M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, corapporteur.

M. Jean-Claude Peyronnet, corapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense des forces armées. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, le Sénat examine donc aujourd’hui le premier projet de loi d’orientation et de programmation relatif à la politique de développement. Longtemps demandé par les différents rapporteurs qui se sont succédé, ce texte répond à une exigence démocratique : le Parlement doit pouvoir débattre des grandes orientations d’une politique publique qui, selon la méthodologie de calcul de l’OCDE, représente un montant de près de 10 milliards d’euros par an. Je vous remercie d’avoir insisté sur ce point, madame la secrétaire d’État.

Ce projet de loi répond aussi à une exigence démocratique en ce que les débats parlementaires se tiennent en public, en toute transparence. Cela constitue un aboutissement logique du travail de concertation exemplaire mené depuis deux ans par le Gouvernement, qui a réuni, entre novembre 2012 et mars 2013, des Assises du développement et de la solidarité internationale ayant permis de débattre largement de la politique de développement avec l’ensemble des acteurs intéressés.

Ce projet de loi traduit également la nécessité de s’adapter à un monde en mutation. Depuis une dizaine d’années, les progrès sont spectaculaires dans le monde, même s’ils demeurent disparates et fragiles.

Alors que nous arrivons à l’échéance prévue pour les objectifs du millénaire pour le développement fixés en 2000 par 189 chefs d’État et de Gouvernement, le rapport annuel de l’ONU de 2013 dresse un bilan encourageant, évoquant des progrès significatifs sur un grand nombre de cibles, par exemple la réduction de moitié du nombre d’individus vivant dans l’extrême pauvreté et de la proportion de personnes n’ayant pas un accès durable à une source d’eau potable améliorée. Mon collègue corapporteur Christian Cambon évoquera ultérieurement cette question majeure.

En octobre dernier, la commission des affaires étrangères a notamment mis en avant le décollage impressionnant de l’Afrique, dont le taux de croissance économique a été particulièrement élevé durant les dix dernières années. Les changements y semblent structurels. Pour autant, cette croissance reste inégalement répartie sur le continent et entre les populations. Avec 400 millions de personnes vivant avec moins de 1,25 dollar par jour, l’Afrique est ainsi confrontée à un terrible paradoxe : la pauvreté recule, mais le nombre de pauvres augmente. En outre, les situations de fragilité peuvent rapidement dégénérer en crises aiguës, comme c’est le cas actuellement au Mali ou en République centrafricaine.

La réalisation globale de nombreux objectifs du millénaire pour le développement sera également permise par l’apparition de ce que l’on appelle communément les « très grands émergents ». Aujourd’hui, le produit intérieur brut de la Chine, qui a triplé en dix ans, est trois fois supérieur à celui de notre pays !

Bien sûr, ces pays connaissent encore une richesse nationale par habitant bien inférieure à celle des pays développés et demandent davantage une expertise ou une valeur ajoutée intellectuelle qu’une aide budgétaire. En outre, ils mettent eux-mêmes progressivement en place des politiques qui peuvent s’apparenter à des actions de coopération envers les pays les plus pauvres. Si les chiffres doivent être regardés avec précaution en raison des incertitudes statistiques, l’OCDE estime que la Chine a dépensé 2,8 milliards de dollars en 2011 en aide publique au développement. De même, l’Arabie saoudite a versé 5 milliards de dollars en 2011 et les Émirats arabes unis la même somme en 2013.

L’intervention de ces nouveaux acteurs révèle plus globalement l’apparition d’un ensemble varié de bailleurs de fonds, publics et privés, dont les modalités d’intervention diffèrent, par de nombreux aspects, de celles qui sont généralement applicables dans les pays de l’OCDE.

C’est donc dans un contexte différent que la France doit dorénavant penser et mettre en œuvre sa politique de développement et de solidarité internationale. Tel est l’objet de ce projet de loi, que vous avez présenté de façon suffisamment exhaustive, madame la secrétaire d’État, pour que je ne me croie pas obligé d’y revenir.

C’est pourquoi mon collègue Christian Cambon et moi-même nous concentrerons sur les lacunes que nous avons pu identifier – c’est un peu la loi du genre ! – et sur les principales modifications apportées par la commission.

Le projet de loi est fondé sur une logique de « partenariats différenciés » pour adapter les instruments utilisés par la France aux besoins et à la situation des pays partenaires et sur l’idée de concentrer notre aide au bénéfice des pays pauvres prioritaires de l’Afrique et de la Méditerranée.

Or les objectifs affichés en termes de concentration ne constituent pas une avancée particulière par rapport à la situation existante.

Surtout, le projet de loi n’évoque aucunement l’équilibre financier entre les différents instruments utilisés. Subventionner un projet ou prêter de l’argent pour sa réalisation n’est pourtant pas la même chose. Nous estimons depuis plusieurs années que les montants actuels, pour ce qui est appelé dans le jargon les « dons-projets », ne sont plus cohérents avec les ambitions géographiques proclamées. À quoi sert-il d’afficher une concentration des subventions sur les pays pauvres prioritaires alors que le montant total des subventions est inférieur à 600 millions d’euros par an ? Avec une aide publique au développement de 9,4 milliards d’euros en 2012, la France n’a consacré que 256 millions d’euros aux subventions aux pays pauvres prioritaires, soit 2,7 % de l’ensemble de notre aide.

Certes, l’Assemblée nationale a demandé un rapport sur cette question, mais nous ne pouvons que regretter le décalage persistant entre un discours volontariste et des moyens effectivement déployés qui ne sont pas en adéquation.

Bien sûr, plusieurs problèmes sont à la source de cette forme de désenchantement que les acteurs rencontrent sur le terrain. J’en citerai deux : la notion d’aide publique au développement, telle que calculée par l’OCDE, qui intègre des enveloppes trop variées et qui sont parfois éloignées d’une aide de terrain ; le choix de la France de verser des sommes importantes via l’aide multilatérale, que ce soit par le biais de l’Union européenne ou de fonds verticaux, en particulier ceux concernant la santé, ce qui représente une aide peu visible, sur laquelle il faudrait peut-être réfléchir.

J’en viens maintenant aux principales modifications apportées par la commission.

Nous avons d’abord souhaité mettre en avant le rôle et la complémentarité de l’ensemble des acteurs, notamment les collectivités territoriales, la société civile et les entreprises. Par exemple, sur notre initiative, le champ de la loi Oudin-Santini a été étendu au secteur des déchets ménagers.

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Jean-Claude Peyronnet, corapporteur. Il s’agit de permettre aux collectivités, dans un cadre juridique sécurisé et fléché, de mener des actions internationales dans un secteur où les collectivités locales françaises ont une expertise forte, et qui représente un enjeu essentiel pour la plupart des pays partenaires. Ceux-ci sont en effet confrontés à une prolifération anarchique des déchets, ce qui est dramatique pour les populations, pour l’environnement et pour la santé. Les montants consacrés à ces actions seront plafonnés à hauteur de 1 % du produit de la taxe ou de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères. Nous verrons quel sort sera réservé aux amendements portant sur ce point.

Par ailleurs, la commission a adopté une profonde réforme du dispositif de l’expertise technique internationale. En novembre 2012, nous avions approuvé le rapport de notre collègue Jacques Berthou, que je salue, dénonçant l’inadaptation des outils de la France en la matière. Envoyer des experts français auprès des pays partenaires pour mettre en place l’administration des douanes, réformer les collectivités territoriales, adopter des normes techniques en matière environnementale ou sanitaire ou encore développer des socles de protection sociale constitue un enjeu économique et politique primordial. Ces projets déterminent souvent les procédures ou les normes que le pays en question appliquera dans les années à venir ; c’est donc un investissement essentiel pour l’influence française dans le monde.

Or le dispositif français est complètement éparpillé entre de très nombreux acteurs. Depuis des années, tous les gouvernements sont conscients de ce problème, mais rien ne se passe. L’an dernier, une nouvelle étude a bien été commandée, mais sa remise a été suivie de discussions interministérielles picrocholines qui ne permettent pas vraiment d’être optimiste quant à la possibilité de trouver les voies d’une réforme ambitieuse et courageuse.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est de l’honneur du Parlement de créer les conditions d’une telle réforme ; la commission l’a fait en soutenant l’initiative de Jacques Berthou, ce dont je me félicite.

Nous avons donc prévu la fusion de six organismes en un seul pour renforcer l’efficacité du dispositif français dans la concurrence internationale en créant un véritable « label France » et pour mutualiser les moyens. Pour autant, cette réforme doit préserver la richesse de notre expertise par « métier », qui fait la force de la France. C’est pourquoi la nouvelle agence doit être vue comme un holding s’occupant des tâches transversales et répondant aux appels d’offres internationaux. Toutefois, les départements thématiques qui la composeront devront conserver une large autonomie, en lien avec les acteurs publics ou privés les plus concernés.

Ces deux exemples structurants – la coopération des collectivités territoriales et l’expertise technique – montrent que notre volonté a été de renforcer le caractère normatif du projet de loi, dans un souci d’efficacité et de pragmatisme.

Ayant présenté ce « demi-rapport », je vais maintenant laisser la parole à mon collègue Christian Cambon. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, corapporteur.

M. Christian Cambon, corapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mes propos s’inscriront bien sûr dans le droit fil de l’intervention de M. Peyronnet, à qui je tiens à rendre hommage, ainsi qu’à M. le président Carrère, qui a souhaité maintenir ce qui devient une belle tradition de la commission des affaires étrangères en associant majorité et opposition pour l’élaboration de ce rapport. Cela donne un bel exemple de ce que pourrait être le travail du Parlement sur de nombreux autres sujets.

Jean-Claude Peyronnet et moi-même travaillons de manière tout à fait consensuelle sur la politique de développement depuis plusieurs années maintenant, et nous portons ici la parole de la commission unanime. Il me revient de compléter les propos de mon collègue en soulignant les quelques lacunes que nous avons identifiées dans ce projet de loi et les regrets qu’elles nous inspirent.

Je relèverai tout d’abord l’absence de programmation financière, objet principal de nos critiques. Le Parlement commence à avoir une certaine habitude des lois de programmation : lois de programmation pluriannuelle des finances publiques ou lois de programmation militaire. Or, contrairement à ces textes, le projet de loi qui nous est soumis et dont le titre comporte pourtant le mot « programmation » ne contient aucun élément financier.

Certes, l’Assemblée nationale a réussi, de haute lutte, à insérer dans le rapport annexé – et non dans la partie normative – le rappel de l’engagement international de la France de consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement. Cet objectif pose, par ailleurs, un certain nombre de problèmes ou de questions, notamment quant au contenu de l’aide publique au développement ; Jean-Claude Peyronnet ayant évoqué cet aspect, je n’y reviendrai pas.

Les contraintes pesant sur les finances publiques rendent certes toute programmation incertaine, mais le Gouvernement en a établi une à l’automne dernier pour la mission « Défense » avec la loi de programmation militaire. Je n’ose d’ailleurs imaginer que l’on puisse revenir sur celle-ci.

Ajoutée à l’absence de réflexion sur l’équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale et entre les différents instruments utilisés par la France, comme cela a été mentionné tout à l’heure, cette absence de programmation financière limite la crédibilité des objectifs fixés. De manière symptomatique, durant nos auditions, on nous a beaucoup parlé des projets –supposés ? – du Gouvernement de diminuer les crédits de coopération en 2014…

L’autre lacune importante de ce projet de loi a trait au pilotage et à l’évaluation.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Christian Cambon, corapporteur. L’éparpillement du pilotage est le motif de critiques récurrentes, et malheureusement consensuelles, de la politique française de développement. La Cour des comptes parlait même à ce propos, en 2012, d’un « caractère singulier » de la France par rapport aux autres grands donateurs comme les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, qui ont mis en place des dispositifs d’évaluation beaucoup plus performants.

Naturellement, tant le ministère des affaires étrangères que celui de l’économie et des finances ont toute légitimité, dans leurs champs de compétences respectifs, pour participer pleinement à la politique de développement. Les ministères « sectoriels », comme, par exemple, ceux de la santé ou de l’environnement, en sont également, à l’évidence, des acteurs.

Cependant, la double tutelle historique de Bercy et du ministère des affaires étrangères se conjugue avec d’autres facteurs pour aboutir in fine à une organisation peu efficace, caractérisée par la faiblesse des concertations, la présence d’un opérateur autonome, puissant mais hybride du fait de son statut d’établissement bancaire, la difficulté pour l’État de correctement distinguer les rôles de stratège et d’opérateur et, enfin, l’éparpillement des acteurs français dans les pays partenaires.

Au total, la Cour des comptes relevait d’ailleurs que les coûts de gestion du système français sont plus élevés que ceux que l’on constate dans d’autres pays. Or le présent projet de loi ne contient pas d’élément nouveau à cet égard, hormis la réactivation du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le CICID, qui ne s’était pas réuni, en effet, entre 2009 et 2013.

Cependant, une telle instance composée de ministres réunis à intervalles irréguliers sous la présidence du premier d’entre eux ne peut guère tenir lieu de « pilote »… Par exemple, il aurait été intéressant que le Gouvernement s’engage aussi à donner plus de poids et de force au secrétariat du CICID, instance administrative beaucoup plus resserrée, et donc plus efficace. Nous militons donc pour un changement profond dans les pratiques et dans l’organisation administrative de la politique de développement, afin d’améliorer son efficacité et sa cohérence.

En ce qui concerne l’évaluation, la rédaction initiale du projet de loi était également particulièrement timide. Alors qu’il existe aujourd’hui trois services d’évaluation distincts, rattachés aux affaires étrangères, à Bercy et à l’AFD, le projet de loi se contentait de prévoir une programmation pluriannuelle conjointe de ces trois services. Aussi avons-nous prévu d’aller nettement plus loin, et ce de deux manières.

D’une part, nous proposons de regrouper ces services en un seul pour mutualiser les moyens, diminuer les frais de gestion et assurer la cohérence des travaux menés. Comment mieux coordonner des travaux qu’en instaurant un service unique ?

D’autre part, nous avons prévu de détacher ce service des donneurs d’ordres. Il est tout de même étrange – et typiquement français – que les services d’évaluation, même si on organise leur autonomie, travaillent au sein de la même structure que les services qui mettent en œuvre la politique elle-même. La séparation des acteurs constitue une condition essentielle pour une bonne évaluation.

Un autre axe de travail de notre commission a consisté à souligner la nécessité de mieux articuler les actions de l’ensemble des bailleurs de fonds internationaux. Jean-Claude Peyronnet a évoqué l’évolution du contexte mondial, avec l’apparition de nouveaux financeurs, publics ou privés, et le projet de loi aurait dû davantage prendre en compte cette nouvelle donne. Concrètement, la commission a, ici aussi, renforcé le caractère normatif du texte, en adoptant deux dispositifs structurants.

En premier lieu, sur l’initiative du Gouvernement et avec notre complet soutien, la commission a autorisé l’AFD à gérer des fonds de dotation, dits « fonds multibailleurs », qui sont alimentés par des sources diverses au niveau international et gérés par un opérateur unique. Le recours à ce type de fonds est particulièrement adapté dans des pays en crise, comme le Mali ou la Centrafrique, où la concentration de l’aide est une nécessité impérieuse et où le nombre d’acteurs capables de mettre effectivement en œuvre cette aide ne peut qu’être limité.

Parallèlement, lorsqu’elle n’est pas la mieux positionnée, la France ne doit pas s’interdire de verser des aides à des fonds gérés par d’autres opérateurs. L’amendement adopté par la commission autorise donc l’AFD à confier des crédits à des fonds multibailleurs gérés par d’autres opérateurs qu’elle.

En second lieu, la commission a autorisé les banques des pays en développement à commercialiser en France, dans des conditions prudentielles strictes, des produits financiers permettant de financer des projets d’investissement sur place. Cette disposition, déjà en vigueur dans plusieurs pays européens, vise à faciliter les transferts d’argent des migrants, ce qui est très important au regard des sommes élevées aujourd’hui en jeu en la matière.

Avant de conclure, je souhaiterais dire quelques mots de la coopération dans le domaine de l’eau, sujet qui me tient particulièrement à cœur. Si les indicateurs mondiaux se sont nettement améliorés, l’accès à une eau réellement potable reste le grand défi socioéconomique, sanitaire et environnemental de notre temps. L’approche doit nécessairement être globale et articulée avec les autres secteurs d’intervention pour atteindre des objectifs divers : accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous, gestion qualitative et quantitative de la ressource, répartition équitable entre les différents usages, prévention des risques et des catastrophes, gouvernance…

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte était attendu et, clairement, il nous déçoit. Le Gouvernement avait l’occasion de poser les principes fondateurs d’une grande politique publique que nous préconisons depuis de nombreuses années. Or le message est complètement brouillé, trop souvent dilué dans le verbiage. Ce texte ressemble beaucoup plus à un catalogue de bonnes intentions, à une pétition de principe, qu’à une loi.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Christian Cambon, corapporteur. Ce projet de loi répond très peu, c’est le moins que l’on puisse dire, à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la loi. Vous n’en êtes pas responsable, madame la secrétaire d’État. Je tiens au contraire à saluer la manière dont vous avez repris ce texte, en respectant un calendrier extrêmement contraignant. Ces critiques ne vous sont donc pas personnellement destinées.

Ce texte doit être considéré comme une étape. En tout état de cause, les orientations devront nécessairement en être révisées à la suite du sommet de septembre 2015, qui définira – du moins l’espérons-nous ! – de nouveaux objectifs de développement intégrant pleinement les aspects liés au développement durable.

Par ailleurs, de manière générale, nous ne pouvons qu’être surpris par le calendrier du projet de loi, même si, comme l’a rappelé Jean-Claude Peyronnet, nous avons réclamé la présentation d’un tel texte. En effet, son article 10 prévoit que la loi aura une validité de cinq ans alors que, dans un an, le monde se fixera de nouveaux objectifs…

Qui plus est, nous sommes également saisis, en ce moment même, du nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD, qui a été préparé cet hiver, soit avant l’adoption de cette loi ! J’estime personnellement que le Gouvernement anticipe anormalement sur le vote du Parlement : cette proposition de contrat se réfère d’ailleurs au « projet » de loi, alors qu’elle devrait découler de la loi elle-même. Que se passera-t-il, par exemple, si le Parlement modifie sensiblement le projet de loi présenté par le Gouvernement ? Il est vrai que le parlementarisme rationalisé limite les risques de cet ordre…

Telles sont les observations que je souhaitais faire sur ce projet de loi, à la suite de Jean-Claude Peyronnet. Bien évidemment, la commission des affaires étrangères a néanmoins souhaité saluer l’effort que représente ce premier texte de programmation dans le domaine de la politique de développement et a adopté celui-ci à l’unanimité. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Ronan Dantec, rapporteur pour avis de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous vivons donc aujourd’hui une première. En effet, c’est la première fois que le Parlement est amené à se prononcer sur ce que doivent être les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale de la France.

Cette innovation législative, tout comme le changement d’appellation du ministère – la « coopération » faisant place au « développement » –, marque un changement d’époque : une page est tournée, le temps de la Françafrique est révolu.

Je tiens à saluer l’action de Pascal Canfin, à qui nous devons ce projet de loi, ainsi que celle de son successeur, Mme Girardin, qui s’est beaucoup investie, depuis son arrivée au ministère, pour défendre ce texte important. Nous sommes ici en présence d’un bel exemple de continuité de conviction dans l’action gouvernementale.

Notre politique d’aide au développement rencontre des difficultés : ce constat est unanime et ancien. Le manque de pilotage et de débat collectif est manifeste ; un récent rapport de la Cour des comptes l’a très bien analysé.

Cette politique dépend en effet à la fois du ministère des affaires étrangères, de Bercy et de l’Agence française de développement. Le comité interministériel chargé d’assurer la coordination entre ces instances ne s’est pas réuni une seule fois entre 2006 et 2009. On déplore en conséquence une dispersion des aides, voire un saupoudrage.

De même, malgré l’émergence, en 2009, de la notion de partenariats différenciés en fonction des types de pays, l’aide n’est toujours pas suffisamment concentrée sur l’Afrique subsaharienne, tout particulièrement sur le pourtour du Sahel, où nous voyons bien aujourd’hui les conséquences politiques des déstabilisations liées à la pauvreté et au sous-développement.

L’absence de hiérarchisation des objectifs et le manque d’évaluation a posteriori sont également préjudiciables à l’efficacité de cette politique. Le projet de loi, rédigé après la convocation d’Assises du développement et de la solidarité internationale rassemblant tous les acteurs et une réunion du CICID, vise donc à remédier à ces difficultés.

Les objectifs de la politique de développement sont clarifiés et hiérarchisés. Deux priorités transversales sont définies : le développement durable et l’égalité entre les femmes et les hommes. Dix secteurs d’intervention sont ciblés, et les pays sont regroupés en zones géographiques. Une priorité claire est donnée à la recherche de cohérence entre la politique de développement et les autres politiques publiques, mais aussi, au sein de l’aide, entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale.

Une autre avancée importante réside dans la reconnaissance du rôle des acteurs non étatiques. L’action décentralisée des collectivités territoriales est enfin reconnue et encouragée. Le texte reconnaît également le rôle des organisations non gouvernementales et, grande première, il fait valoir l’importance de l’action du secteur privé, dans le cadre clair de la responsabilité sociale et environnementale, notion à laquelle la commission du développement durable a rappelé son attachement, car elle lui paraît plus précise que celle de responsabilité sociétale ; j’aurai l’occasion d’y revenir au cours du débat.

La commission du développement durable se félicite que l’AFD, contributeur principal de la politique d’aide au développement de la France, se trouve renforcée par le projet de loi et voie son cadre d’action précisé, avec des objectifs ambitieux en matière de développement durable.

Il ne s’agit pas ici d’une simple déclaration d’intention, et le texte se veut précis sur plusieurs points. Par exemple, le projet de loi prévoit que l’AFD ne pourra plus financer de projets de recherche, d’achat, de promotion ou de multiplication des semences génétiquement modifiées. C’est là un point important, sur lequel nous reviendrons.

À l’heure où le Parlement s’est prononcé contre la mise en culture des organismes génétiquement modifiés en France, il convient d’assurer une réelle cohérence des politiques menées en la matière à l’égard des pays du Sud, en veillant à ne pas exporter au Sud des pratiques que nous refusons chez nous.

Le texte prévoit également l’interdiction de soutenir des projets ayant pour conséquence la déforestation, l’accaparement des terres et des ressources naturelles au détriment des populations locales.

Un cadre d’intervention transversal climat-développement est aussi défini : chaque année, 50 % des financements de l’AFD dans les pays tiers devront comporter des co-bénéfices au titre du climat dans l’ensemble des secteurs pertinents, y compris l’énergie. Ce sont de vraies avancées, en particulier dans la perspective de la conférence sur le climat que la France accueillera en décembre 2015.

Nous reviendrons sur ces questions au cours du débat, mais il est d’ores et déjà évident que la cohérence des positions françaises sera scrutée à la loupe par les autres pays avant cette conférence Paris Climat 2015. Nous devons donc y être particulièrement attentifs.

La commission du développement durable a également été sensible au fait que le projet de loi souligne l’importance des financements innovants. Au-delà des instruments de financement traditionnels, publics ou privés, il est nécessaire d’encourager la recherche de nouvelles ressources pour la politique de développement, notamment par le biais de taxes affectées. Depuis 2012, la France met en œuvre à titre national une taxe sur les transactions financières, dont le produit est alloué pour une large part au financement d’actions de développement, telles que la lutte contre les grandes pandémies, la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique.

Le présent débat est l’occasion de rappeler l’extrême importance de cet enjeu des financements innovants ; je compte, madame la secrétaire d’État, sur votre détermination à défendre ce dossier. En effet, ces derniers mois, les discussions se sont progressivement embourbées au niveau européen, du fait de l’opposition politique de certains États, comme le Royaume-Uni. Un accord, en date du 20 mai dernier, semble être de nature à relancer le dispositif, avec une entrée en vigueur dans dix pays à compter de 2016, mais il faut rester vigilants et souligner encore que cette taxe doit permettre d’apporter un financement significatif aux politiques d’aide au développement.

J’insiste ici sur l’importance que revêtiront, demain, les financements « climat ». Ils seront au cœur de la négociation, à Paris, tant sont étroitement liés développement et lutte contre le changement climatique.

L’absence de programmation financière est au cœur des critiques des corapporteurs, que je rejoins. L’objectif de 0,7 % du revenu national brut, qui remplit bien des discours, ne remplit pas, pour autant, les caisses de l’aide au développement ! Je suis convaincu que, si nous voulons tendre vers cet objectif, il sera absolument nécessaire d’additionner les financements du développement et les nouveaux financements « climat ». C’est aujourd’hui un enjeu absolument essentiel.

La commission des affaires étrangères a établi son texte fin avril. Ses membres ont réalisé un travail fourni et collégial, que je salue, sous la conduite de deux corapporteurs d’appartenances politiques différentes.

Elle a clarifié la structure du projet de loi, grâce à quoi les nouvelles priorités de la politique de développement ressortent nettement. Elle a également introduit de nouveaux dispositifs normatifs, en particulier le « 1 % déchets ». Les collectivités et leurs groupements pourront financer des actions internationales de coopération et de développement dans le secteur des déchets, dans la limite de 1 % du produit de la taxe ou de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères.

Le même dispositif existe pour l’eau et l’assainissement depuis la loi Oudin-Santini de 2005. L’expertise des collectivités en matière de services publics locaux est ainsi reconnue. Je ne peux m’empêcher de rappeler que c’était l’une des trente propositions formulées dans le rapport sur le rôle des collectivités territoriales dans la lutte contre le changement climatique et dans la mobilisation en vue de Paris Climat 2015 que j’avais rédigé avec Michel Delebarre et qui a été remis en septembre 2013 au ministre Pascal Canfin.

Ce combat était mené de longue date par Michel Delebarre et par certains réseaux, comme Cités Unies France. Je ne sais combien de fois les amendements déposés pour le faire aboutir sont tombés sous le coup de l’article 40 de la Constitution. Quoi qu’il en soit, l’entêtement a payé, et nous pouvons espérer l’adoption de cette mesure aujourd’hui.