M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il est désormais possible puisque la loi a été votée !

Mme Hélène Lipietz. Il est possible dans les textes, mais reste à voir ce qu’il en sera dans la pratique.

Je reprends : après avoir voté une loi sur l’impossible référendum d’initiative partagée, nous nous interrogeons sur le vote blanc, non pas pour le décompter du résultat, mais simplement pour le compter à part : le vote blanc serait donc, dans une démocratie, une lèpre presque aussi indigne que le vote nul ou l’abstention…

Or, pour certains électeurs et électrices, voter blanc, c’est bien adhérer à notre système électoral et sacrifier la pêche ou le bridge pour se rendre aux urnes, mais sans être satisfaits par aucun des choix politiques proposés. Ces électeurs et électrices ne sont pas opposés à tout : ils sont simplement insatisfaits de ce qu’on leur propose.

Si voter, c’est prendre une décision, encore faut-il que ce qui est proposé soit à la hauteur de l’enjeu. Et si tel n’est pas le cas, qui est en tort ? Les politiques, au sens de partis ou d’individus s’intéressant à la politique, ou bien les citoyens et citoyennes qui nous délèguent l’organisation de la cité, sous la condition, peut-être même sous l’unique condition que cette délégation soit en accord avec leurs attentes ?

En votant blanc, les citoyens et citoyennes nous mettent face à nos responsabilités : nous n’avons à leur proposer rien ni personne dans quoi ou dans qui ils se reconnaissent et retrouvent leurs idées. Ce n’est pas qu’ils votent contre tous les candidats, comme dans certains pays communistes, c’est qu’ils ne votent pour personne. Intellectuellement, c’est très différent !

Or nous ne savons pas prendre en compte cette différence. Nous sommes persuadés que, dans notre démocratie, nous offrons la palette de choix qui devrait satisfaire « tous les publics ». Mais dans le pays aux trois cent soixante-cinq fromages, il y a toujours des insatisfaits ; il faut le reconnaître, et surtout en tirer les conséquences.

Le texte que nous nous apprêtons à voter reste au milieu du gué, comme l’a dit si justement le doyen Gélard en commission. En effet, si nous voulons bien distinguer les votes blancs des votes nuls, si nous voulons bien les compter à part, nous n’admettons toujours pas qu’ils puissent prendre part à l’expression démocratique puisque nous ne les décomptons toujours pas du résultat final : on les compte, mais sans les décompter. Quel paradoxe !

Pourtant, le décompte réel des votes blancs ferait apparaître la modestie de certains résultats. Quand il n’y a qu’une liste, celle-ci obtient un score « à la cubaine » : 100 % des électeurs ont voté pour la liste ! Et de mettre dans la même « urne » les abstentions, les votes nuls et les votes blancs… Avec cette loi, le résultat ne changera pas, alors même qu’il ne reflète pas la popularité de la liste ainsi élue.

Par ailleurs, pourquoi craindre que la mise à disposition de bulletins blancs ne favorise cette expression ? C’est prendre ceux qui votent vert, bleu, rouge ou rose et ceux qui votent blanc pour des lunatiques qui se déterminent au dernier moment ! C’est, encore une fois, ne pas avoir confiance dans les électeurs et électrices, alors que nous leur demandons de nous faire confiance.

Au Sénat, des bulletins blancs – de couleur rouge – sont à notre disposition. Je ne pense pas que nous en abusions ! Les écologistes vont ainsi voter pour ce texte – en utilisant un bulletin sénatorial de couleur blanche –, même si la proposition de ne les satisfait pas dans la mesure où elle ne constitue à leurs yeux qu’un timide premier pas. En outre, nous craignons qu’il ne soit désormais impossible de revenir sur le sujet avant un certain temps, voire un temps certain.

Alors que le Gouvernement baisse les bras face à des rassemblements non élus, ce qui revient à laisser en plan des milliers de familles recomposées confrontées à des problèmes quotidiens, il y a fort à parier que les « votants blancs » verront leur nombre augmenter silencieusement, en quête de la reconnaissance que nous avons eu peur de leur donner. Et pourtant, mieux vaut voter blanc que bleu Marine. (M. le président de la commission des lois et M. Jean-Pierre Michel applaudissent.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La chute est bonne !

M. le président. La parole est à M. Pierre Charon.

M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture a été débattu ici en première lecture voilà déjà un an. Alors que nous avançons vers un certain consensus sur la reconnaissance du vote blanc – on peut le constater en écoutant les orateurs qui se sont succédé à la tribune –, il est nécessaire, pour toutes les raisons que nous avions évoquées en première lecture, d’adopter ce texte sans plus attendre.

Le vote blanc est l’expression d’un point de vue, notamment celui de l’insatisfaction au regard de l’offre politique proposée. Le vote blanc est bien l’expression d’une opinion et même d’un message politique. Selon moi, nous devons le considérer comme un thermomètre de la démocratie, non comme une vague fantaisie d’électeur.

Reconnaître le vote blanc, c’est prendre en considération le choix de certains électeurs, qui ne se reconnaissent pas dans l’offre politique, y compris celle des extrêmes, ou qui, ne croyant plus aux messages politiques qu’ils reçoivent, ressentent de la détresse. Nous devons être capables d’entendre ces voix pour porter mieux encore un projet susceptible de répondre aux préoccupations du plus grand nombre de citoyens.

Au-delà des modifications formelles visant à rendre applicable le dispositif aux élections municipales, les modifications issues de la deuxième lecture par l’Assemblée nationale portent sur deux points : le cas des enveloppes vides – doivent-elles être comptabilisées comme vote blanc ou comme vote nul ? – et la date de l’entrée en vigueur du texte – doit-il être applicable aux élections municipales de 2014 ?

Pour ce qui concerne les enveloppes vides, le Sénat avait choisi de rester prudent sur le périmètre du vote blanc, afin de distinguer l’intention politique – le vote blanc – de l’erreur ou de la maladresse qui conduit au vote nul. Afin d’éviter tout amalgame, notre assemblée avait exclu le cas de l’enveloppe vide de ce périmètre, contraignant l’électeur à produire une action positive, consistant à se munir lui-même d’un bulletin blanc.

Pour autant, l’objet de la proposition de loi est d’accorder une véritable reconnaissance au vote blanc. Dans ce cas, il est contradictoire de complexifier l’accès au scrutin à ceux qui souhaitent recourir au vote blanc. Or tel sera le cas si l’on oblige les électeurs à prévoir un bulletin blanc non fourni par les autorités organisatrices.

A contrario, si le bulletin est fourni par les autorités organisatrices, on tombe dans l’excès inverse et on consacre le vote blanc comme une « offre politique » à part entière, comparable à celle des différents candidats.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Pierre Charon. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre reconnaissance effective du vote blanc et nécessité de ne pas décourager l’adhésion à l’engagement politique qui s’exprime au travers d’une candidature. La reconnaissance de l’enveloppe vide en tant que vote blanc pourrait donc permettre de concilier la volonté de donner une pleine valeur au vote blanc sans pour autant basculer dans l’incitation à y recourir, ce qui serait le cas si un bulletin blanc fourni par les autorités organisatrices figurait parmi les bulletins correspondant à des candidatures.

Concernant la date d’entrée en vigueur de ce texte, le Sénat avait prévu, en première lecture, de le rendre applicable pour les élections municipales de 2014. L’Assemblée nationale souhaite, elle, que le texte entre en vigueur le 1er avril 2014, soit après ces mêmes élections. Si la brièveté de l’échéance est invoquée pour justifier un tel report, on ne peut ignorer la petite manœuvre politique visant à « sauver les apparences » de ce qui s’annonce comme un vote-test pour le Gouvernement.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela n’a aucun sens ! C’est absurde !

M. Pierre Charon. Mes chers collègues, sortons des hypocrisies et des postures ! Nous pourrions encore débattre de ces questions et affiner les choses, mais le temps passe et des échéances électorales majeures approchent. L’objectif de mise en œuvre rapide de cette réforme doit nous conduire à voter ce texte, afin d’éviter un nouveau report qui serait incompris des électeurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission des lois et M. Jean Boyer applaudissent également.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. J’applaudis, malgré la présence d’une phrase superfétatoire !

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de la pleine reconnaissance du vote blanc est récurrente en France. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, de nombreuses propositions de loi ont été déposées sur le bureau de l’Assemblée nationale et du Sénat ; elles avaient pour objet de reconnaître, d’une manière plus ou moins étendue, ce type de vote, afin de répondre aux attentes de nombreux électeurs.

Puisqu’elle a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, la proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui semble faire consensus ; le vote blanc devrait enfin trouver sa place dans notre droit électoral.

Elle fait consensus au moins sur le principe ; reste toutefois à nous entendre sur les modalités offertes à un électeur souhaitant voter blanc.

Nous nous sommes entendus sur le principe de séparation comptable à l’issue du dépouillement des bulletins blancs et des bulletins nuls. Il est certain que voter blanc ne relève pas de la même logique que voter nul. Ce nouveau mode de comptabilisation permettra de connaître l’ampleur du vote blanc. Comme nous l’avons dit en première lecture, le vote blanc est un acte raisonné, délibéré et positif, dans le sens où l’électeur a conscience de la portée de son geste, contrairement au vote nul, qui tient soit à une maladresse – le plus souvent –, soit à la volonté d’une personne de manifester son hostilité en biffant le nom figurant sur le bulletin ou en y inscrivant un commentaire quelconque.

La distinction claire entre ces deux votes pourra aussi éclairer les électeurs, qui ne perçoivent pas toujours nettement la différence de portée symbolique entre le vote blanc, le vote nul et l’abstention.

En première lecture, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, nous avons écarté l’idée de comptabiliser le vote blanc comme suffrage exprimé. Au vu de la rédaction de notre code électoral, cette solution paraît aujourd’hui opportune car, comme le précise le rapport, si l’on considère que l’élection a pour but d’aboutir à une décision, il serait paradoxal de considérer le refus de l’offre politique comme un suffrage exprimé.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Par ailleurs, l’interprétation du vote blanc est délicate : il peut en effet donner lieu à de multiples hypothèses. J’évoquais le refus du choix politique, mais il peut aussi être interprété comme une manifestation d’hostilité à l’égard de la politique en général ou encore comme une difficulté à choisir entre les différents candidats.

L’ensemble de ces difficultés ne doit pas nous conduire à clore le débat au détour d’une proposition de loi. Toutefois, pour l’heure, nous nous rallions à la position commune minimale qui fait consensus. Mais pourquoi ne poursuivrions-nous pas la réflexion dans le cadre de nos prochains travaux ?

Sur la question des modalités offertes à l’électeur pour voter blanc, le rapporteur a détaillé les divergences initiales entre les deux assemblées. Le Sénat a considéré que le vote blanc, acte délibéré, devait s’exprimer par l’action positive que serait l’introduction d’un bulletin blanc dans l’enveloppe. Notre commission des lois s’est finalement ralliée à la position de l’Assemblée nationale, qui estime qu’une enveloppe vide peut valoir bulletin blanc. Une telle solution paraît convenable dès lors que l’électeur est parfaitement informé des conséquences de son vote.

Pour l’heure, nous voterons cette proposition de loi, tout en soulignant que ce ne sont pas de petites évolutions législatives telles que celle-ci qui permettront de répondre au problème de l’abstention ou, plus largement, à la crise de la représentation politique, que reflète aussi la multiplication des votes blancs.

Nous attendons une réforme d’ampleur de nos institutions, afin de permettre une juste représentation de la diversité des sensibilités politiques, car le bipartisme, le sentiment que tout est déjà tranché, réglé d’avance, ainsi que des alternances – parfois annoncées avant même la fin d’un scrutin – qui ne sont que des retours de la majorité issue des élections précédentes, n’encouragent pas nos concitoyens, quelle que soit leur sensibilité, à croire en la politique et à envisager de réelles alternatives.

La présente proposition de loi sera adoptée. Mais l’on peut se poser une question : est-il bien utile de lutter contre l’abstention et d’encourager le vote blanc si, dans le même temps, on ne fait rien ?

Monsieur le ministre, sans aucune animosité, je me permets de revenir sur certains des propos que vous avez tenus tout à l’heure, car il faut parfois se garder de certaines expressions que nous connaissons toutes et tous dans cette enceinte. Quand on parle des extrêmes, je ne sais pas qui l’on vise, mais je conteste qu’il y ait d’un côté des partis intelligents et aptes à diriger notre pays, et, de l’autre côté, des partis qui, pour les précédents, ne seraient que de dangereux agitateurs. Oui, le Front national est un parti d’extrême droite dangereux que nous devons combattre au nom de l’idéal républicain. En revanche, il existe d’autres partis politiques, d’autres sensibilités – j’en représente une –, qui, chacun et chacune à sa façon, contribuent à faire vivre le débat démocratique dans notre pays et à construire une alternative politique crédible dans un esprit démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui ne manque pas de singularité, j’en conviens. En effet, en tant qu’élus, en tant que parlementaires, nous nous employons quotidiennement à convaincre nos compatriotes du bien-fondé de nos opinions. Nous sommes actuellement en campagne électorale, nous battons l’estrade pour expliquer toute l’importance de la participation au scrutin et du vote pour les listes que nous soutenons. Il n’en demeure pas moins que nous nous apprêtons à garantir à nos concitoyens la reconnaissance de ne partager en réalité aucune opinion…

Il faut toutefois convenir que ne partager aucune opinion est, après tout, une opinion comme une autre. Le législateur se montre aujourd’hui soucieux de laisser s’exprimer ce choix.

L’objet de la présente proposition de loi est de distinguer clairement l’abstention, le vote nul et le vote blanc lors de la proclamation des résultats électoraux. Si ce texte est adopté, comme le souhaitent les membres du groupe socialiste, les bulletins blancs seront désormais décomptés séparément des bulletins nuls, annexés au procès-verbal et spécialement mentionnés dans les résultats du scrutin.

Contrairement à ce que prévoyait le texte initial de la proposition de loi, les deux chambres ont préféré ne pas intégrer les bulletins blancs aux suffrages exprimés. Une telle démarche aurait en effet eu une incidence, plus ou moins importante selon le mode de scrutin, sur le résultat des différentes élections.

L’adoption de cette proposition de loi sera un premier pas dans la reconnaissance du vote blanc. Faudra-t-il par la suite poursuivre dans cette voie, décompter les bulletins blancs dans les suffrages exprimés ? Cette possibilité doit rester ouverte. À la limite, grâce à cette première avancée, nous permettons à nos concitoyens de se servir de cet outil que va devenir le bulletin blanc. Si, à l’usage, nous nous rendons compte qu’ils l’utilisent fréquemment, massivement, il faudra sûrement remettre l’ouvrage sur le métier et faire en sorte que cette expression soit prise en compte dans les suffrages exprimés. Aujourd’hui, laissons cette nouvelle législation entrer en vigueur et attendons d’observer les effets qu’elle produit.

M. le rapporteur l’a rappelé, après discussion entre l’Assemblée nationale et le Sénat, il a été tranché que les enveloppes introduites dans l’urne sans bulletin seront désormais considérées comme des votes blancs. Bien sûr, les électeurs auront aussi la possibilité d’introduire un bulletin blanc dans l’enveloppe ; toutefois, ce type de bulletin ne sera pas mis à leur disposition dans les bureaux de vote.

Cette formule est le fruit d’un compromis entre nos collègues députés et les membres de la commission des lois. C’est la position que nous défendons en seconde lecture, essentiellement pour une question de coût : mettre à disposition des bulletins blancs dans tous les bureaux de vote serait onéreux. Cette solution de l’enveloppe vide qui est décomptée comme un bulletin blanc permet à l’électeur de s’exprimer sans coût excessif pour la collectivité.

En commission, j’ai toutefois émis une petite réserve : la possibilité d’introduire une enveloppe vide dans l’urne garantit mal le secret du vote. Je parle d’expérience, ayant présidé en vingt-cinq ans de nombreux bureaux de vote. En effet, dans le cas d’un scrutin de liste, l’enveloppe qui contient un bulletin de vote de format A4 plié en huit se distingue tout de suite de celle qui est vide. Néanmoins, je suis certain que ce point d’ordre pratique trouvera une solution. Si l’on veut vraiment que les bulletins blancs soient utilisés, il faut toujours garantir le secret du vote.

Cette réforme importante va dans le sens de la démocratie et représente une avancée majeure. Elle fait écho à plusieurs propositions de loi déposées dans le passé par un certain nombre de parlementaires. Pour n’évoquer que les socialistes, citons la proposition de loi déposée en 2003 par un ancien Premier ministre, Laurent Fabius, et un futur Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui préconisaient de rendre le vote obligatoire et de comptabiliser les votes blancs distinctement.

Citons également la proposition de loi de notre collègue Roland Courteau – je le salue –, déposée le 31 octobre 2011, qui tendait cette fois à reconnaître le vote blanc comme suffrage exprimé.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Philippe Kaltenbach. Dernièrement encore, au mois de février 2012, le député Jean-Jacques Urvoas a déposé une proposition de loi visant à comptabiliser le vote blanc distinctement.

Le vote que nous allons émettre aujourd’hui est donc le fruit d’un long travail législatif qui traduit la demande émanant d’associations, d’élus, que le vote blanc soit pris en compte.

Parmi les pays européens, la France n’est pas le seul à entrer dans cette logique. Quatre d’entre eux ont déjà reconnu le vote blanc : la Suisse, qui comptabilise les bulletins blancs, l’Espagne et les Pays-Bas, qui considèrent le vote blanc comme valide à tous les scrutins, sans que cela se traduise en sièges néanmoins, la Suède, qui reconnaît ce même vote, mais pour certaines élections seulement, notamment les référendums.

La présente proposition de loi est une avancée démocratique qui permet à la France de rejoindre d’autres pays européens.

Le premier objectif poursuivi par les auteurs de ce texte, auquel nous souscrivons tous, est de lutter contre l’abstention. On le sait, celle-ci augmente malheureusement de manière tendancielle. Elle trouve potentiellement sa source dans un grand nombre de facteurs sociaux, économiques ou politiques, mais on peut penser qu’en offrant, grâce à l’adoption de cette proposition de loi, une possibilité de choix supplémentaire aux électeurs, on pourra amener certains d’entre eux à ne pas s’abstenir et à se rendre dans les bureaux de vote pour prendre part au scrutin en choisissant de voter blanc.

L’adoption du texte que nous examinons permettra également à ceux qui se reconnaissent dans un vote d’extrême droite, dans un vote populiste, de s’exprimer différemment qu’en votant pour des partis qui refusent la démocratie et refusent d’entrer dans le jeu démocratique.

M. Roland Courteau. Exactement !

M. Philippe Kaltenbach. C’est vrai, certains de nos concitoyens sont tentés d’utiliser les bulletins de vote pour témoigner leur rejet de la politique ; peut-être saisiront-ils la possibilité de vote blanc qui leur sera offerte pour exprimer ce sentiment.

Je crois également que ce vote blanc permettra fort utilement à nos concitoyens insatisfaits de l’offre politique qui se présente à eux de s’exprimer. Il arrive ainsi qu’il n’y ait qu’un seul candidat au second tour d’une élection, voire au premier tour – dans certaines communes, une seule liste est déposée lors des élections municipales, ce qui restreint le choix…

De la même manière, lorsque les deux candidats du second tour sont issus de la même famille politique, les électeurs se reconnaissant dans l’autre famille politique peuvent se sentir lésés et ne pas souhaiter choisir entre ces deux candidats, dont ils sont éloignés. Dans ce cas, ils pourront voter blanc.

À travers ces exemples concrets, on voit bien l’utilité du vote blanc pour assurer un meilleur fonctionnement de la démocratie et permettre à nos concitoyens d’exprimer leur opinion, dans des cas de figure très différents.

La présente proposition de loi, si elle est adoptée, entrera en vigueur le 1er avril prochain. J’ai bien noté le grand mécontentement de notre collègue Pierre Charon à ce sujet, car il aurait aimé qu’elle fût appliquée dès les élections municipales. Selon lui, les Français auraient ainsi pu se saisir de ce bulletin blanc pour sanctionner le Gouvernement ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.) Je suis d’accord pour comptabiliser et les bulletins blancs et les bulletins nuls afin de mesurer à quel point nos concitoyens entendent sanctionner le Gouvernement, puisque ces deux types de bulletin ne représenteront qu’une part très raisonnable de l’ensemble des bulletins. Mais je ne crois pas que ce soit cette motivation qui a prévalu ; il y a aussi des considérations techniques.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est une analyse très politicienne !

M. Pierre Charon. À Clamart, il y a danger !

M. Philippe Kaltenbach. De surcroît, cette analyse se serait révélée fausse, parce que, même si l’on incitait les électeurs à voter blanc ou nul pour sanctionner le Gouvernement, je ne suis pas sûr que, in fine, le nombre des bulletins blancs et nuls soit à la hauteur de ce que souhaiterait notre collègue.

Il ne faut pas s’engager dans cette démarche politicienne. Nous sommes maintenant à quelques semaines des élections municipales et il n’aurait pas été raisonnable que cette réforme entrât en vigueur à cette occasion.

M. Éric Doligé. On aurait pu essayer !

M. Philippe Kaltenbach. Évitons ce type d’expérimentation qui peut se révéler dangereuse, mon cher collègue. Ceux qui voudront sanctionner le Gouvernement pourront utiliser un bulletin blanc lors des élections européennes ; on pourra alors mesurer leur degré d’insatisfaction au nombre de ces bulletins dans les urnes.

En conclusion, si l’abstention peut généralement être comprise comme une marque de désintérêt pour la vie politique, le vote blanc doit être considéré comme une attente non satisfaite qui peut traduire une forme d’espérance. Le vote blanc est donc bien un choix parmi d’autres, tout aussi respectable. Il sera désormais reconnu et comptabilisé. C’est un premier pas. Il faudra attendre de voir comment nos concitoyens utilisent la faculté qui leur sera offerte pour décider s’il faut aller plus loin.

Quoi qu’il en soit, les membres du groupe socialiste sont extrêmement satisfaits que cette proposition de loi puisse enfin aboutir. Ils la voteront donc. C’est un progrès pour la démocratie, c’est un choix supplémentaire pour nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons a pour objet de tenter de régler un débat ancien, celui de savoir si un bulletin blanc et un bulletin nul ont le même sens dans le décompte final des votes, comme le prévoit aujourd’hui le droit positif, ou si, au contraire, il convient de les distinguer.

En réalité, le problème, c’est que, quoi que puissent en dire ou en penser les juristes et les politologues, chaque électeur est libre de donner à son vote le sens qu’il souhaite. Face à la même question posée ou au même choix à faire dans l’isoloir, parmi les électeurs indécis ou insatisfaits de ce qui leur est proposé, certains voteront blanc tandis que d’autres glisseront un bulletin nul. La raison en est simple : dans l’isoloir, on est libre de son choix et tous les électeurs n’ont pas nécessairement une analyse arrêtée de la différence de sens qui peut exister entre vote blanc et vote nul.

C’est pourquoi il me semble raisonnable de ne pas vouloir comptabiliser les votes blancs dans les suffrages exprimés. On risquerait de leur donner un sens qu’ils n’ont pas, voire d’encourager les électeurs indécis ou mécontents à voter blanc et ainsi d’amoindrir la légitimité du vote.

N’oublions pas que le Français prend parfois un malin plaisir lors de certaines consultations électorales – je pense notamment aux référendums – à exprimer par son vote ce qu’il pense de la situation du moment sans répondre pour autant sur le fond à la question qui lui est posée. Les exemples récents ne manquent pas…

Prendre en compte les votes blancs dans les suffrages exprimés, même si l’on peut penser que l’absence de choix entre deux ou plusieurs candidats à une élection constitue en elle-même l’expression d’une position dont il faut tenir compte, risquerait d’accroître la tentation du vote blanc et donc d’affaiblir la légitimité de la personne élue. Aussi, la formule proposée, à savoir décompter séparément les bulletins blancs des bulletins nuls sans pour autant les prendre en compte dans les suffrages exprimés, me paraît être un bon compromis.

Reste la question de la différence entre l’enveloppe vide et l’enveloppe contenant un bulletin blanc.

En première lecture, l’Assemblée nationale avait choisi d’introduire une équivalence entre une enveloppe vide et un bulletin blanc. Le Sénat avait supprimé cette disposition, car il estimait que le vote blanc, étant un acte délibéré, devait se traduire par un acte positif, l’introduction d’un bulletin blanc dans l’enveloppe, et ce afin d’éviter toute équivoque quant à la portée du geste de l’électeur. C’est pourquoi nous avions prévu la mise à disposition de l’électeur de bulletins blancs.

L’Assemblée nationale a considéré que sa version était meilleure, dans la mesure, notamment, où elle n’engageait pas de dépense supplémentaire pour l’État.

À titre personnel, je ne peux m’empêcher de penser que le motif selon lequel le coût de la fourniture de bulletins blancs serait excessif pour les finances publiques ressemble plus à un prétexte qu’à une vraie raison. D’autant que, jusqu’à présent, une enveloppe vide était considérée comme un bulletin nul. En modifiant le mode de comptabilisation des enveloppes vides, on risque donc d’introduire plus de confusion que de clarté.

Je mentionnerai une difficulté supplémentaire, qui a déjà été évoquée. Les électeurs souhaitant voter blanc préparent souvent leur bulletin chez eux puis, une fois dans l’isoloir, le glissent directement dans l’enveloppe ; or, si ce bulletin n’a pas le format requis, lors du dépouillement, il risque d’être considéré comme portant un signe de reconnaissance et donc d’être compté comme un bulletin nul. On se trouverait donc dans la situation où une enveloppe vide serait considérée comme un bulletin blanc, alors qu’une enveloppe contenant un bulletin blanc pourrait être considérée comme un bulletin nul.