Mme Catherine Deroche. C’est vrai !

M. Gilbert Barbier. Cela ne veut pas dire que toutes ses compétences doivent être concentrées sur quelques grands plateaux techniques. Les ex-hôpitaux locaux et les centres hospitaliers sans plateau technique peuvent trouver leur place dans une offre de proximité. Leurs missions sont importantes : appui des maisons de santé, participation à la formation des médecins généralistes, lien étroit avec la médecine de ville, gériatrie de premier niveau, médecine polyvalente (Mme Catherine Deroche opine.), soins de suite et de réadaptation... Ils peuvent aussi accueillir des consultations spécialisées avancées des CHU, notamment.

C’est bien pour cela qu’il ne faut pas fermer la porte à toute évolution des structures, dont un trop grand nombre a encore besoin d’adaptations, voire de mises aux normes. Ces évolutions doivent pouvoir se faire dans la concertation, avec la qualité des soins pour seule règle. Aussi, très majoritairement, le groupe RDSE ne soutiendra pas votre proposition de loi, madame la rapporteur.

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Laurence Cohen et Dominique Watrin vous ont exposé largement les raisons pour lesquelles un moratoire nous semble indispensable. Je ne reprendrai pas l’ensemble des arguments en ce sens, mais je veux, par des exemples précis, rendre plus palpable encore l’urgence qu’il y a à adopter aujourd’hui cette proposition de loi.

En effet, certains sont, aujourd’hui encore, tentés de croire que la taille des hôpitaux est une question centrale en matière tant de sécurité que de rationalisation de l’offre de santé. Il fallait en finir avec les hôpitaux de proximité nécessitant des investissements lourds, il fallait donc aller vers des hôpitaux géants, organisés comme des entreprises high tech. Pour autant, ces derniers ne sont pas exempts de toute critique. Ainsi, l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, ou l’hôpital privé issu de la fusion des hôpitaux Ambroise-Paré et Paul-Desbief à Marseille, qui sont des hôpitaux qualifiés d’« européens », permettent, il est vrai, des économies d’échelle, une rentabilisation accrue des matériels comme d’ailleurs des patriciens et des personnels infirmiers. Mais, dans le même temps, ils assèchent l’offre de soins dans un périmètre qui dépasse souvent la limite fixée comme tolérable des quarante-cinq minutes nécessaires à un patient pour se rendre de son domicile à l’établissement qui pourra le prendre en charge.

Malgré ce gigantisme, force est de constater que dans les classements de qualité publiés chaque année par la presse, ils ne brillent pas. Ces classements sont sans doute contestables, mais ils en valent bien d’autres, tels ceux qui ont servi à dénigrer la plupart des hôpitaux de taille modeste implantés sur nos territoires…

Ainsi dans celui du Point, Georges-Pompidou n’est que vingt-septième sur le plan national, sur un éventail de vingt-quatre pathologies, et Marseille, qui fait un beau tir groupé avec la trente-troisième place pour l’hôpital privé Saint-Joseph, la trente-quatrième pour l’hôpital de la Timone et la trente-neuvième pour l’hôpital Nord, attendra le prochain classement pour savoir si l’hôpital privé européen atteindra des objectifs plus ambitieux.

Mme Catherine Génisson. Le CHU de Lille est premier !

Mme Isabelle Pasquet. Comment croire qu’une croissance ramenée cette année à 2,4 % de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, le fameux ONDAM, pourrait déboucher sur une amélioration de l’offre de soins ? La seule « solution » qui reste à la portée des directeurs d’établissement réside dans la compression de la masse salariale, accompagnée des fermetures de services à la rentabilité insuffisante et de nouvelles suppressions de lits.

Dans les Bouches-du-Rhône, tous les hôpitaux publics de proximité sont asphyxiés par les restrictions budgétaires, les déficits parfois virtuels, les plans de retour à l’équilibre. C’est vrai à Aix, à Arles, à Martigues ou à Aubagne, malgré la mobilisation des collectivités territoriales, de leurs élus, qui savent les besoins et les contraintes de leurs populations.

Plus récemment, ce sont les structures psychiatriques publiques Valvert, Montperrin et Édouard-Toulouse qui se sont vu fragiliser et qui ont été contraintes à des choix préoccupants pour l’accueil dans de bonnes conditions des patients dans ces hôpitaux.

Avec un déficit cumulé avoisinant les 300 millions d’euros, une dette de 1 milliard d’euros, pour un budget de 1,2 milliard d’euros, c’est le centre hospitalier régional de Marseille lui-même qui est désormais menacé.

De restructuration en restructuration, la dimension universitaire fait de plus en plus figure de parent pauvre de la carte hospitalière marseillaise, qui pourrait à très court terme se retrouver avec seulement deux sites CHU, et ce alors que la deuxième ville de France a par ailleurs une tradition reconnue internationalement en recherche médicale universitaire.

Ne croyez pas que je noircisse le tableau : nous avons combattu la volonté de fermer l’hôpital sud Sainte-Marguerite, et il est encore en service. Mais à quel prix ! Il a perdu son service d’urgences, a fermé son service de médecine chirurgie obstétrique, ce dans un périmètre géographique où sont implantées pas moins de vingt-six cliniques privées.

Là aussi, la « rationalisation » profite au secteur privé, dont le développement et la richesse sont pourtant en fait directement dépendants de notre politique publique d’accès aux soins et de leur remboursement par la sécurité sociale.

Mais, comme cela ne suffisait pas, le projet régional de santé a intégré dans ses préconisations la fermeture de l’hôpital de la Conception. Devant le tollé provoqué par cette nouvelle, l’Agence régionale de santé, l’ARS, a fait machine arrière, non sans avoir au préalable fermé le service des urgences.

La création d’une mission de chirurgie ambulatoire confiée à l’établissement de la Conception a servi par ailleurs à un jeu de chaises musicales, avec des lits et des services transférés entre les différents hôpitaux de Marseille, contribuant toujours davantage à la spécialisation au détriment de la pluridisciplinarité.

Le cœur de tous ces changements n’est à l’évidence pas la réponse aux besoins de la population marseillaise.

En revanche, dans ces établissements hospitaliers géants se regroupent les services fermés ailleurs.

Dans le même temps, l’hôpital Nord, qui rayonne sur les quartiers les plus populaires de la ville, lesquels concentrent une population importante souvent confrontée à la précarité dans l’emploi, le logement, l’éducation ou la culture, vient de se voir amputé de son centre d’odontologie et devrait voir – sauf à voter ce moratoire que nous vous proposons – fermer à l’horizon 2016 ses deux unités de chirurgie pédiatrique et ses cinq lits de réanimation pédiatrique. De l’aveu des médecins et des médecins anesthésistes eux-mêmes, cela hypothéquerait l’existence des urgences infantiles et des services de pédiatrie dans le secteur où le nombre d’enfants est le plus important de la ville.

Cette aberration, parmi d’autres, est contestée par la communauté aussi bien médicale que sociale, syndicale ou politique, mais l’ARS, forte de votre soutien, madame la ministre, campe toujours sur une attitude pour le coup dogmatique où le comptable prime les besoins en santé.

Si je disposais de plus de temps, j’aurais pu aussi vous entretenir des menaces qui pèsent sur l’hôpital Beauregard, qui ne dispose toujours pas d’un projet médical, alors que celui-ci aurait dû être mis en œuvre à compter du 1er janvier.

J’aurais pu vous parler des menaces qui pèsent sur les centres de santé du Grand conseil de la mutualité, qui participe largement, à Marseille, à l’offre de soins.

Je pourrais aussi vous parler de la lutte des sages-femmes, de l’inquiétude – des femmes, en particulier – quant au devenir des centres d’IVG.

Voter ce moratoire nous laisserait le temps d’engager enfin un réel débat démocratique dans nos territoires avec l’ensemble des acteurs sur une politique de santé répondant réellement aux besoins des patients, avec des équipes médicales mobilisées et des équipements modernes alliant proximité et excellence technique. Cela nous paraît une sage politique.

Certes, nous mesurons combien cette proposition de loi a un objectif limité au regard de l’enjeu, mais j’ai la faiblesse de penser que le Sénat peut, ici et maintenant, contribuer au changement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.

Mme Catherine Génisson. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi dont notre collègue Laurence Cohen est rapporteur permet d’engager un débat – ce qui est déjà très bien – sur l’organisation de notre système de santé en posant le sujet des restructurations hospitalières, avec suppression de lits ou non.

Nous sommes nombreux – nous sommes même unanimes – à reconnaître que ce sujet est urgent, qu’il soulève de vraies questions. Cependant, pour beaucoup d’entre nous, la solution proposée semble inadaptée.

En ce qui me concerne, madame la rapporteur, j’adhère à votre rapport quand vous valorisez l’excellence de l’hôpital public – ce qui a d’ailleurs été souligné également par Mme la ministre –, quand vous demandez que soit approfondie la valeur « service public hospitalier » et que soit revue la gouvernance des hôpitaux, ainsi que la nécessité de redonner de la vitalité à la démocratie sanitaire.

La question des restructurations hospitalières est réelle, mais elle doit être intégrée dans une refondation en profondeur de notre système de santé, lequel doit notamment prendre en compte, de manière obligatoire, l’organisation des soins autour des patients, tout en garantissant l’égalité d’accès.

Le soin de premier recours ne peut être dissocié de ce débat.

Beaucoup d’entre nous se sont largement exprimés sur ce sujet et, madame la ministre, vous avez mis en valeur tout ce qui a déjà été fait dans le cadre de la stratégie de santé.

À l’instar de nombreux élus de nos territoires, Mme la rapporteur évoque la fonction d’aménagement du territoire des hôpitaux ainsi que leur rôle d’employeur. Si c’est une réalité et si le sujet de l’emploi hospitalier, en particulier, doit être au cœur de nos préoccupations, ce constat ne doit pas pour autant être un préalable à notre discussion.

L’exigence qualitative de l’offre de soins a été exprimée avec force par toutes les personnes auditionnées. Le représentant du conseil de l’Ordre, parmi d’autres, nous disait qu’il envoyait ses patients là où lui-même souhaiterait être hospitalisé. Le nouveau directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris – Jacky Le Menn l’a déjà cité –, au regard des progrès médicaux, témoigne que l’inertie joue contre l’hôpital et indique que le système de santé doit rester vivant, en particulier le système hospitalier.

La prise en charge des patients évolue beaucoup au regard des progrès de la médecine. Notre collègue Gérard Roche évoquait le changement de cap concernant la prise en charge de l’infarctus du myocarde. Les techniques chirurgicales, grâce notamment aux progrès de l’imagerie médicale, ont beaucoup évolué et ont permis des temps d’hospitalisation souvent beaucoup plus courts, ce qui entraîne de fait la valorisation de la chirurgie ambulatoire, la réorganisation des lits chirurgicaux et, constatons-le, la réduction de leur nombre.

Pour autant, une courte hospitalisation ne veut pas dire que le patient retrouve son autonomie dès son retour à domicile. Des propositions de suivi, en concertation avec les professionnels de santé de premier recours, peuvent être mises en place par des consultations organisées dans les hôpitaux de proximité par exemple.

Nous devons faire preuve d’imagination, d’une grande vigilance concernant ces hôpitaux de proximité, qui peuvent être des lieux d’accueil, de consultation, en amont ou en aval d’actes plus lourds effectués dans des établissements plus spécialisés.

Mes collègues ont également évoqué tout ce qui peut être pratiqué dans ces hôpitaux de proximité. Leurs équipes soignantes doivent pouvoir travailler en étroite collaboration avec les hôpitaux plus importants afin que les progrès médicaux perdurent et que les pratiques médicales puissent s’améliorer continuellement.

Il s’agit en fait de développer des coopérations intelligentes. Madame la ministre, vous y avez consacré une large part de votre intervention.

Par ailleurs, – et cela n’a pas été évoqué – je voudrais souligner, au sujet de la question de l’éloignement entre le lieu de résidence du patient et l’établissement hospitalier de prise en charge, que nous disposons en France d’une médecine préhospitalière de très grande qualité, qu’il convient de conforter en étroite collaboration avec les sapeurs-pompiers, qui sont souvent à nos côtés dans ces occasions.

Madame la rapporteur, l’article 1er de votre proposition de loi traite de la question des regroupements hospitaliers, les communautés hospitalières de territoire, créées par la loi HPST, mais vous avez peu évoqué ce sujet dans votre rapport.

Les communautés hospitalières de territoire doivent pouvoir offrir, sur leur aire géographique d’implantation, une prise en charge globale des patients, mais aussi permettre d’aborder l’excellence. Cela suppose des négociations très approfondies entre les différents acteurs concernés. Le sujet n’est pas aisé : ainsi, un hôpital peut perdre le leadership sur la prise en charge d’une pathologie, celle-ci étant confiée à un hôpital plus performant.

Ces démarches sont nécessaires, elles sont longues, difficiles, mais urgentes à conduire – pour présider une conférence de territoire, je peux vous dire que le sujet est ardu. Elles doivent être abordées en tant que coopération, avec exigence de formation, de permanence des soins et également de recherche.

Dès lors, le moratoire, tel que vous le proposez, madame la rapporteur, n’est pas adapté. En effet, il est important d’avancer. Pour autant, la démocratie sanitaire doit s’exercer. Si le colloque singulier reste la relation essentielle entre le patient et son médecin, prenons en compte l’évolution de notre système de santé vers une médecine populationnelle avec l’intervention de différents acteurs, ce qui nécessite des regroupements pluriprofessionnels ainsi que la prise en compte des questions sociales.

Notre collègue Jacky Le Menn a indiqué que le groupe socialiste ne votera pas cette proposition de loi compte tenu du caractère inadapté de la solution proposée. Pour autant, je vous remercie, madame la rapporteur, d’avoir permis le débat. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)

Mme Catherine Génisson. Nous avons le devoir d’exprimer notre exigence de démocratie sanitaire et de ses modalités d’application. En particulier, l’ensemble des personnels hospitaliers doit pouvoir être associé, à côté des autres acteurs, à la discussion en amont avant toute réorganisation.

Une démarche de procédure qualité peut être une piste de réflexion de travail. L’égalité d’accès à des soins de qualité est un droit premier de notre République. Le sujet, madame la ministre, sera traité dans le cadre du projet de loi de santé publique, que nous attendons tous avec impatience. Je connais votre volonté d’élaborer celui-ci dans la concertation. Vous serez demain à Lille pour traiter du sujet, vous serez également présente au centre hospitalier de Lens, dont la situation a été évoquée par notre collègue Dominique Watrin, parce que vous connaissez bien le territoire.

Je voudrais vous dire, madame la ministre, que nous comptons sur votre détermination, sur votre engagement, pour que l’examen de ce projet de loi de santé publique soit rapidement inscrit à l’ordre du jour des travaux parlementaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous venons d’avoir un débat de qualité. Qu’il me soit permis néanmoins de réagir rapidement à certaines prises de position.

Je dirai à Mme Isabelle Pasquet, qui a inscrit logiquement son intervention dans le prolongement de celles de M. Watrin et de Mme Cohen, que la taille n’est pas un critère. Madame la sénatrice, vous avez beaucoup argumenté autour de cette idée. Selon vous, notre seule exigence serait de supprimer les petites entités au profit de plus grandes. La question du service public hospitalier se poserait donc dans les mêmes termes aujourd'hui qu’il y a quelques années. Dois-je vous rappeler que l’hôpital Georges-Pompidou, à Paris, fait partie du service public hospitalier ? La taille n’a par conséquent pas grand-chose à voir avec l’enjeu.

Vous avez indiqué que cet hôpital était moins bien classé, non pas par rapport à certaines petites structures, mais par rapport à d’autres établissements de taille importante, qui sont tous des CHU concentrant des moyens significatifs. Ce qui est intéressant dans les palmarès que vous citez, qui valent ce qu’ils valent, c’est que l’on retrouve très régulièrement en tête de classement des établissements régionaux.

L’hôpital Georges-Pompidou doit peut-être s’améliorer dans certains secteurs. Quoi qu’il en soit, nous lui devons la première implantation mondiale d’un cœur artificiel…

M. Yves Daudigny. C’est vrai !

Mme Marisol Touraine, ministre. … grâce à la ténacité et à l’engagement d’un grand serviteur du service public hospitalier, le professeur Carpentier, lequel n’a pas pour autant omis de nouer des contacts avec des industriels et des acteurs de l’innovation capables de développer la prothèse qu’il avait conçue.

Madame la sénatrice, il ne s’agit pas d’opposer les petites structures aux grandes ; là n’est pas le problème dans notre pays. Il s’agit bien plutôt de faire en sorte, dans les territoires qui ne peuvent être évidemment dotés de grandes structures – je pense, notamment, aux zones rurales –, que les petites structures développent les coopérations, comme vous avez été nombreux à le souligner, avec des hôpitaux de référence, afin d’éviter de grands déplacements pour effectuer des actes médicaux quotidiens et aisés ne nécessitant pas une très grande spécialisation.

Madame Archimbaud, je suis extrêmement sensible à l’argument que vous avez mis en avant d’une plus grande démocratie sanitaire. Je suis persuadée que le développement de nos politiques de santé, qu’il s’agisse de santé publique ou d’organisation des soins, implique un renforcement des mécanismes et des structures de la démocratie sanitaire.

La loi qui mettra en place la stratégie nationale de santé, à laquelle je travaille, comportera un pilier explicitement relatif au développement de la démocratie sanitaire. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a évidemment marqué une étape décisive en ce sens. Elle a posé une première pierre - et quelle pierre ! - à l’édifice, puisqu’elle a mis en exergue les droits individuels. Nous devons aujourd'hui développer les droits collectifs, notamment à partir de l’idée de la coconstruction, de la coopération entre les acteurs.

Cela ne signifie pas que les usagers disposeront nécessairement d’un droit de veto, pas plus qu’ils n’auront le dernier mot, mais leurs paroles doivent être entendues et intégrées dans les processus de décision. C’est un point auquel j’attache une très grande importance. En cela, je rejoins Catherine Génisson : la question de la démocratie sanitaire renvoie non pas seulement aux enjeux de santé publique, mais bien à l’organisation du système de soins.

Mettre en avant la prévention, cela signifie que les professionnels de santé, notamment pour la médecine préhospitalière, que je soutiens dans sa démarche, doivent avoir désormais une approche « populationnelle » et ne doivent pas simplement se concentrer sur la relation singulière entre le médecin et son patient.

Les médecins doivent désormais prendre en charge l’évolution en santé publique d’un bassin de vie, d’une population entière. Cela participe aussi de notre approche d’une démocratie sanitaire renforcée.

Monsieur Savary, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt votre intervention, notamment la référence que vous avez faite à une tribune publiée dans un journal du matin, Libération, où Claude Évin mettait en avant les principes de la stratégie nationale de santé, ce qui est bien naturel de la part du directeur général de l’agence régionale de santé de la plus grande région de France.

La mise en œuvre des principes de la stratégie nationale de santé se fera autour du développement de la prévention et de la réorganisation de l’offre de soins. Vous avez parfaitement exposé, monsieur le sénateur, les orientations qui seront celles de la stratégie nationale de santé, au sujet de laquelle vous espérez des précisions. Nous ne manquerons pas de vous les fournir. En tout état de cause, puisque vous approuvez le principe de cette démarche, j’espère que nous pourrons compter sur votre soutien lors de l’élaboration de la loi.

D’ailleurs, cette loi me paraît de nature à susciter autour d’elle un large consensus, car, en matière de santé, nous devrions tous être capables de dépasser les clivages qui nous opposent habituellement, dans cet hémicycle en particulier.

Gérard Roche a raison de mettre l’accent sur la qualité. Au fond, c’est cette exigence qui doit nous guider. La qualité peut être au rendez-vous aussi bien dans les grandes que dans les moins grandes structures, mais aucune d’entre elles ne peut être privilégiée au détriment de la qualité. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner ici même, j’ai été amenée à demander la fermeture, il y a quelques mois, d’un établissement d’Île-de-France qui n’apportait pas toutes les garanties en matière de sécurité et de qualité des soins à nos concitoyens, en l’occurrence, à nos concitoyennes, puisqu’il s’agissait d’une maternité . L’établissement a rouvert ses portes dès qu’il a de nouveau satisfait aux critères de qualité. À l’inverse, j’ai maintenu ouvertes des maternités - je pense en particulier à l’une d’entre elles, dans la Drôme-, qui satisfaisaient aux critères de sécurité, sans toutefois répondre aux exigences habituelles en termes de taille, de nombre d’accouchements ou d’effectifs de professionnels.

Vous le voyez, madame Pasquet, je ne me préoccupe pas uniquement du quantitatif et je prends bien en compte le qualitatif.

M. Jacky Le Menn a parfaitement indiqué les enjeux et les réponses à apporter. Nous avons la volonté de faire vivre le service public hospitalier. Or, justement, un service public vivant doit s’adapter aux réalités de la société. Il s’agit de mettre en exergue la pertinence des soins et des actes, de déterminer des critères de réorganisation tenant compte des mouvements de population, du vieillissement de celle-ci, du développement de certaines maladies chroniques.

C’est dans sa capacité à établir des relations avec les médecins de ville, avec les établissements de soins de suite et avec les établissements médico-sociaux que se joue la vitalité de l’hôpital public. Mettre de plus en plus l’accent sur des soins de proximité n’est pas contradictoire avec la volonté de faire de l’hôpital un lieu de coopération, un lieu de recours. De ce point de vue, Jacky Le Menn a parfaitement souligné les orientations que nous devons suivre.

Enfin, je terminerai en disant à Gilbert Barbier que toutes les questions qu’il aborde se trouvent au cœur de la stratégie nationale de santé, qui doit être approfondie. Actuellement, vous le savez, monsieur le sénateur, de nombreux débats sont organisés dans les régions. D’ici à la fin du mois de février, près de deux cents débats auront eu lieu. Chacun doit pouvoir apporter sa contribution, dans une démarche démocratique : populations, élus, acteurs de santé, établissements de santé, professionnels. De cette manière, pour reprendre l’excellente formule de Jacky Le Menn, nous parviendrons à trouver cet équilibre qui, par définition, se déplace, entre sécurité, proximité et efficacité.

C’est grâce à la manière dont nous parviendrons à articuler ces exigences toutes d’égale importance, que nous serons capables de répondre aux besoins de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Madame la ministre, ce débat est effectivement très intéressant, qui met l’hôpital, la santé publique et la conception que chacun s’en fait au cœur de nos échanges.

Je profiterai de l’occasion qui m’est offerte pour redire ici, une bonne fois pour toutes, car plusieurs de mes collègues et même Mme la ministre ont déploré cet état de fait, que, si nous n’avons pu examiner en séance le volet « dépenses » du projet de loi de financement de la sécurité sociale, c’est que tous nos amendements proposant de nouveaux financements pour la santé ont été rejetés.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

Mme Laurence Cohen, rapporteur. À partir de là, et puisque les recettes étaient largement insuffisantes par rapport aux besoins de santé, nous ne pouvions accepter de poursuivre plus avant l’examen du texte.

Au sein du groupe CRC, nous assumons cette position, et nous prenons la pleine et entière mesure de notre responsabilité.

Si nous pouvions aboutir, au sujet des financements, à une collaboration de l’ensemble des groupes de la majorité, nous parviendrons peut-être à nous retrouver dans un vote commun.

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Certes, plus de 1 milliard d’euros ont été consacrés à l’hôpital public. Néanmoins, le groupe CRC n’est pas le seul à avoir noté que l’ONDAM était dramatiquement insuffisant ; et ce ne sont pas nécessairement les personnes les plus radicales dans leurs propos qui l’affirment : même la Fédération hospitalière de France le relève !

Les moyens accordés aujourd'hui, notamment à l’hôpital, mais pas seulement, sont insuffisants. C’est pourquoi nous continuons à défendre l’idée selon laquelle il faut partir des besoins de la population et des territoires, et y répondre.

Je me réjouis que plusieurs de mes collègues - et vous-même, madame la ministre -, aient insisté sur le bien-fondé de la démarche qui consiste à faire vivre la démocratie sanitaire.

J’attire cependant votre attention sur un point. Dans cet hémicycle, nous sommes tous d’accord quand il s’agit d’accorder la priorité à la qualité des soins, ce qui me semble tout de même un minimum. Quoi qu’il en soit, nous sommes d’accord, c’est déjà très bien ! Néanmoins, quand nous parlons de démocratie sanitaire, nous le faisons après coup. En tant que sénatrice, j’ai été amenée à visiter, comme chacun d’entre nous ici, un certain nombre d’établissements. Tout dernièrement, je me suis rendue à la maternité des Lilas et à l’Hôtel-Dieu, où j’ai entendu des personnels, des usagers, des élus avancer des propositions alternatives afin de sortir des schémas dépassés, ou des schémas du passé, comme vous préférez, et d’inscrire l’hôpital dans le XXIe siècle. Or toutes ces consultations ne sont jamais prises en compte.

Aujourd'hui, les ARS ont la mainmise, leurs directeurs disposent d’un pouvoir exorbitant et il n’y a pas de contre-pouvoir.

Je me réjouis de ce que la nouvelle loi de santé publique prenne en considération ce volet, mais je me demande pourquoi mes collègues, et le Gouvernement, ont peur d’un moratoire. C’est un outil et non un moyen de tout figer, comme certains le prétendent ici !

Aujourd'hui, nous dénonçons tous le numerus clausus, mais les avis n’étaient pas aussi concordants lorsqu’il a été instauré, dans les années soixante-dix, sous Chaban-Delmas et Pompidou, ni quand il a été aggravé au fil des années, quels que soient d’ailleurs les gouvernements.

Aujourd'hui, tout le monde s’accorde pour reconnaître que l’on manque de médecins. Je ne voudrais pas que, demain, contraints à la même analyse cette fois concernant les restructurations et les fermetures de services, nous n’ayons plus qu’à nous lamenter sur les conséquences de ce que nous aurons laissé faire. Bien sûr, je ne sous-estime pas la nécessité des pôles d’excellence, des plateaux techniques performants, dans l’intérêt des patients, notamment de leur sécurité. Mais cela n’est pas en contradiction – vous l’avez dit, madame la ministre – avec des hôpitaux de proximité, dont on a aujourd'hui besoin. En effet, s’il n’y a plus d’hôpitaux de proximité, où les gens iront-ils se faire soigner ?

On peut aussi envisager des équipes médicales mobiles. Les populations ne sont pas les seules à pouvoir se déplacer, les médecins et les équipes peuvent également le faire.

Voilà des points qu’il me semble important de souligner.

En proposant ce moratoire, le groupe CRC ne cherche pas à défendre l’emploi pied à pied. Se définir comme communiste républicain et citoyen n’implique pas d’être complètement figé dans des positions dogmatiques ou de principe. Il faut cesser ces caricatures !

Sur l’ensemble de ces travées, nous sommes tous d’accord – pour le coup, c’est formidable, il y a un vrai consensus ! – sur la nécessité de répondre aux besoins de santé. Peut-être ai-je une oreille sélective, mais j’ai entendu dire – de la part des usagers, des personnels, des élus –, que, pour répondre aux besoins de santé, il fallait des moyens, financiers mais aussi humains.

Lors de mes déplacements en région, à l’occasion de visites d’établissements hospitaliers, j’ai entendu les personnels se plaindre du manque d’effectifs et dire qu’ils n’en pouvaient plus, et ce n’est pas seulement parce que je suis sénatrice du groupe communiste républicain et citoyen, je pense que vous avez tous recueilli les mêmes témoignages, chers collègues.

Alors, certes, l’emploi n’est pas mis en exergue dans le corps de la proposition de loi, mais relisez l’exposé des motifs, et vous verrez que cette préoccupation est bien présente dans notre démarche. Et pourquoi faudrait-il s’en défendre ? L’emploi n’est pas un gros mot, tout de même ! Il faut effectivement des personnels pour faire vivre un système hospitalier digne de ce nom.

Qu’il faille faire preuve d’imagination, d’audace, soit ! Cependant, chers collègues, quand vous soutenez que la question qui est ici soulevée est bonne, ce dont je me réjouis, mais que la réponse apportée est mauvaise, je m’interroge : et votre réponse ? C’est curieux, je ne l’ai pas entendue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)