compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

MM. Jean Boyer, Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Désignation d’un sénateur en mission temporaire

M. le président. Par courrier en date du 11 février 2014, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Alain Bertrand, sénateur de la Lozère, en mission temporaire auprès de Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement.

Cette mission portera sur le soutien au développement économique dans les territoires ruraux.

Acte est donné de cette communication.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la géolocalisation.

Cette liste a été affichée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.

5

Modification de l’ordre du jour

M. le président. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande la modification de l’ordre du jour du jeudi 20 février 2014, qui s’établirait ainsi :

À 10 heures 30 :

Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

Le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.

À 15 heures :

Questions d’actualité au Gouvernement.

À 16 heures 15 et le soir puis, éventuellement, le vendredi 21 février, à 9 heures 30, 14 heures 30 et le soir :

Suite du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale ;

Nouvelle lecture de la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle.

Pour l’examen de cette proposition de loi, le délai limite de dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au jeudi 20 février à douze heures, et le temps attribué aux orateurs des groupes dans la discussion générale serait d’une heure.

Il n’y a pas d’opposition ?...

Il en est ainsi décidé.

6

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections
Discussion générale (suite)

Reconnaissance du vote blanc aux élections

Adoption définitive en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe UDI-UC, la discussion de la proposition de loi, adoptée avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, visant à reconnaître le vote blanc aux élections (proposition n° 180, texte de la commission n° 339, rapport n° 338).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

M. Alain Vidalies, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat est saisi en deuxième lecture de la proposition de loi visant à reconnaître le vote blanc aux élections.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire au nom du Gouvernement, la reconnaissance du vote blanc dans la pratique du suffrage universel est importante en ce qu’elle est intimement liée à la notion même de démocratie représentative, et c’est bien là le cœur du sujet. Cette reconnaissance a, du reste, été souhaitée par le Président de la République lors de ses vœux aux bureaux des assemblées, le 21 janvier dernier.

Vous le savez, le Président de la République, le Premier ministre et l’ensemble du Gouvernement sont particulièrement attachés à restaurer la confiance des citoyens dans les institutions qui les représentent. Or la dernière étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, publiée en janvier dernier, doit tous nous alerter sur la défiance de nos concitoyens envers, notamment, le Parlement. Il convient toutefois de noter que la confiance dont jouit celui-ci s’est améliorée entre décembre 2012 et décembre 2013 ; à défaut d’être pleinement satisfaisante, cette dernière évolution m’inspire au moins un peu d’optimisme.

La reconnaissance du vote blanc, longtemps réclamée mais jamais mise en œuvre, contribuera à renforcer cette confiance. À tout le moins, elle aura l’effet souligné par Alain Richard lors des débats en commission des lois : « À ceux qui veulent, par cette revendication, délégitimer la démocratie représentative, cette proposition de loi coupera les pattes. »

Pour le reste, la proposition de loi aura-t-elle les vertus que certains lui prêtent, notamment celle de renforcer la participation aux élections ? Sera-t-elle un rempart contre le vote en faveur des extrêmes, qu’on assimile souvent à un vote de contestation ? II serait bien présomptueux, en cet instant, de répondre par l’affirmative à ces deux questions ! Au demeurant, le rapporteur, François Zocchetto, s’est bien gardé de faire de tels pronostics.

D’ailleurs, on peut se demander si ce second effet serait souhaitable. En effet, que la contestation du choix démocratique proposé aux citoyens s’exerce positivement, si l’on peut dire, à travers le vote blanc, ou négativement, à travers le vote nul ou l’abstention, elle demeure une contestation. Or, comme Jean-Yves Leconte l’a signalé à juste titre dans cet hémicycle, la démocratie appelle des choix, pas des états d’âme !

Quoi qu’il en soit, je partage avec, semble-t-il, bon nombre des membres de cette assemblée l’opinion selon laquelle le vote blanc n’est pas synonyme d’indifférence et peut avoir une signification politique. À mon sens, c’est la raison pour laquelle les votes blancs doivent être comptabilisés distinctement des votes nuls.

Comme l’a écrit le regretté Guy Carcassonne, volontiers provocateur, la reconnaissance du vote blanc permettra que « les électeurs assez sophistiqués qui font un tel choix ne soient plus comptabilisés en vrac avec les distraits ou les imbéciles ». En vérité, ceux qui votent blanc accomplissent une démarche somme toute citoyenne, et celle-ci doit pouvoir être reconnue comme telle.

C’est pourquoi je suis d’accord avec M. le rapporteur lorsqu’il écrit que « la fin de l’assimilation entre bulletins blancs et nuls rend justice aux électeurs qui font l’effort de se déplacer au bureau de vote et d’accomplir ainsi leur devoir civique ».

En outre, la comptabilisation à part du vote blanc permettra enfin de cerner la réalité du phénomène.

En somme, mesdames, messieurs les sénateurs, l’adoption de la proposition de loi aura dans un premier temps deux avantages : permettre la reconnaissance d’une démarche à la fois civique et contestataire ; prendre la mesure exacte du vote blanc.

En ce qui concerne le contenu de la proposition de loi, la navette aura permis de trouver un équilibre satisfaisant, propre à assurer la reconnaissance du vote blanc sans remettre en cause la légitimité du scrutin. Car il ne faut pas se leurrer : celui qui s’exprime en votant blanc sera toujours moins contestataire que celui qui, ayant perdu une élection, tire argument des votes blancs et nuls pour remettre en cause la légitimité de l’élection de son concurrent.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quelqu’un se reconnaîtra… Je vois qui, monsieur le ministre !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Je pense même que ce n’est pas sans une certaine malice que les deux rapporteurs de la proposition de loi, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont fait observer que, les bulletins blancs eussent-ils été comptabilisés parmi les suffrages exprimés, François Hollande n’aurait pas obtenu la majorité absolue.

M. Rémy Pointereau. C’est vrai !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. Il est vrai que, dans un souci de parfaite objectivité, ils ont fait la même observation à propos de l’élection de Jacques Chirac en 1995.

Quoi qu’il en soit, il est acquis que les bulletins blancs ne seront pas pris en compte dans la catégorie des suffrages exprimés. On sait les importants problèmes politiques et juridiques que cette mesure aurait soulevés ; je n’y reviendrai pas.

Deux points restaient en discussion : l’assimilation des enveloppes vides à des bulletins blancs et la date d’entrée en vigueur du nouveau dispositif.

Sur le premier point, la Haute Assemblée avait jugé préférable, en première lecture, de s’en tenir à la jurisprudence du Conseil d’État, fixée notamment dans un arrêt du 24 octobre 2008, qui assimile une enveloppe vide à un vote nul.

Je n’ignore pas les réserves que le changement de cette règle inspire à certains d’entre vous ; ils les ont encore exprimées en commission à l’occasion de cette deuxième lecture. Le Gouvernement est cependant convaincu que la solution qui a prévalu à l’Assemblée nationale, à savoir l’assimilation des enveloppes vides à des bulletins blancs, est conforme à l’esprit qui inspire la proposition de loi, notamment parce que celle-ci ne prévoit pas, à juste titre, l’obligation de mettre à la disposition des électeurs des bulletins blancs.

De fait, d’un point de vue pratique, l’absence de prise en compte de l’enveloppe vide rendrait plus difficile l’exercice du vote blanc en obligeant l’électeur à se munir à l’avance d’un bulletin blanc.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas insurmontable !

M. Alain Vidalies, ministre délégué. En outre, du point de vue de la sécurité juridique, l’assimilation des enveloppes vides à des bulletins blancs permettra de clarifier le statut de ces enveloppes au moment du dépouillement.

L’enveloppe vide est donc un moyen fiable et non équivoque, à la fois pour l’électeur et pour celui qui procède au dépouillement.

Pour lever toute ambiguïté, je souligne aussi qu’assimilation ne vaut pas exclusion : les électeurs qui souhaiteront voter blanc en glissant dans l’enveloppe un bulletin blanc pourront toujours le faire.

La commission des lois a finalement approuvé cette solution, et le Gouvernement ne peut que s’en féliciter.

En ce qui concerne la date d’entrée en vigueur du dispositif, votre assemblée, sur l’initiative d’Alain Richard, avait adopté un amendement tendant à la fixer au 1er mars 2014, de sorte que les nouvelles règles auraient été appliquées dès les élections municipales de mars 2014. Nous étions alors le 28 février 2013, et cette échéance paraissait envisageable ; du reste, le Gouvernement s’y était déclaré favorable.

Mais nous sommes aujourd'hui le 12 février 2014, soit à moins de deux mois des élections municipales. Dès lors, il ne paraît pas possible de maintenir cette date d’entrée en vigueur. En effet, la direction de la modernisation et de l’action territoriale du ministère de l’intérieur a déjà communiqué aux éditeurs les procès-verbaux qui serviront lors de ces élections, afin qu’ils lancent leurs programmes d’impression. Les délais sont trop courts pour qu’on puisse établir une nouvelle version de ces procès-verbaux, distinguant les bulletins blancs des bulletins nuls, sauf à consentir à un surcoût très élevé.

En outre, mise en application lors des prochaines élections municipales, la comptabilisation distincte du vote blanc risquerait de ne pas avoir l’écho attendu, compte tenu des nombreuses autres nouveautés que ces élections comporteront ; je pense notamment au système de double liste pour l’élection des conseillers municipaux et des conseillers communautaires ainsi qu’à l’abaissement à 1 000 habitants du seuil d’application du scrutin proportionnel.

J’ajoute que l’application informatique de comptage des votes ne permet pas, actuellement, la prise en compte des votes blancs : les développements informatiques nécessiteront du temps. Pour les élections municipales, le développement de l’application est déjà clos et la formation des agents des préfectures a commencé. Dans ces conditions, l’introduction tardive d’une nouvelle fonctionnalité risquerait de fragiliser l’application « élection » dans son ensemble.

En revanche, la mise en œuvre du nouveau dispositif lors des prochaines élections européennes est techniquement possible. En effet, dans la perspective de l’adoption de la présente proposition de loi, le développement informatique nécessaire a été prévu ; les services de l’État sont en ordre de marche pour une application des nouvelles règles dès le 25 mai prochain.

Aussi bien, je ne peux que me réjouir que la commission des lois ait retenu cette date d’entrée en vigueur et qu’elle invite le Sénat à adopter définitivement la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale, en deuxième lecture, le 28 novembre dernier.

Le décompte spécifique du vote blanc constituera la reconnaissance à la fois d’une démarche civique et de l’expression d’une insatisfaction à l’égard de l’offre politique.

C’est un message qui a sa place dans le débat démocratique et dans l’expression du suffrage universel dont l’objectif premier – faut-il le rappeler ? – est tout de même de choisir une politique ou d’élire un homme ou une femme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 28 février 2013, le Sénat adoptait, en première lecture, la proposition de loi du député François Sauvadet visant à la reconnaissance du vote blanc lors des élections. Près d’un an plus tard, nous sommes saisis de ce texte en deuxième lecture.

Comme je l’avais indiqué lors de la première lecture, la question du statut du vote blanc est ancienne et dépasse largement nos frontières. Alors que plusieurs initiatives parlementaires, émanant des diverses sensibilités politiques, n’ont pu aboutir, il semble bien que, avec le texte que nous examinons cet après-midi, la reconnaissance du vote blanc n’ait jamais été aussi proche.

En effet, lors de la première lecture, nos deux assemblées ont marqué leur accord sur le principe de cette reconnaissance, lequel est désormais acquis.

Cependant, contrairement à la volonté initiale des auteurs de cette proposition de loi, le Sénat, comme l’Assemblée nationale avant lui, n’a pas souhaité décompter les bulletins blancs comme des suffrages exprimés. Nous avons longuement débattu sur ce sujet et il est apparu comme une évidence que l’assimilation d’un bulletin blanc à un suffrage exprimé induirait un bouleversement notable de notre droit électoral, renversant un principe constant depuis 1839. Cette réforme n’était donc pas envisageable.

Aussi les deux chambres ont-elles retenu une position équilibrée : le décompte séparé des bulletins blancs, sans intégration aux suffrages exprimés. Cette solution a le mérite d’être claire, mais elle a évidemment créé une certaine frustration, voire une incompréhension au sein de notre commission. Toutefois, je pense que ce que nous avons décidé en première lecture ne peut pas être remis en cause : c’était la seule voie possible.

Si ce texte est adopté, nous aurons la possibilité de connaître exactement la mesure du vote blanc. Nous permettrons aussi l’expression des différentes opinions, car les électeurs disposeront ainsi d’une option supplémentaire. Nous espérons que, de ce fait, cela conduira un plus grand nombre d’électeurs à se rendre au bureau de vote.

M. Bruno Sido. Certainement !

M. François Zocchetto, rapporteur. Trois articles de cette proposition de loi restent en discussion.

J’évoquerai d’abord l’article 2 bis, qui a été introduit par l’Assemblée nationale en deuxième lecture à la demande du Gouvernement. Il vise simplement à opérer une coordination au sein du code électoral. Je n’ai donc pas de commentaire particulier à formuler et la commission ne voit aucune objection à l’adoption de cet article.

Quant à l’article 5, il traite de l’entrée en vigueur de ce texte. Comme M. le ministre l’a indiqué, l’Assemblée nationale, suivant en cela la proposition de sa commission des lois, a reporté cette entrée en vigueur au 1er avril 2014. Cette date est en effet, aujourd'hui, la seule envisageable pour une application aussi rapide que possible. On peut certes regretter que les nouvelles dispositions ne concernent pas le prochain scrutin municipal mais, techniquement, le décompte des votes blancs les 23 et 30 mars prochain ne paraît pas réalisable.

Dans ces conditions, mes chers collègues, si vous décidez de voter ce texte, le décompte séparé des bulletins blancs pourra s’appliquer à partir de l’élection des représentants au Parlement européen ainsi qu’à celle des conseillers consulaires par les Français établis hors de France.

J’en viens, à présent, à l’article 1er, qui constitue le principal point de discussion entre nos deux assemblées. En première lecture, l’Assemblée nationale avait prévu que, afin de voter « blanc », un électeur pourrait soit introduire un bulletin blanc dans l’enveloppe, soit – ce qui est une innovation par rapport au droit actuel – déposer une enveloppe vide.

En première lecture, nous avions eu, à cet égard, une divergence de vues avec l’Assemblée nationale. Ce point avait même fait l’objet d’une évolution entre la position défendue par la commission des lois et le vote du Sénat en séance publique. Quoi qu'il en soit, notre assemblée avait considéré que voter blanc nécessitait un acte positif et qu’il fallait donc continuer à considérer une enveloppe vide comme un bulletin nul.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a réaffirmé sa position. Il s’agissait pour elle, non pas bien sûr de se montrer désagréable envers le Sénat, mais de faire valoir des arguments. Nous les avons à nouveau examinés de près, cette fois à la lumière des différents échanges qui ont eu lieu au cours des douze derniers mois.

L’Assemblée nationale peut se prévaloir d’une certaine logique, car elle opère un raisonnement par défaut qui est relativement pragmatique. Si l’on ne souhaite pas s’engager dans la mise à disposition de bulletins blancs à côté des bulletins de vote – essentiellement parce que, d'une part, ce serait trop coûteux, particulièrement dans les circonstances actuelles, d’autre part, cela pourrait être perçu comme une forme d’incitation au vote blanc –, il faut permettre à l’électeur de voter blanc de manière aisée, par exemple en glissant simplement dans l’urne une enveloppe vide.

À l’inverse, il faut bien le reconnaître, la position du Sénat en première lecture contraignait tous les électeurs désirant voter blanc à confectionner eux-mêmes leur bulletin, et un bulletin vraiment blanc… Vous imaginez toutes les difficultés d’appréciation que ces bulletins sont susceptibles de poser aux scrutateurs et aux éventuels juges du contentieux électoral… Car il y aura bien, de toute façon, des bulletins blancs « artisanaux » ! La jurisprudence sera sans doute sollicitée à l’avenir. Il reste que, en tant que législateurs, nous ne saurions inciter au vote blanc par la mise à disposition de bulletins blancs dans les bureaux de vote.

La solution de l’Assemblée nationale a donc le mérite d’être simple et de ne pas fragiliser les futurs scrutins par des contentieux. C’est pourquoi la commission des lois du Sénat s’y est ralliée, et elle n’a pas fait uniquement dans un souci de compromis.

Je conclurai par une observation. La présente proposition de loi s’appliquera à la quasi-totalité des scrutins électoraux, à l’exception, toutefois, de l’élection du Président de la République – ce qui n’est pas rien ! – et des référendums locaux. En effet, ces deux scrutins relèvent de la loi organique en application, respectivement, des articles 7 et 72-1 de la Constitution. J’appelle de mes vœux une telle modification organique. Je ne doute pas qu’elle pourra trouver place dans un futur véhicule législatif, avant la prochaine élection présidentielle, car j’ai cru comprendre qu’il existait un consensus sur cette question. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement de la position qu’il a prise à l’occasion de ce débat.

Vous l’aurez compris, la commission des lois invite le Sénat à adopter cette proposition de loi sans modification, permettant ainsi son adoption définitive dès cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous reprenons aujourd’hui, en deuxième lecture, le débat sur la reconnaissance du vote blanc au sein de notre démocratie représentative, plus de cent cinquante ans après la proclamation du suffrage universel, en 1848.

La démocratie est un idéal qui n’est jamais atteint et les règles de notre système électoral sont encore perfectibles.

Nos collègues députés ont souhaité revenir à la version qu’ils avaient adoptée en première lecture. La commission des lois du Sénat l’a approuvée et recommande désormais un vote conforme. Nous en prenons acte, même si nous pouvons nous interroger sur l’opportunité réelle de ce texte, ainsi que sur sa réelle capacité à réformer notre système électoral. En clair, ce texte n’est pas mauvais, mais est-il pour autant utile ?

Je rappelle que le vote blanc se définit comme le fait de « déposer dans l’urne un bulletin dépourvu de tout nom de candidat (ou de toute indication dans le cas d’un référendum) ». II s’agit d’une sorte d’« abstention civique » puisque l’électeur manifeste la volonté de participer au scrutin en même temps que celle de ne choisir aucune des offres électorales proposées. Cette forme d’expression s’est développée ces dernières années et constitue certainement, il faut bien le reconnaître, un signe de défiance vis-à-vis de l’offre politique.

Les élections présidentielles de 1995 et de 2012 ont connu un fort taux de votes blancs et nuls, atteignant respectivement 6 % et 5,8 % des suffrages. Et, triste record, en 2012, cela représentait plus de 2 millions de bulletins.

L’abstentionnisme, le vote blanc, le vote nul, mais aussi le vote extrême, constituent l’expression paroxystique d’un malaise politique ressenti par nos concitoyens envers ceux qui gouvernent ou qui aspirent à gouverner. Cette forme de protestation a notamment conduit, en 2002, à l’éviction du candidat socialiste au second tour. Peut-être nos amis députés auraient-ils dû méditer plus longuement ce fait.

Pour certains, la reconnaissance du vote blanc pourrait permettre de stabiliser la participation électorale, qui connaît des soubresauts importants. Je parle notamment de ces « électeurs intermittents », comme on en compte tout particulièrement dans les jeunes générations. Ces « intermittents de l’élection » se caractérisent par la perplexité et l’hésitation devant l’offre électorale. Ils ne votent que de temps en temps, selon le scrutin et la conjoncture politique. Relevant de l’abstentionnisme protestataire et représentant les deux tiers de l’abstention, ils témoignent d’une grande sophistication politique. Loin de manifester un désintérêt pour la politique, cette abstention traduit plutôt un désenchantement.

Ce sont ces électeurs que le vote blanc doit pouvoir, paraît-il, « raccrocher », à défaut de l’instauration du vote obligatoire, qui est une solution extrême et, selon nous, peu souhaitable dans notre pays.

À l’issue de la première lecture, le désaccord avec l’Assemblée nationale portait sur la définition exacte du vote blanc. Cette discussion ne constitue en rien une vaine querelle théologique. De notre capacité à définir clairement le vote blanc dépendra l’impact de cette réforme sur notre démocratie.

Il faut, en la matière, des règles claires et précises, imparables, permettant de donner une portée réelle à cette nouvelle loi. Or, sur ce plan, certains membres du RDSE nourrissent encore quelques doutes...

Un vote blanc, pas plus qu’un vote nul, ne peut être apparenté à une erreur. Toutefois, il nous semble que la proposition de loi n’a pas réellement réglé la difficulté technique suivante : de quel format devra donc être ce fameux bulletin blanc, qui ne sera pas mis à la disposition des électeurs, pour pouvoir être comptabilisé comme un vote blanc et non comme un vote nul ? Selon quels critères stricts pourront être distingués les votes blancs et nuls ? Les bulletins de couleur ont explicitement été écartés du décompte des bulletins blancs. Mais quid de tous ces bulletins blancs qui ne seront pas tout à fait blancs ? Comment l’électeur pourra-t-il s’assurer que son bulletin est conforme ? Aura-t-il une connaissance parfaite des normes du bulletin ?

L’enveloppe vide ne va-t-elle pas, à terme, constituer la forme majoritaire du vote blanc ?

Quoi qu’il en soit, la pédagogie devra être au rendez-vous, notamment dans les bureaux de vote.

Il reste que, par cette distinction du vote blanc et du vote nul, nous rendons au vote blanc son caractère délibéré et nous rendons le citoyen plus responsable de son vote. En refusant de l’infantiliser, nous préserverons peut-être le suffrage d’une brutale remise en question contestataire qui en menacerait la légitimité. Cependant, il faut bien le dire, quand on en est à se poser ce type de questions, on est à la frontière d’une évolution démocratique, au demeurant souhaitable.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale a décidé de reporter au 1er avril 2014 l’entrée en vigueur de cette proposition de loi. Le Gouvernement avait pourtant, il y a un an, accepté que le texte soit applicable dès le 1er mars 2014. Les difficultés liées aux modalités pratiques d’organisation des prochaines élections municipales suffisent-elles à justifier ce report ? Nous nous interrogeons…

Enfin, nous sommes plusieurs à déplorer que ce texte n’aille pas au bout de sa logique, en n’intégrant pas le décompte des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés. Un pas important aurait été alors franchi.

En dépit de ces réserves et dans l’esprit de conciliation qui a également guidé les travaux de la commission des lois, nous ne nous opposerons pas au texte proposé, qui constitue, pour certains d’entre nous, une avancée, certes timide, en faveur de la construction d’un système électoral moderne et perfectionné. D’autres sénateurs du RDSE sont plus réservés, voire franchement dubitatifs. C’est la raison pour laquelle, si notre groupe votera majoritairement la présente proposition de loi, quelques-uns préféreront s’abstenir.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est le charme du RDSE !

M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.

Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on peut se demander si nous, sénateurs et sénatrices, n’aimons pas travailler pour peu de chose, surtout soucieux de la gloire de laisser notre nom dans les annales législatives.

Ainsi, après avoir voté une loi sur l’impossible référendum d’initiative partagée,…