M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.

Mme Laurence Cohen. En 2008, dans le projet de loi qu’il avait déposé pour transposer un accord national interprofessionnel sur la représentativité des organisations syndicales, le ministre Xavier Bertrand n’avait pas hésité à introduire des dispositions relatives au temps de travail. Ce faisant, il avait profité d’une forme d’accord majoritaire sur un projet de loi à portée limitée pour chercher à imposer une mesure dont il savait pertinemment qu’elle était contestée par les organisations syndicales.

Le groupe CRC, ainsi que d’autres, à gauche, avait dénoncé un procédé qui contredisait la portée de ce projet de loi, dont l’ambition était de transposer dans le droit le fruit du dialogue social.

Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous procédez à peu près de la même manière. Cela, vous vous en doutez, ne peut provoquer chez nous que les mêmes réactions qu’en 2008.

Vous en conviendrez, tout comme la suppression des élections prud’homales, que vous aviez voulu inclure dans le présent projet de loi et sur laquelle vous êtes fort justement revenu, l’organisation et la transformation de l’inspection du travail n’a pas de lien réel avec la question de la formation professionnelle. En effet, le volet relatif à la formation professionnelle s’adresse exclusivement aux salariés de droit privé, quand la réforme de l’inspection du travail concerne d’abord des agents publics.

Par ailleurs, à l’inverse des dispositions sur la formation professionnelle, qui ont fait l’objet d’un accord, les dispositions concernant l’inspection du travail, quant à elles, ne sont pas nées d’un réel dialogue social. Il est particulièrement paradoxal de faire l’éloge du dialogue dans le titre Ier de ce projet de loi, et d’en faire fi dans son titre III !

Ce projet de réorganisation – faut-il le rappeler ? – a été rejeté par l’ensemble des organisations syndicales participant au comité technique ministériel, en raison des risques importants qu’il recèle.

Tout cela me conduit naturellement à évoquer le fond. Par honnêteté, je tiens à dire que certaines mesures vont dans le bon sens. Je pense plus précisément à celles qui renforcent les prérogatives des inspecteurs, à l’élargissement des pouvoirs d’intervention de l’inspection du travail en matière de santé et de sécurité au travail, avec notamment l’amélioration des moyens d’expertise technique et l’exigence mise à la charge des employeurs de faire procéder aux analyses, ou encore à l’élargissement du champ d’application du dispositif d’arrêt temporaire de travaux en cas de dangers graves et imminents.

Pour autant, on est droit de s’interroger quant à la portée réelle de ces pouvoirs nouveaux au regard du risque d’accroissement de la subordination des contrôleurs et inspecteurs à l’égard de leur hiérarchie. Cela s’opère notamment par la suppression des sections d’inspection, pourtant reconnues par l’Organisation internationale du travail comme une composante de l’indépendance des agents de contrôle et d’inspection, au profit d’une unité de contrôle. Cette dernière serait placée sous l’autorité d’un responsable d’unité de contrôle, ou RUC, qui serait amené à organiser le travail des agents de contrôle là où ces derniers agissaient de manière spontanée, notamment sur la base des informations transmises par les salariés. Cette capacité à répondre rapidement aux demandes des salariés constituait pourtant l’une des forces de l’inspection du travail.

Cet encadrement, pour ne pas dire cette reprise en main, est d’autant plus inquiétant qu’un pan entier de la configuration de la future inspection du travail sera défini par ordonnance, sans que les parlementaires se prononcent.

Un tel déficit démocratique est à rapprocher du déficit démocratique constaté par les agents de l’inspection du travail – sans parler d’un certain déficit d’écoute dans cet hémicycle…(Exclamations amusées.)

Par conséquent, le groupe CRC est totalement opposé à cet article 20.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, sur l'article.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je partage les préoccupations qui viennent d’être exprimées.

À mon sens, cette réforme de l’inspection du travail n’est pas suffisamment aboutie et n’a pas fait l’objet d’une négociation sociale permettant un large accord des organisations syndicales.

En outre, s’il y a effectivement des avancées par rapport à l’élargissement des capacités d’intervention, je pense qu’il faut faire preuve de vigilance quant à l’indépendance des inspecteurs et des contrôleurs. Et je ne crois pas que l’introduction d’un niveau hiérarchique intermédiaire directement choisi par l’administration et par la hiérarchie soit de nature à garantir une réelle autonomie des inspecteurs du travail.

Par ailleurs, les missions de ces inspecteurs seront ciblées sur des sujets dits « prioritaires ». Je ne vois absolument aucun inconvénient à ce que l’on soit très attentif à un certain nombre de sujets, comme, entre autres, le travail au noir ou la sécurité au travail. Mais l’inspection du travail a tout de même une autre fonction : répondre à l’appel des salariés.

Les inspecteurs ne vont plus pouvoir intervenir aussi fortement et directement sur les conditions de travail ou en cas de non-respect du SMIC minimal dans les accords de branche, car ils seront focalisés sur l’exécution des consignes qui leur auront été données par leur hiérarchie intermédiaire.

Voilà qui, à mes yeux, trahit en partie l’exigence d’indépendance qui doit prévaloir s’agissant des inspecteurs du travail.

Et même s’il y a une avancée pour ce qui est de la hiérarchie, puisque les contrôleurs seront transformés en inspecteurs ou en intermédiaires, globalement, les agents qui seront réellement sur le terrain ne seront pas plus nombreux pour autant.

Par conséquent, je suis plus que réservée sur l’article 20. Je souhaiterais qu’un tel dispositif ne soit pas discuté à l’occasion de l’examen du présent projet de loi. Il vaudrait mieux y réfléchir de manière plus approfondie pour, effectivement, améliorer le fonctionnement de l’inspection du travail.

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.

L'amendement n° 53 est présenté par M. Desessard, Mme Archimbaud, M. Placé et les membres du groupe écologiste.

L'amendement n° 150 rectifié est présenté par M. Cardoux, Mmes Boog, Bouchart, Bruguière et Cayeux, M. de Raincourt, Mme Debré, M. Dériot, Mme Deroche, MM. Fontaine et Gilles, Mmes Giudicelli et Hummel, M. Husson, Mme Kammermann, MM. Laménie, Longuet, Milon et Pinton, Mme Procaccia, MM. Savary, Charon, Reichardt, Mayet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.

L'amendement n° 177 rectifié bis est présenté par Mme Jouanno, MM. Détraigne, J. Boyer, Tandonnet, Roche et Delahaye et Mmes Dini et Morin-Desailly.

L'amendement n° 222 est présenté par Mmes Cohen et David, M. Fischer, Mme Pasquet, M. Watrin et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces quatre amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 53.

M. Jean Desessard. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, si le groupe écologiste se réjouit de la teneur générale du présent projet de loi sur la formation professionnelle et sur la représentativité, la réforme de l’inspection du travail constitue pour nous un point d’achoppement très fort.

Sur la forme, le manque de concertation a été souligné. Contrairement aux dispositions du texte qui concernent la formation professionnelle, la réforme de l’inspection du travail est totalement étrangère à l’accord national interprofessionnel conclu le 14 décembre 2013 ; le sujet n’était pas à l’ordre du jour. En réalité, il s’agit d’une réforme globale du système d’inspection du travail d’une telle ampleur que cela aurait nécessité un projet de loi spécifique.

Sur le fond, si l’on peut évidemment trouver quelques améliorations, le problème principal réside dans la remise en cause de l’indépendance de l’inspecteur du travail.

Mme Christiane Demontès. Mais non ! C’est faux !

M. Jean Desessard. Ma chère collègue, qui dit « hiérarchie » dit « problème d’indépendance » ! Vous ne pouvez pas dire une chose et son contraire ! Ou alors, ce serait nous prendre pour des imbéciles…

Si l’action de l’inspecteur du travail peut être influencée, c’est qu’il n’est plus indépendant.

M. Michel Sapin, ministre. Justement, c’est bien pour cela qu’elle ne peut pas être influencée !

M. Jean Desessard. La définition des missions et leur organisation, c’est un autre sujet.

Monsieur le ministre, permettez-moi de vous rappeler les termes de la convention de 1947 de l’Organisation internationale du travail sur l’inspection du travail – vous le voyez, nos références ne sont pas seulement franco-françaises ; nous nous appuyons sur un document international ! –, dont l’article 6 est ainsi rédigé : « Le personnel de l’inspection sera composé de fonctionnaires publics dont le statut et les conditions de service leur assurent la stabilité dans leur emploi et les rendent indépendants de tout changement de gouvernement et de toute influence extérieure indue. »

Les inspecteurs du travail sont des magistrats ! (Mme Christiane Demontès s’exclame.)

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Mais non !

M. Jean Desessard. C’est un corps diplômé qui se caractérise par l’indépendance de ses membres. Or on veut leur imposer des petits chefs, comme s’ils faisaient mal leur travail ; imaginez que l’on fasse de même pour un magistrat ou un médecin…

Par conséquent, et j’y reviendrai dans quelques instants, la principale raison à mes yeux de s’opposer à l’article 20 réside dans l’atteinte portée à l’indépendance de l’inspection du travail, un corps qui n’a pas démérité.

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour présenter l'amendement n° 150 rectifié.

M. Jean-Noël Cardoux. Le groupe UMP souhaite également la suppression de l’article 20, mais pour des raisons différentes de celles qui viennent d’être exposées par l’orateur précédent. (Exclamations sur différentes travées.)

Mme Annie David. C’est sûr !

M. Jean-Noël Cardoux. Comme j’avais eu l’occasion de le préciser lors de la discussion générale, nous ne sommes pas foncièrement opposés à la réorganisation de l’inspection du travail, notamment eu égard aux objectifs de M. le ministre.

Le principal point d’achoppement dans le texte proposé réside dans les pouvoirs qui sont donnés aux inspecteurs du travail en matière de sanction administrative.

Selon nous, les amendes prévues sont disproportionnées par rapport aux enjeux ; appliquées de manière massive, elles pourraient menacer l’équilibre de certaines entreprises déjà en difficulté. En plus, elles ne feront pas l’objet de contrôle de l’autorité judiciaire ; seuls des recours devant la juridiction administrative seront possibles.

Autre problème, les inspecteurs du travail pourront emporter au siège de leur direction des documents confidentiels saisis dans les entreprises. Que les inspecteurs puissent consulter de tels documents et en tirer des conclusions, soit ! Mais qu’ils puissent les photocopier et conserver ces copies, cela me paraît tout de même un peu dangereux et potentiellement préjudiciable pour les entreprises concernées ! Certes, ces agents sont soumis au secret professionnel. Mais comment garantir qu’un tiers ne pourra pas prendre connaissance des documents, même de manière impromptue, dans les locaux de l’inspection du travail ?

Par ailleurs, et M. Desessard l’a souligné, le dispositif prévu à l’article 20 ne faisait pas partie de l’accord national interprofessionnel. C’est donc un cavalier législatif géant.

Comme je l’ai déjà indiqué, et j’observe que ce point de vue est largement partagé, il aurait été nécessaire de prendre un peu plus de temps pour mener la réflexion sur cette réforme. Il suffit d’écouter les réactions des différents acteurs, qu’il s’agisse des inspecteurs du travail ou des entreprises, pour constater que le dispositif envisagé suscite beaucoup d’interrogations et de protestations.

Dès lors, il paraît raisonnable de supprimer l’article et de nous donner du temps pour revoir la copie !

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour présenter l'amendement n° 177 rectifié bis.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nous proposons de supprimer l’article 20, relatif à l’inspection du travail, pour des raisons de forme et de fond.

Sur la forme, une réforme de l’inspection du travail n’a pas sa place dans un projet de loi visant à transcrire dans notre droit un accord national interprofessionnel et à renforcer la démocratie sociale. La suppression de l’article 20 permettrait donc de recentrer le texte sur son véritable objet. Quant à la réforme de l’inspection du travail, elle sera débattue en son temps.

Toujours sur la forme, il est aussi difficilement acceptable qu’une partie de la réforme soit renvoyée à une ordonnance.

Sur le fond, la réforme ne nous semble pas mûre. Elle ne parvient pas à établir un juste équilibre entre les nécessités du contrôle et le respect de la liberté d’entreprendre.

Même si l’organisation hiérarchique de l’inspection, loin de remettre en cause l’indépendance réelle des agents concernés – à cet égard, je ne partage pas l’analyse de notre collègue Jean Desessard –, nous paraît constituer une réponse à ce qui peut parfois constituer une forme d’arbitraire, plusieurs dispositions sont en revanche particulièrement contestables. D’ailleurs, elles font l’objet d’amendements de repli, dans l’hypothèse où notre amendement de suppression ne serait pas adopté.

Je pense notamment à la possibilité offerte aux inspecteurs de se faire communiquer tout document, quel que soit le support, et d’en prendre copie. Comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, je pense qu’il s’agit d’un pouvoir trop large.

De même, l’amende administrative ne devrait pouvoir être infligée à l’entreprise par l’inspection qu’après mise en demeure.

Enfin, en cas de contestation de l’amende, un recours administratif préalable au recours contentieux devrait être ouvert.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que la réforme de l’inspection du travail doit être reportée.

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour présenter l'amendement n° 222.

M. Dominique Watrin. Nous proposons également la suppression de l’article 20, dont les dispositions concernent une réorganisation massive de l’inspection du travail et n’ont, à nos yeux, rien à faire dans un projet de loi sur la démocratie sociale et la formation professionnelle. Si le Gouvernement voulait légiférer sur le statut et l’organisation de l’inspection du travail, il aurait dû y consacrer un projet de loi spécifique. Voilà notre opinion.

De plus, il est étonnant le Gouvernement intègre de telles mesures dans un projet de loi relatif à la démocratie sociale ; elles n’ont fait l’objet d’aucune négociation dans le cadre d’un accord national interprofessionnel, ni de concertations au sein de la fonction publique. En outre, elles sont contestées par la majorité des organisations syndicales. Il s’agit d’une décision pour le moins autoritaire et quelque peu incohérente de la part du Gouvernement.

Les sénateurs du groupe CRC sont par principe opposés au fait que le Gouvernement légifère par voie d’ordonnance. C’est au Parlement qu’est confié le soin de faire la loi. Dans notre République, le Gouvernement n’a pas les prérogatives pour décider quelles dispositions doivent faire loi.

Légiférer par voie d’ordonnance, même si le Parlement a son mot à dire conformément à l’article 38 de la Constitution, revient à ôter au législateur son pouvoir.

Légiférer par ordonnance peut effectivement être plus confortable pour pallier une certaine impopularité des décisions à prendre ou pour aller vite.

Dans tous les cas, recourir aux ordonnances, c’est ôter leurs prérogatives aux parlementaires, ce que nous condamnons.

Pour toutes ces raisons, et afin de permettre le plein et entier dialogue social entre les inspecteurs, les contrôleurs du travail et le Gouvernement, nous proposons la suppression de l’article 20.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Claude Jeannerot, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à ces amendements identiques, qu’à titre personnel je n’approuve pas.

M. Jean Desessard. Dites-nous plutôt pourquoi la commission a émis un avis favorable !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Monsieur Desessard, j’ai le droit de m’exprimer !

M. Jean Desessard. Oui, mais en tant que rapporteur vous devez nous faire connaître l’avis de la commission !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. J’ai dit à l’instant que la commission avait émis un avis favorable !

M. Jean Desessard. Expliquez-nous pourquoi !

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Cet avis est le reflet de la position de la majorité de la commission : c’est une évidence ! Permettez-moi néanmoins de regretter, à titre personnel, que la commission ait adopté cette position.

Mes regrets tiennent d’abord au fait que la réforme de l’inspection du travail qui est proposée me paraît courageuse et équilibrée : elle sert à la fois les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise.

Cette réforme comporte une réorganisation territoriale, dont l’intérêt est de permettre la mise en œuvre d’actions collectives, par exemple pour lutter contre le travail illégal ou étudier les conditions d’emploi, sur un territoire donné, des travailleurs venus d’Europe de l’Est – question importante s’il en est au regard de l’équité du marché du travail dans notre pays. De telles actions collectives sont nécessaires à la défense de notre justice sociale et de notre droit du travail et ne remettent pas en cause, à l’évidence, l’indépendance de l’inspecteur du travail. D’ailleurs, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale fait clairement référence à l’Organisation internationale du travail et réaffirme explicitement la nécessité de respecter l’indépendance de l’inspection du travail.

Si je regrette la probable suppression de l’article 20, c’est aussi parce qu’il tend à renforcer les pouvoirs de l’inspecteur du travail, au bénéfice de la protection des salariés.

Je ne prendrai qu’un exemple à cet égard : aujourd'hui, l’inspecteur du travail peut interrompre un chantier, dans le secteur du bâtiment, s’il considère que la vie ou la santé des travailleurs est mise en péril ; le texte prévoit d’étendre cette possibilité à l’ensemble des secteurs d’activité. Voilà un élément qui renforcerait un peu plus la protection des salariés.

Par ailleurs, le dispositif de l’article vise également à accroître les pouvoirs des inspecteurs du travail afin de rendre plus effective la sanction des infractions constatées. À l’heure actuelle, la très grande majorité des procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail ne sont pas suivis d’effets sur le plan pénal. Il est proposé de permettre à l’autorité administrative compétente – et non pas à l’inspecteur du travail lui-même, ce qui protège les entreprises – de prononcer des sanctions administratives qui, contrairement à ce qui a pu être affirmé du côté droit de l’hémicycle, sont juridiquement très encadrées, le dispositif respectant le principe du contradictoire. J’ai dit que ce texte est équilibré : en voilà la démonstration !

Pour toutes ces raisons, je regrette que nous nous orientions inexorablement vers la suppression de l’article 20.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Michel Sapin, ministre. J’ai déjà abondamment développé les arguments en faveur de cette réforme, en répondant aux orateurs de la discussion générale.

Je rappellerai simplement que l’article 20 comprend trois types de dispositions.

Les premières visent à mieux lutter contre le risque amiante. En supprimant l’article 20, mesdames, messieurs les sénateurs, vous supprimerez des mesures nouvelles qui sont très attendues par les salariés soumis à ce risque.

La deuxième série de dispositions, celle qui suscite des réactions du côté droit de l’hémicycle et constitue l’essentiel de l’article, tend à accorder des pouvoirs nouveaux à l’inspection du travail. Ces mesures sont peut-être contestées par certains, mais elles sont souvent considérées, tant par les praticiens que par les théoriciens, comme indispensables.

Aujourd'hui, lorsqu’il constate des infractions, l’inspecteur du travail ne peut que saisir, par l’intermédiaire d’ailleurs du directeur de la DIRECCTE, le procureur de la République, qui donne ensuite les suites qu’il souhaite. Pour plus d’efficacité, nous proposons que l’autorité administrative compétente puisse prononcer directement des sanctions. En supprimant l’article 20, vous annulerez une réforme importante, envisagée depuis de nombreuses années, qui permettrait d’accroître l’efficacité de l’action de l’inspection du travail. Tous ceux qui, pour des raisons différentes, s’apprêtent à voter ces amendements de suppression doivent avoir cela à l’esprit.

Enfin, l’article 20 prévoit une nouvelle organisation de l’inspection du travail. Je n’argumenterai pas sur cet aspect très secondaire du texte. Tous ceux qui affirment que ces dispositions remettent en cause l’indépendance de l’inspection du travail m’insultent personnellement ! Je le dis très clairement, car je ne suis pas le ministre du travail qui portera atteinte à l’indépendance de l’inspection du travail !

M. Jean Desessard. On a quand même le droit de dire ce qu’on veut, monsieur le ministre !

M. Michel Sapin, ministre. Certes, mais j’ai parfaitement le droit, quant à moi, de percevoir de tels propos, d’où qu’ils viennent, comme des insultes ! Je défends le principe de l’indépendance de l’inspection du travail depuis le début de mon parcours de militant politique, c'est-à-dire depuis quarante ou quarante-cinq ans. Ce n’est pas maintenant que je le remettrai en question ! D’ailleurs, le voudrais-je que je ne le pourrais pas, puisqu’il est protégé par des accords internationaux, par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et par celle du Conseil d’État, qui considère qu’il s’agit d’un des principes fondamentaux de la République.

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Sapin, ministre. Que les choses soient claires, il s’agit simplement d’instaurer une meilleure organisation pour davantage d’efficacité. Par conséquent, en supprimant l’article 20, vous priverez l’inspection du travail des moyens d’être plus efficace dans le monde d’aujourd’hui. L’inspection du travail doit être une administration de proximité, capable de répondre à tous les problèmes du quotidien. Pour cela, elle doit être organisée différemment.

J’aimerais que nous puissions examiner cet article précisément, disposition par disposition : je suis persuadé que je parviendrais alors à vous convaincre, les uns comme les autres, de son intérêt pour notre économie, pour notre société, pour les salariés et pour les travailleurs, qui seront mieux protégés !

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Le corps des inspecteurs du travail est compétent et motivé. On a réformé des services publics pour qu’ils fonctionnent comme des entreprises, avec des petits chefs, pour qu’ils fassent du chiffre. Ça n’a pas marché.

Vous voulez créer des responsables d’unités de contrôle, des RUC, qui seront des responsables hiérarchiques. Sans vouloir vous faire offense, monsieur le ministre-militant, mettre en place un responsable hiérarchique, cela a tout de même une incidence, si les mots ont un sens, sur l’indépendance des personnes relevant de son autorité !

L’inspection du travail, disais-je, est un corps motivé et compétent. Vous souhaitez qu’il puisse intervenir en cas de situations de travail clandestin. Or c’est déjà possible aujourd'hui ! Chaque inspecteur du travail peut intervenir dans les entreprises situées dans son ressort !

De même, mener des actions collectives est déjà possible aujourd'hui, comme le montre l’exemple de celle qui a visé France Télécom. Certes, les inspecteurs du travail peuvent refuser de participer à de telles actions d’envergure organisées par leur administration, mais ils ne l’ont jamais fait, car ils ont une conscience professionnelle ! Il n’existe aucun exemple de cet ordre !

S’ils sont placés sous l’autorité d’un responsable hiérarchique, les inspecteurs du travail pourront être mutés ou dessaisis en cas de problème avec une entreprise qu’ils suivent. Si ce n’est pas une atteinte à leur indépendance, ça y ressemble tout de même beaucoup !

Par ailleurs, je m’étonne que l’on veuille créer des unités de contrôle au niveau départemental et que l’on abandonne la notion de proximité.

Je croyais que la gauche était favorable à la police de proximité, au « vivre ensemble », et non à la politique du chiffre. N’en va-t-il pas de même s’agissant du monde du travail ? Ne sommes-nous pas, à gauche, partisans de la proximité, d’un meilleur suivi des salariés et des entreprises ? Ce texte remet ce principe en cause : il n’y aura pas de secteurs géographiques définis,…

M. Claude Jeannerot, rapporteur. Mais si !

M. Jean Desessard. … mais un ensemble, placé sous l’autorité d’un responsable !

M. Michel Sapin, ministre. Ce n’est pas vrai !

M. Jean Desessard. Enfin, je ne suis pas opposé aux sanctions administratives. Pourquoi, pour de petites infractions, l’inspecteur du travail ne pourrait-il pas en prononcer une ? Mais, dans le texte, il est prévu que la sanction administrative soit prononcée par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, le DIRECCTE, c'est-à-dire par la personne chargée, dans la région, de mettre en œuvre la politique du Gouvernement dans ses domaines de compétence : ne pourra-t-elle avoir un intérêt politique à ne pas sanctionner telle ou telle entreprise, si elle souhaite, par exemple, mettre en place des contrats de génération ou des contrats d’avenir, développer l’emploi ou favoriser l’investissement ? Le DIRECCTE pourra donc être influencé dans ses décisions, pour des motifs au demeurant légitimes. En somme, il pourra y avoir conflit d’intérêts, amenant le cas échéant à renoncer à prononcer une sanction ! Où est la garantie d’indépendance ? Un magistrat, par exemple, est indépendant de par son statut, mais un DIRECCTE applique la politique voulue par le Gouvernement et relève directement de celui-ci : il n’est donc absolument pas indépendant !

Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à cette réforme de l’inspection du travail. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, nous ne rejetons pas l’idée de redonner du dynamisme à l’inspection du travail et de réactualiser son rôle, comme vous le souhaitez, mais nous voulons avant tout que l’indépendance de ce corps soit garantie.

M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote.

Mme Christiane Demontès. Les critiques formulées à l’encontre de la réforme de l’inspection du travail qui nous est proposée, outre qu’elles sont extrêmement véhémentes, comme on vient de le constater, se fondent sur des arguments totalement contradictoires.

Il faut raison garder dans cette affaire. Nous avons écouté avec attention les représentants des inspecteurs du travail, de même que ceux du Gouvernement.

Ces auditions nous ont convaincus que, face à une délinquance qui prend de nouveaux visages, nous devons nous doter de méthodes de contrôle et de répression plus réactives, pour être efficaces et protéger à la fois nos travailleurs et nos entreprises. Nous aurons d’ailleurs à en débattre bientôt, lors de l’examen de la proposition de loi socialiste visant à lutter contre la fausse sous-traitance et la concurrence déloyale, qui a été discutée cette semaine à l’Assemblée nationale.

La réforme répond-elle à ce besoin ? À notre sens, oui.

Chacun sait que les procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail sont aujourd’hui rarissimes. Ces dernières années, on n’en comptait que trois par an et par inspecteur, ce qui est dérisoire. Les poursuites pénales sont donc pratiquement inexistantes.

Les sanctions administratives et la transaction pénale apportent des réponses à cette situation. Il y aura enfin une sanction des comportements délictueux, plutôt qu’une menace ne se réalisant jamais, ce qui porte atteinte à la crédibilité et à l’autorité des services de contrôle.

En même temps, il n’y a pas de dépénalisation, puisque rien n’empêchera l’inspecteur du travail de saisir le procureur.