligation d’établir des comptes et la transparence à l’égard des salariés par la publicité de ces comptes.

Les prescriptions attachées à ces principes seraient les suivantes : la tenue de compte, dont le niveau d’exigence varierait en fonction des ressources du comité d’entreprise ; la certification des comptes par un commissaire aux comptes pour les comités d’entreprise les plus importants ; une appréciation des seuils de ressources prenant en compte la subvention de fonctionnement et les ressources contribuant aux activités sociales et culturelles du comité d’entreprise, mais pas les cotisations des salariés, ni les recettes des manifestations organisées par le comité ; enfin, seuls les membres élus seraient habilités à approuver et à arrêter les comptes.

La proposition de loi qui nous est soumise tient compte des exigences de fond et des principes dégagés par le groupe de travail.

Si elle va dans le bon sens – vous aurez compris que, au nom de mon groupe, j’en partage les grandes lignes –, je ne peux néanmoins l’approuver, tout simplement parce que le tempo n’est pas le bon.

Un double argument explique mon futur vote.

En premier lieu, à la suite de la position commune des membres du groupe de travail tripartite, le ministère de l’économie et des finances a mis en place, sous l’égide de l’Autorité des normes comptables, un groupe chargé de préciser les normes applicables aux comités d’entreprise. Mais ce travail n’est pas tout à fait terminé.

Or, il n’est pas possible d’inciter les partenaires sociaux à engager un travail de concertation et de ne pas les laisser le mener jusqu’à son terme. Ce serait une incohérence, une négation de la démocratie sociale à laquelle nous sommes tous attachés, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons dans cet hémicycle.

Le travail parlementaire ne saurait interférer dans un processus amorcé depuis deux ans et qui, au demeurant, arrivera prochainement à son terme. La précipitation, que nous pouvons néanmoins comprendre, serait en l’espèce contraire à l’efficacité.

En second lieu, lors de la conférence sociale des 20 et 21 juin dernier, le Gouvernement s’est engagé à intégrer le résultat des négociations dans la législation d’ici à la fin de cette année.

Comme vient publiquement de l’évoquer M. le ministre, le projet de loi relatif à la formation professionnelle qui nous sera présenté dans les prochaines semaines intégrera plusieurs mesures de renforcement de la démocratie sociale. Je pense notamment au financement du paritarisme et aux critères de la représentativité patronale.

Mes chers collègues, si ces critères ont été fixés pour les organisations syndicales de salariés, rien, sauf erreur de ma part, n’a pu être décidé à ce jour pour les organisations patronales, qu’il s’agisse du MEDEF, de la CGPME, de l’UPA ou d’autres encore qui frappent à la porte, telles que l’Union de syndicats et groupements d’employeurs représentatifs dans l’économie sociale, ou USGERES, l’Union nationale des professions libérales, ou UNAPL, etc.

Ces différents points ne peuvent être déconnectés les uns des autres. Il est de bonne méthode, et donc de bonne politique, d’attendre quelques semaines. Nous pourrons ainsi élaborer un texte conforme aux résultats précis de la concertation des partenaires sociaux et prenant en compte l’expertise des services de l’État.

Le travail que vous aurez réalisé, madame la rapporteur, ne sera pas à passer en pertes et profits.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Je l’espère !

M. Claude Jeannerot. Il sera pleinement réutilisable dans le cadre de ce futur texte, lequel prendra en compte l’ensemble des réponses qui, en effet, ne peuvent plus être différées trop longtemps.

Je partage souvent les positions de notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, mais sur ce point je ne peux le suivre.

Pour terminer, je souhaite insister sur un point de méthode. Je ne vous invite pas à la procrastination, c’est-à-dire à cette tendance pathologique qui consiste à reporter au lendemain ce que l’on peut faire le jour même.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Je n’en souffre pas !

M. Claude Jeannerot. Le temps qui est devant nous est aujourd’hui, celui, des partenaires sociaux. Viendront ensuite le temps du Gouvernement – je souhaite qu’il soit le plus court possible – puis le temps parlementaire.

Ces trois temps de l’action publique sont nécessaires. Ils ne se mélangent pas, ils ne se confondent pas. Au contraire, leur complémentarité est, à mes yeux, gage d’efficience, de clarté et de mise en mouvement.

Madame la rapporteur, vouloir accélérer le processus – on peut comprendre les motivations – sans tenir compte de ces trois temps reviendrait, à coup sûr, à le bloquer, le ralentir, et à passer à côté des ambitions que vous soutenez par le biais de la présente proposition de loi.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe socialiste émettront un vote négatif sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)