M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.

M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, depuis quelques années, la principale richesse de notre justice est le nombre de rapports qui lui sont consacrés. Il n’est qu’à voir le nombre de rapports qui ont été cités par les différents intervenants ce soir. C’est extraordinaire !

Tout le monde cherche à améliorer le fonctionnement de la justice, et il y a plusieurs manières de procéder.

On peut trancher à la hache : c’est la réforme de la carte judiciaire. On en parlait depuis vingt ou vingt-cinq ans – le Sénat y avait même consacré deux rapports –, mais rien n’était fait, car il est toujours difficile de supprimer ou de regrouper des juridictions.

On peut débattre, par exemple du tribunal départemental ou du parquet départemental. Sous toutes les majorités, on a débattu, chacun essayant de faire en sorte que les juridictions fonctionnent mieux. Il est donc normal que la commission des lois rédige, elle aussi, beaucoup de rapports sur le sujet, comme celui sur la réforme de la carte judiciaire publié il y a deux ans. La Chancellerie et d’autres acteurs mènent également leurs propres réflexions.

Nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne plaident, quant à eux, pour une « réforme pragmatique de la justice de première instance ». Naguère, le principal débat portait sur les décisions rendues par un juge unique, comme celles du tribunal d’instance, et les décisions rendues par une formation collégiale, comme celles du tribunal de grande instance, même si le président du TGI a des fonctions particulières. Aujourd'hui, ce débat n’est plus forcément d’actualité. On s’est rendu compte que le principe de collégialité, qui était défendu mordicus par beaucoup de nos collègues, pouvait ne pas être immuable. Du reste, le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas à l’intervention d’un juge unique dès lors qu’il existe des procédures d’appel.

L’apport fondamental du rapport de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne est le guichet universel de greffe. Cette idée me semble d’autant plus intéressante qu’elle permettrait à tout justiciable d’être orienté dans le maquis judiciaire. Pour autant, n’exagérons pas : un chef d’entreprise sait très bien qu’il doit s’adresser au tribunal de commerce ! Je rappelle d'ailleurs que la création des tribunaux de commerce est à peu près contemporaine de celle des autres juridictions. En revanche, il n’est pas toujours facile de savoir si l’on doit s’adresser au tribunal d’instance ou au tribunal de grande instance, puisque cela dépend du montant prévisible du litige. Le rapport estime qu’il faut conserver le critère du montant du litige. Pour ma part, je ne suis pas totalement convaincu. Peut-être pourrait-on trouver d’autres critères.

Le rapport évoque également les juridictions de proximité. Madame le garde des sceaux, la commission des lois du Sénat avait affirmé que la création des juridictions de proximité n’était pas une bonne idée. Nous l’avions même écrit. Malgré tout, ces juridictions ont été créées. Il faut bien faire des compromis… Quand le Président de la République se prononce en faveur d’une réforme, tout le monde dit qu’il faut la faire. Pourtant, dans certains cas, mieux vaudrait essayer de convaincre le Président de la République qu’il ne s’agit pas forcément d’une bonne idée,…

M. Jean-Jacques Hyest. … surtout quand tout part d’une simple phrase dans un discours.

Je le répète, nous pensions que la création des juridictions de proximité n’était pas une bonne chose. En revanche, il nous semblait utile de conserver des juges de proximité auprès des tribunaux d’instance ou de grande instance, car ceux-ci peuvent apporter une aide non négligeable à la justice.

Nous avons créé beaucoup de fonctions : délégué du procureur, médiateur, conciliateur, etc. Néanmoins, à mon sens, les juges de proximité, pour un certain nombre de petits litiges, pourraient être mieux utilisés. Aussi, je regretterais qu’ils soient supprimés à terme. Il me semble même qu’ils seraient susceptibles de constituer un renfort extrêmement utile pour les juridictions, surtout dans le cadre d’un vrai tribunal de première instance. Cependant, madame le garde des sceaux, avant de créer ce tribunal de première instance, il importe d’harmoniser les procédures et de procéder à une nouvelle répartition des contentieux. C’est une condition sine qua non ; à défaut, nous allons continuer à observer ce flou et ces empiétements.

Par ailleurs, je suis d’accord avec Jacques Mézard lorsqu’il met en garde contre trop de déjudiciarisation. Reste qu’il faut arrêter de créer systématiquement de nouveaux contentieux. Mes chers collègues, regardez tout ce que nous avons fait en matière de consommation : nous avons multiplié les sources de litiges judiciaires ! Il en va de même avec la loi ALUR, dont je ne sais si elle a belle allure… Et je ne parle pas des lois que nous avons votées sur le surendettement, qui nous ont vus successivement judiciariser, déjudiciariser, rejudiciariser plusieurs fois la matière ! Ce phénomène est d’autant plus infernal qu’il intervient sans aucune véritable étude d’impact sur le fonctionnement des juridictions, notamment des tribunaux d’instance, qui sont les plus sollicités.

Madame Klès, monsieur Détraigne, vous appelez de vos vœux un tribunal de première instance. Votre proposition a fait l’objet de nombreuses objections, notamment constitutionnelles, liées à l’indépendance des magistrats. À mes yeux, de tels obstacles ne sont pas avérés. Néanmoins, je crois qu’il faudrait se cantonner, dans un premier temps, à la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. Ensuite, il faudra s’interroger sur l’étendue de la compétence des chambres détachées des TGI.

Je veux bien entendre votre proposition de créer un tribunal départemental, mais pas partout, car, dans certains cas, cela n’a pas de sens. Je le répète, il y a actuellement des TGI dans notre pays qui sont des monstres, notamment autour de Paris. Ce sont de véritables usines à justice qui n’ont plus taille humaine, sans préjuger la qualité des hommes qui les composent. Là encore, il faudrait peut-être envisager des chambres détachées pour mieux répartir l’organisation de la justice sur ces territoires.

Il y a aussi des objections fortes en ce qui concerne le risque d’éclatement du pôle de la famille, avec la dispersion des juges spécialisés dans le domaine de l’enfance, qui sont l’une des spécificités de notre système judiciaire. Il en va de même pour les conseils de prud’hommes, les tribunaux de commerce, dont la dernière réforme a été précédée de beaucoup de rapports également. Les propositions que vous faites appellent donc de notre part de la vigilance et de la prudence avant de nous lancer dans une nouvelle réorganisation de notre architecture judiciaire.

Madame le garde des sceaux, il est vrai que notre justice manque de moyens. À cet égard, les comparaisons internationales ne sont pas toutes pertinentes, le champ du contentieux n’étant pas toujours le même. Par exemple, en France, la justice consulaire est pratiquement gratuite, ou du moins coûte-t-elle beaucoup moins cher que dans d’autres pays où officient des juges professionnels ou des échevins, ce qui est forcément plus onéreux.

Or, quelles que soient vos convictions et les priorités que le Président de la République et le Gouvernement reconnaissent à la justice, je ne pense pas que ses moyens augmenteront significativement à l’avenir. Si certains crédits ministériels feront l’objet d’une réduction drastique, la justice, comme la sécurité et, je l’espère, la défense verront leurs moyens garantis, mais ils ne seront plus augmentés comme ils l’ont été durant les vingt dernières années en proportion du budget de l’État.

Il convient donc de mieux utiliser les moyens en simplifiant. À cet égard, je dis toujours que la justice concerne non seulement les juges et les justiciables, mais aussi les auxiliaires de justice, lesquels contribuent souvent autant que les magistrats à la réussite de la justice. Ce constat nous renvoie à la question de la réforme de l’aide juridictionnelle, à laquelle nous n’échapperons pas. Objectivement, le dispositif n’est plus financé : les avocats ne sont pas payés, ou avec beaucoup de retard, et les bureaux d’aide juridictionnelle font ce qu’ils peuvent. Je le répète, il faudra réformer ce système.

Il nous avait été reproché d’avoir mis en place une taxe. Aujourd’hui, tout le monde se réjouit qu’elle ait été supprimée, même si rien n’est prévu pour compenser le manque à gagner…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oh que si : 60 millions d’euros !

M. Jean-Jacques Hyest. D’accord, mais comme l’aide juridictionnelle était déjà largement déficitaire,…

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Structurellement !

M. Jean-Jacques Hyest. … elle va l’être encore plus après l’adoption du projet de loi dont nous avons débattu hier : entre 13 millions et 29 millions d’euros de plus.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Trente millions d’euros !

M. Jean-Jacques Hyest. Pour conclure, je dirais que si nous voulons que chacun puisse accéder à la justice, que chacun puisse être défendu dans de bonnes conditions et que les victimes soient respectées, le rapport très intéressant de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne doit nous conduire à améliorer très rapidement le fonctionnement des greffes. Pour ce faire, il n’est nul besoin de voter une loi, car il s’agit d’organisation judiciaire.

Enfin, nous devons continuer à réfléchir à une réforme de nos juridictions, tout en respectant l’aménagement du territoire, pour que les juges ne soient pas trop éloignés des justiciables. Cependant, gardons à l’esprit que beaucoup de nos concitoyens sont très heureux de ne jamais avoir affaire à la justice ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme de la carte judiciaire réalisée sous la législature précédente avait entraîné la disparition et le regroupement de nombreuses juridictions, principalement des tribunaux d’instance, remettant ainsi en cause l’accès à une justice simple et proche des justiciables. Elle avait également affecté l’ensemble des partenaires de justice et posé la question des conditions d’exercice du service public de la justice et de sa présence sur le territoire, auprès de tous les citoyens, en particulier des plus isolés.

La question d’une réforme profonde de l’institution judiciaire et de son organisation est donc plus que jamais nécessaire. Elle est largement réclamée par les organisations syndicales, mais il reste à savoir comment elle se fera.

Madame la garde des sceaux, vous avez réaffirmé, au mois de janvier dernier, lors du colloque sur la justice du XXIe siècle, votre volonté d’améliorer et de moderniser la justice. L’une des pistes envisagée est la création d’un tribunal de première instance qui aurait vocation à unifier la plupart des juridictions, et ce dans un souci de simplifier la justice et d’en garantir l’accès à tous les citoyens. Cette perspective de nouvelle répartition des contentieux paraît évidemment séduisante, puisqu’elle permet d’adapter l’organisation judiciaire à cette exigence de proximité. C’est l’objectif louable que vise la création d’un guichet unique de greffe, comme vous l’avez proposé, qui permettrait de construire une nouvelle proximité judiciaire en rendant possible la saisine d’un juge dans le tribunal le plus proche du justiciable, et ce quel que soit le tribunal effectivement compétent.

Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, auteurs du rapport d’information fait au nom de la commission des lois du Sénat en 2012, tout en émettant des réserves, voyaient trois avantages majeurs à la mise en place d’un tribunal de première instance : il permettrait « d’adapter les réponses judiciaires aux besoins de la population et d’assurer une présence judiciaire effective » ; il « garantirait la lisibilité […] de l’organisation judiciaire et simplifierait la saisine des juridictions » ; enfin, par la mutualisation des effectifs, « il assurerait aux chefs de juridiction une plus grande facilité de gestion ». Ces idées ont été reprises et approfondies dans le rapport d’Yves Détraigne et de Virginie Klès rendu cette année.

Si ses objectifs sont louables, la création d’un tribunal de première instance soulève malgré tout quelques interrogations, car le souci de cohérence et de lisibilité de l’institution judiciaire ne doit pas se traduire par la création d’une « hyper-structure gestionnaire », selon les termes de magistrats inquiets, qui aurait pour but de remplir des objectifs gestionnaires de souplesse et de flexibilité. Je profiterai d’ailleurs de ce débat pour relayer les interrogations et inquiétudes des professionnels de justice.

Tout d’abord, ce dispositif prévoit la fusion des juridictions de première instance et le rattachement des tribunaux d’instance transformés en chambres détachées. Se pose donc la question du périmètre fonctionnel d’une telle fusion. Comment intégrer des juridictions dont les procédures et la composition diffèrent sans remettre en cause leurs spécificités ? En effet, la création des TPI pourrait présenter un réel danger pour le fonctionnement de la justice en entraînant une perte d’identité pour les juridictions absorbées, voire une dégradation du service rendu aux justiciables.

Ensuite, une réforme du TPI ne doit pas conduire à une baisse des effectifs et des crédits budgétaires, tous les sites judiciaires correspondant aux tribunaux d’instance devant pouvoir être maintenus comme chambres détachées. L’idée d’un TPI départemental unique présente un certain risque : celui d’éloigner la justice des citoyens et, surtout, de ceux, isolés ou fragiles, qui y ont ordinairement difficilement accès, a fortiori pour ce qui est des juges spécialisés, qui ne pourraient se maintenir que dans les sites pouvant comporter des collèges de taille suffisante.

En outre, il est permis d’émettre quelques réserves sur le souhait d’harmonisation des procédures et de répartition des contentieux. En effet, certaines fonctions juridictionnelles spécialisées, comme celle de juge d’instance, seraient menacées de disparition, et le nouveau contentieux de proximité risquerait d’être déséquilibré s’il incluait une partie du contentieux familial, qui, nous le savons, représente tout de même plus de la moitié de l’activité civile des tribunaux de grande instance.

Enfin, dans le cadre de ce tribunal de première instance, il pourrait être procédé à une mutualisation des moyens et des effectifs au sein du TPI, ce qui permettrait aux chefs de juridiction de gérer selon leur souhait le personnel. Dans ce cas, il ne faudrait pas que les logiques de gestion ou de rationalisation prennent le pas sur la qualité de la réponse à apporter aux justiciables. Il importe d’y être d’autant plus attentif que l’insuffisance des moyens de la justice est particulièrement criante, comme j’ai eu l’occasion de le vérifier moi-même récemment à l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Créteil où les magistrats se plaignent d’un nombre de postes vacants très important, s’agissant pourtant d’un ressort particulièrement populaire dans lequel, vous le savez, madame la garde des sceaux, les besoins sont immenses.

Il est à craindre également que la mutualisation des effectifs ne tende à diluer la spécialisation des magistrats, qu’il est pourtant nécessaire de préserver pour offrir un service de justice de qualité pour tous.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons être assurés que la réforme du TPI ne se fera au détriment ni des justiciables ni du personnel judiciaire et des magistrats et que, en simplifiant les procédures et en facilitant l’accès de tous à la justice, elle ne nuira pas à l’autonomie et à la qualité de l’exercice judiciaire. Madame la garde des sceaux, je ne doute pas que vous serez attentive à nos remarques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la justice constitue l’un des piliers de la démocratie, une attention toute particulière doit donc être portée à son fonctionnement. En tant que parlementaires, nous devons veiller à ce que lui soient attribués les moyens nécessaires pour assurer sa qualité et son indépendance.

Par ailleurs, l’accès à la justice doit être facilité et doit constituer, dans un pays démocratique, le moyen ordinaire de résolution des conflits. Pour le citoyen de base, la justice est un monde souvent étranger qui ne fait pas partie de ses préoccupations quotidiennes, sauf si un événement exceptionnel survient, qui l’amène soit à subir une sanction pénale, soit à régler un conflit privé.

Lorsque l’on aborde la question de la justice, il me semble nécessaire de distinguer ce qui relève de la justice pénale et ce qui relève des conflits privés. Ce débat nous invite à nous interroger sur le volet privé.

Je souhaite saluer le travail accompli par mes collègues Yves Détraigne et Virginie Klès depuis notre débat en séance publique sur la réforme de la carte judiciaire, en octobre 2012. En effet, leur rapport d’information, intitulé Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance et publié il y a quelques mois, permet aux idées de réformes de progresser dans le bon sens, celui d’une justice de première instance plus simple et plus accessible.

Ce débat nous invite à nous interroger sur les grands principes régissant la justice de première instance et, ainsi, sur la justice dont ont besoin nos territoires. Je développerai donc trois points : l’organisation de la justice de première instance, les conditions qui permettraient de faciliter l’accès à cette justice et, enfin, la nécessité de faire entrer cette justice dans l’ère du numérique.

En premier lieu, je souscris entièrement aux conclusions du rapport relatives à la nécessité de créer un tribunal de première instance dans l’objectif d’une meilleure gestion des juridictions. Le code de l’organisation judiciaire recense presque une vingtaine de juridictions d’attribution. L’idée de la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance en un tribunal de première instance est, à mon sens, une nécessité. En effet, ce tribunal de première instance apporterait davantage de lisibilité et de simplicité pour le justiciable, en lui évitant de se pencher sur la problématique des exceptions d’incompétence liées à la répartition des contentieux. Il permettrait également une meilleure répartition des moyens et une meilleure organisation des audiences. Surtout, il permettrait de retrouver, par le biais des chambres délocalisées, un contentieux de proximité et des moyens d’adaptabilité pour répondre aux besoins des populations.

Dans mon département de Lot-et-Garonne, madame la garde des sceaux, vous avez mis en place une chambre délocalisée du tribunal de grande instance d’Agen pour pallier la suppression du tribunal de grande instance de Marmande. Cette chambre sera opérationnelle en septembre prochain. Cette innovation peut constituer un exemple à suivre dans la perspective d’une réforme.

Je suis également d’accord pour conserver la spécificité du conseil de prud’hommes et des tribunaux de commerce, qui, de longue date, ont fait leurs preuves et concernent des contentieux facilement identifiables associant des partenaires sociaux et des professionnels. Je précise que les tribunaux de commerce fonctionnent dans des conditions financières exceptionnellement peu coûteuses, puisque les fonctions de juge sont bénévoles.

On peut aussi espérer de ce tribunal de première instance une proximité adaptée au volume des contentieux, à leur spécificité et à leur répartition sur le territoire. L’organisation de chambres spécialisées permettra la qualification des magistrats et des greffiers et l’adaptation à l’évolution des contentieux. En effet, je pense qu’il faut éviter de créer des tribunaux spécialisés qui complexifient la procédure et désorientent le justiciable. À ce titre, je me félicite d’une mesure que j’ai défendue avec conviction, adoptée lors de l’examen du projet de loi relatif à la consommation, qui permettra à l’ensemble des tribunaux de grande instance de traiter de l’action de groupe, au lieu de réserver ce type de contentieux à huit TGI spécialisés seulement, comme le prévoyait le texte initial du projet de loi.

Il convient enfin de souligner qu’une juridiction de première instance fonctionne avec des partenaires de justice. Le président du tribunal pourra veiller à l’organisation de ces partenariats, qui se feront à l’échelle de son territoire et qui assureront ainsi un accès et une liaison plus humains pour les justiciables.

La création d’un tribunal de première instance pose, dès lors, d’autres questions, notamment celle de la représentation du justiciable devant cette juridiction. Comme vous avez pu le dire, madame la garde des sceaux, « il faut que le citoyen puisse s’approprier son litige et participer à sa résolution. Il faut le rendre capable, lui donner des éléments pour l’éclairer sur les chances d’aboutissement de son affaire, sur les coûts ou encore sur les délais ». Veillons cependant à ne pas laisser croire au justiciable qu’il peut se défendre seul ! Ce serait un leurre, car l’organisation judiciaire est complexe et nécessite un accompagnement par des professionnels de l’accès au droit.

M. Jacques Mézard. Très bien !

M. Henri Tandonnet. Le rapport n’aborde pas ces questions, pourtant essentielles : dans quelles formes le tribunal va-t-il être saisi ? Et par qui ? La réponse à ces deux questions va déterminer le travail du greffe et la qualité de la décision du juge, qui dépendra de la bonne instruction du dossier.

À l’heure actuelle, le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance permettent soit un accès direct, soit la représentation obligatoire par avocat, c’est-à-dire la postulation. Quelle solution faudra-t-il adopter pour le TPI ?

Selon moi, créer un TPI, c’est aussi dire que les justiciables seront représentés par un avocat qui offrira une compétence et des garanties de déontologie et d’assurance mises au service du justiciable. L’avocat aura pour mission, avec le justiciable, de définir l’objet du litige, de déterminer la demande, d’en préciser le fondement juridique et d’apporter contradictoirement les preuves la justifiant. Grâce à ce conseil en amont, à cette compétence, le justiciable aura accès à divers modes de résolution des litiges et, s’ils échouent, le tribunal pourra être saisi dans des conditions de nature à engager une procédure construite, dans laquelle le magistrat pourra se concentrer sur la solution juridique à apporter au litige.

Envisager un accès direct du justiciable au juge est une mauvaise idée, car le justiciable n’a ni les compétences ni les moyens de soutenir utilement sa demande. Cette méconnaissance entraîne de lourdes charges pour les greffes et les magistrats, qui sont contraints de suppléer cette carence.

L’idée serait donc d’organiser les TPI autour de chacun des barreaux qui accompagnent habituellement les TGI. Cette organisation territoriale permettrait d’apporter au magistrat la certitude d’un dossier bien constitué et au justiciable la compétence et la garantie d’un professionnel.

Enfin, j’émets le souhait de voir ouvrir l’assemblée générale du TPI aux avocats pour favoriser l’organisation et la localisation des chambres spécialisées. Jusqu’à présent, les assemblées générales des TGI et des cours d’appel sont réservées aux seuls magistrats et greffiers et n’ont jamais été ouvertes aux justiciables, qui pourraient facilement être représentés par les avocats. Or cette ouverture s’impose, selon moi, pour permettre une meilleure organisation des juridictions.

Un dernier aspect de cette accessibilité relève, bien entendu, de l’organisation des greffes. L’idée d’un guichet universel de greffe paraît une évidence à l’heure du numérique. Le constat actuel est que la France a pris un retard considérable sur ce terrain. Le ministère de la justice et les autres acteurs sont partis en ordre dispersé.

Les expériences vécues sont pour le moment assez malheureuses, à l’image du RPVA, le réseau privé virtuel des avocats, mis en place laborieusement par les barreaux. Dans ce système, une collaboration étroite doit être envisagée entre les avocats et le ministère de la justice, et il est impensable qu’il en reste au stade de simple information accessible au justiciable. Il faudra en outre établir rapidement un système sécurisé, adapté à la procédure, qui est la base d’une bonne justice, avec la mise en forme de l’argumentation juridique, un échange contradictoire des moyens et des preuves et une instruction sous le contrôle des juges.

Pour conclure, je pense que la justice civile, à la différence de la justice pénale, doit continuer à relever de l’initiative des justiciables. Le juge doit seulement intervenir pour apporter une solution juridique au conflit, il n’a pas vocation à suppléer la carence des parties.

Le TPI me semble un bon outil pour apporter cet équilibre nécessaire entre les partenaires de justice, les magistrats et les greffes, dans un objectif de qualité. Il ne faudra jamais attendre des sondages un satisfecit des justiciables qui s’exposent aux foudres de la justice. Gardons cependant comme objectifs communs l’indépendance du juge et la qualité de ses décisions, seuls moyens de garder ou de rétablir la confiance des citoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre organisation judiciaire doit répondre à plusieurs impératifs, souvent contradictoires, il est vrai.

Premièrement, elle doit répondre aux attentes des justiciables, qu’ils viennent volontairement devant les tribunaux où qu’ils soient attraits par le parquet. L’organisation judiciaire doit donc être accessible, y compris physiquement, et lisible : le justiciable doit pouvoir savoir très exactement à qui il doit s’adresser, sans avoir à recourir à des conseils payants.

Deuxièmement, cette organisation doit prendre en compte les personnels judiciaires : les magistrats, qui sont paraît-il trop peu nombreux – je ne partage pas totalement ce point de vue –, les greffiers et les avocats.

À cet égard, on sait que les dépenses d’aide juridictionnelle vont augmenter, Jean-Jacques Hyest l’a rappelé. Il faut donc en venir à une réforme totale de ce dispositif. Il y a plusieurs dizaines d’années, un député, Michel de Grailly, décédé depuis, avait proposé un système de « sécurité sociale judiciaire », avec des avocats conventionnés, des prix à l’acte, etc. Je crois qu’il faut envisager très sérieusement d’en revenir à cette solution, car nous ne pouvons pas – nous ne pouvons plus ! – faire fonctionner l’aide juridictionnelle en laissant aux avocats le choix de pratiquer des tarifs à l’heure variant selon qu’ils sont célèbres ou non, qu’ils exercent en province ou non. Je le dis comme je le pense, c’en est fini de ce système ! Ou plutôt, il devrait en être ainsi, mais vous n’avez fait aucune annonce en ce sens, madame la garde des sceaux, malheureusement.

Troisièmement, l’organisation judiciaire doit prendre en compte les nécessités de l’aménagement du territoire, en particulier les possibilités de transport des justiciables, notamment dans les départements dits ruraux, qu’un certain nombre d’entre nous connaît bien dans cet hémicycle. À cet égard, la suppression d’un certain nombre de tribunaux d’instance a été une véritable catastrophe : je pourrais vous citer des exemples d’audiences qui se tiennent sans justiciables, y compris des audiences de tutelle de majeurs. En effet, les justiciables sont maintenant éloignés de plus de 50 kilomètres du nouveau tribunal d’instance, sans aucun moyen de transport public pour s’y rendre.

On voit bien que toutes les conditions ne sont pas réunies pour que ces grands principes soient respectés. C’est la raison pour laquelle notre collègue Yves Détraigne, avec Nicole Borvo Cohen-Seat en 2012, avec Virginie Klès aujourd’hui, produit ces rapports. C’est également la raison pour laquelle vous avez vous-même, dans le cadre de la réflexion sur la justice du XXIsiècle, demandé un certain nombre de rapports sur l’organisation judiciaire, notamment au premier président Didier Marshall.

Avec la réforme de la carte judiciaire menée à la hache par Mme Dati, les choses n’ont fait qu’empirer. Cette réforme s’est faite sans véritable vision de l’aménagement du territoire ni sans véritable concertation. Je n’aime pas beaucoup parler de moi-même, mais je n’ai été consulté par personne.