M. Jacky Le Menn. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la qualité d’une société s’apprécie notamment au regard de sa capacité à accueillir les différences et à permettre à toute personne handicapée d’être un acteur de la vie sociale, culturelle, professionnelle et sportive.

De ce point de vue, la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a marqué un progrès considérable et suscité beaucoup d’espoir pour les personnes handicapées et leur famille. Cette loi concernait tous les aspects de la vie des personnes en situation de handicap et visait à assurer l’égalité entre les personnes valides et les personnes non valides.

Pourtant, encore aujourd’hui, un quart des réclamations liées aux discriminations dont est saisi le Défenseur des droits concerne le handicap.

La loi de 2005 imposait notamment la mise en accessibilité des établissements recevant du public, les ERP, et des transports publics pour 2015. Ce délai de dix ans était particulièrement ambitieux, mais malheureusement assez peu réalisable. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, comme l’a parfaitement rappelé Claire-Lise Campion dans son rapport Réussir 2015 : mauvaise appréciation des délais nécessaires à la réalisation des travaux, complexité des règles, délai de parution des décrets trop long et coût des travaux non évalué.

Lors de l’examen du texte, en 2004, le groupe RDSE avait d’ailleurs relevé qu’il suscitait beaucoup de questions, faisait planer quelques menaces et manquait cruellement des moyens de son ambition en termes de financement.

Force est de constater que, neuf ans après, les craintes exprimées alors se sont révélées exactes : le bilan sur l’avancement du chantier est plutôt mitigé. En effet, à peine plus de la moitié des écoles et seulement 42 % des réseaux de bus sont accessibles aux personnes en situation de handicap.

Cependant, la situation est surtout préoccupante au niveau des commerces de proximité et des cabinets médicaux et paramédicaux. Malgré des actions de sensibilisation, les commerces de proximité se mobilisent peu pour proposer des services accessibles. Dans son cinquième baromètre de l’accessibilité, l’Association des paralysés de France déplore ainsi que le système de santé français, l’un des meilleurs au monde, soit toujours inaccessible aux personnes en situation de handicap. Il peut paraître en effet choquant que le libre choix du médecin traitant, de l’ophtalmologiste, du gynécologue ou du dentiste n’existe pas pour ces personnes. Le choix s’effectue en fonction du degré d’accessibilité du cabinet et non en fonction des compétences du professionnel.

Depuis quelques années, nous savons bien que l’échéance de 2015 ne sera pas tenue. En 2011, un rapport de trois inspections générales alertait déjà sur les retards pris par l’ensemble des acteurs, et le Gouvernement l’a reconnu en septembre dernier.

Toutefois, la loi de 2005 a conduit au développement d’une meilleure accessibilité et d’une qualité d’usage toujours plus grande. Des structures adaptées aux personnes handicapées se développent et s’enrichissent au fil du temps. Des efforts incontestables ont été déployés par les acteurs concernés pour faire avancer l’accessibilité et, bien que soumises à de fortes contraintes, les communes apportent chaque jour la preuve de leur volonté d’améliorer l’accueil de tous les publics dans les équipements communaux et de faciliter ainsi l’accès au service public.

L’Association des paralysés de France, qui évalue les communes en fonction du cadre de vie adapté, des équipements municipaux accessibles et de la politique locale volontariste, relève d’ailleurs que la moyenne nationale progresse. En 2013, aucune commune n’obtenait une note globale sous la moyenne alors qu’elles étaient encore vingt et une dans ce cas en 2010.

Pour autant, nous le savons bien, ces chiffres ne sont pas satisfaisants !

Je l’ai dit tout à l’heure, la mise en accessibilité impose des contraintes financières très importantes. En mai 2010, une étude menée par Accèsmétrie sur le coût de la mise en accessibilité des établissements recevant du public avait évalué le montant des travaux de mise en accessibilité des quelque 300 000 ERP publics. L’investissement nécessaire était alors estimé à 20 milliards d’euros : 3 milliards d’euros pour l’État et 17 milliards d’euros pour les collectivités, essentiellement les communes et les intercommunalités. Il s’agit d’une somme non négligeable que les élus locaux doivent financer sans l’aide de l’État.

L’étude a également chiffré le budget moyen de la mise en accessibilité par ERP. Pour les communes de moins de 3 000 habitants, il s’établirait à 10 775 euros et s’élèverait à 73 000 euros pour celles qui comptent plus de 3 000 habitants. Selon l’ampleur des travaux et le nombre d’ERP, l’impact pourrait représenter le tiers, voire la moitié, du budget d’équipement annuel. Pour les départements, le coût moyen par ERP atteindrait 170 400 euros, 226 000 euros pour les régions et 140 000 euros pour l’État.

La loi de 2005 a imposé de nouvelles dépenses aux collectivités sans prévoir d’accompagner financièrement celles qui s’engagent sur une programmation. Or, nous le savons bien, les collectivités sont dans une situation financière extrêmement difficile, leurs ressources étant soit bloquées, soit réduites. Elles sont véritablement asphyxiées. Le manque d’incitation de l’État a laissé les acteurs de terrain dans des difficultés inextricables, même pour les plus volontaristes d’entre eux. Dans ces conditions, il est assez difficile, notamment pour les petites communes, de se mettre en conformité avec la loi, d’autant que l’évaluation du coût ne concerne que les établissements publics et ne prend en compte ni les travaux de voirie ni les transports, pourtant indispensables.

Il n’est pas toujours évident de circuler dans nos villes en fauteuil roulant, sans parler des personnes aveugles qui rencontrent des difficultés dans les déplacements de leur vie quotidienne. La personne handicapée doit planifier ses déplacements et très souvent elle ne peut pas se passer d’aide en ville. Interphones inaccessibles, trottoirs trop hauts, marches à l’entrée des magasins, absence de passages piétons aménagés... Si les personnes dites valides sont peu affectées par ces défauts d’aménagement, en revanche, pour les personnes handicapées ou à mobilité réduite, ces obstacles s’avèrent trop souvent insurmontables.

Néanmoins, travailler sur la voirie est un véritable casse-tête. Il faut équiper les feux rouges de balises sonores et installer des bandes podotactiles pour faciliter la traversée des personnes malvoyantes, faire des travaux de nivellement des trottoirs pour que les arrêts de bus soient accessibles aux personnes à mobilité réduite. Ces aménagements sont, bien sûr, nécessaires et légitimes pour permettre aux personnes en situation de handicap de circuler librement. Mais les communes, au-delà des difficultés financières, sont confrontées à des complications d’ordre technique : étroitesse des rues et des trottoirs, topographie locale, respect du caractère historique d’un bâtiment ou difficulté de concilier les besoins des différents handicaps.

Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre ce qu’attendent les uns et ce que peuvent faire les autres, car la réalisation de cet objectif d’accessibilité est légitime, et nous ne le contestons pas.

Les élus locaux doivent prévoir des dépenses nouvelles pour la mise aux normes des bâtiments, des trottoirs, des voiries et des transports. Ceux qui gèrent ce type d’infrastructures le savent, les schémas d’accessibilité les amènent à envisager des dépenses auxquelles il est parfois très difficile de faire face.

S’agissant de la mise en conformité des transports en commun, la question est tout aussi préoccupante. Lorsque l’on élabore un schéma d’accessibilité, on se rend compte, au vu des coûts considérables et des difficultés techniques, que les normes sont une fois de plus trop contraignantes et souvent contraires à la réalité du terrain.

Je comprends la déception et l’impatience des personnes en situation de handicap. Elles attendent depuis des décennies que l’effort en faveur de l’accessibilité se concrétise. Pour autant, le projet de loi ne remet pas en cause la loi de 2005. L’échéance de 2015 est maintenue. Comme le souligne l’étude d’impact, il s’agit de compléter la loi de 2005 qui n’avait peut-être pas prévu suffisamment d’outils pour fixer l’objectif d’une accessibilité universelle d’ici à 2015.

Le projet de loi prévoit donc d’accompagner les maîtres d’ouvrage qui n’auront pas achevé la mise aux normes avant la date butoir. Seront ainsi mis en place les agendas d’accessibilité programmée, qui demanderont aux acteurs n’étant pas en conformité avec la loi de 2005 de s’engager sur un calendrier précis et resserré de travaux d’accessibilité, sous peine de sanctions. Il est également prévu d’adapter un certain nombre de normes pour prendre davantage en compte l’ensemble des formes de handicap et simplifier de nombreuses dispositions réglementaires.

Pour le Gouvernement, « cette réforme est indispensable pour maintenir l’objectif d’accessibilité fixé par la loi du 11 février 2005. Elle permettra d’impulser rapidement une accélération des aménagements dans les prochains mois et d’engager un processus irréversible vers l’accessibilité universelle ». Nous l’appelons de nos vœux.

Ces mesures devraient garantir aux associations que les objectifs de mise en accessibilité pourront être tenus. Elles devraient aussi offrir aux gestionnaires d’ERP et de services de transport une solution adaptée et réaliste. L’Association pour adultes et jeunes handicapés a ainsi estimé que, « au vu des retards accumulés, [les agendas d’accessibilité programmée] apparaissent comme la solution la plus réaliste pour avancer de façon pragmatique, dans des délais resserrés » vers l’objectif d’accessibilité pour tous.

Un effort supplémentaire doit être fait pour permettre aux personnes en situation de handicap de participer pleinement à la vie de la cité. Nous souhaitons ardemment que les mesures que vous proposez, madame la secrétaire d’État, puissent contribuer à cet objectif. C’est avec cet espoir que le groupe RDSE, à l’unanimité, apportera son soutien au projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. – Mme Jacqueline Gourault applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le 1er janvier 2015 devait être une date d’une grande importance pour des millions de Français qui, du fait d’un handicap permanent ou temporaire, ne peuvent bénéficier de l’accès aux transports ou aux infrastructures aussi bien publiques que privées.

La loi du 11 février 2005 sur l’accessibilité universelle impose que les établissements publics et privés recevant du public et les transports collectifs soient accessibles aux personnes handicapées, respectivement avant le 1er janvier 2015 et avant le 13 février 2015.

Après le rapport établi par mes collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré en juillet 2012, puis après la mission conjointe de septembre 2012, il a été établi que les délais, hélas, ne pourraient être tenus.

Le projet de loi d’habilitation que nous examinons aujourd’hui aborde pourtant un enjeu majeur : les derniers chiffres publiés par l’INSEE en 2011 et cités par l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées, l’AGEFIPH, établissent qu’en 2007 la France comptait 9,6 millions de personnes handicapées au sens large, soit plus de 14 % de la population française !

L’incapacité à tenir les délais prévus initialement est liée à plusieurs raisons qui ont été soulignées par Claire-Lise Campion : une trop grande attente entre la publication de la loi et la parution des décrets, une réglementation trop complexe, une mauvaise compréhension de l’impact financier et une anticipation incorrecte des délais nécessaires – nous devons bien sûr en tirer des leçons pour la suite –, couplées à une quasi-absence de portage politique.

On ne peut que déplorer que cette question cruciale de société ait été quasiment laissée de côté par les gouvernements pendant sept années, entre 2005 et 2012, avec un manque de suivi flagrant des pouvoirs publics, qui n’ont pas su coordonner et mobiliser les acteurs de terrain. Cela a eu les conséquences que l’on connaît : un très gros retard dans les travaux de mise en accessibilité et des sanctions imminentes, à partir du 1er janvier 2015, soit dans quelques mois, pour ceux qui ne respectent pas les conditions prévues par la loi de 2005, si rien n’est fait d’ici là.

Le nombre d’ERP mis aux nouvelles normes d’accessibilité était estimé au 1er janvier 2013, par la Délégation ministérielle à l’accessibilité, à 60 % au maximum. C’est tout juste plus de la moitié des ERP, et ce huit ans après le vote de la loi de 2005 !

Le texte que nous examinons aujourd’hui est un projet de loi d’habilitation. Nous regrettons ce mode de fonctionnement qui ne doit pas être récurrent, qui ne peut pas être le mode habituel de production de la loi. De même, nous déplorons – certains de mes collègues viennent aussi de le souligner – la précipitation des débats. Cela étant dit, nous voyons bien l’urgence de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Au 1er janvier de l’année prochaine, si rien n’est fait très vite, les sanctions tomberont. De plus, rien n’est prévu pour faire en sorte que les travaux soient réalisés.

Il faut donc être maintenant pragmatique. La mission confiée à ma collègue Claire-Lise Campion en 2012 a été une bonne initiative : elle a permis – enfin ! – d’établir un état des lieux détaillé et de réfléchir à la mise en œuvre de solutions concrètes afin que le principe de l’accessibilité universelle affirmé dans la loi devienne une réalité pour nos concitoyens.

Avant cette concertation, les partenaires étaient divisés. D’un côté, les associations de solidarité avec les personnes handicapées et les personnes qui, d’une manière générale, souffrent du manque d’accessibilité dans notre pays appréhendaient la mise en place de délais à rallonge sans vraie échéance pour tous ceux qui n’auraient pas respecté la loi de 2005, et ce sans que cela ne fasse l’objet d’aucune sanction. De l’autre côté, les propriétaires et gestionnaires d’établissements recevant du public en retard mettaient en avant le poids financier trop important des travaux, la mauvaise prévision des coûts et des délais nécessaires pour effectuer les travaux.

Cela a été rappelé, Claire-Lise Campion a su mener une large concertation avec tous les acteurs, aussi bien associations que collectivités, fédérations professionnelles et maîtres d’ouvrage, écartant toute vision binaire de la problématique de la mise en accessibilité. Je me réjouis de cette méthode.

Je souhaite la remercier de son travail approfondi d’écoute attentive des acteurs et de recherche de solutions concrètes, qui a abouti au projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Certes, tout n’est pas parfait, mais on a avancé.

Le sujet des contraintes financières et administratives pesant sur les infrastructures soumises à la loi de 2005 a été abordé dans ce débat et le sera sans doute de nouveau. Ces contraintes ne peuvent servir de prétexte pour repousser indéfiniment les délais. Le fait est que l’accessibilité universelle n’est toujours pas réalisée dans notre pays, quarante ans après la première loi d’orientation en faveur des personnes handicapées, en 1975, dix ans après la loi de 2005, neuf ans après la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées inscrivant l’accessibilité au cœur des priorités des États et signée par la France.

Cela témoigne bien du fait que nous sommes devant une grosse difficulté et qu’il faut avancer.

La mise en accessibilité doit être pour tous une priorité, tout d’abord parce qu’elle touche à la question des droits de l’homme, à la vision que nous avons de l’autre, au regard que nous portons sur l’autre. Elle est au cœur des principes qui fondent notre République. L’égalité entre les citoyens est un principe absolu. Cela signifie donc l’égalité dans l’accès à la vie sociale, économique, politique, culturelle, avec l’objectif de permettre à chaque citoyen d’avoir la plus grande autonomie possible.

Le handicap est encore trop souvent un sujet tabou en France. Si nous continuons à éviter de nous attaquer à ce problème, nous nous éloignerons de ce modèle de société égalitaire que nous affirmons vouloir construire. Il faut nous secouer, arrêter de fuir le problème ou de chercher de bons prétextes pour retarder encore l’échéance d’année en année.

La mise en accessibilité ne doit pas être vue seulement comme une contrainte, comme cela transparaît parfois dans les discours, elle ne doit pas être perçue comme une charge financière qui empêcherait de financer d’autres investissements. Elle demande bien sûr des choix, des arbitrages financiers, mais c’est un bénéfice pour tous, c’est un investissement qui devrait aller de soi.

Personne ne met en question, par exemple, la charge financière que représente la création de places de parking ou d’un escalier pour accéder à un bâtiment lorsqu’il s’agit d’infrastructures pour les personnes dites « valides ». Pourquoi en serait-il autrement pour les infrastructures nécessaires à l’accessibilité des personnes handicapées ?

Ensuite, le manque d’autonomie et le manque d’accessibilité ne sont pas des difficultés pour les seules personnes atteintes d’un handicap. Elles le sont aussi pour toute personne confrontée un jour ou l’autre à une difficulté de déplacement, qu’elle soit temporaire ou durable : maladie, transport d’enfants en bas âge, grossesse. Et au regard du vieillissement de la population, cette approche transversale est un enjeu considérable. Nous reverrons cette question lors de l’examen du futur projet de loi sur l’autonomie.

Enfin, autre point important, l’accès des jeunes handicapés à la formation et à l’éducation supérieure doit être développé dans notre pays. Le ministère du travail indiquait en novembre 2013 que le taux de chômage des travailleurs handicapés s’élevait à 21 %. La formation est donc un enjeu particulièrement fort. La loi de 2005 visait à donner l’exemple en demandant aux universités, notamment, d’effectuer les travaux de mise en accessibilité avant 2011. Les études menées après la date butoir sont peu nombreuses et souvent vagues. D’après les estimations du ministère de l’enseignement supérieur, seulement un quart des universités environ sont accessibles. Que va-t-il advenir des trois quarts restantes ? Pourront-elles également, madame la secrétaire d’État, intégrer le dispositif des Ad’AP, même si l’échéance prévue par la loi les concernant est déjà dépassée depuis plus de trois ans ?

L’accessibilité des établissements d’enseignement et de formation nous paraît un enjeu très fort.

La solution de l’agenda d’accessibilité programmée, qui a été établie en collaboration avec l’ensemble des partenaires, nous semble être la moins mauvaise des solutions, à condition de ne pas retomber dans les écueils de ces dix dernières années.

Nous nous devons pour cela d’être vigilants et proactifs. C’est la raison pour laquelle notre groupe propose trois amendements qui visent à faciliter l’application de la loi et à renforcer un contrôle régulier pour anticiper les éventuelles difficultés d’application.

Nous proposons tout d’abord un contrôle de l’état d’avancement des actions de mise en accessibilité, au moins tous les deux ans, par un comité de suivi constitué de représentants de tous les acteurs du dossier de l’accessibilité, y compris de représentants du Parlement.

Nous avons une mission de contrôle de l’action publique ; il faut la mener régulièrement sans attendre la fin de la période prévue par les Ad’AP. Selon nous, c’est le seul moyen d’anticiper les difficultés et de trouver des solutions en amont. Ce peut être également l’occasion d’informer et de sensibiliser largement nos concitoyens sur ce sujet, car, là encore, il existe un grand besoin.

En outre, nous considérons que le projet de loi d’habilitation peut être davantage proactif. Il est en effet prévu que les ERP n’ayant pas réalisé les travaux nécessaires au 1er janvier 2015 et n’ayant pas non plus souscrit à un agenda d’accessibilité programmée ne puissent être condamnés que sur plainte des usagers. Dans la pratique, ces plaintes sont extrêmement rares, car beaucoup d’usagers ont peu de moyens pour engager des actions en justice souvent très longues et, donc, nombreux sont ceux qui passent entre les gouttes.

Nous proposons que le Gouvernement mette en place un système de contrôle proactif des ERP en s’appuyant sur les structures locales existantes, comme les commissions consultatives départementales de sécurité et d’accessibilité, qui comportent des représentants des associations, la délégation interministérielle à l’accessibilité, l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle.

Enfin, et c’est l’objet de notre troisième amendement, nous souhaitons qu’une liste publique des ERP qui ont effectué les travaux de mise en accessibilité ou qui prévoient de les faire par l’intermédiaire d’un Ad’AP soit mise en ligne pour que toute personne qui s’interroge sur sa capacité à accéder à telle ou telle infrastructure puisse avoir la réponse immédiatement.

Vous l’aurez compris, le groupe écologiste est favorable à ce projet de loi d’habilitation, mais, par nos amendements, nous appelons à une plus grande et plus régulière vigilance opérationnelle en amont dans les mesures que le Gouvernement sera amené à prendre, afin de ne pas retomber dans les travers de la loi de 2005.

Nous sommes bien sûr favorables à ce projet de loi à condition que le débat d’aujourd’hui n’en affaiblisse pas la rédaction. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur les mesures d’accessibilité de la loi du 11 février 2005 ne peut qu’interpeller tant il aurait été souhaitable que le Parlement ait eu à se prononcer directement…

Mme Isabelle Debré. Absolument !

M. Jean-Pierre Vial. … sur les dispositions de mise en œuvre d’une loi dont nous connaissons la volonté politique qui l’a portée.

Mme Isabelle Debré. Très juste !

M. Jean-Pierre Vial. Nous nous trouvons, de surcroît, devant le paradoxe d’une loi dont l’exigence avait justement eu pour objet de remédier au défaut de la mise en œuvre de la loi de 1975 dans son volet portant sur l’accessibilité.

Mais ce seul constat doit nous conduire à plus de réalisme et à en tirer toutes les conséquences pour que ce chantier immense n’ait pas à être rouvert. Ainsi que Mme le rapporteur en faisait elle-même le constat, « malgré des progrès tangibles », la France ne sera pas au rendez-vous du 1er janvier 2015.

Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité et l’importance du travail réalisé, tant par notre collègue Claire-Lise Campion à travers son premier rapport remis au Premier ministre le 1er mars 2013 que par les auteurs de celui, plus récent, qui contient les propositions issues de la concertation et du travail d’animation conduit avec Marie Prost-Coletta.

Je le dis avec conviction : comme ma collègue Isabelle Debré, je regrette que cet immense travail ne nous ait pas permis de réussir la dernière étape, celle d’une saisine du Parlement dans des conditions plus satisfaisantes. (M. Raymond Vall, président de la commission du développement durable, s’exclame.)

Notre pays s’est engagé résolument dans la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées, qui, il est vrai, n’aura guère été suivie d’effets en ce qui concerne l’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population.

La loi de 2005 s’était donné une ambition et avait été conçue par réaction aux insuffisances de la loi de 1975, dont le chef de l’État lui-même, Jacques Chirac, qui l’avait fortement souhaitée, ne sera pas pour rien dans l’exigence des arbitrages, sur lesquels, il faut bien le reconnaître, il y a lieu d’avoir aujourd’hui une approche plus réaliste et plus pragmatique.

La loi de 2005 a posé une notion particulièrement exigeante fondée sur le principe de l’accès universel. Son article 41 impose en effet d’une façon très large l’accessibilité à toute personne handicapée, « quel que soit le type de handicap, notamment physique, sensoriel, cognitif, mental ou psychique […] ».

Cette exigence a été étendue aux établissements recevant du public, existants ou à construire, en y intégrant la notion de spatialité, dont l’article 45 posait le principe de « la chaîne du déplacement », dans son intégralité.

Or il est un premier paradoxe qui mérite d’être souligné, comme l’ont fait les inspecteurs généraux dans leur rapport de 2012 : l’exigence de l’interprétation du principe d’accessibilité universelle est défendue dans son acception la plus absolue quand elle porte sur le handicap fauteuil, alors que les autres handicaps, tout autant prévus par la loi de 2005, semblent faire l’objet d’une exigence beaucoup moins forte, très en retrait de la réalité, si vous me permettez cette expression.

Cette interprétation exigeante de la notion d’accessibilité universelle pousse à une première interrogation et mérite d’être examinée au regard d’une pratique internationale souvent citée en exemple.

C’est tout d’abord l’article 2 de la convention relative aux droits des handicapés élaborée par l’ONU en 2006 qui définit l’exigence de services « qui puissent être utilisés par tous, dans toute la mesure possible, sans nécessiter ni adaptation ni conception spéciale ».

De la même façon, la directive européenne du 27 novembre 2000 en matière d’accès au lieu de travail exige que pour « garantir le respect du principe de l’égalité de traitement à l’égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus ».

Les législations relatives à l’accessibilité adoptées par plusieurs États européens bien avant la loi du 11 février 2005 – entre 1966 et 1995 par la Suède, la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni – sont tout autant instructives.

Ces États européens souvent cités en exemple en sont en réalité restés à des objectifs généraux, avec une certaine souplesse quant aux mesures d’application.

Ainsi, le Royaume-Uni a posé le principe des adaptations raisonnables et la Suède celui de la levée des obstacles faciles à supprimer.

Une proposition de directive du Conseil européen du 2 juillet 2008 relative « à l’égalité de traitement entre les personnes » s’est donné comme objectif d’aborder les questions d’accessibilité et d’aménagement raisonnable.

Ce pragmatisme, ce réalisme caractérise d’ailleurs l’intégration en droit national des directives européennes, quand on fait une étude comparée quel qu’en soit le domaine.

Permettez-moi, madame la secrétaire d’État, de souligner ce point, qui mériterait d’être davantage pris en compte quand on sait notre propension à prendre les autres pays européens comme exemple.

Ainsi, si la loi de 1975 a pu être jugée décevante par son absence de résultat, encore convient-il d’apprécier la loi de 2005 avec objectivité.

Oui, la loi de 2005 a eu un mérite indéniable, qui, comme le reconnaît l’étude d’impact, « a entraîné un changement d’état d’esprit et permis de porter un regard différent sur le handicap ». Et comme le reconnaissent beaucoup d’observateurs et d’experts, elle a mis la France dans une situation qui n’a rien à envier à celle des autres pays européens, souvent pris en exemple et qui se sont engagés dans cette action depuis bien plus longtemps.

Dès lors, s’il est vrai que la France ne sera pas au rendez-vous de 2015, encore convient-il que les raisons objectives en soient parfaitement reconnues et analysées.

Sont tout d’abord en cause la complexité et la rigueur des règles. Le rapport de trois inspecteurs généraux soulignait déjà en 2012 que les mesures d’application portaient essentiellement sur le handicap fauteuil et revêtait un caractère pointilleux.

Par ailleurs, le coût des travaux n’a pas été pris en compte, pas plus qu’il n’avait fait l’objet d’une évaluation.

Enfin, les délais ont été mal appréciés, ce que l’étude d’impact met particulièrement en relief. La loi de 2005 avait voulu adresser un signal fort et, en dehors du symbole du principe d’accessibilité universelle, le calendrier constituait une seconde exigence, qu’il nous convient aujourd’hui d’apprécier avec lucidité dans un environnement économique dégradé.

Malgré tout, force est de constater que, si les objectifs ne sont pas satisfaits au regard de cette exigence, l’importance de l’effort et des investissements ne doit pas être sous-estimée ni minorée.

Si l’on considère les seuls établissements recevant du public, on note que ceux qui sont aux normes et ceux qui ont fait l’objet de travaux et d’autorisations représentent environ 500 000 établissements, soit au moins la moitié du parc des ERP, selon l’estimation la plus maximaliste.

Concernant le public – si l’on excepte l’État, madame la secrétaire d’État, sur lequel il serait judicieux de disposer de données, dont l’approximation est pour le moins affligeante et dont l’étude d’impact pousse à quelques interrogations –, force est de constater que, si certaines collectivités locales peuvent se voir reprocher un engagement tardif, l’effort d’ensemble mérite d’être souligné, particulièrement en matière de transport, surtout quand on connaît le coût et la complexité des investissements et aménagements à réaliser.

Face à cette situation, le principe est de ne pas remettre en cause la mise en œuvre de la loi de 2005. C’est un trait de notre culture ou de la richesse de notre langue, nous avons décidé de maintenir l’heure tout en sachant que nous serons en retard. Je le dis en saluant Mme la rapporteur puisque le projet de loi repose sur la proposition phare du rapport Réussir 2015, l’agenda d’accessibilité programmée, l’Ad’AP, qui aurait effectivement offert tant de possibilités, comme l’ont souligné beaucoup, et sur un certain nombre de préconisations résultant de la concertation.

C’est un travail important qui a été réalisé, et plusieurs propositions constituent des avancées, voire des innovations pour apporter des adaptations sans aller jusqu’à la remise en cause du principe même.

Devant une telle échéance, la délégation sénatoriale aux collectivités locales et à la décentralisation ne pouvait pas ne pas se saisir d’un enjeu aussi lourd de conséquences.

J’ai eu l’honneur de conduire ce travail pour le compte de la délégation, qui a adopté à l’unanimité une série de propositions qui seront présentées par voie d’amendement, et dont je souhaiterais présenter les grands principes.

Nous nous trouvons en effet dans le cadre d’une originalité législative que les spécialistes n’ont pas manqué d’analyser, avec curiosité pour certains, et sans concession pour d’autres.

La délégation aux collectivités territoriales a consacré depuis 2010 plusieurs travaux, divers, approfondis et convergents, tendant à la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

Cette problématique a été exposée dans quatre rapports d’information, dont celui de Claude Belot et plus particulièrement celui d’Éric Doligé consacré à la simplification des normes applicables aux collectivités locales, sans oublier le dernier rapport publié en mars 2013 de la mission de lutte contre l’inflation normative de MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard.

Ces rapports trouvent tout leur sens dans les récentes propositions de simplification administratives dont le présent projet de loi ne saurait être exclu.

La deuxième préoccupation est bien évidemment financière au regard de la situation dans laquelle se trouve notre pays, qu’il s’agisse non seulement des acteurs privés ou publics, mais également du principe de réalité au regard du calendrier.

Ce sont d’ailleurs ces deux principes que le chef de l’État n’a pas manqué, très récemment, de mettre en avant comme exigences.

La première exigence consiste à appliquer la loi de 2005 au regard d’une démarche de modernisation du droit et de simplification des normes.

L’exigence de la loi de 2005 ne saurait être amoindrie en soumettant celle-ci à des règles de simplification et de modernisation, qui est certainement l’un des chantiers les plus importants auquel le Parlement doit se consacrer et qui est l’occasion de constater que, dans le processus législatif, le Parlement n’est pas le plus gros producteur de normes, et cette loi en est une illustration.

La commission consultative départementale de sécurité et d’accessibilité, la CCDSA, constitue un élément important du dispositif même de la loi de 2005. Cependant, son avis ne saurait être un avis lié, il doit rester un avis simple, la décision finale devant relever de l’État, c’est-à-dire du préfet de département.

De la même façon, et conformément au principe rappelé aujourd’hui avec exigence, à défaut de réponse explicite de l’administration, le silence vaut acceptation, d’où la possibilité pour le préfet de prolonger les délais d’instruction si nécessaire.

En outre, la procédure des permis de construire ne saurait déroger au droit commun, et la complexification de la conformité par un maître d’œuvre différent n’a aucune raison d’être, l’architecte assumant une responsabilité pleine et entière, y compris sur le plan pénal.

En matière de simplification et d’égalité de traitement, il y a lieu de pouvoir étendre aux équipements publics la dérogation reposant sur le principe de disproportion manifeste, qui n’a aucune raison d’être écartée par rapport au principe retenu pour les acteurs privés.

Les mesures de contrainte ne sauraient davantage échapper au droit commun. Les sanctions pénales particulièrement lourdes ne justifient aucunement d’être doublées d’une pénalité administrative qui échapperait tant au juge judiciaire qu’au juge administratif.

Il convient donc que ces sanctions administratives, madame la secrétaire d’État, soient purement et simplement abandonnées au profit des seules sanctions pénales relevant du juge judiciaire, ou au pire, allais-je dire, il faut des sanctions administratives qui relèvent du juge administratif à la place de sanctions pénales. En effet, prévoir une double peine avec des condamnations aussi lourdes paraît purement et simplement inacceptable.

La seconde exigence à laquelle la loi de 2005 ne saurait se soustraire, c’est celle du réalisme économique et administratif. Si le principe de l’Ad’AP, nous l’avons dit, constitue une procédure intéressante, celle-ci doit être appréciée au regard de la capacité que les services auront à traiter un stock qui peut être considéré comme l’équivalent du flux absorbé et traité jusqu’à ce jour dans le cadre de la loi.

Il n’est pas sérieux de proposer un calendrier d’instruction et de mise en place des Ad’AP dans les délais envisagés, qui ne pourront en aucun cas être respectés. Je vous le dis fermement, madame la secrétaire d’État, le calendrier n’est pas raisonnable,…