M. Michel Berson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rapport de la commission d’enquête s’inscrit dans la continuité d’une réflexion engagée par le Sénat. Il prolonge notamment les travaux d’une précédente commission d’enquête.

La somme des informations et la pertinence des propositions contenues dans le précédent rapport sont aujourd’hui pleinement confirmées. Elles sont même confortées, dans un contexte marqué par l’explosion de scandales frappant tout autant des individus que des institutions à forte notoriété.

Ces affaires concernent à la fois la fuite des capitaux des particuliers, l’évaporation fiscale des entreprises et les trafics de milieux criminels organisés. Dans un contexte de crise et d’efforts budgétaires, elles ont heurté à juste titre nos concitoyens et alimenté – hélas – la défiance à l’égard non seulement du système financier international, mais aussi des responsables politiques.

Il nous faut impérativement mieux connaître les défaillances du système bancaire et des acteurs financiers, grâce à l’expertise et à l’analyse. Il nous faut impérativement mieux connaître leur rôle dans l’évasion des capitaux, afin de mieux les comprendre et de mieux les combattre, pour paraphraser l’intitulé du rapport.

À cet égard, je me réjouis à mon tour du travail accompli par notre commission d’enquête. Je soutiens bien sûr pleinement ses propositions concrètes, précises et parfois techniques, qui, si elles sont suivies d’effet, permettront de doter notre démocratie des armes nécessaires pour combattre la fraude et le crime fiscaux.

Ce que la crise de 2008 a révélé au grand jour, notamment avec la faillite de Lehman Brothers, c’est le risque qu’il y avait à considérer comme acquis le principe du too big to fail, qui prévalait alors dans le domaine des institutions financières. Au-delà de la surprise qu’elle a causée, cette faillite a mis au jour le manque de visibilité de la situation réelle des banques et les faiblesses du système financier international. À ce titre, le constat dressé dans le rapport est très éclairant quant au rôle des places offshore, aux pratiques édifiantes des banques et à la place de certains pays dans les stratégies d’évasion fiscale. Ces dernières constituent un risque majeur et évident de déstabilisation des économies.

Est-il besoin de rappeler la crise chypriote du printemps dernier ? Les actifs des banques locales représentaient alors 750 % du PIB de ce pays, qui dénombrait 1 400 demandes d’enregistrement de sociétés russes pour le seul mois de janvier 2012 !

L’implosion du secteur bancaire, sur lequel était fondé le modèle de renaissance économique de Chypre, a été largement due à la recherche d’une situation de rente par le biais d’une fiscalité exagérément avantageuse pour le secteur financier et d’une ouverture excessive aux sociétés offshore.

Plus généralement, la disproportion entre la taille de l’économie d’un pays et le volume de ses actifs financiers est éloquente. Comment expliquer que les îles Caïmans ou le Luxembourg soient destinataires d’investissements transnationaux à hauteur de 2 000 milliards d’euros chacun en 2011, quand le Brésil et la Chine réunis pèsent pour moins de la moitié ?

Parallèlement – ce constat a été fréquemment rappelé au cours des auditions –, l’opacité de l’organisation bancaire ne permet pas un travail efficace des organismes de contrôle. Le déploiement des filiales des banques est aujourd’hui tel qu’il est impossible de déterminer le périmètre de chaque établissement.

Face à cette situation, un certain nombre d’initiatives ont été prises en France, depuis deux ans, pour améliorer la visibilité et renforcer le contrôle des activités bancaires.

À ce titre, j’évoquerai l’adoption de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, que la Haute Assemblée a enrichie en tenant compte des premiers travaux de notre commission d’enquête. Je songe par exemple à la séparation des activités bancaires, qui va dans le sens d’une limitation des risques pour les particuliers et d’un meilleur encadrement des filiales, ou à l’obligation faite aux banques de publier des informations précises sur leurs activités, filiale par filiale, pays par pays, comme le préconise la commission d’enquête via sa proposition n° 21.

J’évoquerai également la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Ce texte a durci les sanctions en cas de défaut de réponse ou de réponse partielle à une mise en demeure de produire certains éléments déclaratifs relatifs aux actionnaires, aux filiales et aux participations. Il a en outre étendu le champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale.

Enfin, on peut se féliciter que, sur l’initiative du groupe socialiste de l’Assemblée nationale, des dispositions rendant obligatoire la déclaration des schémas d’optimisation fiscale aient été introduites dans le projet de loi de finances pour 2014,…

M. Michel Berson. … en écho à la proposition n° 22 de la commission d’enquête.

L’environnement de la lutte contre l’évasion des capitaux connaît ainsi de profondes évolutions dans notre pays, mais d’importants chantiers restent à mener à bien.

Plusieurs auditions ont mis en évidence le fait que notre système demeure défaillant lorsqu’il relève de décisions individuelles. Cela vaut dans les deux sens.

En premier lieu, de quelles protections bénéficient le lanceur d’alerte ou l’employé constatant des irrégularités ? Le cas médiatique de M. Falciani, dans l’affaire HSBC, et le changement de position de la France à son égard sont éclairants.

En second lieu, ceux qui manient le risque dans le cadre d’une recherche de profit devraient être astreints à des obligations les responsabilisant fortement individuellement.

C’est donc une véritable révolution culturelle qu’il faut engager, en nous efforçant d’améliorer notre connaissance des multinationales financières et de leurs bénéfices réels, ainsi que de mieux organiser le contrôle et la supervision des institutions bancaires. Cette révolution culturelle passe d’abord par la pleine transparence des comptes bancaires et par des dispositifs d’échange automatique d’informations entre banques et administration fiscale. C’est la mise en place d’une telle force de frappe qui a permis aux États-Unis d’obtenir, au cours des derniers mois, des résultats qui semblaient hors d’atteinte voilà seulement cinq ans.

Nous devons, nous aussi, nous fixer cet objectif avec nos partenaires européens, au cours des mois à venir. Il y va de notre crédibilité comme de notre efficacité dans le combat contre la fraude et l’évasion fiscales, dont le coût, pour les finances publiques, est énorme : 2 000 euros par an et par habitant dans l’espace européen, et 60 milliards d’euros pour la France chaque année, soit une fois et demie le budget de l’éducation nationale !

Pour conclure, je voudrais attirer l’attention du Gouvernement sur deux points.

Tout d’abord, je voudrais insister sur la dernière proposition formulée dans notre rapport, relative au « verrou de Bercy ».

M. Michel Berson. Voilà des années que nous appelons de nos vœux une meilleure collaboration entre l’administration fiscale et le juge pénal. Il me semble hautement souhaitable de renforcer les moyens de l’administration dans la lutte contre le crime fiscal. Parallèlement, il faut permettre aux magistrats d’enquêter et de poursuivre beaucoup plus librement les délinquants lorsqu’il s’agit de fraude fiscale dite « complexe », au-delà des seuls cas de blanchiment fiscal.

Ensuite, je voudrais souligner que l’échelon européen est assurément le niveau d’intervention pertinent pour mener une lutte efficace contre l’évasion des ressources fiscales.

À ce titre, on peut se féliciter du rôle renforcé de supervision et de contrôle maintenant dévolu à la BCE. Il faut cependant aller beaucoup plus loin, notamment vers une harmonisation fiscale européenne et l’instauration de la taxe sur les transactions financières. Après l’échec d’une initiative européenne, la France doit jouer un rôle moteur. Elle ne saurait, à mon sens, adopter une attitude frileuse, qui entraînerait un recul de la nécessaire coopération renforcée en la matière.

Je voudrais saluer à mon tour la qualité du travail accompli par le président, le rapporteur et l’ensemble des membres de la commission d’enquête. Ce travail prend aujourd’hui une dimension nouvelle, avec la récente décision du Gouvernement d’ouvrir un très large débat sur la fiscalité. Le rapport de la commission d’enquête est en quelque sorte la première contribution du Sénat à ce grand débat national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer le sérieux du travail accompli par la commission d’enquête. Au cours des auditions très diverses qu’elle a menées, nous avons souvent été saisis de vertige devant le toupet d’opérateurs n’hésitant pas à organiser des road shows en France pour proposer des montages d’évasion fiscale à de riches particuliers ou à des entreprises, ou encore devant la multiplication des moyens de se soustraire aux règles nationales qu’induit la conjugaison des nouvelles technologies de l’information et d’une ingéniosité financière de plus en plus élaborée.

Ces nouvelles technologies et internet rendent plus que jamais d’actualité les propos que Salvador Allende tenait à la tribune des Nations unies en 1972 :

« Nous faisons face à un conflit frontal entre les entreprises transnationales et les États. Ceux-ci sont court-circuités dans leurs décisions fondamentales – politiques, économiques et militaires – par des organisations globales qui ne dépendent d’aucun État et dont les activités ne sont contrôlées par aucun parlement ni aucune institution représentative de l’intérêt collectif. »

Mme Nathalie Goulet. Cela ne lui a pas réussi…

M. Jean-Yves Leconte. Lors de la crise financière de 2008, des institutions financières défaillantes ont fait appel à la puissance publique pour assurer leur sauvetage. Le soutien alors apporté obère aujourd’hui les capacités de beaucoup d’États à développer des politiques publiques et les contraint à la rigueur budgétaire, sinon à l’austérité. Dans ces conditions, il n’a pas manqué d’être particulièrement mal ressenti par l’opinion publique, le sentiment d’injustice et de révolte étant encore renforcé par le fait que les institutions financières aidées sont souvent les moins vertueuses. Dans ce contexte, la fraude et l’évasion fiscales sont de moins en moins tolérées.

On constate depuis de nombreuses années un décalage, croissant de façon exponentielle, entre les engagements des établissements financiers et la situation de l’économie réelle. Les travaux d’une commission d’enquête sur les agences de notation, en particulier, avaient mis en évidence l’ampleur de cet écart, qui s’explique en partie par le développement des produits dérivés, celui du trading à haute fréquence et la sophistication grandissante des algorithmes utilisés. Ces outils répondent parfois à de réels besoins, en permettant par exemple de limiter un risque donné, mais, globalement, la croissance des engagements des établissements financiers est, je le répète, en complet décalage avec celle de l’économie réelle. Or, les moyens de la puissance publique étant pour leur part fonction de l’économie réelle, il est difficile aux États de surveiller et de réguler les établissements financiers afin de prévenir une réédition de la crise de 2008.

Devant ce problème, bien entendu, la coopération multilatérale et européenne apparaît comme la principale solution. Elle doit cependant être mise en œuvre de manière complète et franche. Concernant les paradis fiscaux, par exemple, il ne faut plus accepter que la signature d’accords bilatéraux puisse permettre aux pays en cause d’être rayés des listes noires. Il faut également se garder de l’hypocrisie : même des États prétendument vertueux abritent, dans des territoires relevant de leur souveraineté, des paradis fiscaux où l’on pratique certaines opérations non avouables. Il importe de sortir de cette situation.

En outre, il ne faut plus signer de conventions fiscales répondant à des visées commerciales, comme cela a pu être fait avec le Panama ou avec le Qatar.

Mme Nathalie Goulet. Ah ! c’est notre combat commun !

M. Jean-Yves Leconte. Un accord de coopération fiscale ne peut être signé simplement pour obtenir un marché,…

M. Jean-Yves Leconte. … sauf à discréditer l’ensemble de notre démarche.

M. Jacques Chiron. Très bien ! C’est exactement ce qui s’est passé en 2011 !

M. Jean-Yves Leconte. Nous savons que quelques-uns des vingt-huit pays composant l’Union européenne pratiquent encore le secret bancaire. Celui-ci doit être dénoncé comme un cancer, même s’il ne pourra être levé que progressivement. Cette exigence, que l’Union européenne n’avait pas posée à l’origine, est maintenant incontournable, en raison de la coopération budgétaire, de l’existence de la zone euro, du renforcement des solidarités. Nous ne pouvons plus tolérer ce qui pouvait peut-être paraître autrefois acceptable de la part d’États tels que le Luxembourg ou l’Autriche, ainsi que la Suisse, qui est associée à l’Union européenne par nombre de traités bilatéraux.

Par ailleurs, les vingt-huit membres de l’Union européenne sont théoriquement susceptibles de contracter 756 conventions fiscales bilatérales entre eux. Comment s’y retrouver ? N’est-il pas temps de mettre en place une convergence fiscale à l’échelle de l’Union européenne ? Sans cela, nous en resterons aux paroles, et les actes ne suivront pas !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Tout à fait !

M. Jean-Yves Leconte. Il est important d’aller dans cette direction, et je suis particulièrement satisfait que cela fasse partie des axes de la réorientation de l’Europe que le Président de la République a mis en œuvre depuis son élection et qui seront, j’en suis certain, au cœur des élections européennes, l’année prochaine.

La proposition n° 17 du rapport, introduite sur l’initiative de Mme Goulet, concerne l’interdiction des cartes bancaires non nominatives. Je partage cette préoccupation, car outre que ces cartes peuvent servir à des pratiques d’évasion fiscale, il n’existe aucun réel moyen de contrôler l’activité des organismes qui les vendent.

Une autre proposition à mon sens particulièrement intéressante a trait aux prérogatives des instances représentatives du personnel dans les établissements financiers. Il me paraît important que les salariés dénonçant des agissements contraires à l’intérêt collectif puissent être protégés.

Concernant la prévention des conflits d’intérêts, il faut limiter les allers et retours entre secteur public et secteur privé, en les soumettant à des règles précises.

Enfin, l’évasion fiscale deviendra plus difficile si l’harmonisation progresse.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jean-Yves Leconte. Nous avons fortement renforcé notre arsenal répressif depuis un an. Toutefois, il ne s’agit que de réparation, et non d’action positive. Pour cela, il faut nous engager sur la voie de l’harmonisation fiscale à l’échelon européen.

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Là encore, je suis tout à fait d’accord !

M. Jean-Yves Leconte. L’impôt doit être lisible. Il a beaucoup été question de l’échange automatique d’informations durant ce débat, mais il ne peut donner de résultats exploitables si, d’un pays à l’autre, on ne parle pas du même impôt. Pis encore, la démarche sera décrédibilisée. L’échange automatique d’informations est, bien sûr, indispensable, mais, sans lisibilité de nos impôts et de ceux de nos partenaires, il ne sert à rien !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. Bien sûr !

M. Jean-Yves Leconte. L’efficacité est également indispensable, faute de quoi la puissance publique n’a pas les moyens d’agir. Enfin, la stabilité est nécessaire,…

M. Philippe Dallier. La stabilité… Vous faites bien d’en parler !

M. François Pillet, président de la commission d’enquête. J’apprécie d’entendre cela !

M. Jean-Yves Leconte. … afin que les opérateurs économiques que nous souhaitons attirer sur notre territoire puissent être confiants dans l’évolution de notre pays.

Les entreprises ont besoin de sécurité juridique et de marchés. Elles doivent aussi inspirer confiance à leurs clients, à leurs fournisseurs et aux investisseurs. Tout cela, les paradis fiscaux ne peuvent pas l’offrir, car ils ne sont pas des paradis du droit !

Pour conclure, j’insisterai une fois encore sur la nécessité de l’harmonisation.

Cela étant, dans notre volonté de lutter contre l’évasion fiscale, soyons attentifs à ne pas tuer ceux qui veulent créer de l’activité en France, en inscrivant dans notre code général des impôts des règles trop tatillonnes en matière de prix de transfert. Au cours des dernières années, un certain nombre d’entreprises ont préféré s’installer ailleurs que chez nous pour cette raison. J’attire l’attention sur ce point parce qu’il me semble que nous sommes allés trop loin dans ce domaine. Cela n’aide pas nos entreprises à créer de la valeur, à exporter et donc à participer au redressement de nos comptes publics en payant l’impôt ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Pierre Moscovici, qui n’a pu annuler un déplacement prévu de longue date. L’ordre du jour du Sénat a été modifié dans les circonstances que vous connaissez…

Mme Éliane Assassi. C’est notre faute ?

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Pour ma part, je me réjouis d’être parmi vous ce matin pour participer à ce débat d’une grande importance.

Monsieur le rapporteur Éric Bocquet, vous avez contribué, par un premier rapport, à amorcer la lutte acharnée contre la fraude et l’évasion fiscales que le Gouvernement met en œuvre avec détermination depuis quelques mois.

Cette fois-ci, vous vous êtes interrogé plus spécifiquement sur le rôle des banques dans le phénomène de l’évasion fiscale internationale.

Il s’agit évidemment d’un sujet central, qui peut être abordé sous deux aspects : la lutte contre l’opacité fiscale et le secret bancaire, d’une part ; la lutte contre le blanchiment, d’autre part.

Vous l’aurez compris, le Gouvernement a fait de la lutte contre la fraude fiscale une priorité. En cette période de crise économique et sociale où les Français sont mis à contribution pour le redressement du pays, la fraude, alliant l’injustice au sentiment d’impunité, devient purement et simplement insupportable. C’est ce qui détermine l’action du Gouvernement dans la lutte contre les paradis fiscaux : il s’agit de rendre moins attractifs ces territoires pour resserrer l’étau sur les fraudeurs, de développer les moyens d’investigation pour identifier ceux qui ne paient pas l’impôt dû, d’étendre les sanctions pour ne pas laisser impunis ceux qui méconnaissent ou détournent les règles.

Avant de répondre à quelques-unes des questions que vous avez soulevées, permettez-moi d’insister sur le fait que, en matière de lutte contre les paradis fiscaux, on ne peut pas agir seul : les évolutions internationales sont décisives. Ce qui s’est produit depuis plusieurs mois est inédit, et je crois pouvoir dire que l’action de la France a beaucoup compté.

Toutefois, pour lutter contre l’opacité fiscale de certains territoires, rien n’est possible sans l’établissement de normes internationales, et donc sans l’action de l’Union européenne et du G20.

En ce qui concerne la lutte contre l’opacité fiscale et le secret bancaire, je voudrais rappeler les quelques évolutions décisives intervenues ces derniers mois à l’échelon international. C’est évidemment ce niveau d’action qui est, dans ce domaine, déterminant.

Il n’y a pas si longtemps, il a été dit que le secret bancaire, c’était terminé. C’était après le sommet du G20 de Londres, qui a donné une impulsion décisive à ces travaux sur le plan international, mais n’a pas éradiqué, tant s’en faut, le secret bancaire.

Je comprends donc que certains soient désormais quelque peu méfiants lorsqu’ils entendent dire que le monde a basculé ! Le Gouvernement soutient aujourd'hui que le secret bancaire vacille comme il n’avait jamais vacillé. C’est un fait absolument inédit : un véritable consensus a émergé en vue de prendre des mesures efficaces afin que chacun paie sa juste part d’impôt. Plus précisément, une idée s’est affirmée, celle de la transparence fiscale.

Certains raillent le fait que rien ne se serait produit sans les États-Unis, qui ont mis en place, en 2010, la loi dite FATCA. Cette loi, qui institue l’obligation, pour les établissements financiers étrangers, de fournir aux autorités fiscales américaines des informations détaillées sur les comptes bancaires détenus par des contribuables américains a, il est vrai, marqué un tournant. Faut-il s’en plaindre, dès lors que c’est précisément cette législation qui nous permet aujourd’hui de demander à nos partenaires européens, et bientôt à ceux du G20, une information équivalente à celle qu’ils fourniront aux États-Unis ?

Pour ma part, je ne le pense pas. Le fait qu’un État ait su imposer aux plus récalcitrants le principe de l’échange automatique d’informations a permis à ses partenaires européens – la France en premier lieu – de promouvoir plus que jamais cette exigence au sein des instances internationales, et de faire en sorte que l’échange automatique d’informations devienne un standard.

Par ailleurs, si les évolutions internationales sont décisives, cela ne signifie pas pour autant que nous restons inactifs sur le plan interne ou bilatéral. J’en veux pour preuve la signature avec la Suisse, au mois de juillet dernier, de la convention relative aux successions, qui contient des dispositions importantes en matière d’échange de renseignements, ou encore le projet de loi de lutte contre la fraude et la grande délinquance économique et financière, dont une disposition, introduite par voie d’amendement, prévoit l’inscription sur notre liste interne des paradis fiscaux de tous les États qui auront refusé de s’engager dans le domaine de l’échange automatique d’informations.

À ceux qui croient ou affirment que la décision du Conseil constitutionnel aurait détruit tout l’arsenal juridique, notamment les mesures dont je viens de parler, je veux rappeler que la quasi-totalité des dispositions ont été validées.

J’en viens maintenant aux questions abordées par les différents intervenants.

Plusieurs ont évoqué le « verrou de Bercy ».

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il convient avant tout de bien préciser de quoi on parle : ce verrou ne concerne que le délit de fraude fiscale, et non pas – cela est d’ailleurs indiqué dans le rapport – l’ensemble des infractions fiscales, notamment la pratique du « carrousel de TVA ».

Si l’on considère objectivement l’évolution du droit et de la pratique administrative, il apparaît qu’un juste équilibre a été atteint, ces dernières années, en matière de poursuites pour blanchiment de fraude fiscale, entre l’action de l’administration fiscale et celle de la justice.

À cet égard, vous avez interrogé, monsieur le rapporteur, le Gouvernement sur l’action de TRACFIN, concernant notamment l’échange d’informations.

En ce qui concerne le contrôle fiscal, TRACFIN a adressé à l’administration fiscale près de 400 notes de renseignements entre le 1er octobre 2009 et le 31 décembre 2012. Après exploitation de ces renseignements, des rappels d’impôts pour près de 500 millions d’euros ont été, à ce jour, effectués et des plaintes pour fraude fiscale ont été déposées par l’administration fiscale, qui transmet aussi régulièrement des informations à TRACFIN : ainsi, 572 signalements lui ont été transmis en 2012.

Il est naturellement toujours possible d’améliorer la circulation des informations, mais je souhaitais rappeler très précisément ces chiffres, pour répondre à la préoccupation légitime que vous avez exprimée.

M. le président de la commission d’enquête a évoqué l’importance de la procédure de l’abus de droit fiscal. Celle-ci, je le confirme, est cruciale pour permettre à l’administration de procéder à un redressement. À cet égard, l'Assemblée nationale a adopté, lors de l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances, des dispositions visant à renforcer cette procédure. En outre, elle a voté l’obligation de déclaration préalable des schémas d’optimisation fiscale.

Mme Nathalie Goulet. Nous l’avions aussi demandée !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Ces mesures sont de nature, me semble-t-il, à répondre à vos préoccupations.

En ce qui concerne les modalités de régularisation fiscale au regard de la mise en application de la circulaire dite Cazeneuve de juin 2013, le succès de cette procédure, qui repose sur la transparence et le droit commun, contrairement à toutes les procédures antérieures, est désormais incontesté. À ce jour, ce sont près de 9 000 procédures qui ont été engagées. C’est précisément la prise de conscience, par nos concitoyens, du fait que les progrès de la lutte contre la fraude fiscale, notamment au travers de l’échange automatique d’informations, ne laissent plus de place aux « espérances » des fraudeurs qui est à l’origine du succès de cette procédure.

Monsieur le rapporteur, vous considérez que la finance risque d’être toujours en avance sur la législation. C’est la raison pour laquelle l’arsenal de mesures adoptées dans le cadre du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, dont la quasi-totalité des dispositions ont été, je le répète, validées par le Conseil constitutionnel, est essentiel. Avec cette loi, nous renforçons les moyens de l’administration fiscale dans sa course avec la finance.

Sans entrer dans les détails, je rappellerai que la police judiciaire fiscale verra ses compétences élargies, que la fraude fiscale commise en bande organisée sera plus lourdement sanctionnée, que l’administration disposera de nouvelles informations et que les possibilités de contrôle de l’administration pour lutter contre la fraude fiscale des entreprises seront considérablement renforcées. Si des moyens législatifs complémentaires se révèlent nécessaires, le Gouvernement les mettra en place.

Concernant la promotion et la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations, je partage votre constat, monsieur le rapporteur : l’échange d’informations sur demande a montré ses limites. C’est précisément la raison pour laquelle la France se bat, au sein des instances internationales, pour faire de l’échange automatique d’informations un standard incontournable.

Au niveau européen, la directive Épargne sera discutée lors du Conseil Ecofin qui se tiendra la semaine prochaine et, s’il le faut, lors du Conseil européen qui aura lieu à la fin de l’année. Par ailleurs, une nouvelle directive portant sur l’ensemble des revenus et imposant l’échange automatique d’informations est en cours de discussion.

Au niveau du G20, l’échange automatique d’informations a été reconnu comme un standard ; la France a beaucoup pesé en ce sens.

Au niveau interne, le Conseil constitutionnel a considéré que l’introduction du critère du refus de l’échange automatique d’informations pour l’inscription sur notre liste des paradis fiscaux était prématurée, car disproportionnée. Je ne partage pas votre pessimisme quant à la suite des événements. Nous poursuivons l’analyse de la décision du Conseil constitutionnel, dont le Gouvernement ne peut bien sûr que prendre acte. Cela n’enlève rien à la détermination de celui-ci à atteindre ses objectifs, tels qu’il les avait inscrits initialement dans la loi.

Mme Goulet a exprimé son intérêt pour le statut de lanceur d'alerte, auquel je suis particulièrement attentif. D'une façon générale, le statut de lanceur d'alerte est une innovation que le Gouvernement juge importante, comme il l'a montré au travers de deux lois, en particulier la loi relative à la transparence de la vie publique.

Encore faudrait-il que, lorsque la France veut promouvoir ce concept dans le concert européen, on ne puisse lui renvoyer l'écho de certaines déclarations, faites dans les hémicycles parlementaires, selon lesquelles les lanceurs d'alerte seraient des délateurs, qui nous ramènent aux heures les plus sombres de notre histoire… Ces paroles ne sont pas de vous, madame Goulet, mais je veux souligner que, même si nous avons abouti, de tels propos entrent quelque peu en contradiction avec ceux que nous entendons aujourd'hui s'agissant de la transmission et de l'échange d'informations. On ne peut à la fois se dire favorable à l’échange automatique d'informations à tous les niveaux et s'opposer à l’intervention des lanceurs d'alerte dans le champ de l'initiative citoyenne. Je n’y insiste pas, mais il y a là, me semble-t-il, une contradiction majeure sur le plan conceptuel, sinon politique…

Les propos de M. Duvernois m'ont parfois surpris. Il comprendra que je n’adhère pas à sa pétition de principe selon laquelle l’évasion fiscale s'expliquerait par un matraquage fiscal. Du reste, il s’agit là d’un tout autre débat, qui supposerait un rappel de l’histoire des dernières années…

Par ailleurs, à la suite d'une affaire que vous avez évoquée, ainsi que Mme Goulet, le Gouvernement a réagi en faisant adopter des lois sur la transparence de la vie publique.

Monsieur Chiron, comme vous l’avez dit, l'étau se resserre, mais la bataille est loin d'être gagnée. C'est aussi, me semble-t-il, la conclusion du rapport d'information. L'action du Gouvernement, sur le plan européen, sur le plan international et sur le plan du droit interne, au travers de toutes les initiatives que j'ai rappelées, contribue à resserrer l'étau.

La question fiscale est aujourd’hui au cœur du débat. Cela est naturel, car il s'agit non pas d'une question technique, mais d'une question politique, qui pose le problème de la justice fiscale et, surtout, celui du respect du pacte républicain. C’est en ce sens qu’il s’agit d’une question majeure, essentielle. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir contribué, par vos travaux de ce matin, à la traiter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UDI-UC.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques.

Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, pour les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)