M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le prochain Conseil européen devrait poursuivre l’examen des priorités déjà définies lors du Conseil des 27 et 28 juin derniers. L’agenda intègrera peut-être également la question migratoire au sud de l’Europe, les drames qui viennent de se dérouler en mer méditerranéenne ne pouvant pas rester sans réponse.

Les chantiers habituels ont été évoqués : croissance, compétitivité, emploi et renforcement de l’Union économique et monétaire seront au cœur des discussions. On ne peut naturellement que souscrire au choix de ces grands axes, destiné à redynamiser les économies des États membres éprouvées par plusieurs années consécutives de crise.

Nous sortons d’une période où l’urgence absolue a consisté au sauvetage économique de plusieurs pays de l’Union européenne. Il a fallu ensuite tirer les enseignements de cette gestion de l’instant, afin de mieux éviter, à l’avenir, le risque systémique.

Je rappellerai à cet égard que j’avais, avec mon collègue Joël Bourdin, mis en garde dès 2007 contre les risques encourus par l’Europe du fait de l’absence de coordination des politiques économiques. Nous avions sous-titré notre rapport d’information Le malaise avant la crise ?, ce qui était quelque peu prémonitoire.

Je suis donc plutôt satisfait de la voie empruntée depuis. L’Europe a pris conscience de la nécessité de fixer des règles communes en matière budgétaire, assorties de mécanismes de surveillance accrue.

Au Parlement, ces grandes étapes de la refonte de la gouvernance de l’Union ont donné lieu à de vifs débats. À chaque fois, le RDSE a pris ses responsabilités. Favorables au renforcement du chantier européen, les radicaux ont toujours été bienveillants à l’égard des politiques qui convergent vers une meilleure coopération européenne.

La France a soutenu les nouvelles règles issues du six-pack et du two-pack pour un pacte de stabilité et de croissance plus contraignant quant à sa mise en œuvre. C’est une bonne chose. Il était temps, en effet, d’éloigner le risque de répétition d’une crise de la dette souveraine, car, il faut bien le reconnaître, mes chers collègues, notre pays, comme d’autres, s’était dangereusement éloigné du pacte de stabilité instauré en même temps que la monnaie unique.

On en connaît le prix aujourd’hui. Malgré les recommandations réitérées par notre commission des finances depuis des années au Sénat, l’objectif de maîtrise des finances publiques a été sans cesse repoussé. Et je dois dire que l’ancienne majorité, si prompte à donner des leçons lors des débats budgétaires, n’a pas montré l’exemple durant dix années d’exercice du pouvoir.

M. Yvon Collin. Nous sommes maintenant au pied du mur. Il faut solder l’héritage et rattraper notre retard en matière de déficit public, sous peine de tomber sous le coup de la procédure pour déficit excessif. Nous sommes engagés par le pacte de stabilité, dans sa version de 2011, mais aussi, bien sûr, par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG.

L’actuel gouvernement s’évertue à rester dans les clous. L’exercice est difficile, mais je note avec satisfaction qu’une vigilance particulière est apportée par Bercy à la trajectoire du solde structurel. Celui-ci est bien une condition fondamentale du retour à l’équilibre.

La recherche de cette discipline est donc délicate. Elle oblige à des choix budgétaires ressentis douloureusement par nos concitoyens. Dans cette mauvaise passe, il est important de faire œuvre de pédagogie.

Nous devons le dire sans détour : nous n’avons pas d’autres choix. Rappelons que la France était encore, très récemment, considérée comme susceptible de connaître le destin de ses voisins du Sud.

M. Yvon Collin. Certains de mes collègues, sur ces travées, avaient dénoncé la cure d’austérité infligée par l’Europe et les conséquences sociales qu’elle a engendrées. On peut les comprendre. Il est plus confortable, politiquement, de dépenser sans compter, au moins à court terme…

Mais force est de constater que les décisions européennes commencent à porter leurs fruits. Le premier ministre irlandais vient d’annoncer que son pays pourrait sortir très rapidement du plan de sauvetage européen.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Exactement ! C’est une bonne nouvelle que l’on doit au fighting spirit !

M. Yvon Collin. Les investisseurs internationaux consentent à l’Irlande des prêts à des taux de 4,15 %, contre 15 % au début du plan de sauvetage. C’est rassurant, et nous pouvons espérer le même sort pour l’Espagne, la Grèce, Chypre et le Portugal.

Pour autant, comme je le disais à l’instant, il ne faut pas oublier l'un des principaux objectifs de l’Europe, inscrit dans le préambule du traité sur l’Union européenne, qui affirme que ses dirigeants sont « désireux de promouvoir le progrès économique et social de leur peuple ».

L’Europe a endossé son rôle de pompier ; elle doit désormais être porteuse d’espérance. Dans cette perspective, la semaine prochaine, le Conseil européen fera le point sur les efforts déployés pour favoriser la croissance et l’emploi.

Le Conseil du mois de juin s’était notamment penché sur l’emploi des jeunes. Il s’agit d’une préoccupation forte du Président de la République, que ce dernier a su relayer avec conviction au niveau européen.

Avant l’été, lors du débat préalable au Conseil européen des 27 et 28 juin, j’ai eu l’occasion de vous interroger, monsieur le ministre, sur le thème de la lutte contre le chômage des jeunes. Des annonces avaient été faites, concernant notamment la mobilisation de la dotation de 6 milliards d’euros prévus dans le « paquet jeunes ». Quelques mois après ces décisions, le décaissement des fonds est-il intervenu ?

Je souhaite également savoir si la gouvernance actuelle des fonds structurels est véritablement adaptée à la situation d’urgence de l’emploi des jeunes en Europe. Près de 23 % d’entre eux sont aujourd’hui au chômage, contre 15,5 % en 2007.

Je compte sur votre action ferme et résolue, et nous savons votre détermination, pour que la France contribue à la mise en œuvre rapide d’instruments pertinents pour intégrer tous les jeunes sur le marché du travail.

Mes chers collègues, depuis sa création, l’Europe est un chantier permanent. La crise économique l’a durement secouée, mais nos institutions ont montré leur capacité à rebondir.

Je suis un Européen convaincu et il me revient, comme à tous ceux qui partagent l’idée européenne, de ne pas laisser la place aux discours populistes et antieuropéens, qui sont à contre-courant de ce que les États ont bâti depuis 1957. Car, malgré les soubresauts, l’Europe reste un espace de paix et de démocratie.

Elle demeure aussi un espoir de prospérité, au point que certains rêvent de la rejoindre, malheureusement jusqu’au péril de leur vie. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen des 24 et 25 octobre prochains sera l’occasion d’aborder deux sujets essentiels pour l’avancement de l’Union économique et monétaire : la dimension sociale et la dimension bancaire.

La feuille de route élaborée par le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, nous engageait sur la voie d’une « véritable Union économique et monétaire », mais la question sociale n’était traitée que de manière incidente. Le Conseil européen de décembre 2012 a demandé l’engagement d’une réflexion sur la dimension sociale de cette Union.

Nous arrivons au terme du processus. Le 2 octobre, la Commission européenne a publié une communication proposant notamment d’exercer une surveillance plus étroite des politiques concernant la situation sociale et l’emploi dans le semestre européen, en particulier sur la base de la procédure de surveillance des déséquilibres économiques.

Elle propose la mise en place d’un tableau de bord composé d’indicateurs prioritaires dans le domaine social et de l’emploi, qui comprendraient notamment le taux de chômage, le risque de pauvreté ou encore les inégalités. Ce tableau de bord permettrait d’éclairer les discussions tout au long du semestre européen et devrait être pris en compte lors de l’élaboration des recommandations par pays.

En outre, la Commission envisage d’intégrer la dimension sociale à la procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques instituée par le six-pack.

Une telle évolution de la gouvernance économique de l’Union économique et monétaire paraît non seulement justifiée, mais nécessaire. Des déséquilibres sociaux peuvent se révéler tout autant déstabilisants pour la zone euro que des déséquilibres de nature économique.

Des décisions concrètes devraient être prises lors du Conseil européen de décembre prochain. C’est donc dès à présent que doivent être arrêtés les principes à l’aune desquels sera défini le contenu de la dimension sociale de l’Union économique et monétaire.

Aussi, j’appelle le Gouvernement à défendre une position ambitieuse, car la communication de la Commission va dans le bon sens, mais reste timide face aux craintes de certains de nos partenaires concernant les coûts induits par une plus grande solidarité.

Il est pourtant absolument indispensable que l’intégration politique et économique accrue des États membres s’accompagne d’une augmentation de la solidarité et se garde de tout nivellement par le bas. Il y va ainsi de la question du salaire minimum, que le Premier ministre a évoquée au début du mois de septembre. Il n’en existe pas dans sept États membres de l’Union européenne et, dans les autres, les écarts de niveaux vont de un à cinq, après correction des différences de coût de la vie.

Le territoire où je suis élu, la Bretagne, subit les conséquences douloureuses d’une telle situation, car l’industrie agro-alimentaire ne lutte pas à armes égales avec l’Allemagne, où les travailleurs saisonniers, venus des nouveaux États membres de l’Union européenne, peuvent être embauchés aux mêmes conditions salariales qu’en Pologne, en Roumanie ou en Bulgarie.

Monsieur le ministre, je vous remercie de l’engagement que vous avez vous-même manifesté au nom du Gouvernement à cet égard. Je me félicite que, dès le 16 mai dernier, le Président de la République ait souhaité que le sujet soit bien pris en considération au sein des échanges européens et qu’il ait réussi à convaincre Mme Merkel d’engager une réflexion et une discussion avec les partenaires européens sur ce point. Je souhaite que nous parvenions à établir des règles protectrices minimales, pour le moins, limitant les distorsions de concurrence et la course au moins-disant social, qui sapent la confiance dans le projet européen.

À l’heure où le taux de chômage dépasse 12 % dans la zone euro, atteignant même 24 % – c’est considérable – pour le chômage des jeunes, des mesures en matière d’emploi et de politique sociale contribueraient à rendre l’Union économique et monétaire plus légitime, et éviteraient que l’euro ne soit perçu comme un facteur de délitement des systèmes nationaux de protection sociale.

La dimension sociale doit être conçue comme le gage du vivre ensemble européen, permettant de faire de l’Union économique et monétaire un projet fédérateur en lui conférant l’épaisseur humaine qui lui manque encore.

Dans cette perspective, et afin d’engager un mouvement de plus grande ampleur, la France doit soutenir les préconisations de la Commission, mais également insister pour que celles-ci ne constituent qu’une première étape.

Je souhaite également aborder la question de l’union bancaire.

Voilà un an, presque jour pour jour, le Conseil européen concluait à la nécessité de « briser le cercle vicieux qui existe entre les banques et les États ».

En un an, l’union bancaire a progressé, mais elle doit désormais surmonter les obstacles juridiques et politiques importants liés à la mise en place du mécanisme de résolution unique.

Les banques de la zone euro doivent subir dans les prochains mois un passage en revue de la qualité de leurs actifs par la BCE, qui prendra en charge leur supervision. Toutefois, cette supervision unique ne sera une véritable avancée que si elle s’accompagne d’un mécanisme de résolution unique des crises bancaires.

En effet, si les tests de la BCE révèlent des situations très fragiles et si aucun fonds de secours européen n’est en mesure d’intervenir pour y répondre, cette opération risque d’affecter les finances des États les plus fragiles, qui devraient aller au secours de leurs banques, au lieu de rétablir la confiance dans la zone euro.

Je veux insister sur un point : il faut rétablir la confiance dans le système bancaire européen, qui continue de faire l’objet d’interrogations. Pour ce faire, les tests de la BCE devront être effectués sans aucune complaisance, et l’Union européenne doit également être prête à en tirer toutes les conséquences. Il faut donc éviter de courir le risque d’avoir une opération qui, au mieux, serait peu crédible et, au pire, pourrait replonger les États les plus fragiles dans la crise. Dans les deux cas, elle ne permettrait pas de rétablir la confiance, préalable indispensable au retour durable de la croissance dans la zone euro.

Les avancées en matière sociale comme en matière bancaire se heurtent à des obstacles, ce qui est normal si l’on considère leur effet sur le projet européen. Pour autant, je suis convaincu qu’il nous faut, en complément de la discipline que nous imposent les traités, continuer à avancer dans la voie de la solidarité : celle-ci est à la fois un gage de solidité de la zone euro et de plus grande intégration politique, que j’appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si l’ordre du jour du prochain Conseil européen n’est pas encore formellement fixé – il le sera, comme d’habitude, cinq jours avant, lors du conseil des affaires générales ! –, il me paraît clair qu’il faudra de nouveau y aborder le thème de la croissance et de l’emploi, déjà au centre des précédentes réunions.

En effet, la croissance et l’emploi sont les premières préoccupations des citoyens européens. Nous le voyons bien, le retour à la croissance qui s’esquisse doit être conforté et amplifié, pour déboucher sur un recul durable du chômage. N’oublions pas que les pays du sud de l’Europe connaissent encore une situation extrêmement difficile, avec, notamment, un niveau de chômage des jeunes totalement inacceptable : 62 % en Grèce, 55 % en Espagne, 38 % en Italie et au Portugal.

Certes, il serait injuste de dire que, dans cette situation, l’Union européenne en est restée à une attitude punitive, uniquement centrée sur l’orthodoxie budgétaire. Monsieur le ministre, votre prédécesseur avait coutume d’indiquer qu’il ne souhaitait pas que l’Europe devienne une vaste maison de correction. D’ailleurs, ce n’est pas le cas, comme en témoignent les mesures dites « non conventionnelles » mises en œuvre par la BCE, l’application plus souple du pacte de stabilité, l’action engagée voilà un an en faveur de la croissance, puis l’initiative prise pour l’emploi des jeunes, que nombre de collègues ont évoquées.

La France n’a d’ailleurs pas été pour rien dans cette réorientation progressive. Il ne faut donc pas laisser s’accréditer les mauvaises caricatures décrivant une Europe indifférente, coupée des réalités, incapable d’agir, critiques trop faciles qui font le lit des pires formes de populisme.

Pour autant, on ne peut pas en rester là. Comme c’est trop souvent le cas, l’action européenne reste trop lente, trop complexe, peu lisible. On ne perçoit pas la mobilisation générale des moyens annoncée avec le pacte de croissance, qui serait particulièrement nécessaire pour accélérer la reprise et faire revenir la confiance.

Je n’ignore pas que certains éléments ne sont pas favorables à l’expression d’un nouvel élan ; je pense aux incertitudes budgétaires américaines ou à la lenteur de la formation du gouvernement allemande. Cher Jean Bizet, si Mme Merkel a gagné les élections législatives, elle ne dispose pas encore d’une majorité pour soutenir son gouvernement !

M. Jean Bizet. Ça vient !

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Mais c’est lent !

Je pense également au calendrier européen, avec une Commission et un Parlement en fin de mandat. Cependant, cet état de fait n’autorise pas le Conseil européen à céder à la passivité, voire à la résignation.

Le traité de Lisbonne a réformé le Conseil européen pour donner plus de continuité à son action. C’est pour cette raison qu’a été mise en place une présidence stable, chargée de préparer les décisions et de veiller à leur application. Quel que soit le contexte, le Conseil européen est à même d’agir. Il faut que cette capacité d’action se montre plus clairement, que les citoyens constatent que l’Union européenne est dirigée. Et c’est bien le rôle du Conseil européen que d’assurer la direction politique de l’Union : c’est ce que disent explicitement les traités.

Face à la montée des populismes, nous avons besoin d’un cap à l’échelon de l’Union européenne. Ce cap, le Président de la République l’a bien défini en parlant d’« intégration solidaire ».

Il nous faut poursuivre l’intégration, particulièrement au sein de la zone euro, où il faut parvenir à une gouvernance réellement commune, disposant des moyens nécessaires pour agir, notamment une capacité budgétaire autonome. Il faut parachever l’union bancaire, bâtir une communauté européenne de l’énergie, affirmer une politique industrielle européenne et une stratégie commune pour le numérique, car il n’est pas acceptable que l’Europe reste une « colonie du monde numérique», comme l’a dit notre collègue Catherine Morin-Desailly dans un récent rapport d’information remis au nom de la commission des affaires européennes.

Toutefois, cette intégration accrue n’est pas dissociable d’un approfondissement des solidarités. Tout le monde doit en tirer des bénéfices ; ceux-ci ne doivent pas être abusivement captés par ceux qui pratiquent le moins-disant social et le moins-disant fiscal. C’est pourquoi une intégration accrue sans une solidarité accrue ne peut pas être viable à long terme.

Or l’action de l’Union européenne reste encore malheureusement déséquilibrée. Au cours des dernières années, nous avons avancé dans l’intégration économique, financière et budgétaire, mais, en matière de solidarité, nous avons fait du surplace, voire, parfois, régressé.

Une amorce d’évolution s’est manifestée récemment, mais elle reste très timide. L’initiative pour l’emploi des jeunes n’est certes pas négligeable. Mais est-elle à la hauteur du problème ?

Sans atteindre les niveaux insupportables que j’ai mentionnés précédemment pour les pays du sud de l’Europe, le taux de chômage des jeunes est presque partout alarmant : il n’est inférieur à 10 % que dans deux pays de l’Union européenne : deux sur vingt-huit ! En moyenne, un jeune sur quatre dans l’Union européenne est au chômage. Face à cette réalité dramatique, peut-on se contenter d’un plan doté de 8 milliards d’euros sur sept ans pour l’ensemble de l’Union ?

Un même manque d’ambition se retrouve dans la récente communication de la Commission européenne sur « la dimension sociale de l’Union économique et monétaire ». Ce document prévoit certes d’intégrer des indicateurs sociaux dans la coordination des politiques, mais sans fixer aucun seuil entraînant une intervention de l’Union européenne. Il y a donc deux poids et deux mesures : d’un côté, des critères précis et des sanctions possibles pour ce qui concerne la coordination des politiques économiques et budgétaires et, de l’autre, rien de précis, ni de contraignant pour ce qui a trait à la dimension sociale.

Je ne reviendrai pas sur la question des travailleurs détachés, que nous venons d’aborder. Toutefois, celle-ci fait ressortir la nécessité d’établir des règles communes pour le salaire minimum et les garanties sociales essentielles. Bien sûr, l’Union européenne élargie est devenue beaucoup plus hétérogène. La convergence prendra donc du temps. Mais ce n’est pas une raison pour permettre que les règles du marché intérieur soient dévoyées.

C’est pourquoi il est nécessaire que le Conseil européen donne une direction claire et une impulsion forte ; c’est son rôle. Nous voyons le populisme gagner du terrain dans un grand nombre de pays membres. Si nos concitoyens voient l’Europe agir efficacement pour la croissance et l’emploi, s’ils la voient conjuguer intégration et solidarité, ils cesseront d’écouter les slogans simplistes.

Je ne peux conclure mon propos sans évoquer, à l’instar de nombreux collègues et de vous-même, monsieur le ministre, le drame de Lampedusa et les migrations clandestines qui se poursuivent dans cette zone.

Là également, il faut refuser de faire de l’Europe un bouc émissaire. Cependant, il faut aussi constater que la politique de l’immigration a été largement communautarisée depuis l’adoption du traité d’Amsterdam, voilà plus de quinze ans. Il n’y a donc pas d’obstacle juridique à ce que l’Union européenne ait une action plus efficace et plus solidaire face à ce problème lancinant. Nos partenaires italiens, maltais et grecs ont le sentiment d’être laissés un peu seuls en première ligne, alors même qu’on leur demande de redoubler de rigueur budgétaire. Voilà un autre domaine où la notion d’intégration solidaire devrait trouver toute sa portée.

J’en viens à ma conclusion.

Non, l’Europe n’est pas le problème, comme se plaisent à le répéter les populistes. Elle détient au contraire une grande partie de la solution. Encore faut-il qu’elle le montre concrètement dans son action au jour le jour. Jacques Delors a souvent comparé l’Europe à une bicyclette qui doit avancer pour tenir debout. C’est particulièrement vrai aujourd’hui : nous sommes au milieu d’une côte ; c’est le moment d’appuyer plus fort sur la pédale, et non pas de mettre le pied à terre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’essaierai de répondre le plus précisément possible aux nombreuses questions qui m’ont été adressées, car telle est l’idée que je me fais des relations entre le Gouvernement et le Parlement.

Monsieur Gattolin, vous avez indiqué que le Conseil européen se réunissait plus souvent que ne le prévoit le règlement. J’y vois plutôt une bonne nouvelle. Cela signifie que les chefs d’État et de gouvernement expriment la nécessité d’avoir à l’échelle européenne une coordination allant au-delà de ce qui leur est imposé. Si je puis me permettre de faire ce parallèle, alors que de nombreux règlements de structures intercommunales en France fixent un nombre de réunions à tenir annuellement, ainsi que des délais à respecter, les maires trouvent un intérêt à se réunir plus souvent pour apporter des solutions concrètes aux problèmes que rencontrent leurs concitoyens, en mettant leurs moyens en commun. C’est la même chose au niveau européen. Les chefs d’État et de gouvernement estiment nécessaire de se rencontrer plus souvent, ce qui est plutôt une bonne chose.

Par ailleurs, j’ai senti dans votre propos la crainte que ce Conseil européen ne soit quelque peu corseté par les fonctionnaires européens, les technocrates. Telle est, en tout état de cause, l’image que certains en ont. Je puis vous indiquer que la parole y est totalement libre. On le sait rarement, mais y participe exclusivement le chef d’État ou du gouvernement, qui n’est même pas accompagné par celles et ceux dont on pense qu’ils font les politiques.

M. André Gattolin. Dont vous !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. En effet, je ne peux pas être aux côtés du chef de l’État dans la salle du Conseil européen.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Il ne faut pas le dire !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Je le dis, parce que cela revêt une dimension démocratique. Le chef d’État a été élu au suffrage universel ; il a donc toute légitimité pour s’exprimer au nom de la France au sein du concert des nations. Les Conseils européens thématiques sont d’ailleurs plutôt bienvenus, car ils donnent une impulsion politique à certaines questions et ils mettent aussi sous pression la Commission européenne, qui a pu être, légitimement, jugée un peu libérale au cours des années passées.

Bariza Khiari, André Gattolin, Yvon Collin et Simon Sutour se sont attardés sur l’effroyable drame de Lampedusa. Mais ils auraient pu également citer celui de Malte, où plusieurs centaines de personnes ont récemment perdu la vie, alors qu’elles étaient en quête de liberté, à la recherche d’un pays qui leur offrirait des perspectives. Ces drames sont une honte. Nous ne pouvons pas donner le sentiment que la mer Méditerranée devient un immense cimetière à ciel ouvert.

Ces drames doivent recevoir une réponse, en particulier une réponse européenne, même s’il faut aussi une réponse internationale. En l’occurrence, face à une difficulté, on se tourne légitimement vers l’Europe en se demandant quel peut être son rôle.

Aussi l’Union européenne doit-elle sans délai dégager les moyens nécessaires à une action fondée sur le triptyque : prévention, solidarité, protection. Elle doit aussi affirmer une volonté politique inébranlable d’agir dans la durée. C’est pourquoi la France, de concert avec l’Italie, a immédiatement demandé l’inscription de cette question à l’ordre du jour du Conseil européen des 24 et 25 octobre.

La France a préparé une contribution sur la prévention. En effet, ce sont souvent les conditions de subsistance très difficiles dans les pays de départ qui poussent les migrants à tenter la périlleuse traversée de la Méditerranée. L’Union européenne doit donc agir dans ces pays pour développer les programmes de protection régionale et accompagner les programmes de développement.

Dans la politique de voisinage, je souhaite, pour ma part, que l’Union européenne maintienne la règle de partage actuelle : deux tiers des aides pour les pays du sud de l’Europe, un tiers pour les pays de l’est. Au moment où certains souhaitent inverser cette répartition, je pense qu’il est vraiment nécessaire de la conserver !

Par ailleurs, nous devons augmenter notre aide financière aux pays dans l’obligation d’accueillir des migrants. À cet égard, la France a fait savoir qu’elle dégageait une vingtaine de millions d’euros supplémentaires pour soutenir, notamment, les pays voisins de la Syrie, qui doivent accueillir des réfugiés dans l’urgence.

Si la solidarité de l’Union européenne doit s’exercer vis-à-vis des États membres les plus exposés, elle doit bénéficier aussi aux pays de la rive sud de la Méditerranée.

Les États membres qui, en raison de leur situation géographique, sont conduits à accueillir le plus grand nombre de migrants doivent recevoir une aide spécifique leur permettant d’assurer le sauvetage des personnes et leur premier accueil, mais aussi, dans le cadre des règles dont l’Union européenne s’est dotée, leur maintien sur le territoire européen, pour celles qui ont droit à la protection internationale, et, pour celles qui n’ont pas vocation à rester en Europe, leur retour à terme.

La solidarité dont nous devons faire preuve consiste aussi à soutenir le développement dans la corne de l’Afrique et au sud de la Méditerranée.

En écoutant les différents orateurs, cette pensée m’est venue à l’esprit : nous devons tout faire pour éviter ces migrations ! Or je me permets de rappeler que, à l’égard de la Syrie, la France n’a pas été la dernière, au cours de la période récente, à demander une action concertée, à l’échelle internationale, pour faire cesser un conflit qui pousse plusieurs millions de Syriens à vouloir quitter leur pays en guerre.

De fait, nous devons avoir à l’esprit que certaines interventions, quelquefois difficiles à décider, peuvent aussi sauver la vie de personnes qui, sans elles, n’auraient pas eu d’autre choix que de chercher refuge, au péril de leur vie, dans les pays de l’Union européenne.

La protection que nous devons mettre en œuvre pour éviter de nouveaux drames comparables à ceux de Lampedusa suppose également de surveiller d’aussi près que possible les côtes des pays de départ, en pleine collaboration avec ces pays ; elle implique aussi de lutter contre les criminels qui exploitent sans scrupule la misère et le désespoir.

Afin de nous assurer que le Conseil européen trouvera des solutions, nous sommes en train de travailler en liaison étroite avec l’Italie et l’Espagne, notamment, pour présenter des propositions précises ; il ne faudrait pas que les décisions soient différées de plusieurs mois, au risque que de nouveaux drames se produisent !

Mesdames, messieurs les sénateurs, je tenais à vous répondre avec précision sur le sujet : des vies humaines sont en cause et, pour cette raison, nous devons agir dans l’urgence.

Monsieur Gattolin, vous avez évoqué l’accord transatlantique. Vous le savez, un mandat de négociation a été confié à la Commission européenne, après des tractations au cours desquelles la France a été en pointe.

Notre objectif était de préserver trois domaines : le marché de l’armement, l’espace des choix de société sur les problèmes agricoles et agroalimentaires, s’agissant en particulier du rejet des OGM, des hormones de croissance et de la décontamination chimique des viandes, et l’exception culturelle. Le mandat de négociation exclut formellement les services audiovisuels, préserve nos préférences collectives et le marché public de défense.

Une première session de négociation s’est tenue le 8 juillet dernier à Washington. En ce début de négociation, notre principal objectif stratégique est d’obtenir des Américains une convergence réglementaire ambitieuse, car nous pensons que là se trouvent les marges, mais aussi les éventuels dangers de cet accord de libre-échange. Nous prônons aussi un travail approfondi sur les normes, dans lequel nous avons un intérêt majeur.

Sur la convergence réglementaire, le ministère du commerce extérieur a lancé, au cours du mois de juillet, une consultation auprès des entreprises françaises et des fédérations professionnelles, afin de préparer la position du Gouvernement en vue de la prochaine session de négociation, qui devait avoir lieu du 9 au 12 octobre.