M. Jean Bizet. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.

Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout le monde s’accorde sur un point : la transition énergétique est devenue nécessaire, voire inéluctable, pour répondre à l’augmentation continue du prix du pétrole et au réchauffement climatique. Ce débat, le deuxième sur ce sujet depuis le début de l’année, est donc le bienvenu.

Cependant, dès que l’on parle de transition énergétique, de nouvelles interrogations apparaissent. Quelle énergie, et au service de qui ? Une transition décidée par qui, comment, sur quels critères ? En combien de temps ?

Toutes ces questions révèlent des tensions entre enjeux et acteurs différents. Ainsi, nous devons trouver de nouveaux modes de développement, de vie et de déplacement, réduire nos besoins et trouver de nouvelles sources d’énergie, sans toutefois fragiliser nos tissus économiques et sociaux ni renoncer complètement à notre confort, tout en étant attentifs à nos factures. Voilà bien des contradictions !

C’est dans ce contexte que nous débattons de cette proposition de résolution.

D’un point de vue économique, il est plus aisé d’aborder tout changement lorsqu’on se sent fort et rassuré. Or, aujourd’hui, c’est plutôt la « précarité » énergétique qui se développe en France. Nous regrettons, chers collègues, que vous n’utilisiez pratiquement pas ce terme dans votre proposition de résolution. Pourtant, la paupérisation d’une frange importante de la population soustrait celle-ci à l’accès à ce bien de première nécessité qu’est l’énergie. En outre, se profile toujours le risque d’une remise en cause du droit pour chacun d’accéder à l’énergie : que l’on songe à la volonté avortée de mise en place d’un bonus-malus énergétique...

La question énergétique est politique et sociétale avant d’être technique.

Nous devons prendre garde à ne pas transformer le droit des usagers-citoyens en une question de solvabilité du client.

De plus, le secteur énergétique a été largement libéralisé. Or la concurrence et la production privée ne peuvent assurer, à elles seules, un droit égal pour tous à l’énergie. Elles ont, en revanche, contribué à des hausses tarifaires importantes. Seule l’existence d’un grand service public garantit ce droit. Mais, à aucun moment, cette option n’apparaît dans votre proposition de résolution.

Par ailleurs, au regard des travaux de la commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité, dont j’étais membre, nous ne souscrivons toujours pas au postulat d’une hausse inéluctable des tarifs de l’énergie qui guiderait les choix énergétiques de demain.

Le débat national organisé l’an dernier était, convenons-en, extrêmement complexe : sa seule organisation n’a-t-elle pas nécessité un document de 106 pages ?

Certaines questions n’ont pas été évoquées, entre autres celles des externalités et des hausses tarifaires. Or nos concitoyens doivent disposer d’un état des technologies disponibles, de leurs atouts, de leurs risques. Il est important d’avoir des informations précises et dépassionnées sur toutes les solutions possibles en matière de mix énergétique : par exemple, le bilan carbone des énergies renouvelables, le bilan des aides publiques indirectes et directes, une évaluation des perspectives en termes d’emploi, d’activité industrielle ou de filière.

Nous le savons, et vous le rappelez dans votre proposition de résolution, il y aura pénurie de pétrole dans un futur proche. Toutefois, la course aux hydrocarbures est loin d’être terminée. Certes, l’énergie nucléaire nous a assuré une certaine indépendance énergétique et nous a fait bénéficier de l’électricité la moins chère d’Europe. Mais, après le dramatique accident de Fukushima, nous avons des exigences encore plus élevées en termes de surveillance et de maintenance des centrales. Il nous faut abandonner la sous-traitance et rendre à l’opérateur historique son rôle majeur, dégagé des contraintes de rentabilité.

Nous devons, de plus, réduire progressivement la voilure, de manière réaliste et raisonnable, contrairement à ce que vous proposez dans votre texte.

L’hydroélectricité, que vous évoquez également, est la première ressource d’énergie renouvelable et stockable en France. Les investissements réalisés dans notre pays nous permettent de bénéficier d’une capacité d’énergie dont le coût de production est plus faible que celui tout autre moyen de production. Pourtant, la perte de son statut d’établissement public et la suppression du droit de préférence portent juridiquement l’idée d’une mise en concurrence des concessions hydroélectriques.

La France serait donc le seul pays à offrir au marché ses torrents, ses rivières, ses lacs et ses fleuves, alors que les autres États européens ont pris des dispositions protectionnistes ?

M. Roland Courteau. Et voilà !

M. Jean Desessard. Ce n’est pas tranché...

Mme Mireille Schurch. Nous sommes, vous le comprendrez, opposés à une telle ouverture à la concurrence.

Autre question, et non des plus anodines, abordée par la proposition de résolution : l’effacement.

Pour conduire à une meilleure sobriété énergétique, l’effacement s’inscrit dans une logique vertueuse qui consiste à décaler une consommation d’énergie, et non pas à l’annuler systématiquement. Seul un système public intégré doit être mis en œuvre, piloté par RTE, ERDF et l’État.

Nous devons aussi miser sur l’installation massive des compteurs intelligents. À ce sujet, monsieur le ministre, pouvez-vous me dire où en est l’appel d’offres ? Vous le savez, je soutiens l’entreprise Landis+Gyr de Montluçon, qui pourrait fabriquer ces compteurs et même développer les suivants, encore plus communicants. J’attends votre réponse.

L’effacement doit reposer, selon nous, sur le volontariat et une réduction de facture pour l’usager, sans que cela entraîne pour lui la moindre restriction. Les gains pour la collectivité doivent permettre de financer la réalisation de travaux d’économie d’énergie, et non enrichir un nombre réduit d’agrégateurs commerciaux. Or la mise en place du marché de capacités que nos collègues de l’UMP appellent de leurs vœux est tout simplement contraire à ces objectifs, donc à l’intérêt général.

L’État stratège doit rester responsable de la cohérence nationale de la politique énergétique, de son efficacité, dans l’intérêt général, et de ses déclinaisons fiscales. Nous ne pensons pas, même si l’idée est séduisante, que la transition énergétique se fera par le biais d’une organisation régionale de l’énergie.

Une variabilité des prix selon le territoire est très dangereuse. (M. Jean-Claude Lenoir acquiesce.) Aux fractures déjà existantes en termes de transport et de présence des services publics, dont nous parlons tant dans cet hémicycle, s’ajouterait une fracture énergétique ; sans compter l’impératif d’une cohérence globale des réseaux de transport et de distribution.

La péréquation doit être le fil conducteur de toute politique énergétique.

Parce que les solutions énergétiques d’aujourd’hui sont appelées à bouger, la constitution d’un « pôle public de l’énergie », dont l’État serait le pivot, s’impose. Il serait la garantie du développement d’une filière multi-énergie performante. Il permettrait de favoriser la sécurité et les recherches fondamentales – sur la filière hydrogène, par exemple – et appliquées. De même, seul l’État peut structurer et pérenniser une filière de la rénovation thermique.

Pour toutes ces raisons, et parce tout ne peut être affaires de compétitivité, notre vision est aux antipodes de celle qui sous-tend cette proposition de résolution. C’est pourquoi les sénateurs du groupe CRC ne la voteront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma première remarque sera pour dire que le titre même de cette proposition de résolution manque singulièrement d’ambition.

Ne devrions-nous pas prendre une résolution « favorable » à la transition énergétique, et non simplement « relative » à cette transition ? Je crains que ce titre ne reflète, en fait, le contenu même du texte, qu’il s’agisse de sa philosophie ou des moyens qu’il envisage.

Cette proposition de résolution souligne la nécessité de produire suffisamment d’énergie pour satisfaire les besoins. Certes, dans un système énergétique, il est indispensable d’équilibrer l’offre et la demande, mais c’est une chose de produire plus, c’en est une autre – préférable à mon sens – de produire mieux.

Produire mieux, cela signifie non seulement produire sans émettre de gaz à effet de serre, mais aussi limiter la consommation de sources d’énergie,...

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Roland Courteau. ... tout particulièrement lorsque celles-ci, comme l’uranium, proviennent de pays politiquement instables !

Raison de plus, oserais-je dire, d’aller vers un rééquilibrage du mix énergétique associé à une baisse de la part du nucléaire à 50 %, cette dernière étant accompagnée, bien évidemment, par le développement des énergies renouvelables et des économies d’énergie.

C’est pourquoi je plaide aussi pour un développement des énergies renouvelables. Les coûts de soutien aux nouvelles installations photovoltaïques n’ont plus rien à voir avec ceux qui, voilà quelques années, ont causé une bulle mal contrôlée. Quant à l’éolien, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, ou ADEME, notait au mois de novembre dernier qu’il participait à l’équilibre de l’offre et de la demande du système électrique national et qu’il était déjà proche de la compétitivité économique.

C’est bien dans ce domaine que la France a les plus grandes opportunités et qu’elle peut au mieux exploiter ses ressources naturelles comme sa capacité de recherche. Car la France est un pays riche en ressources énergétiques : nous avons du vent, des forêts, du soleil, et nos côtes sont dotées d’un grand potentiel pour ce qui concerne les énergies marines ! Nous avons aussi des organismes de recherche, des industriels actifs. Si la volonté politique est là, si les réglementations sont adaptées et simplifiées – je sais que telle est votre intention, monsieur le ministre –, notre pays aura les moyens d’être l’un des leaders du monde énergétique de demain.

Produire mieux, cela signifie également produire d’une manière mieux ajustée aux besoins. Comparez, mes chers collègues, la courbe de la production nucléaire avec celle des besoins : vous constaterez qu’elles sont très différentes. Les besoins varient sans cesse au cours de la journée, alors que l’énergie nucléaire est très peu flexible. On aura beau renouveler les réacteurs, ce principe de base demeurera inchangé : il existe forcément une limite supérieure au-delà de laquelle le nucléaire n’a plus de sens, sauf si l’électricité produite est stockée. On ne se rend guère compte de ce fait, parce que l’électricité nucléaire française est, d’une certaine manière, stockée dans des barrages de montagne français ou suisses.

La limite au développement des énergies renouvelables est la même : au-delà d’un certain niveau, régulièrement atteint en Allemagne, celles-ci mettent en danger la stabilité du réseau ou désorganisent les marchés de vente d’électricité. La solution sera probablement la même : le stockage.

La proposition de résolution n’évoque pourtant que très rapidement le stockage, alors que ce dernier constitue sans doute la clé de l’évolution du système énergétique dans les vingt prochaines années.

M. Ronan Dantec. Nous sommes d’accord !

M. Roland Courteau. On nous oppose que le stockage dans des barrages de montagne atteint ses limites, mais la recherche poursuit de nombreuses autres pistes, par exemple l’hydrogène. Or cette solution n’est même pas mentionnée par les auteurs de la proposition de résolution !

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

Mme Évelyne Didier. Exactement !

M. Roland Courteau. Cette remarque me conduit à en formuler une autre. À aucun moment, nos collègues n’ont abordé la question des gaz de schiste.

M. Roland Courteau. Il est vrai que l’on ne peut pas dans le même temps préconiser, comme le font les auteurs de la proposition de résolution, la réduction de la part des énergies fossiles au profit de l’électricité et évoquer la nécessité d’exploiter les gaz de schiste qui sont eux-mêmes une énergie fossile. Qu’en pensent certains d’entre vous, mes chers collègues, qui semblent très favorables aux gaz de schiste ? Vous n’en avez pas parlé...

Cela étant, mieux adapter la production et la consommation, c’est aussi favoriser l’efficacité énergétique. Dans la proposition de résolution, il est souligné, à juste titre, que cela doit demeurer une priorité, dans un objectif d’indépendance énergétique comme de lutte contre la précarité énergétique. C’est bien de le réaffirmer ; c’est encore mieux d’agir.

Le Gouvernement a mis en place un service public de proximité pour la rénovation énergétique du bâtiment, avec un guichet unique et plus de 450 Points rénovation info service, une TVA à 5,5 % pour cette rénovation, de nouvelles primes, un crédit d’impôt développement durable simplifié, les certificats d’économie d’énergie pour une nouvelle période, etc. Il prévoit aussi la création d’un fonds national de garantie de la rénovation thermique.

Mes chers collègues, la rénovation thermique est certainement le meilleur moyen de lutter contre la précarité énergétique, avec en complément, comme cela a été décidé, l’extension des tarifs sociaux à 8 millions de personnes et la mise en place de la trêve hivernale.

Bref, face à ces enjeux, que proposent les auteurs du texte qui nous est soumis ? Ils posent comme premier objectif le développement de la filière nucléaire. Je ne remets pas en cause le choix historique du nucléaire dans le troisième tiers du siècle dernier, mais je dois faire observer qu’il s’agissait d’abord d’un choix politique en faveur de l’indépendance nationale énergétique et économique.

Nos collègues critiquent ensuite le coût du soutien aux énergies renouvelables. Si le choix du nucléaire avait été fondé sur un tel calcul financier de court terme, nul doute que les 58 réacteurs nucléaires n’auraient jamais été construits ! Face à la transition énergétique, ne devons-nous pas faire preuve de la même audace en faveur des secteurs d’avenir ?

Les auteurs du présent texte préconisent aussi le renouvellement rapide des concessions hydroélectriques, comme si la mise en concurrence allait accroître le débit des rivières et la production des barrages ! Je considère que l’ouverture à la concurrence de ces concessions constitue une solution prématurée et ressemble à un bradage de notre patrimoine. Jean-Jacques Mirassou et Delphine Bataille, notamment, et moi-même avons déposé sur ce sujet une proposition de loi.

Pourquoi seule la France devrait-elle ouvrir l’hydraulique à la concurrence, et ce en l’absence de réciprocité avec les autres États membres ? Et quelle serait l’efficacité d’une telle décision, si le parc est coupé en morceaux ? On l’oublie trop facilement, les barrages constituent des biens publics nationaux financés par les consommateurs français. De surcroît, qu’en sera-t-il de la nécessaire coordination nationale en cas d’épisodes hydrométéorologiques extrêmes ? Qu’adviendra-t-il alors de la gestion coordonnée des réserves en eau exercée actuellement par EDF ? Enfin, qui peut assurer que l’intérêt patrimonial de l’État sera garanti dans la durée, que les promesses d’investissement seront tenues, qu’il n’y aura pas de perte d’optimisation à l’échelon national, que le Centre d’ingénierie hydraulique, qui compte 950 salariés, n’éclatera pas ?

Faut-il évoquer le devenir de l’ensemble des personnels non directement rattachés aux sites de production, ou encore la hausse mécanique des prix ? Jean-Jacques Mirassou reviendra plus en détail sur ce sujet.

Cela étant, la proposition de résolution ne mentionne les autres énergies renouvelables, celles qui ont un véritable potentiel, que pour critiquer le coût du soutien qui leur est apporté, ignorant la diminution de ce coût pour les nouvelles installations.

De plus, il est proposé de limiter le soutien aux « filières les plus compétitives ». Or une filière qui est déjà compétitive a moins besoin d’être soutenue ! Le soutien doit être apporté à des filières qui, sans être encore compétitives, présentent un potentiel environnemental et économique qui les rendra compétitives à terme : éolien maritime, hydrolien, biogaz...

Monsieur le ministre, j’apprécie que seize des trente-quatre plans industriels constituent également des réponses industrielles au défi de la transition écologique, tout comme j’apprécie la mise en place des contrats de filière dans le domaine des énergies renouvelables avec les objectifs suivants : la création de 125 000 emplois, une balance commerciale positive pour les équipements, une plus grande visibilité à l’égard des orientations, un soutien à l’exportation.

Enfin, aucune référence n’est faite aux nouveaux enjeux dans cette proposition de résolution. Je citerai, par exemple, l’autoconsommation, qui a fait l’objet d’un colloque au Sénat à l’automne dernier.

Il faudra favoriser la production d’énergies locales, que ce soit à l’échelle d’une maison, d’un quartier, d’une agglomération. Certes, je le reconnais, les enjeux sont complexes. Il faudra préserver le financement des réseaux et, sans doute, commencer par l’équipement des bâtiments tertiaires qui peuvent consommer l’électricité au moment où elle est produite par les panneaux photovoltaïques.

En conclusion, il est dommage que le texte qui nous est soumis laisse de côté tant d’enjeux essentiels. Loin de tracer le contour d’une transition énergétique, il tend en fait au maintien de la situation actuelle et ne permet pas à notre assemblée de définir une vision claire du système énergétique vers lequel devront se tourner notre société et notre économie d’ici à 2050.

C’est la raison pour laquelle, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du groupe socialiste ne voteront pas en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Jean Bizet. Quel regret ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution défendue par M. Poniatowski constitue une nouvelle occasion de débattre de ce que l’on appelle la « transition énergétique ». La chose n’est pas nouvelle. Dans le Dictionnaire des idées reçues, Flaubert écrivait déjà que « notre époque » – il s’agissait bien de la sienne –, il fallait « l’appeler époque de transition. » Mais transition vers quoi ?

Il n’est pas douteux que le réchauffement climatique, le coût croissant des hydrocarbures, – l’après-pétrole, c’est un pétrole plus cher, soyons francs –, la perspective d’arrivée à maturité d’énergies nouvelles obligent à conduire une politique volontariste.

Cependant, la volonté politique doit être éclairée. On ne peut pas remplacer celle-ci par un acte de foi dans les énergies renouvelables ni la rationalité par la chasse aux coquecigrues ! (Sourires.) Le nucléaire est ostracisé par Ronan Dantec,...

M. Jean Bizet. Il a peur de tout !

M. Ronan Dantec. De la rationalité !

M. Jean-Pierre Chevènement. … d’un principe de précaution qui ne répond à aucune exigence scientifique et qui ne reprend rien d’autre que le proverbe de nos grand-mères : deux précautions valent mieux qu’une ! Et pourquoi pas 347 précautions plutôt que 346 !

Or, mes chers collègues, la France, eu égard à la crise de compétitivité qu’elle connaît, laquelle a été judicieusement analysée dans le rapport Gallois,...

M. Jean Bizet. Exactement !

M. Jean-Pierre Chevènement. … document repris à son compte par le Gouvernement et le Président de la République, ne peut ni négliger le coût des importations d’hydrocarbures bruts et raffinés, soit 66 milliards d’euros en 2013, ni gaspiller l’atout que lui donne l’électricité la moins chère d’Europe. D’ailleurs, ce fait devrait constituer un avantage comparatif à même de permettre à notre pays d’enrayer l’érosion de son tissu industriel manifeste depuis plus de trente ans.

M. Jean Bizet. C’est le seul dans ce cas de figure !

M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, il est temps d’introduire un peu de rigueur dans notre politique énergétique. On ne peut pas mettre tous les objectifs sur le même plan.

La priorité donnée aux énergies renouvelables, sans prise en considération de leur coût, est une hérésie ! Le coût de la production d’un mégawattheure dans le parc nucléaire actuel s’établit à 50 euros environ. Si l’on tient compte des travaux préconisés par l’Autorité de sûreté nucléaire après l’accident survenu à Fukushima, il « monte » à 55 euros.

M. Jean Desessard. 59 euros !

M. Ronan Dantec. 75 euros ! (Sourires.)

Mme Évelyne Didier. Qui dit mieux ? (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Pierre Chevènement. On peut en débattre. C’est un ordre de grandeur.

Comparons avec le prix d’un mégawattheure de gaz – de 70 euros à 80 euros –, de l’énergie éolienne terrestre – de 80 euros à 85 euros –, de l’énergie produite par les parcs photovoltaïques au sol – de 120 euros à 150 euros –, de l’énergie éolienne offshore – de 150 euros à 250 euros.

M. Ronan Dantec. Et l’énergie nucléaire à 120 euros !

M. Jean-Pierre Chevènement. Voilà des chiffres peu contestables.

Vous le savez très bien, mes chers collègues, les énergies renouvelables, en dehors de l’éolien terrestre, ne sont pas arrivées à maturité.

M. Jean Bizet. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. La contribution au service public de l’électricité, la CSPE, dont les deux tiers leur sont destinés, atteint déjà plusieurs milliards d’euros. Elle représente environ 15 % du prix acquitté par le consommateur. Je ne dis rien là de révoltant, c’est la réalité ! En Allemagne, ce coût dépasse 14 milliards d’euros l’an. Monsieur le ministre, votre collègue le nouveau ministre fédéral de l’économie et de l’énergie allemand, par ailleurs vice-chancelier, M. Sigmar Gabriel, a donné un coup de frein au développement des énergies renouvelables au mois de janvier dernier.

La part des énergies fossiles dans la production d’électricité en Allemagne va demeurer stable et même un peu augmenter – supérieure à 60 % – pendant les dix prochaines années ; M. Lenoir l’a dit avant moi. Les chiffres dont je dispose vont encore plus loin : la teneur en gaz carbonique du kilowattheure est plus de dix fois supérieure en Allemagne qu’elle ne l’est en France. De nouvelles centrales au lignite ou au charbon ont été ou vont être mises en service cette année, pour plus de 6 gigawatts. On ne voit pas comment l’Allemagne pourra remplir l’objectif d’une réduction de 40 % des émissions du gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1999. C’est une question qu’il faut poser à nos amis : comment feront-ils ?

Enfin, la facture d’électricité pèse deux fois plus lourd sur les ménages outre-Rhin qu’en France, ce n’est pas contestable,...

M. Jean Bizet. Exact !

M. Jean Desessard. Il y a les charges sociales !

M. Ronan Dantec. Et les taxes !

M. Jean-Pierre Chevènement. ... même si les industries bénéficient d’une exonération à vrai dire peu compatible avec les règles de la concurrence. Qui s’en est avisé ?

Monsieur le ministre, vous le savez très bien, il n’y a pas qu’un problème de coût. Les énergies éolienne ou solaire se caractérisent par leur intermittence. Il faut donc effectuer des investissements pour le stockage de l’électricité. Or ce problème n’est pas résolu à ce jour. Voyez le prix des batteries ! Je connais le dossier de la pile à combustible. Cette technologie n’a pas encore atteint la compétitivité, loin de là. Cela étant, on peut poursuivre la recherche en la matière.

M. Daniel Raoul. C’est vrai !

M. Jean-Pierre Chevènement. Pour les réseaux, l’Allemagne devra mobiliser 60 milliards d’euros d’ici à 2020, selon son ministère de l’énergie.

Bref, disons-le : au moins dans le domaine énergétique, l’Allemagne n’est pas un modèle à suivre !

Du reste, qui paiera la facture des réseaux nécessaires à l’acheminement des flux au sein d’un « système électrique européen » ? J’ai cru entendre M. Poniatowski préconiser des investissements dans ce domaine, mais qui les financera ? C’est là une question intéressante. Je serais heureux que M. le ministre nous aide à y répondre.

Il faut également construire des centrales pour assumer la consommation de base, naturellement plus forte la nuit que le jour. Du point de vue de la minimisation du coût de revient et de la faiblesse des émissions de gaz à effet de serre, rien ne peut remplacer les centrales nucléaires.

C’est pourquoi j’approuve la prolongation de la durée de vie de nos centrales,…

M. Jean-Pierre Chevènement. … ainsi que le lancement d’un certain nombre de chantiers d’EPR, car nous ne pouvons pas nous enfermer dans la perspective d’une stagnation économique de longue durée.

M. Jean Bizet. Exactement !

M. Jean-Pierre Chevènement. Parallèlement, il nous faut exporter notre électricité et nos réacteurs. Notre industrie nucléaire doit aller là où est le marché !

M. Jean-Claude Lenoir. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Chevènement. Elle doit s’y adapter, en proposant, notamment, des réacteurs de 1 000 mégawatts, mieux adaptés à la demande que les EPR, conçus à une autre époque.

Quant à la fermeture du site de Fessenheim,…

M. Jean-Pierre Chevènement. … qui représente plusieurs milliards d’euros, elle serait plus qu’un non-sens. J’ai entendu dire que le futur projet de loi de programmation sur la transition énergétique pourrait dissocier la procédure d’arrêt d’une centrale de la constitution d’un dossier de démantèlement. J’ose espérer que cette palinodie nous sera épargnée. À l’heure où le Gouvernement recherche 50 milliards d’euros d’économies, je vous adjure de mesurer combien serait désastreux un tel signal, à destination des pays étrangers, qui nous observent.

A contrario, il faut aller de l’avant. Je n’évoquerai pas le réacteur de quatrième génération, même s’il a tout son intérêt,...