PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel

M. le président. La séance est reprise.

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Questions cribles thématiques

accès à la justice et justice de proximité

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l’accès à la justice et la justice de proximité.

Je rappelle que l’auteur de la question et la ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. En touchant principalement les tribunaux d’instance, la réforme de la carte judiciaire a porté sur les juridictions les plus proches des gens. Cette réforme, exemple parmi d’autres de la destruction méthodique du service public de la justice, menée dans la précipitation, sans concertation réelle avec les organisations syndicales, a visé un objectif exclusivement comptable qu’elle n’a même pas atteint, du fait de son coût.

Aujourd’hui, une autre réforme est pressentie. En tout cas, elle semble nécessaire, mes chers collègues.

Il y a un an, notre commission des lois présentait au Sénat, lors d’un débat en séance publique, les conclusions du rapport de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne sur la réforme de la carte judiciaire dans lesquelles plusieurs pistes étaient envisagées. Récemment, notre collègue Yves Détraigne a poursuivi ses travaux avec Virginie Klès.

Après s’être accordés sur l’intérêt d’une simplification de l’organisation de la justice de première instance, nos collègues ont approfondi l’une des pistes qui était déjà évoquée dans le premier rapport : le tribunal de première instance aurait vocation à réunir en une même juridiction toutes celles – ou pratiquement toutes au terme des dernières réflexions – que nous connaissons actuellement en première instance. Nous savons que vous menez des réflexions à ce sujet dans le cadre de la concertation, madame la garde des sceaux, et que des conclusions seront rendues prochainement. Quelle que soit la piste proposée, pouvez-vous nous assurer que le réseau juridictionnel n’en pâtira pas et que la présence d’un tribunal sur chaque territoire au plus près de nos concitoyennes et de nos concitoyens sera privilégiée ? Par exemple, si la piste du tribunal de première instance était retenue, il ne faudrait pas que cela conduise à la suppression de nouvelles implantations judiciaires.

Il est également nécessaire de préserver la spécialisation des magistrats. Comme le souligne le rapport Klès-Détraigne, « les magistrats spécialisés tiennent à leur spécialisation et peuvent craindre que le tribunal de première instance, entendu comme un outil de mutualisation des effectifs de magistrats et de greffiers, ne tende à diluer cette spécialisation ». Au nom d’une préoccupation d’ordre pratique concernant l’accès du citoyen à la justice, il ne serait effectivement pas pertinent de revenir sur la tradition française de certains tribunaux de première instance, tels les conseils de prud’hommes, les tribunaux pour enfants ou les juridictions sociales.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je puis d’emblée vous rassurer, madame Cukierman, la réforme judiciaire que nous envisageons ne conduira pas à la fermeture du moindre site judiciaire.

Concernant ce que vous appelez la spécialisation des magistrats, et donc nos juridictions spécialisées telles que les conseils de prud’hommes et diverses juridictions sociales, il y aurait, là aussi, un besoin de cohérence, mais la spécialité de ces juridictions sera préservée.

Nous nous préoccupons d’assurer la proximité, c'est-à-dire que le justiciable dispose au plus près d’un site judiciaire qui lui rende les services attendus. Pour ces raisons, je le répète, aucun site judiciaire ne sera fermé, j’entends par là y compris les maisons de justice et du droit. Le Président de la République s’est engagé sur la proximité, l’efficacité et la diligence de la justice. Ce sont nos objectifs !

Comme vous le savez, j’ai ouvert quatre grands chantiers en vue d’aboutir à une réforme judiciaire. La constitution des groupes, leurs travaux, la consultation des juridictions – je me rends fréquemment sur place – demandent du temps. J’espérais aller plus vite, mais je me suis résignée à prendre le temps nécessaire.

Les 10 et 11 janvier prochain, nous organiserons un grand colloque à la Maison de l’UNESCO au cours duquel seront présentées les préconisations de ces quatre grands chantiers : l’office du juge au XXIe siècle, le magistrat du XXIe siècle et son équipe d’assistants spécialisés, les juridictions du XXIe siècle – chantier auquel se rapporte le travail de très grande qualité de Mme Klès et de M. Détraigne, que j’ai reçus récemment à la Chancellerie –, ainsi que la modernisation de l’action publique. Évidemment, je tiendrai informée la représentation nationale de l’évolution de ces réflexions. Il me reste encore à recevoir deux rapports.

Vous êtes bien sûr invités à ce grand événement, mesdames, messieurs les sénateurs : votre parole compte, elle est extrêmement importante. Je connais la qualité des travaux qui sont produits au Sénat, et nous nous en inspirons. Nous arriverons à écrire une belle réforme judiciaire, dont l’objectif majeur sera de servir le citoyen.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.

Mme Cécile Cukierman. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de ces précisions importantes. Elles rassureront à la fois les professionnels de la justice, les organisations syndicales et, plus largement, les citoyennes et les citoyens qui ont affaire à la justice ainsi que les élus locaux, qui se sont sentis parfois pris au dépourvu par la diminution de la présence judiciaire sur leur territoire ces dernières années.

Nous serons bien évidemment attentifs au résultat des travaux qui sont actuellement menés sur la justice du XXIe siècle. La commission des lois du Sénat travaille pour sa part sur un certain nombre de rapports et de propositions. Nous y participons et souhaitons vivement que puisse se construire, dans le pluralisme et la diversité des idées, cette justice nécessaire.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. L’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale ». La Convention ne garantit donc pas seulement un procès équitable, elle exige que soit assuré le droit d’accès effectif au juge. Au regard de ces principes, plusieurs institutions européennes se sont prononcées en faveur de l’instauration de recours collectifs, en anglais « class actions ».

Le 11 juin 2013, la Commission européenne a recommandé aux États membres de se doter de mécanismes de recours collectifs pour garantir à leurs justiciables un accès effectif à la justice. Vous avez vous-même déclaré, madame la garde des sceaux, en juin 2012, votre intention de permettre les recours collectifs, afin de garantir une meilleure efficacité de la justice et pour « que la réparation des petits litiges soit effective ».

Le projet de loi relatif à la consommation a sans conteste ouvert une brèche en la matière. Pour ma part, je suis l’auteur, au nom du groupe écologiste, d’une proposition de loi visant à instaurer un recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, qui devrait être examinée par le Sénat le 13 février prochain dans le cadre de l’ordre du jour réservé à notre groupe.

Ma question est donc la suivante : considérant que les standards européens sont en faveur du recours collectif, dans quels domaines et dans quels délais pensez-vous qu’une telle procédure pourra être intégrée à notre droit ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez raison de rappeler, madame Benbassa, que la Commission européenne recommande aux États membres de veiller à assurer un niveau élevé de protection des justiciables afin que ceux-ci puissent obtenir réparation des préjudices, notamment des préjudices de masse.

Le projet de loi relatif à la consommation, qui en est encore au stade de la petite loi puisque la navette est en cours, ouvre incontestablement la possibilité d’apporter réparation à plusieurs personnes victimes de ces préjudices sériels, d’un montant souvent faible.

J’ai étudié avec le plus grand intérêt la proposition de loi que vous avez déposée, et je me suis préoccupée de savoir avec quelle diligence nous pourrions l’examiner. Ce texte pose un problème, qui n’est pas insurmontable mais auquel il faut être attentif : nous devons nous assurer qu’une telle procédure ne pénalisera pas le justiciable, qui a droit à une réparation intégrale dans le cadre d’une procédure individuelle.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne faudrait pas qu’une procédure générale empêche d’évaluer très exactement le préjudice et d’accorder une juste réparation. C’est un point sur lequel nous réfléchissons encore. Je vous remercie d'ailleurs de la disponibilité dont vous témoignez pour travailler avec le cabinet et l’administration de la Chancellerie. Avec la ministre des droits des femmes et le ministre de l'intérieur, nous avons d'ailleurs chargé Mme Pécaut-Rivolier, conseiller référendaire à la Cour de cassation, d’une étude qui devrait alimenter les réflexions que nous conduisons avec vous.

Votre préoccupation est légitime ; nous veillons simplement à ce que cette mesure représente un réel progrès et ne pénalise pas, par inadvertance, les citoyens.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse.

Chaque génération fait avancer le droit, qui n’est pas immuable. Je compte sur la Chancellerie ainsi que sur votre détermination pour nous aider à régler le problème que vous avez évoqué, afin que cette proposition de loi puisse servir de base aux textes qui viendront ultérieurement concernant les recours collectifs liés notamment à l’environnement ou à la santé.

Sachez qu’avec mon collègue Philippe Kaltenbach, rapporteur de cette proposition de loi, nous continuons à mener des auditions. Nous sommes prêts à conjuguer nos efforts afin d’élaborer un texte progressiste pour nos concitoyens.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars.

M. Stéphane Mazars. Le droit pour tout justiciable à un recours effectif à la justice induit un accès réel au juge. Ainsi, si la réforme de la carte judiciaire initiée par Mme Dati était nécessaire, elle demeure néanmoins fortement critiquable sur la forme et dans ses résultats. Vous en connaissez les raisons, madame la garde des sceaux : calendrier précipité, absence de réelle concertation, ignorance des réalités administratives et géographiques, et, partant, oubli de la nécessaire proximité entre le citoyen et son juge. La refonte qui en a résulté a privilégié les critères quantitatifs au détriment de la réalité des territoires.

Nous avons pris note de votre volonté de remettre les choses à plat. Les pistes évoquées à la suite du rapport Daël, telles que la réouverture de certains TGI et la création de chambres détachées, constituent des réponses sérieuses et pragmatiques que nous saluons. Attention, cependant, à ne pas laisser une nouvelle fois de côté certains territoires pour lesquels la seule création d’un guichet unique de greffe risque d’apparaître comme un pis-aller largement insuffisant.

L’objectif de proximité et d’accessibilité a également été ignoré lors de la mise en place des pôles de l’instruction. L’application de cette réforme, initiée par la loi du 5 mars 2007, a déjà subi de multiples reports, et votre projet de loi relatif à la collégialité de l’instruction prévoit de la reporter à nouveau au 1er septembre 2014. Or cette réforme ne va pas sans susciter l’inquiétude des justiciables et des auxiliaires de justice dans les territoires déjà fragilisés, car elle renonce au maintien d’un juge d’instruction isolé dans les juridictions infra-pôle même si, lorsque l’activité juridictionnelle le justifiera, des pôles de juridiction pourront être créés.

Vous comprendrez que, si nous espérons beaucoup de ce remaillage des territoires, nous ne souhaitons pas, encore une fois, que le chiffre soit l’unique critère pris en compte pour décider de ces nouvelles implantations.

La question du maillage ne peut être étudiée indépendamment de celle de l’aide juridictionnelle : pour les justiciables, une justice de proximité s’entend non seulement comme l’accès physique au juge, mais aussi comme l’accès réel à la défense de leurs droits. L’absence de proximité de la justice, nous le savons, fragilise le secteur aidé en remettant en cause, de fait, des principes aussi fondamentaux que celui du libre choix de son avocat, lequel ne peut être à la fois proche de son client et éloigné du lieu où la justice est rendue.

Au vu de ces éléments, comment comptez-vous garantir une justice de qualité pour tous et en tout lieu ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mazars, vous évoquez deux sujets différents dans votre question : d’une part, la territorialité et la proximité ; d’autre part, la collégialité de l’instruction.

Nous ne travaillons pas à la Chancellerie exclusivement en fonction des chiffres. Nous ne pouvons pas non plus les ignorer ni les évacuer. Nous voulons une activité judiciaire cohérente et performante et, pour cela, nous devons tenir compte des volumes d’affaires civiles et pénales de chaque ressort. Il ne s’agit pas pour autant du seul critère : nous nous appuyons sur tout un maillage d’indicateurs.

S’agissant des territoires, nous tenons compte, par exemple, de paramètres correctifs tels que la distance. Vous le savez, je me suis rendue à Rodez il y a quelques mois…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ailleurs aussi, monsieur Hyest ! (Sourires.) Je fais de multiples déplacements.

M. Jean-Claude Lenoir. Les voyages forment la jeunesse !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est la meilleure solution pour comprendre et connaître les réalités territoriales dans lesquelles vous êtes immergés. Si je me contentais de vous écouter sans venir voir sur place, si je ne faisais pas en sorte que vous puissiez me guider sur le terrain,…

M. Jean-Claude Lenoir. Très bien ! Il faut travailler ensemble !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … je n’aurais qu’une vision partielle de la réalité et je ne pourrais apporter que des réponses imparfaites. Or j’ai l’ambition d’apporter de bonnes réponses !

Cela étant, le volume d’affaires traitées n’est pas le seul critère à retenir. Compte tenu de la distance séparant Millau de Rodez, il y a lieu de s’interroger sur la question de l’efficacité de la proximité pour les justiciables.

La collégialité de l’instruction, quant à elle, fait l’objet d’un projet de loi, que j’ai présenté en conseil des ministres dès le mois de mai. Le texte a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, mais il n’a pu être encore inscrit à l’ordre du jour. Il vise à aménager les conditions de la collégialité de l’instruction de façon à ne pas alourdir inutilement cette dernière par la collégialité systématique prévue par la loi de mars 2007.

Si le texte avait dû être mis en œuvre dès janvier 2014, nous aurions été prêts. J’ai en effet pour principe – vous ne l’ignorez pas depuis ces dix-huit derniers mois, mesdames, messieurs les sénateurs – que, une fois adoptées, les lois doivent être appliquées.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est du bon sens !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je voulais éviter un nouveau report. Le calendrier gouvernemental en témoigne : le texte a été adopté en conseil des ministres en mai 2013.

Or l’année arrivant à son terme, et l’examen du projet de loi n’étant toujours pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, l’application systématique de la collégialité, telle que conçue dans la loi de 2007, allait trouver à s’appliquer en janvier 2014. Dans ces conditions, j’ai demandé qu’un amendement soit adopté dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014 de façon à reporter d’un an l’application de la loi de 2007. Ce délai nous laisse du temps pour la discussion et l’adoption – je l’espère – de ce projet de loi pour lequel j’ai procédé aux plus larges consultations. En tout état de cause, nous veillerons à mettre en place une collégialité.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars, pour la réplique.

M. Stéphane Mazars. Je vous remercie de votre réponse, madame la garde des sceaux. Sachez que ce fut un plaisir de vous guider lors de votre venue dans mon département de l’Aveyron. J’espère que les élus aveyronnais auront également su vous guider dans votre volonté de réparer les dégâts. Ce département a en effet été le plus touché par les réformes successives de la justice. Songez que Rodez dépend désormais d’un pôle de l’instruction situé à Montpellier et que plus aucun TGI ne rend la justice dans le sud aveyronnais ! Cette situation pose de réels problèmes aux justiciables quand on connaît les contraintes en termes de temps de déplacement et de conditions climatiques qu’ils rencontrent.

Je voudrais insister sur un principe essentiel que nous souhaitons tous protéger : la possibilité pour tout un chacun de choisir un avocat. Or choisir un avocat dans le secteur aidé, c’est choisir un avocat dans le cadre de l’aide juridictionnelle, qu’il ne faut pas confondre avec la commission d’office. Si la distance séparant l’endroit où réside le justiciable du lieu où l’on rend la justice est trop importante, le principe du libre choix de l’avocat est remis en cause.

C’est sur la base de ces grands principes que nous devrons, demain, travailler.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Il faut saluer, vous l’avez déjà fait, madame la garde des sceaux, le rapport de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne sur l’accès à la justice et la justice de proximité. Ce rapport n’a pas pour seul mérite de rappeler toutes les réflexions menées dans ce domaine, il va plus loin et avance des propositions sur ce que pourrait être la réforme de la juridiction de première instance.

L’enjeu est aujourd’hui de retrouver un équilibre entre lisibilité et accessibilité – reconnaissons qu’il reste beaucoup d’efforts à faire –, entre accès à la justice et proximité. Nous savons par ailleurs que la capacité du législateur à dessiner les périmètres de chaque contentieux sera déterminante afin de mener à bien une réforme durable.

Il est de bon ton de critiquer la modernisation de la carte judiciaire, mais vous n’avez pas modifié cette carte, à une exception près.

M. Jean-Jacques Hyest. J’ai dit « à une exception près », car je ne veux citer personne.

Cette modernisation a donc eu le mérite d’engager concrètement un processus sur lequel des réflexions avaient cours depuis plus de vingt ou vingt-cinq ans. Notre carte judiciaire datait en effet de 1958 ! Je regrette d’ailleurs que l’on ne soit pas allé plus loin, notamment en ce qui concerne les cours d’appel. Mais fermons la parenthèse, sinon je vais fâcher quelques personnes… (Sourires.)

Cela fait dix-huit mois que vous êtes à la Chancellerie. Aux travaux déjà accumulés, se sont ajoutés divers supports qui devraient nourrir votre réflexion : je pense au rapport que je viens d’évoquer, aux réflexions de la direction des services judiciaires, sans oublier le rapport Guinchard et le rapport Casorla ou encore les débats relatifs au report de la suppression des juridictions de proximité. Pour autant, vous restez floue sur les orientations que vous souhaitez donner à la prochaine réforme de la première instance. Peut-être attendez-vous la grand-messe de janvier ?

Allons-nous entériner la création d’un tribunal de première instance ? Ce dernier englobera-t-il l’ensemble des juridictions de proximité – tribunaux d’instance, tribunaux de commerce, conseils de prud’hommes –, en dépit de la réticence des juges parfois élus dans certaines de ces juridictions ?

Dans le cas où cette juridiction disposerait d’antennes déconcentrées – c’est une hypothèse envisageable –, comment allez-vous dépasser les risques d’inconstitutionnalité relatifs à l’égal accès de tous à la justice et au principe sacré d’inamovibilité des magistrats du siège ?

Cela fait peut-être beaucoup de questions en une seule, madame la garde des sceaux, mais je pense que vous pourrez y répondre. (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Permettez-moi de prendre quelques secondes pour saluer le sénateur Vallini et le rassurer. Nous avons été informés de l’accident qui est survenu au tribunal de grande instance de Vienne, et la direction des services judiciaires se rend immédiatement sur place.

Monsieur Hyest, vous dites que nous critiquons la carte judiciaire ; je ne l’ai pas encore fait. Je vais toutefois abonder dans le sens du sénateur Mazars : la réforme de la carte judiciaire n’est contestée par personne, elle était nécessaire. C’est la méthode employée qui a été mise en cause, y compris d’ailleurs par les magistrats de cours d’appel qui avaient travaillé sur cette question et formulé des propositions.

Il est aussi incontestable que cette réforme a créé, dans certains territoires, de véritables déserts judiciaires, ce dont aucun d’entre nous ici ne peut s’accommoder puisque cela crée un éloignement de la justice pour nos concitoyens.

Certains se sont fait entendre sur vos travées à propos de la décision de réouverture d’un tribunal. (M. Jean-Jacques Hyest s’en défend.) Pas vous, monsieur Hyest, je vous reconnais cette élégance dont vous ne vous êtes jamais départi. Je vais toutefois répondre à ces interpellations : les conditions dans lesquelles j’ai fait procéder à la réévaluation de la situation de certaines villes sont absolument objectives. Je me suis appuyée sur les observations formulées par le rapporteur public devant le Conseil d’État. Pas une de plus, pas une de moins !

Le tribunal de grande instance de Tulle est l’un des trois que nous allons rétablir, avec ceux de Saint-Gaudens et Saumur. Il s’agit tout de même de la seule préfecture ayant perdu son tribunal de grande instance ! Je crois qu’il y a plus de questions à se poser sur les raisons pour lesquelles Tulle a perdu son tribunal que sur les raisons pour lesquelles Tulle va le retrouver !

M. Philippe Kaltenbach. Tout à fait !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les éléments permettant de justifier la réouverture du tribunal de grande instance de Tulle sont donc parfaitement objectifs.

Nous cherchons à combattre les déserts judiciaires. À cet égard, l’excellent rapport de Mme Klès et de M. Détraigne émet un certain nombre de propositions. Les chantiers et réflexions que j’ai ouverts ne constituent pas une « grand-messe ».

M. Alain Gournac. La grand-messe, elle doit avoir lieu ici !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est ici que se vote la loi !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La justice mérite que nous rassemblions les intelligences et les énergies. Elle mérite que nous travaillions ensemble à améliorer les conditions dans lesquelles le justiciable peut avoir recours à la justice, ce que nous faisons. Vous êtes d’ailleurs invité à participer à cet événement en janvier, qui ne sera qu’une étape : à partir de ce travail, effectué en public, de mise en commun de réflexions sur la base des préconisations de ces quatre rapports, je vais ouvrir un cycle de concertations. Je me déplace déjà dans les juridictions.

M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous avançons en suivant une autre méthode, celle de l’écriture commune.

M. le président. Monsieur Hyest, vous avez la parole pour la réplique, mais je vous invite à être bref.

M. Jean-Jacques Hyest. Madame la garde des sceaux, je vous ai bien entendue. Toutefois, je me méfie beaucoup des conférences, des consensus,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous avez grand tort !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est le Parlement qui fait la loi !

M. Jean-Jacques Hyest. J’entendais ce matin au cours d’un colloque un professeur expliquer que le législateur n’a qu’à faire les lois, sans se préoccuper du reste. Or nous avons aussi la charge d’évaluer les politiques publiques. C’est notre rôle ! Et si nos rapports d’information sont si précieux – je crois, monsieur le président, que le Sénat s’est toujours illustré dans ce domaine –, c’est aussi en raison de notre expertise personnelle, non de celle des spécialistes.

Quand j’entends dire que c’est aux magistrats de nous expliquer comment réformer, je n’y crois pas un seul instant. Autant je respecte les magistrats dans leur activité juridictionnelle, autant je dois reconnaître qu’ils sont, comme d’autres, capables de faire preuve de corporatisme. Lorsque l’on demande aux professionnels de se réformer, vous savez très bien que ça ne se fait jamais.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest. J’essaierai de participer à ce que vous organisez au mois de janvier, mais il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le lieu où les décisions pourront être prises. Selon moi, il ne pourra s’agir que d’un éclairage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.