M. le président. La parole est à M. Jean Desessard. (Ah ! sur diverses travées.)

M. Michel Sapin, ministre. Attention, monsieur Desessard, on est toujours populaire au début, mais ensuite… (Sourires.)

M. Jean Desessard. Je le sais bien, monsieur le ministre !

Nous examinons aujourd’hui le projet de loi issu de l’accord national interprofessionnel du 14 décembre 2013, l’ANI. Formation professionnelle, démocratie sociale, inspection du travail : voilà des sujets qui auraient mérité mieux qu’un débat parlementaire précipité.

Mme Catherine Procaccia. On est tous d’accord !

M. Jean Desessard. Le Gouvernement a fait le choix d’engager la procédure accélérée pour l’examen de ce projet de loi. On comprend mal cette volonté d’agir aussi vite, on voit mal où se situe l’urgence. Des délais aussi courts pour l’examen d’un tel texte nuisent grandement à la qualité de nos travaux et témoignent, monsieur le ministre, d’un manque de considération pour les parlementaires.

M. Jean Desessard. Les gouvernements se suivent,…

M. Henri de Raincourt. Mais ne se ressemblent pas !

M. Jean Desessard. … ne se ressemblent pas (Exclamations amusées.), mais il y a une constante : ils utilisent les mêmes méthodes à l’égard du Parlement.

M. Henri de Raincourt. C’est faux ! C’est totalement faux !

M. Jean Desessard. Sur le fond, la première partie du projet de loi, relative à la formation professionnelle, traite d’un sujet central. Le montant élevé de la dépense nationale pour la formation professionnelle et l’apprentissage témoigne de l’importance de ce sujet : 32 milliards d’euros en 2011, soit 1,6 % du PIB, selon la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES. Les entreprises sont de loin les premiers financeurs – à hauteur de 43 % – et les montants alloués ont progressé de 3,1 % par rapport à 2010. L’État est le deuxième contributeur, avec 15 % de la dépense, malgré une baisse de 1,1 % des crédits alloués. Ensuite viennent les régions, qui assument 14 % de la dépense totale.

Les fonds sont donc là, mais il existe de grandes disparités entre les bénéficiaires. Selon une étude de l’INSEE de 2012, si 51 % des 25-54 ans en emploi ont suivi une formation pour raisons professionnelles dans l’année, seuls 27 % des chômeurs de cette même classe d’âge ont pu bénéficier d’une telle formation.

De grandes disparités existent également au sein même du monde du travail : selon la même étude, dans la catégorie des actifs occupant un emploi, 66 % des diplômés de niveau supérieur à bac+2 ont suivi au moins une formation professionnelle dans l’année, contre 25 % des personnes sans diplôme. Les inégalités sont ainsi très fortes, et la formation professionnelle profite peu ou pas suffisamment à ceux qui en ont le plus besoin.

Que les choses soient claires, la formation doit naturellement profiter à l’ensemble des salariés, y compris aux cadres. Améliorer ses compétences en permanence permet une adaptation aux nouvelles techniques et une transmission du savoir au sein de l’entreprise dont chacun bénéficie. Mais la formation doit aussi être rendue plus accessible aux chômeurs et aux précaires, afin de leur permettre d’apprendre un nouveau métier et de développer des compétences nouvelles.

La formation professionnelle est également – on l’oublie parfois – un moteur de développement personnel et d’épanouissement des individus, un moyen de préparer l’avenir s’accompagnant du plaisir d’apprendre.

Adaptation aux nouvelles technologies, réinsertion et réorientation des chômeurs et précaires, épanouissement : la formation professionnelle recouvre tous ces aspects et il nous faut trouver, ensemble, le juste équilibre.

Je le disais, la formation professionnelle est un outil d’adaptation aux changements de la société qui permet de se former aux nouvelles technologies et aux nouveaux métiers. Dans cette perspective – j’insiste sur ce point, monsieur le ministre, et j’y reviendrai au cours du débat –, il faut concevoir une démarche prospective à l’échelon national, et pas simplement dans les régions, pour identifier les métiers de demain et les techniques qu’ils mobiliseront, afin d’anticiper le changement plutôt que de le subir.

Si l’on doit préparer l’émergence des métiers de demain, il ne faut pas pour autant oublier ceux d’hier. Chaudronniers, ébénistes, tailleurs de pierre : tous ces professionnels se raréfient, alors qu’ils sont demandés. Une politique de formation cohérente doit nécessairement prendre en compte ces métiers et assurer leur pérennité. S’agissant de créneaux étroits, cela nécessite une coopération entre régions.

Par ailleurs, dans notre monde aux ressources de plus en plus limitées, nous devons faire preuve de volontarisme pour orienter nos modes de production vers la proximité, vers l’économie énergétique. Pour cela, nous avons besoin de techniciens compétents dans les domaines des énergies renouvelables, de l’efficacité énergétique des bâtiments, du recyclage des déchets. La formation professionnelle a tout son rôle à jouer dans la transition écologique : elle doit devenir un outil pour accompagner les mutations.

Le compte personnel de formation constitue un premier pas important vers la formation pour tous que nous appelons de nos vœux. Il est directement attaché au salarié, qui le conservera tout au long de sa carrière et en bénéficiera dès son entrée dans le monde du travail, indépendamment de sa situation et de son entreprise. Le détenteur du compte, s’il suit des heures de formation en dehors de son temps de travail, ne sera pas tenu d’en informer son employeur, ni d’obtenir son accord.

Je vous félicite, monsieur le ministre : ce dispositif représente une avancée réelle par rapport au droit individuel à la formation, dont le bénéfice était ouvert aux seuls salariés ayant un an d’ancienneté et subordonné à l’accord de l’employeur et dont la portabilité entre deux emplois posait parfois problème.

Néanmoins, le volume horaire du CPF reste faible : 150 heures sur sept ans et demi. Cette durée peut-elle vraiment permettre à un individu de suivre une formation qualifiante en vue de se réorienter en cours de carrière ?

En particulier, ce faible volume horaire est encore loin de permettre à des personnes éloignées de l’emploi de repartir sur de nouvelles bases. De fait, le CPF, comme aujourd’hui le DIF, risque d’être utile principalement aux salariés déjà qualifiés qui ont besoin d’une mise à niveau sur une nouvelle technologie, plutôt qu’aux personnes qui en auraient le plus besoin : les chômeurs, les précaires, les seniors…

Monsieur le ministre, l’augmentation de 600 millions à 900 millions d’euros des fonds consacrés aux demandeurs d’emploi est-elle suffisante ? Nous aurons l’occasion d’en débattre.

Malgré ces insuffisances, qu’il nous reviendra de combler, nous tenons, nous écologistes, à saluer la mise en place du CPF. Nous considérons cette réforme comme une première étape majeure vers un droit universel à la formation tout au long de la vie. (M. le ministre acquiesce.)

M. Jean Desessard. En ce qui concerne la démocratie sociale, le projet de loi réforme la représentativité des organisations syndicales et patronales, ainsi que leur financement.

Nous nous réjouissons que l’Assemblée nationale ait inclus dans le dispositif du projet de loi les acteurs dits du « hors champ ». Au demeurant, cette appellation est trompeuse, car les acteurs en question ne sont absolument pas marginaux. Économie sociale et solidaire, agriculture, professions libérales : telles sont les activités du « hors champ », qui représente un tiers de l’activité économique et des emplois en France.

Concernant la transparence des comptes des comités d’entreprise, l’obligation d’établissement et de certification des comptes, en fonction de seuils fixés selon la taille du comité, est une mesure équilibrée permettant un meilleur contrôle de l’utilisation des fonds.

À cet égard, monsieur le ministre, je constate que vous avez tenu l’engagement que vous aviez pris, en octobre dernier, devant notre assemblée, lors de l’examen de la proposition de loi visant à établir un contrôle des comptes des comités d’entreprise présentée par Mme Procaccia : en effet, vous nous aviez alors assuré que les dispositions de cette proposition de loi seraient reprises dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.

M. Michel Sapin, ministre. Promesse tenue aux calendes de février, et non aux calendes grecques ! (Mme Catherine Procaccia rit.)

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Dont acte !

M. Jean Desessard. J’arrive maintenant, monsieur le ministre, à la question qui fâche : la réforme de l’inspection du travail, à laquelle nous sommes fortement opposés. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)

Mme Françoise Laborde. C’est là que le bât blesse !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Je n’ai donc pas réussi à vous convaincre !

M. Jean Desessard. Sur la forme, tout d’abord, on comprend mal la nécessité de faire figurer un chapitre sur l’inspection du travail dans un projet de loi traitant de la formation professionnelle.

M. Jean Desessard. Où est le rapport ?

M. Henri de Raincourt. Il n’y en a aucun !

M. Jean Desessard. Il s’agit clairement d’un cavalier législatif !

Mme Isabelle Debré. Même pas masqué !

M. Jean Desessard. Cette réforme verticale, imposée, est très mal vécue par les inspecteurs du travail, qui craignent une remise en cause de leur indépendance.

M. Jean Desessard. Cette indépendance est pourtant consacrée par l’article 6 de la convention n° 81 de l’Organisation internationale du travail sur l’inspection du travail. Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous donner lecture de cet article, au cas où vous ne l’auriez pas consulté.

M. Michel Sapin, ministre. Cette indépendance est affirmée par le projet de loi, au cas où vous ne l’auriez pas consulté !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. En effet !

M. Jean Desessard. « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue. »

M. Michel Sapin, ministre. C’est la moindre des choses !

M. Jean Desessard. Mais le projet de loi prévoit une refonte de la hiérarchie au sein de l’inspection du travail, avec la création d’unités de contrôle, régionales et locales, dans lesquelles des « responsables d’unité de contrôle », des RUC, choisis parmi les inspecteurs, auront carte blanche pour imposer leurs méthodes aux autres agents.

Monsieur le ministre, les inspecteurs du travail ont-ils donc démérité, pour qu’on veuille ainsi les encadrer ? En quoi n’ont-ils pas rempli leurs missions ? Nous en apprendrons certainement davantage au cours de ce débat…

Nous pouvons aussi craindre que la création d’environ 200 postes de responsable ne conduise fatalement à une diminution sensible des effectifs présents sur le terrain, au détriment du respect de la réglementation sociale.

En outre, la possibilité donnée aux directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de prononcer des sanctions administratives nous pose problème, dans la mesure où les DIRECCTE sont également chargées de la lutte contre le chômage. Dès lors, que se passera-t-il le jour où une entreprise d’un secteur jugé stratégique ne respectera pas le droit du travail ? Les sanctions lui seront-elles appliquées de la même manière qu’à une autre ? On peut se poser la question.

M. Jean-Noël Cardoux. Elles ne le seront pas !

M. Jean Desessard. Aussi bien sur le fond que sur la forme, nous nous opposons à cette réforme hâtive et dangereuse, qui remet en cause l’indépendance de l’inspection du travail. Nous appelons de nos vœux son report, ainsi qu’un dialogue social apaisé au sein de cette administration, qui permette de déboucher sur des solutions consensuelles et acceptées par les intéressés.

En définitive, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre jugement sur le projet de loi est donc mitigé : si nous nous réjouissons de la mise en place du compte personnel de formation, l’article 20, relatif à l’inspection du travail, ne nous donne pas satisfaction. Dans ces conditions, le groupe écologiste ne peut être favorable au projet de loi dans sa rédaction actuelle. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)

M. Henri de Raincourt. Quel suspense !

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, une fois de plus, la procédure accélérée ayant été engagée, nous sommes saisis dans l’urgence d’un texte fondamental, sans disposer du recul ni des évaluations suffisants. Dans ces conditions, monsieur le ministre, vous comprendrez que je ne partage pas votre autosatisfaction sur la méthode employée. Du reste, je me réjouis que le même avis ait été exprimé par M. Desessard et par M. le rapporteur, qui mérite un sérieux coup de chapeau pour avoir écrit son rapport en une nuit !

Mme Isabelle Debré. C’est vrai !

M. Jean-Noël Cardoux. Compte tenu de ce contexte extrêmement difficile, notre groupe votera très probablement contre le projet de loi.

Nous déplorons que, une fois de plus, le Gouvernement ait compliqué le dispositif en ajoutant dans le projet de loi de nombreuses mesures étrangères à l’ANI. Il avait déjà agi de la sorte ; le voilà qui persévère !

Malgré les dénégations que vous nous avez opposées en commission, monsieur le ministre, nous persistons à soutenir que ce projet de loi est un texte fourre-tout.

En outre, les partenaires sociaux n’ont pas été saisis, comme le prévoit l’article L. 1 du code du travail, pour toutes les dispositions hors ANI. Il y a bien eu une concertation, mais pas de véritable saisine.

En vérité, monsieur le ministre, les expériences précédentes auraient dû être méditées.

Je pense d’abord au contrat de génération et aux modifications apportées au temps partiel, imparfaitement conçus et que vous cherchez à améliorer à l’article 10.

Je pense ensuite au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, un dispositif compliqué que vous envisagez d’abandonner dans le cadre du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi.

Je pense aussi aux emplois d’avenir, dont nous avions beaucoup discuté et que, bien timidement et après coup, vous avez ouverts au secteur marchand.

Je pense enfin à la clause de désignation prévue dans la loi relative à la sécurisation de l’emploi, qui a été invalidée à deux reprises par le Conseil constitutionnel, et à la TVA anti-délocalisations, que la majorité a supprimée dès son arrivée au pouvoir avant de la rétablir sous une autre forme pour financer le CICE.

À chaque fois, en raison de l’engagement de la procédure accélérée, nous avons été obligés de travailler dans l’urgence. Bien que souvent d’accord avec certains objectifs, nous avons mis en garde la majorité et avancé des propositions d’amélioration constructives. Après les avoir rejetées, le Gouvernement s’en inspire aujourd’hui, sans clairement l’admettre, pour modifier à la marge ses dispositifs.

Confrontés aujourd’hui à la même nécessité de travailler dans l’urgence et sans recul, nous regrettons que le Gouvernement ne se soit pas borné à transcrire l’ANI approuvé par les partenaires sociaux. Nous déplorons surtout qu’il n’ait pas pris le temps de travailler avec beaucoup plus de recul. Du reste, que la CGT et la CGPME – un syndicat de salariés et un syndicat d’employeurs, et non des moindres – n’aient pas signé l’accord est une preuve de son imperfection !

La principale impression que le projet de loi nous inspire est qu’il s’agit d’un texte d’affichage, préparé dans l’urgence et reposant sur cette simple équation : une baisse des charges sociales des entreprises, assurément très nécessaire dans le contexte actuel, contre un dialogue social réussi. Au-delà de ce principe, le fond des problèmes n’est pas totalement abordé.

À la vérité, ce projet de loi est hétéroclite, complexe et souvent incompréhensible ; surtout, ses conséquences financières ne sont pas évaluées et aucune régulation ultérieure n’est prévue.

Avant d’entrer dans les détails de ce tableau un peu noir, il faut tout de même que je souligne certains aspects positifs du projet de loi. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) Chers collègues de la majorité, ne soyez pas inquiets : je reviendrai ensuite sur les aspects négatifs ! (Sourires.)

Mme Christiane Demontès. Nous vous faisons confiance pour cela !

M. Jean-Noël Cardoux. Au nombre des points sur lesquels nous sommes d’accord figure le compte personnel de formation, que l’article 1er prévoit de substituer au droit individuel à la formation. Nous soutenons également le renforcement du dialogue social au sein des entreprises, prévu à l’article 2, et la simplification résultant du fait qu’il n’y ait plus que deux taxes. Nous nous félicitons que les formalités administratives soient considérablement allégées par l’article 4 et que la transparence dans le financement du dialogue social soit améliorée par l’article 18.

Nous sommes très favorables à toutes ces dispositions. Du reste, je remercie M. le rapporteur d’avoir cité, parmi ceux qui, par le passé, ont travaillé sur ces sujets, nos collègues Gérard Larcher et Jean-Claude Carle, qui sont un peu les initiateurs de ces réformes : cela montre que nous pouvons avoir des convergences sur certains problèmes de fond.

Pourquoi donc a-t-il fallu que le Gouvernement ajoute dans le projet de loi des dispositions hors ANI ?

En ce qui concerne les comités d’entreprise, nos collègues Catherine Procaccia et Caroline Cayeux avaient présenté une proposition de loi dont la teneur est pratiquement identique à celle du projet de loi. Monsieur le ministre, pourquoi ne pas avoir laissé vivre cette proposition de loi ?

À propos de l’inspection du travail, nous sommes relativement d’accord avec les mesures visant à modifier sa gouvernance et son organisation, mais pas avec les sanctions qui sont prévues. Cela étant, la plupart des syndicats de salariés sont vent debout contre ce projet de réforme.

Quant à la présence dans le projet de loi d’ajustements au temps partiel, assurément nécessaires, et au contrat de génération, elle illustre le caractère hétéroclite du texte que je viens de dénoncer.

La réforme qui fâche, c’est l’apprentissage. Je ne développerai pas énormément ce point, car Jean-Claude Carle, qui est un éminent spécialiste en la matière, le fera tout à l’heure au nom de notre groupe. Je constate simplement, tout en vous donnant crédit de votre bonne foi, monsieur le ministre, que l’apprentissage est simplement considéré, dans ce texte, comme une variable d’ajustement financier par rapport aux besoins des régions et du Gouvernement.

Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !

Mme Isabelle Debré. Si, c’est vrai !

M. Jean-Noël Cardoux. Pour ne pas vous décevoir, chers collègues, passons maintenant rapidement en revue les points négatifs, à propos desquels nous proposerons un certain nombre d’amendements.

Pour ce qui concerne le compte personnel de formation, vous ne disposez ni d’un recul financier suffisant ni d’une évaluation du financement, corrélativement à la baisse de la collecte. On diminue le montant de la taxe, qui passera grosso modo de 1,6 % de la masse salariale à 1 % et 0,9 %. Cela engendrera des baisses de ressources pour les OPCA, lesquels, comme l’ont dit certains orateurs, avaient besoin d’être remis en cause concernant l’utilisation de leurs excédents. Néanmoins, c’est une opération hasardeuse, dans la mesure où le fameux fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est financé en partie par le basculement des excédents des OPCA au-delà de 35 %.

Par ailleurs, dans la mesure où le financement de l’employeur a été sanctuarisé à hauteur de 0,20 % de la masse salariale, qu’arrivera-t-il si le fonds paritaire ne peut plus faire face aux besoins de formation ?

J’en reviens donc toujours à ma petite logique comptable ! Il aurait été utile de dresser un tableau d’emplois et de ressources, dans le cadre d’une réflexion prospective nuancée par toutes les réserves qui s’imposent, afin de mettre en place cette réforme avec une plus grande humilité, c'est-à-dire en étalant la réduction du montant de la taxe sur une, deux ou trois années.

On estime aussi que la formation des demandeurs d’emploi est insuffisante. Les sommes qui y seront consacrées passeront de 600 millions à 900 millions d’euros. Sur ce point, au reste anecdotique, permettez-moi de vous reprendre, monsieur le ministre : il s’agit non pas d’une augmentation de plus de 50 %, mais de 50 % exactement.

M. Jean Desessard. C’est la guerre des chiffres ! (Sourires.)

M. Jean-Noël Cardoux. Cette augmentation de 300 millions d’euros se fera au détriment du parcours de sécurisation professionnelle, je l’ai déjà dit en commission. C’est la raison pour laquelle notre groupe proposera un amendement visant à porter, pour les demandeurs d’emploi, dans le cadre des abondements prévus par le texte, à 250 heures le plafond du CPF.

Nous estimons que la mutualisation en faveur des TPE et des PME est insuffisante, même si l’Assemblée nationale a introduit un amendement visant à redonner du grain à moudre aux entreprises de plus de cinquante salariés. Toutefois, le problème des entreprises employant de cinquante à deux cents personnes n’est pas réglé.

Concernant la représentativité patronale, l’article 16 est contesté. Certaines organisations ont rejeté ce texte, tout en éprouvant un sentiment de frustration, ce qui n’est pas sain. Il aurait été nécessaire d’avoir un peu plus de recul.

J’évoquerai également les incertitudes liées à la participation des « hors champ ». Vous avez traité cette question extrêmement rapidement, par voie de convention négociée dans l’urgence, ce qui prouve bien que ce cas n’avait pas été suffisamment étudié en amont.

M. Jean-Noël Cardoux. Ces « hors champ » seraient consultés sur les problèmes de financement du dialogue social et des formations. Surtout, on ne sait pas actuellement s’ils seront associés, avec voix délibérative, au comité en question. J’attends confirmation de ce point, monsieur le ministre.

Quant à la décentralisation, nous ne la contestons pas. Nous constatons simplement que l’État se désengage totalement du financement, en particulier en supprimant les contrats d’objectifs et de moyens État-région. Selon moi, il aurait été également nécessaire de lisser dans le temps ce désengagement, pour permettre aux uns et aux autres de s’y habituer. Qui plus est, malgré la fusion de deux institutions, vous instaurez une gouvernance nationale et régionale complexe, avec une représentation limitée, puisque, dans les COPIDEF et les CREFOP, un certain nombre de partenaires ne sont pas associés. Je pense en particulier aux chambres consulaires, tout au moins dans les CREFOP, qui sont des comités consultatifs, et aux départements, qui sont chefs de file en matière de handicap, d’insertion et de RSA. Il aurait été tout à fait naturel de les associer aux organes de réflexion sur la formation de ces publics.

S’agissant des trois listes de formations qualifiantes, elles seront relativement complexes à mettre en œuvre. Dans le cadre du choc de simplification que le Gouvernement entend mettre en avant, une telle mesure aurait nécessité une réflexion préalable. J’espère que, compte tenu des incertitudes liées au financement, il ne s’agit pas d’un obstacle supplémentaire destiné à écarter du dispositif certains bénéficiaires du CPF.

En outre, comme l’écrit M. le rapporteur dans son rapport, et comme l’ont souligné certains intervenants au cours des auditions que nous avons menées, prétendre que les OPCA vont complètement changer de mentalité représente un vrai pari, compte tenu des incertitudes pesant sur le financement. Certes, une telle évolution est tout à fait souhaitable, et il convient de sortir d’une logique de collecte forcée et d’adopter une logique d’offre à l’égard des partenaires sociaux et des entreprises. Toutefois, êtes-vous sûr qu’une telle évolution sera aussi rapide et immédiate que vous l’affirmez ? Vous connaissez aussi bien que moi, dans ce domaine, la force d’inertie des intervenants. Je nourris donc quelques doutes sur ce sujet. Il aurait été certainement nécessaire d’aller un peu plus loin dans l’analyse prospective, afin d’instaurer des garde-fous plus importants.

Pour ce qui concerne la réorganisation de l’inspection du travail, nous n’y sommes pas opposés, je l’ai déjà dit. Gérard Larcher avait d’ailleurs préconisé une réforme de l’organisation des inspections du travail. En revanche, donner des pouvoirs exorbitants, avec des amendes pouvant aller jusqu’à 10 000 euros par salarié si l’employeur ne respecte pas une décision d’arrêt temporaire de travaux ou d’activité, c’est faire peser une épée de Damoclès sur les entreprises. Surtout, par une procédure exorbitante du droit commun, les inspecteurs du travail pourraient, pour les besoins de leurs missions, non seulement prendre connaissance, au siège de l’entreprise, comme ils le faisaient auparavant, de certains documents, mais aussi les emporter avec eux. Une telle mesure ne s’inscrit pas dans le cadre d’un dialogue constructif, même s’il est nécessaire de contrôler les sociétés qui ne respecteraient pas le droit du travail.

Supprimer de telles dispositions serait de nature à rassurer les entreprises quant aux intentions du Gouvernement.

J’en viens au temps partiel. Chacun se rend bien compte que seulement deux ou trois branches – les autres jouant probablement la montre – ont accepté de négocier les accords en question, qui déstructurent des secteurs d’activité complets, notamment celui des services à la personne. Je pense en particulier aux municipalités confrontées à la modification des rythmes scolaires. En la matière, il faut prendre le temps de réfléchir, pour améliorer la situation.

Je le répète, l’apprentissage a été sacrifié. Il servira désormais de variable d’ajustement. Et je n’oublie pas que la formation des personnes handicapées fait désormais l’objet d’un désengagement total de l’État !

Vous en conviendrez, voilà une longue liste de critiques ! À mon avis, ce texte a été bâti trop vite, sans recul suffisant. Ce point de vue est corrélé par le fait que, malgré mon peu d’appétence pour le dépôt d’amendements, notre groupe a été amené à déposer presque quatre-vingts amendements, ce qui est tout de même symptomatique de l’insatisfaction engendrée par ce texte. En effet, après avoir terminé nos auditions, nous nous sommes rendu compte que de nombreux problèmes n’étaient pas abordés par le projet de loi.

Je terminerai en disant que nous avons voulu, au vu des nombreux points positifs de ce texte, ouvrir la porte à des amendements de sagesse, malgré les sujets qui fâchent comme l’apprentissage ou l’inspection du travail. Je le reconnais volontiers, le sentiment de frustration de certaines organisations patronales au sujet de la représentativité mérite d’être pris en compte. Voilà pourquoi, à la fin de l’examen de l’article 16, nous proposerons un amendement visant à donner un peu de temps au temps et à attendre l’échéance de 2017, qui permettra d’obtenir la « photo de la représentativité patronale ». Un comité de suivi pourrait être établi et ces deux années mises à profit pour que les partenaires sociaux rediscutent, évoluent et, surtout, essaient de se comprendre. Car bien souvent, il s’agit uniquement d’un problème de compréhension ! À mon avis, vous feriez un geste d’apaisement en acceptant cet amendement.

Par ailleurs, s’agissant du temps partiel, compte tenu des blocages que ce sujet implique, nous pourrions peut-être envisager de redemander aux négociateurs de l’ANI d’arrondir le texte et de répondre aux frustrations observées dans certains secteurs.

Dans ces conditions, je ne vois vraiment pas comment le groupe UMP pourrait voter ce texte.