M. Roland Courteau. Exactement !

M. Ladislas Poniatowski. Attendez, mon cher collègue ! Écoutez-moi jusqu’au bout !

Cependant, nous ne pourrons pas satisfaire nos engagements en termes d’émission de CO2 et, dans le même temps, fermer un tiers de notre parc nucléaire, comme l’annonce le Président de la République.

M. Jean Desessard. Il n’a pas annoncé grand-chose !

M. Ladislas Poniatowski. Il va falloir choisir.

Pour ces raisons, l’avenir de notre production électrique nécessitera de mobiliser toutes les sources de production possibles : le biogaz, en remplacement des centrales thermiques ; l’éolien et le photovoltaïque, malgré des problèmes de compétitivité qui iront, je l’espère, en s’atténuant ; le nucléaire, bien sûr, même si cette énergie n’est pas renouvelable.

Aucun de ces secteurs ne pourra s’exonérer de lourds investissements, ni les énergies renouvelables, dont on dénonce avec raison l’insuffisance des investissements, ce qui conduit la France à être en retard par rapport à son voisin allemand,…

M. Ladislas Poniatowski. … ni le nucléaire, pour lequel de gros progrès peuvent encore être accomplis, aussi bien sur l’optimisation du minerai que sur la quantité de déchets.

À ce titre, bien que très attaché à notre souveraineté énergétique, et donc au contrôle qu’exerce l’État chez nos opérateurs, je souscris à l’idée qui consiste à permettre, en échange du financement de l’extension de la durée de vie des réacteurs d’EDF, une participation des fournisseurs alternatifs à leur capital. Cette situation est déjà, je vous le signale, celle de quatre centrales nucléaires françaises.

Nous connaissons les difficultés de financement d’EDF. Ces difficultés viennent s’ajouter à son récent programme d’investissements de 50 milliards d’euros sur la période 2012-2025, qui vise à mettre conformité ses 58 réacteurs nucléaires avec les nouvelles règles de sécurité apparues après Fukushima et à porter de quarante à soixante ans la durée de vie de ses réacteurs.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, mon intervention n’avait pas pour objet de révéler une quelconque recette miracle…

M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Jean Desessard. Dommage ! (Sourires.)

M. Ronan Dantec. Nous sommes déçus !

M. Ladislas Poniatowski. Le groupe UMP et moi-même croyons que notre devoir de responsables publics est de présenter la réalité à nos concitoyens, à savoir que nous n’avons pas les moyens de nous passer d’un type d’énergie. Aussi rares, polluantes, chères, dangereuses que soient ces énergies, chacune d’entre elles est, à un moment donné, indispensable.

Les produits pétroliers et le gaz, vis-à-vis desquels nous sommes dépendants, nous sont indispensables pour ne pas aggraver le problème des pointes de consommation.

Notre mix énergétique de production électrique devra, lui, répondre à deux défis : assurer un niveau de production comparable à celui que nous avons aujourd’hui et assurer une réponse fiable aux pointes de consommation, qui deviendront de plus en plus difficiles à traiter au fur et à mesure que les énergies renouvelables entreront dans notre mix. À cet égard, la France devra enclencher une vraie politique publique de l’énergie renouvelable qui ne soit pas seulement fondée sur des prix de rachat déconnectés de la réalité des marchés.

Le nucléaire aura toute sa place dans ce mix, son développement devra être encouragé : financement de la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels, développement des nouvelles générations ; tous les leviers devront être activés.

C’est sur ce point que je souhaiterais conclure mon intervention. La transition énergétique ne s’accommode d’aucune réponse toute faite. Les promesses électorales et autres incantations candides se heurtent à une réalité qu’il nous faut affronter : l’énergie ne tombe pas du ciel.

M. Roland Courteau. Si, il y a le vent ! Et le soleil !

M. Ladislas Poniatowski. Elle a toujours un coût, financier, écologique ou géopolitique. Il faut donc admettre, en l’état actuel de la science, que nous ne pouvons sacrifier aucun type de production énergétique. C’est parce qu’aucune issue n’aura été sacrifiée que nous assurerons une transition énergétique qui ne compromette pas l’indépendance énergétique de notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est donc la deuxième fois que nous débattons de politique énergétique dans cet hémicycle depuis le début de l’année. Nous ne pouvons que nous en féliciter, car il nous faut alimenter l’ambition du futur projet de loi sur la transition énergétique.

Je remercie donc doublement le groupe UMP : d’abord, de l’initiative qu’il a prise de susciter ce débat, mais aussi du moment de délassement que m’a offert cette proposition de résolution, car je vous avoue que sa lecture m’a un peu amusé.

M. Jean-Claude Lenoir. La réciproque sera vraie !

M. Ronan Dantec. Je veux bien le croire !

Cela commençait plutôt bien puisqu’on peut lire, au début de l’exposé des motifs, que les deux objectifs majeurs de la France doivent être de « réduire autant que possible notre dépendance aux énergies fossiles » et de « limiter nos rejets de gaz à effet de serre ». Les écologistes sont en accord avec ces exigences, même s’ils considèrent que d’autres doivent également être comblées.

J’ai même trouvé dans ce texte de très beaux libellés, tel celui qui fait état des « préoccupations environnementales qui vont croissant, notamment en ce qui concerne les déperditions d’hydrocarbures dans les écosystèmes ». Je dis bravo ! Je poserai juste une question, parce que le sujet n’est pas mentionné : cette préoccupation concerne-t-elle aussi les sous-sols et les déperditions liées à l’extraction des gaz de schiste, qui font que, dans certaines régions des États-Unis, même l’eau devient inflammable ? (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean Bizet. C’est un miracle !

M. Ronan Dantec. Je ne doute pas de recevoir des assurances sur ce point dans le débat qui va suivre !

Rien à dire, donc, sur les objectifs énoncés dans un premier temps. Mais j’ai bien peur que quelques désaccords, certes minimes, ne suivent, par exemple sur la manière de poser les additions.

Permettez-moi cette question : les caisses de l’État sont-elles à ce point pleines que l’on pourrait s’offrir le luxe d’investir massivement et dans la prolongation du parc nucléaire actuel, et dans la poursuite du programme EPR, et dans la recherche sur les réacteurs de quatrième génération, et dans l’efficacité énergétique, et dans le développement de filières renouvelables ?

L’UMP n’est pas en reste pour montrer du doigt la situation des comptes publics. Je m’interroge donc : d’où vient soudainement cette manne quasi illimitée ? Je me réjouis presque de cette capacité à s’émanciper de l’adage souvent frustrant pour les élus, selon lequel « gouverner, c’est choisir », mais je crains qu’il ne faille réduire l’addition finale.

Parlons d’abord de « cette filière scientifique et industrielle d’excellence » que serait le nucléaire. Il y a déjà deux ans, les travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur le coût réel de l’électricité nous ont un peu éclairés – je salue le président et le rapporteur de cette commission d’enquête, tous deux présents ce soir. Ils nous ont permis d’entendre de nombreux acteurs de l’énergie et de nuancer fortement certaines « vérités » assénées depuis plusieurs décennies. Je m’étonne donc de retrouver quelques dogmes anciens dans cette proposition de résolution, comme si nos cinq mois de travaux ne nous avaient pas fait progresser dans nos analyses !

Vous appelez à la prolongation du parc nucléaire actuel. Tout d’abord, nous n’avons aucune garantie sur le fait que l’Autorité de sûreté nucléaire autorisera la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs, bien au contraire ! Son président, Pierre-Franck Chevet, a déclaré, voilà quelques jours, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, que « la prolongation des réacteurs nucléaires au-delà de quarante ans n’est pas acquise au regard des objectifs majeurs de sûreté ». Il a également souligné que le coût du « grand carénage » annoncé à 55 milliards d’euros était revu à la hausse. D’autres spécialistes parlent aujourd’hui de plus de 100 milliards d’euros.

Vous demandez donc le remplacement partiel du parc actuel par des EPR – il y a une logique ! –, mais nous voyons bien aujourd’hui que le prix de revient du mégawattheure produit par un EPR ne sera jamais compétitif. Les plans financiers de la centrale de Hinkley Point, en Grande-Bretagne, le confirment : le mégawattheure est vendu à plus de 100 euros contre, par exemple, 80 euros pour le mégawattheure d’origine éolienne. Vous allez donc remplacer du « déjà cher » par du « encore plus cher » !

Il est alors paradoxal que cette proposition de résolution en reste à une vision non critique de ce célèbre conte sur la fée électricité bon marché, alors que le mégawattheure est vendu en dessous de son prix réel, comme l’avait clairement montré le rapport de la commission d’enquête.

Il est temps de ranger le « livre de contes » et de sortir un « livre de comptes » sur ce choix énergétique qui a affaibli la France, comme il est temps de réorienter massivement les investissements sur les filières renouvelables, point sur lequel je vous ai trouvés, chers collègues de l’UMP, plus timorés. Les chiffres de la Fédération européenne des producteurs d’électricité, Eurelectric, pour 2012 montrent bien que le nucléaire se marginalise en Europe, même au-delà de l’exemple allemand : 250 milliards d’euros d’investissements prévus dans les filières renouvelables d’ici à 2020, contre 16 milliards d’euros pour le nucléaire.

M. Daniel Raoul. C’est faux !

M. Ronan Dantec. Ces chiffres nous ont été fournis à Bruxelles par les responsables d’Eurelectric, qui ne sont pas vraiment de gentils écolos barbus ! (Sourires.) C’est donc sur ces marchés réels qu’il nous faut aujourd’hui faire une offre. Comme vous le voyez, j’ai bien compris le changement de stratégie industrielle du Gouvernement : il faut privilégier la politique de l’offre ! (Nouveaux sourires.)

Vous dites qu’à part l’hydroélectricité – qu’il faut conforter, nous en sommes d’accord –, les filières renouvelables recourent à des technologies « encore peu matures ». Or, comme je le disais, l’éolien terrestre est déjà beaucoup moins cher que l’EPR et le photovoltaïque est en passe de le devenir !

M. Roland Courteau. C’est vrai !

M. Ronan Dantec. Dans un entretien récemment publié, le président-directeur général de GDF-Suez, Gérard Mestrallet – pas vraiment non plus un écolo barbu ! –, indiquait d’ailleurs que le photovoltaïque était déjà compétitif au sud de la Méditerranée et qu’il le serait partout en Europe dans dix ans.

La compétitivité des filières renouvelables sera encore renforcée par le développement des technologies de stockage, qui est également une réponse à leur caractère intermittent. Notons l’immense potentiel de la filière hydrogène sur ce point, avec l’application Power to gas.

Si une priorité de recherche industrielle existe, c’est donc bien en matière de stockage, et probablement pas dans la réinvention permanente et nostalgique du « surgénérateur » à sodium liquide, version « post Creys-Malville », monstre technologique plus avide de milliards que le Moloch de Metropolis engloutissant les travailleurs – je dis bien sûr cela en m’adressant plus particulièrement à mes amis communistes. (Sourires.)

Ces technologies sont donc matures, et elles peuvent dès aujourd’hui placer la France en position de leader mondial, si nous nous en donnons les moyens. Nous avons donc une magnifique occasion de développer de véritables « filières industrielles d’excellence », créatrices d’emplois et permettant de remplir nos objectifs climatiques, mais cela ne se fera pas tant que nous gaspillerons nos milliards dans des filières nucléaires sans avenir, un peu comme une armée mal engagée dans une bataille qui préfère sacrifier ses troupes dans une dernière charge, là où la victoire passe par un repli en bon ordre et un redéploiement des forces – cette métaphore s’adresse, elle, à l’ancien ministre de la défense qui siège parmi nous.

Les écologistes restent très attachés aux grands objectifs fixés par le Président de la République, à savoir le facteur 4 d’ici à 2050, à savoir la réduction de la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique d’ici à 2025, la réduction de la consommation finale d’énergie de 50 % d’ici à 2050 et de la consommation d’énergies fossiles de 30 % d’ici à 2030. Comme quoi, il y a au moins le groupe écologiste pour prêter foi aux engagements du Président de la République !

M. Jean-Claude Lenoir. Il est bien le seul !

M. Ronan Dantec. Cette future loi doit déboucher sur un scénario crédible et, si vous lisez attentivement la presse politique, vous noterez d’ailleurs l’attention que portent aujourd’hui les écologistes à son élaboration. Là, monsieur le ministre, ne cherchez pas de métaphore : il n’y en a pas ! (Sourires.)

Malgré toute ma sympathie pour les histoires drôles et enchanteresses qui font rêver à un futur merveilleux, je suis désolé de devoir vous ramener sur terre : la fée électricité n’a plus de baguette magique, mais elle a un crayon pour additionner des coûts. Pour vous ramener au monde réel, le groupe écologiste est donc dans l’obligation de voter contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.

M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention devait prendre la forme d’une philippique, mais celle de M. Dantec va me conduire à en modifier quelque peu l’architecture.

Monsieur le ministre, reprenant une formule entendue pendant le week-end, je voudrais vous inviter à sortir de l’ambiguïté.

M. Philippe Martin, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. On en sort parfois à son détriment ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lenoir. S’il y a des gens qui ne sont pas ambigus, ce sont les écologistes. Eux, au moins, ils sont constants : c’est un compliment qu’on peut leur faire. C’est donc bien à vous, monsieur le ministre, que je dis : « Sortez de l’ambiguïté ! »

Le débat sur la transition énergétique qui a été lancé est lui-même très ambigu. La vérité, c’est qu’il sous-tendait l’idée de tuer le nucléaire. Aujourd'hui, le débat est enrobé de considérations sur lesquelles vous allez peut-être revenir pour combler le silence qui s’est fait depuis quelque temps sur ce sujet. Peut-être allez-vous nous dire aussi quel calendrier le Gouvernement voudrait arrêter. Monsieur le ministre, sortez donc de l’ambiguïté !

Pour autant, il y a un point qui nous rassemble tous, y compris les écologistes, monsieur Dantec : quand vous parlez du développement des énergies renouvelables, vous croyez au devenir de l’électricité !

MM. Ronan Dantec et Jean Desessard. Bien sûr !

M. Jean-Claude Lenoir. En effet, que produisent les éoliennes, le photovoltaïque et les autres équipements que vous recommandez, sinon de l’électricité ?

Or l’électricité présente trois avantages : d’abord, elle nous assure, compte tenu des choix qui ont été faits en France, une vraie indépendance ; ensuite, elle est la garante d’une efficacité économique du fait des prix et des filières industrielles que cette source d’énergie induit ; enfin, elle nous apporte une vraie performance écologique, notamment au vu de ce qui se passe en Allemagne. L’électricité produite en France émet cinq fois moins de CO2 que celle qui est produite en Allemagne.

M. Jean Bizet. Eh oui !

M. Jean-Claude Lenoir. Et cela pour une raison simple : l’électricité produite en France est à seulement 10 % d’origine carbonée, contre 59 % pour celle qui est produite en Allemagne.

Monsieur le ministre, sortez de l’ambiguïté !

Sur un point important, chers collègues de la majorité, vous entretenez – du moins certains d’entre vous, car je connais, par des conversations que j’ai avec tel ou tel, le vrai point de vue d’autres personnes appartenant également à la majorité – une confusion entre puissance installée et énergie produite. Quelques chiffres suffiront à expliciter mon propos.

Sur les 128 000 mégawatts d’électricité produits en France, les centrales et leurs 58 réacteurs nucléaires, qui représentent la moitié de la puissance installée, en produisent 73 %. Les centrales thermiques à flamme, qui représentent 20 % de la puissance installée, ne produisent que 9 % de notre électricité. L’hydraulique, qui représente 20 % de la puissance installée, produit 14 % de notre électricité. L’éolien, qui représente 12 % de la puissance installée, ne produit que 3 % de notre électricité. Quant au solaire, il représente 6 % de la puissance installée et ne produit que 0,9 % de notre électricité.

Alors, arrêtez d’entretenir cette confusion en citant des chiffres qui mettent en valeur le développement des énergies renouvelables, de l’éolien, du photovoltaïque, car ces équipements, outre qu’ils sont très coûteux – j’y reviendrai dans un instant – ne représentent qu’une faible partie de notre production et, donc, de notre consommation d’électricité.

Sortez de l’ambiguïté aussi en cessant de faire croire que les régions peuvent être autonomes pour ce qui est de la production ou de la consommation d’électricité. Aujourd'hui, s’installe l’idée selon laquelle les énergies renouvelables permettraient, notamment là où la production est inférieure à la consommation – en Bretagne, par exemple, la production régionale ne couvre que 8 % de la consommation –, de satisfaire les besoins locaux.

Aujourd'hui, pour que le réseau soit équilibré, il est nécessaire de transporter l’électricité à travers tout le territoire. Et il faut même souvent recourir à des échanges avec les pays étrangers pour ajuster la demande et l’offre.

De surcroît, mes chers collègues, si vous voulez aller vers l’autonomisation des régions quant à la production d’électricité, vous vous heurterez inévitablement à la question de la péréquation tarifaire, avec tous les problèmes que cela pose.

Monsieur le ministre, sortez encore de l’ambiguïté pour ce qui est de la comparaison constamment réitérée avec l’Allemagne, pays pour lequel j’ai au demeurant la plus grande estime. Il ne s’agit pas ici de dire aux Allemands ce qu’il faut faire ; je me contente de constater ce qu’ils font.

J’ai entendu vanter les investissements réalisés par les Allemands dans le domaine de l’éolien et du photovoltaïque. Les chiffres que je vais citer à ce sujet n’émanent pas d’une cellule partisane : je les tire d’une étude faite à la fin 2012 par le Conseil d’analyse économique, organisme placé auprès du Premier ministre et présidé par ce dernier.

M. Daniel Raoul. Des professeurs Tournesol, dirait Marie-Noëlle Lienemann !

M. Jean-Claude Lenoir. Que dit cette étude ? En Allemagne, l’éolien produit 40 térawattheures. Le coût de l’investissement est de 20 milliards d’euros.

Le photovoltaïque – entendez bien le chiffre ! – a coûté en investissements 112 milliards d'euros, pour produire… 12 terrawattheures.

Comparativement, en France, nos 58 réacteurs nucléaires produisent 400 terrawattheures – au lieu des 52 terrawattheures venant du photovoltaïque et de l’éolien en Allemagne –, pour un coût de 96 milliards d'euros. Quand bien même on y ajoute le coût du démantèlement, du retraitement – nous le connaissons, grâce à un certain nombre d’études –, on arrive à un coût total de 238 milliards d'euros, ce qui est d’ailleurs tout à fait compatible avec les prix avancés sur le montant du mégawattheure : entre 50 et 60 euros.

Par ailleurs, ne l’oublions pas, les Allemands ont fait le choix du charbon. Comment peut-on, à cette tribune, vanter la démarche de nos voisins d’outre-Rhin, qui sont en train d’augmenter la part du charbon dans leur production d’électricité ?

M. Jean Bizet. Très juste !

M. Daniel Raoul. C’est scandaleux !

M. Jean-Claude Lenoir. Ils utilisent aujourd’hui 42 % de charbon et 14 % de gaz pour produire leur électricité ! Et ils vont encore augmenter ces proportions ! Vous, monsieur le ministre, qui êtes très sensible aux bouleversements qui atteignent des paysages – j’ai lu et entendu ce que vous pensiez à ce sujet –, allez voir en Allemagne comment on retourne la surface du sol pour exploiter le lignite. Oui, le lignite !

M. Roland Courteau. Et le gaz de schiste ?

M. Jean-Claude Lenoir. On déplace les villages, les maisons, pour, ensuite, refermer le sol et laisser un chaos incroyable.

Le système électrique allemand nous pose, à nous Européens, le très grave problème des déséquilibres qu’il entraîne.

Premier facteur de déséquilibre : l’électricité produite en Allemagne devient moins chère parce que les Allemands utilisent le charbon et le lignite, qui est particulièrement bon marché.

Deuxième facteur de déséquilibre : ce pays produit par moments une grande quantité d’électricité – car c’est une électricité intermittente, aléatoire, du fait des éoliennes –, au-delà de ses propres besoins, et cette électricité en surplus doit être livrée immédiatement pour être consommée, sauf à ce qu’elle soit perdue. C’est ainsi que l’Allemagne nous cède cette électricité à un prix tellement bas que l’on parle même de prix négatif !

M. Jean Bizet. Exactement !

M. Jean-Claude Lenoir. On nous paie pour accepter l’électricité allemande sur notre réseau ! Et une bonne part de cette électricité est chargée de carbone ! Savez-vous que certaines régions d’Allemagne refusent la traversée de leur territoire par les lignes de transport d’électricité, tout simplement parce que c’est une électricité trop carbonée ?

Parlons maintenant des prix. En Allemagne, le prix de l’électricité est deux fois supérieur à ce qu’il est en France. On parle sans cesse de compétitivité. Mais alors, pourquoi devrions-nous nous priver d’un outil qui permet à notre industrie de disposer d’une énergie relativement bon marché ?

M. Jean Bizet. Bien sûr !

M. Ronan Dantec. Et si on parlait de ce que cela nous fait perdre ?

M. Jean-Claude Lenoir. Enfin, monsieur le ministre, soyez attentif à ne pas vous laisser entraver par des chaînes idéologiques qui vous privent de liberté de manœuvre, des chaînes qui tiennent à un accord électoral signé sur le coin d’une table.

M. Jean Bizet. Est-ce possible ?

M. Jean-Pierre Vial. C’est bien dit !

M. Jean Desessard. Et vous, vous signez vos accords sur un rebord de chaise ?

M. Jean-Claude Lenoir. La France mérite mieux.

Monsieur le ministre, je suis persuadé que vous auriez vous-même cité les chiffres que j’ai mentionnés. Mettez votre intelligence et votre bon sens au service de notre pays, notamment dans le chantier que vous avez ouvert au titre de la transition énergétique.

Alors, sortez de l’ambiguïté ! Le cardinal de Retz a effectivement dit : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. » Mais il a également dit : « Ceux qui sont à la tête de grandes affaires ne trouvent pas moins d’embarras dans leur parti que dans celui de leurs ennemis. » En l’espèce, je parlerai simplement d’adversaires…

Monsieur le ministre, nous serons à vos côtés sur le chemin du bon sens et de la vérité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, traiter de la transition énergétique, c’est s’attaquer à un immense chantier, qui doit sans doute faire l’objet d’un débat plus ample que celui auquel peut donner lieu une proposition de résolution. C’est aussi aborder un sujet d’avenir et d’une immense importance en matière de développement durable et d’économie.

Pour cette raison, le débat de ce soir est néanmoins nécessaire. Chacun d’entre nous doit l’aborder avec mesure, avec sincérité et avec, à l’esprit, tout l’enthousiasme que peut susciter une révolution positive en marche. Mon collègue Jean-Claude Lenoir en a d’ailleurs fait la démonstration à travers son intervention, qui a été passionnante.

Cette révolution a eu comme point d’orgue la réalisation du Grenelle de l’environnement et les deux lois qui ont suivi. Comment, ce soir, ne pas rendre hommage au travail considérable mené par Jean-Louis Borloo ?

De la concertation à la mise en œuvre, chacun a pris conscience des enjeux et des nécessaires réformes à faire. Les Français ont aujourd’hui une véritable « conscience durable », si je puis dire.

Cela nécessite encore des évolutions, notamment législatives. Les enjeux énergétiques sont primordiaux, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de résolution.

Avant d’entrer dans le fond du sujet, je souhaiterais vous interpeller, monsieur le ministre, sur la future loi de transition énergétique. Depuis près de deux ans, nous l’attendons comme un morceau fondamental du plan de travail du Gouvernement. Vous êtes le troisième ministre en charge de l’environnement depuis l’élection de François Hollande et je rappelle que celle qui vous a précédé dans ces fonctions les a quittées dans les conditions que nous savons, en plein débat national sur la transition énergétique. J’ai peine à croire que cela n’a pas ralenti le cheminement de ce texte !

Pouvez-vous, ce soir, nous donner un calendrier précis sur ce projet et, éventuellement, nous indiquer les pistes de réforme sur lesquelles vous travaillez ? Ce sont des informations attendues.

J’en viens au fond de la proposition de résolution et aux questions de transition énergétique.

Le constat dressé est le bon. La France, l’Union européenne et, finalement, le monde entier sont face à une conjonction de difficultés qu’il faut résoudre en matière d’énergie, mais qui sont aussi, je le crois, une chance pour l’avenir.

Oui, il faut faire face à la raréfaction des énergies fossiles. Oui, l’insécurité dans l’approvisionnement pose problème. Oui, la hausse de la facture énergétique met des familles en difficulté. Et, oui, la lutte contre l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre doit être une priorité.

Nous sommes à un moment où les choix que notre pays va faire seront essentiels pour respecter les engagements que nous avons pris et quasiment primordiaux en ce qui concerne le rôle de la France dans la production mondiale d’énergie.

Serons-nous bien engagés dans la compétition mondiale ouverte sur les énergies renouvelables, comme notre pays l’était en matière de nucléaire ?

Nous sommes à mi-chemin de l’échéance concernant les objectifs dits des « trois fois vingt », censés être atteints d’ici à 2020. Nous ne sommes malheureusement pas à mi-chemin dans la réalisation de ces engagements. Nous devons faire plus, mieux et plus vite si nous souhaitons rester dans la droite ligne du travail accompli.

L’examen de cette proposition de résolution s’inscrit dans un contexte de préparation de la conférence de Paris de 2015 sur le climat et à un moment où la question de l’énergie occupe en Europe une place prépondérante, avec la tenue le 20 mars prochain d’un Conseil européen consacré à l’énergie et au climat et la publication concomitante du projet de paquet énergie-climat pour 2030.

J’en viens à notre production d’énergie et à la nécessaire transition énergétique.

Nous sommes favorables à un mix énergétique plus équilibré qui réponde aux besoins nouveaux et aux objectifs fixés. Cela signifie qu’il ne faut pas avoir de position dogmatique, mais, bien au contraire, être ouvert et souple dans les évolutions.

L’énergie d’origine nucléaire est la moins polluante en matière de rejet de gaz à effet de serre. Elle nous a permis de produire une énergie très peu coûteuse et d’être très compétitifs au niveau mondial.

L’énergie nucléaire est également à l’origine de notre indépendance énergétique. Peu de pays peuvent en dire autant !

Enfin, c’est un secteur qui emploie des dizaines de milliers de personnes en France. C’est donc une branche économique solide, sur laquelle nous pouvons compter en cette période de crise.

Si l’abandon du nucléaire chez nos voisins a permis de faire « grimper » la part des énergies renouvelables dans leur production, il a aussi engendré des difficultés : d’une part, une réutilisation des sources d’énergie carbonées, très productrices de CO2 ; d’autre part, le développement de difficultés de transport de l’énergie. Ainsi, en Allemagne, du fait d’un réseau mal adapté, il est difficile d’acheminer jusqu’au sud du pays une électricité d’origine éolienne généralement produite au nord.

Cela signifie qu’il faut conserver notre nucléaire et cesser de le dévaloriser. Il convient, au contraire, d’accompagner son évolution, son amélioration. Au-delà de la question de la production, cela permettra à notre secteur de recherche d’être toujours plus performant.

Le projet ITER, développé sur notre territoire, à Cadarache, constitue un laboratoire de recherche international unique au monde. Notre expérience et notre volonté nous ont permis, avec l’aide de l’Europe, d’obtenir ce fabuleux projet.

Il ne s’agit pas, bien sûr, de rester totalement béat devant le nucléaire. Et qui dit mix énergétique dit partage de la production. Il faut donc toujours plus d’énergies renouvelables, lesquelles, par définition, ne polluent pas et sont inépuisables. Pour ma part, j’estime aussi qu’elles sont une chance pour les territoires ruraux ; je les qualifie souvent de sources d’énergie de proximité. Elles sont un facteur important de développement économique, qui peut répondre à de nouvelles demandes et soutenir l’agriculture.

La consommation énergétique globale est en constante augmentation. Ce phénomène est nécessairement lié à l’augmentation de compétitivité et à l’amélioration de la qualité de vie. Les énergies renouvelables doivent impérativement venir compenser cette demande croissante.

Nous devons plus et mieux favoriser le développement de l’énergie photovoltaïque, de l’éolien, de la géothermie et de la méthanisation, afin de renforcer le dynamisme local, lequel peut déboucher sur de véritables filières industrielles françaises et donner des résultats en termes d’emploi et de balance commerciale.

Dans son très récent rapport sur la mise en œuvre par la France du paquet énergie-climat, la Cour des comptes estime que nous allons consacrer 37 milliards d’euros au développement des énergies nouvelles, alors qu’il en faudrait deux ou trois fois plus. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ? Le Gouvernement et surtout le Président de la République vont-ils s’engager fermement à cet égard ?

Un autre volet de la transition énergétique est naturellement incarné par la consommation énergétique elle-même ; on peut agir sur le niveau de la consommation et sur la gestion de son flux. L’énergie la moins chère et la moins polluante sera toujours celle que l’on n’utilise pas !

Nous devons soutenir et accompagner la rénovation thermique des bâtiments. Cela passe par des mesures incitatives pour mieux isoler les maisons, par une TVA elle aussi incitative dans le bâtiment et l’amélioration des passoires thermiques.

Vous avez, monsieur le ministre, lancé des appels d’offres pour le développement des compteurs communicants Linky et Gazpar, dits aussi « compteurs intelligents ». Ils seront nécessaires pour mieux gérer la consommation d’énergie des foyers, pour limiter et lisser les pics qui constituent l’une des principales difficultés de gestion de l’approvisionnement énergétique, surtout lorsque le pourcentage d’énergie renouvelable, par nature presque toujours intermittente, augmente.

Ces mesures auront un impact écologique mais aussi économique pour les foyers qui en bénéficieront. Ce sont souvent les mêmes qui habitent dans des logements mal isolés et qui ont des difficultés à régler une facture énergétique en continuelle augmentation. La loi Brottes était bien loin de régler ces difficultés.

Où en est-on de la progressivité réelle de la facture énergétique ?

Pour conclure, je souhaite remercier le groupe UMP d’avoir inscrit cette proposition de résolution à l’ordre du jour, en raison du sujet qu’il aborde, mais aussi parce qu’il permet de poursuivre le débat, qui s’est tenu voilà un mois, sur la production énergétique française, organisé à la demande du groupe RDSE, mais qui a été finalement tronqué puisque tous les orateurs inscrits n’ont pas pu s’exprimer et que le Gouvernement n’a pas pu répondre aux interventions.

Sur le fond, le constat et les sujets abordés par cette proposition de résolution sont soutenus par le groupe UDI-UC.

Nous ne partageons sans doute pas la hiérarchisation des propositions opérée dans le texte. (M. Roland Courteau s’en étonne.) Néanmoins, le groupe centriste votera la proposition de résolution, afin d’adresser un signal fort au Gouvernement, qui doit avancer enfin sur cette problématique et nous proposer un vrai mouvement vers la transition énergétique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)