M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord remercier M. le président de la commission des affaires étrangères, qui a beaucoup agi pour que ce débat puisse être organisé.

Je souhaite également adresser, au nom de mon groupe, l’expression de notre confiance et de notre soutien à tous nos soldats, qui, dans de nombreux pays, sont le bras armé, mais pacifique, de notre diplomatie.

Monsieur le ministre, en ce début d’année 2014 et en cette période de vœux empreinte d’espoir pour nos concitoyens, notre groupe ne peut que souhaiter, pour notre pays, qu’un vrai cap soit enfin fixé par le Gouvernement, notamment en matière de politique étrangère. J’observe d’ailleurs que nous ne sommes pas les seuls à demander une telle clarification.

La véritable question que nous posons et que se posent de nombreux Français est la suivante : où va la politique étrangère de la France ? Car il semble bien que celle-ci n’ait pas une ligne directrice claire, certains commentateurs la qualifiant parfois de « brouillonne ».

Le propre de notre diplomatie consiste à protéger et à développer les intérêts de notre pays à l’étranger. Cela suppose d’avoir, au préalable, une volonté pour que la France soit respectée, écoutée, suivie et soutenue lorsqu’elle s’engage dans la résolution de crises internationales.

Il en est ainsi de la politique menée actuellement en Afrique. Un an après que nos troupes ont été engagées au Mali et un mois après qu’elles l’ont été en République centrafricaine, le Président de la République a réussi un magnifique tour de passe-passe : s’imposer comme un chef de guerre tout en utilisant nos armées comme seul argument diplomatique. Mais à quel prix ? Et à quel coût pour nos armées, dont les moyens sont en baisse, comme le prévoit la nouvelle loi relative à la programmation militaire ?

Sur la scène internationale, la France endosse un rôle sans plus avoir pourtant tout à fait les moyens financiers adéquats. À l’issue de dix-huit mois de mandat du présent pouvoir exécutif, tout porte à croire que la politique étrangère de notre pays ne répond qu’à des impératifs humanitaires, ô combien importants, sans traduire une vision politique d’ensemble.

Si, dans un premier temps, cela paraît louable, avec du recul, force est de constater qu’il s’agit en réalité d’une politique court-termiste, au coup par coup, qui risque de conduire notre pays à l’isolement diplomatique, voire à la marginalisation.

Mais quelle est la réalité ? Avant chaque intervention militaire sur des théâtres d’opérations, nous étions seuls, seuls au Mali, seuls en Centrafrique, et lorsque la possibilité d’intervenir en Syrie a été envisagée, nous étions encore seuls. Monsieur le ministre, cette position est-elle tenable et raisonnable ? Le chacun pour soi est dangereux et nous prépare peut-être des lendemains qui déchantent.

Agissant ainsi, la France fait fonction de « démineur du monde » de crises politiques qui dégénèrent en crises humanitaires. Nous ne pouvons pas être les casques bleus universels alors même que nous procédons à d’importantes déflations de personnel dans nos armées et que nous peinons à équiper et à entraîner les membres de ces dernières.

Nous savons tous que notre effort national en faveur de la défense est largement passé en dessous du seuil de 1,5 % du PIB, alors même que les normes de l’OTAN préconisent que nous y consacrions 2 %, hors pensions.

Faut-il rappeler, même si cela peut être douloureux, que les moyens militaires que vous avez mis en œuvre au Mali et en Centrafrique, vous les devez à notre loi relative à la programmation militaire, celle qu’a voulue l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy ?

Soit, les mandats onusiens vous permettent d’intervenir en conformité avec le droit international dans un pays en crise ; pour autant, cela ne signifie pas que nous devions rester les seuls sur le terrain.

Il importe que le chef de l’État ne se contente pas seulement d’être un chef des armées ; il doit aussi tenir compte de nos partenaires européens et de nos alliés.

Certes, la France a toujours incarné une tradition de « moteur » de l’Union européenne, mais elle ne peut faire cavalier seul, sans consultations préalables.

Exister sur la scène internationale implique d’abord et avant tout un dialogue permanent avec nos voisins européens.

Il est facile de se targuer d’intervenir en premier, tant au Mali qu’en République centrafricaine, puis de reprocher à nos alliés européens de ne pas nous soutenir. En matière de communication interne, c’est assez habile : cela permet de surfer sur un euroscepticisme ambiant, mais qui s’avère dangereux à six mois des élections européennes ; cela permet aussi certainement de braquer les projecteurs ailleurs que sur les problèmes économiques et sociaux internes à notre pays…

Les uns et les autres, nous ne sommes pas dupes, pas plus que nos partenaires européens. Avant d’être incriminés pour leur passivité, ceux-ci souhaiteraient être consultés et n’apprécient pas toujours ces reproches.

Plus que jamais, il importe que le Président Hollande mène une politique plus active de concertation et de solidarité, afin de convaincre les grands pays membres de l’Union européenne.

Bien sûr, il est difficile de parvenir à un consensus, mais ce sont là les enjeux et la réalité de la diplomatie. Il faut négocier ; il faut convaincre.

J’en viens à quelques observations sur la présence de notre pays en Afrique.

Sur la fin de la « Françafrique », que n’avons-nous pas entendu ? Or la France est toujours très présente en Afrique, heureusement, oserais-je dire.

Vous savez combien nos interventions sont impopulaires chez nos concitoyens. Il est donc utile de rappeler à ceux-ci en permanence que lorsque la France s’engage en Afrique, c’est d’abord pour assurer la paix, pour éviter les massacres. Un peu de pédagogie ne fait jamais de mal.

Il serait également temps de rappeler que la France ne démérite pas quant à son aide au développement. Nous participons à bon nombre de programmes bilatéraux ou multilatéraux de coopération. Mon collègue Jean-Claude Peyronnet et moi-même, rapporteurs pour avis de la mission « Aide publique au développement », pouvons l’attester et son budget en témoigne.

En République centrafricaine, nous avons répondu courageusement à l’urgence militaire. Mais, désormais, l’urgence est diplomatique. La France ne pourra assurer seule la transition démocratique. C’est, selon nous, le rôle de l’ONU. Sans renfort militaire supplémentaire, comment allons-nous assurer la stabilisation politique de ce pays ? Comment éviter l’engrenage ? Nous ne pouvons, comme au Mali, garantir la reconstruction de l’État de droit – voire de l’État tout court.

Sur ce point, monsieur le ministre, nous souhaiterions comprendre le sens politique de votre action, notamment auprès des chefs d’État africains. Quel projet la France porte-t-elle ? Où en sont les pourparlers avec l’Union africaine ? Celle-ci doit impérativement prendre le relais militaire et diplomatique, car nous n’avons pas vocation à nous substituer aux Africains.

Au mois de janvier 2013, on nous avait annoncé que « nous n’avions pas vocation à rester au Mali ». Le Président de la République a déclaré vouloir des interventions rapides. Il en fut de même en RCA. Mais après ? Quelles sont les solutions envisagées ? Par ailleurs, il est impératif de ne pas sous-évaluer ces deux opérations extérieures, qui, je le répète, ne peuvent se substituer à l’action diplomatique.

Malheureusement, à ce jour, nous n’avons pas de véritable calendrier militaire et diplomatique, alors que ce sont eux qui préfigurent les solutions politiques. Cela est d’autant plus important que, sur le terrain, les soldats français et tchadiens commencent à être accusés de partialité.

Certes, au mois de décembre dernier, sur le dossier de la RCA, notre diplomatie n’a pas ménagé sa peine au Conseil de sécurité des Nations unies afin de parvenir à l’adoption de la résolution 2127. Nous lui rendons hommage pour cette action.

Mais quid de cette mobilisation à l’échelon européen ? Rien pour l’instant, ou pas grand-chose. Et nous le regrettons.

Pourtant, monsieur le ministre, que ce soit pour le Mali ou pour la République centrafricaine, le groupe UMP du Sénat a soutenu le Gouvernement. Mais il ne faudrait pas que ce soutien sur le fond soit mal interprété.

Selon nous, l’intervention en RCA aurait pu être envisagée plus tôt. Au printemps 2013, le régime du général Bozizé, président de la République centrafricaine, s’est effondré sous les coups de la rébellion Séléka. Bangui, la capitale, a été pillée, ainsi que plusieurs villes de province. Les morts, les viols ont été nombreux. La communauté internationale n’a guère réagi à cette situation. À New York, où je me suis rendu avec une délégation, nous avons entendu beaucoup d’encouragements, mais avons noté peu de faits concrets sur les initiatives à prendre. La communauté s’est limitée à offrir son soutien à un premier ministre centrafricain sans réelle autorité sur les forces de la Séléka.

L’État centrafricain a implosé. Il ne contrôle plus son territoire, vers lequel convergent des pillards venus du Tchad, du Soudan, en particulier du Darfour. Des heurts à caractère religieux se produisent dans un pays jusqu’à présent préservé des radicalisations.

Les agences de presse viennent d’annoncer la démission, demain, du président Djotodia, ajoutant peut-être à la confusion, à moins que ce ne soit une solution. Vous nous le direz, monsieur le ministre.

Nous voici engagés sur un territoire de 600 000 kilomètres carrés, peuplé de 4,5 millions d’habitants, frontalier de pays très fragiles : la République démocratique du Congo, le Soudan du Sud, dont les propres populations subissent également de très nombreuses violences.

La paix en Afrique est l’une des conditions de la sécurité en Europe et dans le monde. Nous partageons bien évidemment ce sentiment. Chaque crise, chaque nouvelle guerre compte son lot de réfugiés qui peuvent déstabiliser d’autres États déjà mal en point. Nous devons bien sûr anticiper et faire face à ce risque géopolitique à part.

Alors, permettez-nous, monsieur le ministre, de regretter une fois encore que le budget des opérations extérieures, les OPEX, pour 2014 soit largement sous-doté, car la compensation par le biais de la solidarité ministérielle ne suffira pas, nous le savons bien. Même si la défense n’est pas de votre ressort, elle est quand même le bras armé de la diplomatie, singulièrement dans ces régions.

Les spécialistes savaient qu’après les événements du printemps, il y avait peu de chance pour que la situation se stabilisât et qu’une sortie de crise s’esquissât. D’autant que ce théâtre d’opérations se situe au cœur même de l’Afrique. Les conditions dans lesquelles vont devoir évoluer nos soldats sont très difficiles. Les infrastructures sont quasi inexistantes. Quels seront les coûts de l’acheminement du matériel et du ravitaillement de nos forces ? Nos soldats méritent pourtant de bénéficier des meilleures conditions d’équipement.

Ils doivent faire face à de véritables guerriers lourdement armés. Il serait irresponsable de considérer cette OPEX comme une simple mission de « sécurisation ». Nos soldats auront besoin de renforts, et non pas seulement d’un soutien logistique. Les fameux « retex » – les retours d’expérience – sur le Mali le démontrent et les premiers bilans de l’opération Sangaris le confirment.

Les interventions de ce type qui répondent à une urgence humanitaire ont un coût. Nous regrettons une fois encore que la dernière loi relative à la programmation militaire ne prenne pas suffisamment en compte cette ambition. À l’avenir, des opérations de cette nature seront difficiles à mener pour notre pays, qui, rappelons-le, est menacé de déclassement stratégique.

Par ailleurs, à l’heure où le continent africain affiche des taux croissance avoisinant les 5 % qui donneraient le vertige à nombre de nos voisins européens et, bien sûr, à notre pays, la France tire-t-elle un bénéfice économique de sa présence en Afrique ?

Notre présence est placée sous le signe de l’intervention militaire et de l’aide publique au développement, alors que d’autres acteurs, et pas n’importe lesquels, se sont véritablement implantés au cours de ces dix dernières années, économiquement et financièrement, profitant au passage de la stabilité que nous parvenons non sans mal à établir.

Or que font ces nouveaux acteurs sur le terrain pour soulager ces populations qui subissent ces crises ? Cette situation, monsieur le ministre, ne peut durer, car elle maintient notre pays dans une posture facilement qualifiée de « néocoloniale », alors même que nous assurons les conditions du maintien des structures étatiques, de la paix et de la sécurité de peuples en proie à la violence et au bord de la guerre civile.

Il est donc prioritaire de revoir les cotisations de notre pays au sein des contributions obligatoires aux organisations internationales et au Fonds européen de développement. Nous avons souvent l’occasion de le rappeler au sein de la commission des affaires étrangères.

Il faut que les barèmes soient réajustés et les quotes-parts renégociées en vue d’un juste rééquilibrage entre la part de notre PIB dans la richesse mondiale et notre contribution.

Dans le même temps, des pays comme l’Inde et la Chine n’ont pas de problèmes existentiels dans la relation qui les unit avec l’Afrique.

Ce rééquilibrage de notre participation dans les enceintes onusiennes ne peut plus se limiter aux seules contributions financières. Non seulement il devrait s’accompagner du respect d’un code de valeurs communes, mais il doit aussi entraîner l’envoi d’un minimum de moyens humains et matériels dans les gestions de crise. La France ne peut être la seule à déployer ses contingents.

Si notre pays doit, chaque fois, répondre à l’appel d’un pays exsangue, cela implique parallèlement – soyons logiques – que le Gouvernement mette en place une politique nationale qui lui en donnera les moyens. Or nous en sommes loin. À ce rythme, nos ambitions seront vite rattrapées par la réalité budgétaire, qui, pour l’instant, rime avec endettement des finances publiques, récession et difficultés budgétaires.

Aujourd’hui, l’un des risques majeurs pour l’Afrique est le délitement des structures gouvernementales et la fissuration des États. Il importe d’observer que la carte de l’Afrique issue de la décolonisation a profondément changé. Par exemple, le Soudan a connu une partition il y a peu et les deux pays tentent de dialoguer pour pallier les nouvelles violences. Hélas ! les événements récents ont montré que ce n’était guère facile.

Aussi, nous nous interrogeons, comme d’autres de nos collègues, sur la portée du dernier sommet de l’Élysée au mois de décembre dernier. Bon nombre des chefs d’État africains sont venus évoquer la paix et la sécurité en Afrique. Est-ce un sommet de plus ? L’Union africaine doit devenir une réalité, pour les Africains, pour leur sécurité et pour l’avenir du continent tout entier.

Par ailleurs, au lendemain de ce sommet, les observateurs économiques et politiques nous disent que les entreprises françaises doivent reconquérir les marchés africains. Ce fut du reste le thème du forum France-Afrique à Bercy, quelques jours avant le sommet de l’Élysée. Dans son rapport, Hubert Védrine fait des propositions, exhortant nos chefs d’entreprise à s’installer sur ce continent, notamment au moment où cinq pays de l’Afrique de l’Est se dotent d’une monnaie commune.

Ce sont des propositions engageantes, mais elles ne pourront être concrétisées que si nous osons changer de regard, d’abord sur nous-mêmes, mais aussi sur notre présence en Afrique. La composante économique de la diplomatie, qui n’est pas une tradition française, doit devenir une réalité. Je vous sais gré d’y avoir accordé la priorité à votre arrivée au Quai d’Orsay, monsieur le ministre.

Je le répète, la France n’a pas à rougir de ce qu’elle fait pour l’Afrique, en matière tant d’aide publique au développement que de coopération administrative, militaire et universitaire. Rappelons, par exemple, qu’elle forme dans ses institutions les futurs responsables politiques et militaires africains.

J’ai terminé mes remarques sur le volet « Afrique » et je souhaiterais maintenant attirer plus brièvement votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur une autre région qui mérite aussi pleinement que l’on s’y intéresse : le monde arabe.

Contrairement au Mali et à la République centrafricaine, nous ne sommes pas intervenus en Syrie, ce dont nous nous félicitons, car, là aussi, nous étions isolés et hors de tout cadre juridique prévu par les institutions de l’ONU.

Pourtant, la crise n’en finit plus et les morts se comptent par dizaines de milliers. La crise syrienne est un autre printemps arabe qui perdure. Dans ce pays, une fois encore toute une génération a grandi en ne connaissant qu’un seul régime, un seul homme qui a verrouillé le pouvoir et créé tout un système qu’il sera difficile de déconstruire.

Cependant, à l’inverse des crises égyptienne ou tunisienne, la crise syrienne s’apparente à un détonateur dans une région qui reste une poudrière. On le constate, hélas, au Liban ou en Turquie.

Aussi, monsieur le ministre, vous comprendrez bien que, à la veille de la conférence de paix sur la Syrie qui se tiendra le 22 janvier, nous souhaiterions avoir le maximum d’informations quant à la position de la France sur ce dossier très lourd et difficile, dont les enjeux dépassent la seule Syrie et concernent tout le Moyen-Orient.

D’autres sujets doivent encore être abordés, notamment celui de nos relations avec la Russie, que le président Carrère a évoqué. Une délégation sénatoriale, dont je faisais partie, s’est rendue dans ce pays voilà un mois. La Russie est un acteur majeur de la scène internationale et son langage diplomatique n’est pas fleuri : ses représentants disent clairement les réalités telles qu’ils les vivent. Nous avons pu le constater notamment au cours des négociations sur le nucléaire iranien et à propos du dossier des armes chimiques en Syrie.

Néanmoins, nos relations avec ce pays doivent être compatibles avec notre politique européenne. Dans ce cadre, il est question de la situation politique en Ukraine, avec en arrière-plan la question de son intégration à l’Union européenne. Il convient de rappeler que les pays qui se portent candidats doivent être en mesure de respecter des conditions élémentaires de démocratie et de liberté. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous dresser un point d’étape sur la situation en Ukraine ?

Nous aimerions aussi que vous puissiez nous donner un peu plus de détails sur ces fameuses initiatives franco-allemandes à venir annoncées par le Président de la République lors de ses vœux aux Français. Nous sommes évidemment très attachés au couple franco-allemand et nous avons, pour notre part, déploré des propos malvenus émanant de votre majorité au cours de l’année 2013 concernant cette relation. Nous souhaitons une relance de ce moteur de l’Europe, car celle-ci est toujours appréciable.

En conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, il importe que nous puissions être en mesure de peser sur la scène internationale pour permettre la résolution de ces problèmes qui menacent directement la sécurité du monde, ainsi que nos intérêts vitaux. Si cette ambition n’a pas de prix, elle a un coût. Nous regrettons que ce gouvernement n’en soit pas assez conscient, mais peut-être est-ce dû au manque de moyens. Monsieur le ministre, aurons-nous demain les moyens de notre politique étrangère ? Pour notre part, nous commençons à en douter. Le président Carrère rappelait le mot d’Alain Juppé, qui reste tout à fait d’actualité.

Il est temps que notre diplomatie soit un peu plus lisible, un peu plus compréhensible pour nos alliés et claire pour nos concitoyens, qui doivent la partager et la soutenir. Cela ne pourra pas se faire sans audace : il faut avoir l’audace de comprendre que le monde change parfois plus rapidement que nous ne le pensons.

En cette période de vœux, hormis des vœux personnels à votre attention, monsieur le ministre, j’en forme un plus politique : que la France soit encore à la hauteur de sa tâche et de sa mission dans le monde !

M. Laurent Fabius, ministre. Elle l’est !

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, vous avez été interrogé, et vous allez l’être encore, sur à peu près tous les problèmes de ce vaste monde. C’est le jeu de ce débat et c’est ce qui fait tout son intérêt, dans un monde en pleine mutation, rempli d’imprévus et d’intolérances prévisibles. La multiplication des zones grises où la gouvernance n’existe plus et où tous les terrorismes règnent mériterait à elle seule tout un débat.

Pour ma part, je vais vous parler d’autre chose, et les sujets que je vais évoquer ne seront probablement pas ceux auxquels vous vous attendez.

La politique étrangère de la France commence à la porte de nos ambassades : nos ambassadeurs sont la première vitrine de notre diplomatie. Au risque de paraître un peu entêtée, je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions sur le recrutement et sur la formation de nos ambassadeurs, ainsi que sur la façon dont est géré ce réseau de diplomates que le monde entier nous envie.

Je dirai d’abord quelques mots sur mes amis les ambassadeurs thématiques… J’aurais pu vous faire sur ce point quelques propositions à l’automne dernier, mais nous avons été privés du débat sur la deuxième partie du projet de loi de finances. Victoire de l’optimisme sur l’expérience, comme disait Henri VIII lors de son sixième mariage !

Je conteste, comme vous le savez, l’esprit et la méthode du recrutement de ces ambassadeurs. Au fur et à mesure des débats, j’ai pu obtenir des succès modestes et temporaires : j’avais demandé leur suppression et, récemment, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, le Sénat a adopté un amendement visant à obtenir un rapport sur le coût de ces diplomates.

Toutefois, quatre ou cinq ans plus tard, je n’ai toujours pas de réponse ! Mais, monsieur le ministre, vous n’êtes absolument pas en cause : ce système existait bien avant vous.

Quoi qu’il en soit, quels sont les critères de sélection ? Faut-il avoir été recalé du suffrage universel pour prétendre à cette fonction ? Quel est le coût de ces ambassadeurs ? À qui rendent-ils des comptes et remettent-ils des rapports ? Qui évalue la nécessité de leur mission et de leur action ? Nous n’en savons toujours rien !

Je n’aurai pas le mauvais goût de vous rappeler certains titres et certaines affectations... Je me contenterai de noter que, dernièrement, le 11 septembre 2013, Claudine Ledoux, ancienne députée de Champagne-Ardenne et ancien maire de Charleville-Mézières, a été nommée ambassadrice déléguée à la coopération régionale dans la zone de l’océan Indien. Je ne doute pas que cette mission ait été largement évaluée et soit absolument nécessaire !

La Cour des comptes s’intéresse d’ailleurs de près à ces ambassadeurs thématiques, pas nécessairement en raison de leur coût, mais plutôt parce que cette question est emblématique d’une méthode périmée et non transparente de dépense des deniers publics.

Je pense cependant que ces ambassadeurs thématiques pourraient trouver leur place dans l’architecture de notre diplomatie actuelle. Si nous avions examiné le budget de votre ministère, je vous aurais alors fait quelques propositions… Je vais donc vous les présenter ce jour.

La région du golfe Persique ou l’Asie centrale pourraient constituer des terrains d’expérimentation tout à fait exemplaires, notamment en matière culturelle. Ainsi, il serait intéressant de nommer un seul ambassadeur thématique culturel dans les pays du Golfe. En effet, le régime qui consiste à avoir un conseiller par ambassade me semble désormais un peu périmé. On pourrait donc désigner un seul conseiller par région. Cet ambassadeur devrait parler arabe, bien entendu, et pourrait transposer le travail accompli dans un pays à un autre, dans une zone où les effectifs de la coopération culturelle se multiplient, alors que ces diplomates ne font que dupliquer les mêmes politiques.

Des ambassadeurs thématiques pourraient également être nommés dans d’autres secteurs – je pense à la coopération médicale, aux énergies renouvelables, ou encore à la lutte contre la pollution – et être chargés de promouvoir notre technologie.

S’agissant de notre réseau diplomatique, seuls six ambassadeurs parmi ceux qui représentent la France dans les vingt-deux pays de la Ligue arabe parlent arabe, monsieur le ministre.

De ce point de vue, le changement de notre ambassadeur aux Émirats arabes unis a attiré l’attention. En effet, le nouvel ambassadeur ne parle pas arabe, tandis que son prédécesseur, absolument exceptionnel, qui avait également exercé la fonction au Qatar, s’est vu proposer un poste en Irlande. Malgré l’éminence et l’importance de ce poste, cette proposition a dissuadé ce dernier de rester dans notre haute administration diplomatique, ce qui est un peu dommage !

De surcroît, le premier conseiller aux Émirats ne parle pas non plus arabe. Je comprends que la langue véhiculaire soit l’anglais, mais étant donné l’importance de nos relations avec ces pays, notamment avec l’Arabie saoudite, il serait convenable et respectueux de nos hôtes que nos ambassadeurs parlent la langue du pays dans lequel ils sont nommés.

Monsieur le ministre, vous exercez la cotutelle sur l’Agence française de développement. Là aussi, comment pensez-vous mettre en place les outils d’évaluation que nous réclamons depuis des années et qui n’existent toujours pas, alors qu’il est tout de même indispensable que soit évalué l’emploi de l’argent du contribuable, que nous dépensons d’ailleurs volontiers pour cette aide au développement ô combien importante ?

Je voudrais simplement vous citer un exemple récent. L’Agence française de développement a concédé un prêt à l’Azerbaïdjan; or Dieu sait que ce pays n’en a absolument pas besoin ! Dans ce domaine, la cotutelle avec le ministre du commerce extérieur est importante.

Je le répète, je pense qu’il faut absolument, dans notre architecture, mettre en place ces outils d’évaluation.

M. Christian Cambon. Très bien !

Mme Nathalie Goulet. Cette remarque est liée à la diplomatie économique, que vous avez décidé d’encourager, ce qui nous agrée, car nous sommes très conscients de son importance.

Vous avez mis en place des ambassadeurs dans les régions et confié à certains de nos collègues élus des missions en Chine, en Algérie ou dans les Balkans. Je regarde avec intérêt et jalousie ces nominations…

M. Laurent Fabius, ministre. Je le sais !

Mme Nathalie Goulet. La jalousie, c’est très féminin, et c’est parfois légitime. J’ai au moins le mérite de ne pas être hypocrite ! (Sourires.)

Cela étant, disposez-vous déjà d’une évaluation de ces deux dossiers ou de retours ?

Pour conclure, monsieur le ministre, je vous parlerai non pas de l’Iran, pays pour lequel – vous le savez – j’ai des yeux de Chimène, mais de l’Azerbaïdjan. Cela devait arriver !

Vous avez promis d’effectuer une visite à Bakou, alors que notre pays détient un record Guinness : depuis dix-sept ans, aucun ministre des affaires étrangères français ne s’est rendu dans cette ville ! Or, dans ce laps de temps, l’Azerbaïdjan a changé. Il joue un rôle important en matière de stabilité énergétique et politique.

Parmi les pays du Caucase si prompts à s’enflammer, c’est probablement l’allié le plus sûr de la France et de l’Europe. Des accords de coopération les plus larges possible sont en passe d’être signés, ce qui est tout à fait légitime eu égard à ce qui se passe en Arménie, en Ukraine, ou encore à la situation difficile que connaît la Géorgie, où le Premier ministre a démissionné, à la suite de la désignation d’un nouveau Président de la République dont on ne peut pas dire qu’il a une expérience internationale majeure. L’Azerbaïdjan est visiblement un pays essentiel dans cette zone, aussi bien en ce qui concerne l’approvisionnement énergétique que la stratégie de l’Europe et de la France. Et les conditions économiques dans lesquelles nous travaillons avec l’Azerbaïdjan sont extrêmement satisfaisantes.

Les trois pays, dont la France, qui coprésident le groupe de Minsk étaient convenus qu’il n’était plus possible de maintenir le statu quo dommageable, c’est-à-dire l’occupation, officiellement reconnue comme telle, par l’Arménie de sept provinces voisines du Nagorno-Karabakh – je ne parle pas de celui-ci, car la situation est vraiment aussi compliquée qu’à Jérusalem !

À cette fin, monsieur le ministre, voyez-vous une piste pour reprendre le dialogue et pour rétablir la confiance entre les belligérants, laquelle, c’est le moins que l’on puisse dire, a totalement disparu ? Car, au contraire, la situation risque encore de se dégrader. Il faudrait évidemment que l’Arménie libère ces territoires occupés, ce qui permettrait à environ un millier de réfugiés azerbaïdjanais de revenir dans leur région. De surcroît, une telle action positive pourrait permettre le redémarrage de négociations sur le statut du Nagorno-Karabakh.

En conclusion, malgré les divergences de points de vue que nous pouvons exprimer sur certaines questions dans cet hémicycle, à l’étranger, nous sommes tous solidaires de la position de la France, y compris dans les moments les plus difficiles, comme peuvent en témoigner certains de mes collègues avec lesquels j’ai voyagé. (M. le ministre manifeste son approbation.) Nous soutenons votre action, monsieur le ministre. Vous pouvez accorder la plus grande confiance à la diplomatie parlementaire, laquelle n’est pas maladroite. (M. le président de la commission applaudit.)