compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Claude Carle

vice-président

Secrétaires :

M. Hubert Falco,

Mme Odette Herviaux.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures quarante.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du 5 juin a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décision du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 6 juin 2014, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :

- le b) du 2°, devenu 3°, du II de l’article L. 2531-13 du code général des collectivités territoriales (Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France) (n° 2014-397 QPC) ;

- les dispositions du II de l’article L. 631-15 du code de commerce (Prononciation d’office de la liquidation judiciaire par le tribunal pendant la période d’observation d’un redressement judiciaire) (n° 2014-399 QPC) ;

- l’article L. 209 du livre des procédures fiscales (Frais engagés pour la constitution des garanties de recouvrement des impôts contestés) (n° 2014-400 QPC).

Acte est donné de ces communications.

3

Renvois pour avis

M. le président. J’informe le Sénat que la proposition de loi relative à la nocivité du diesel pour la santé (n° 496, 2013-2014), dont la commission des finances est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.

J’informe également le Sénat que la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la sobriété, à la transparence et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques (n° 310, 2013-2014), dont la commission des affaires économiques est saisie au fond, est envoyée pour avis, à sa demande, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, compétente en matière d’impact environnemental de la politique énergétique.

4

Débat : « Quel avenir pour les colonies de vacances ? »

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la question : « Quel avenir pour les colonies de vacances ? », organisé à la demande du groupe CRC.

La parole est à Mme Isabelle Pasquet, au nom du groupe CRC.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les séjours de vacances appelés communément « colonies de vacances » ont incontestablement marqué notre mémoire collective. Des souvenirs nous renvoient à nos propres expériences, à celles de nos enfants – Pierre Perret en apporte un certain témoignage, certes très personnel, dans sa chanson.

Mais les « colos », ce n’est pas simplement « youkaïdi youkaïda », c’est surtout une démarche qui a permis aux jeunes de nos villes, de nos départements, de nos entreprises, de partir en vacances et d’avoir accès à une forme d’éducation qui revendique son caractère populaire. En effet, si les premières colonies de vacances, en France comme ailleurs en Europe, ont été le fait de patronages tant religieux que laïques, elles avaient déjà, outre une vocation sanitaire évidente, une dimension sociale indéniable. Elles s’adressaient alors essentiellement aux enfants d’ouvriers, qui devaient faire face à des conditions de vie précaires, résultant notamment d’une urbanisation rapide, désordonnée, dont la finalité résidait plus dans la satisfaction des besoins industriels nouveaux que dans l’amélioration de la vie des ouvriers et de leur famille.

La Ligue de l’enseignement, créée en 1866 et fervent défenseur de l’école laïque, a largement contribué à l’organisation de séjours à destination des enfants et à vocation sanitaire, sociale, mais aussi éducative. La période de l’entre-deux-guerres, marquée par l’émergence de revendications nouvelles et par la volonté d’acteurs associatifs, mutualistes, syndicaux et politiques de construire une société plus juste et plus solidaire, participera à l’amplification de ce mouvement. On peut même parler d’un basculement, car il s’agit non plus seulement de permettre aux enfants d’ouvriers d’accéder à des loisirs et à un environnement sain, mais de favoriser le développement personnel des jeunes. Pour cela, on avait besoin d’un encadrement formé. C’est ainsi qu’ont été créés les premiers centres d’entraînement, puis le réseau des CEMEA, les centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, chargés notamment de former les animateurs.

Puisque les colonies ne sont pas seulement des lieux où les jeunes passent du temps, puisque les colonies sont des lieux d’éducation et de construction, alors il faut, comme à l’école, des règles de fonctionnement, et le personnel encadrant doit être formé. L’idée majeure est que les jeunes s’approprient des savoirs, dans un contexte qui n’est ni familial ni scolaire, dans le but de construire les citoyens de demain. Cet objectif explique pourquoi la mixité sociale est particulièrement importante.

Souhaitées par des structures non gouvernementales, les colonies de vacances et le mouvement d’éducation populaire auquel elles se rattachent recevront dès 1936 l’appui du Front populaire, avec la création du premier secrétariat aux loisirs et aux sports dirigé par Léo Lagrange. Les municipalités, essentiellement de gauche, s’engageront activement pour assurer les besoins de leurs populations, faisant des colonies un élément de leur politique en direction des jeunes, basée sur des valeurs de solidarité et de partage. Dans ce cadre, le mouvement d’éducation populaire est précurseur pour ce qui est de l’enseignement en faveur de la protection de l’environnement.

Le monde salarié n’est pas en reste et, progressivement, les comités d’entreprise dotés de budgets pour les activités sociales vont, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, participer eux aussi au développement des colonies de vacances.

Je profite de cette intervention pour dire combien la mesure envisagée par le ministre du travail de geler pendant trois ans les seuils sociaux serait dramatique. Vous n’êtes pas sans savoir, mes chers collègues, que les comités d’entreprise participent au financement des activités de loisir des salariés et de leurs enfants. Cette mesure, si elle devait être appliquée, se traduirait immanquablement par une perte de pouvoir d’achat des salariés.

Mme Annie David. C’est sûr !

Mme Isabelle Pasquet. Municipalités, associations et comités d’entreprise ayant une volonté commune de permettre au plus grand nombre d’accéder à des séjours en dehors du cadre familial, en dehors des contingences financières, à mi-chemin entre vacances et éducation pour tous, les colonies se distinguent de l’école par le fait que les enseignements ne sont pas scolaires et les méthodes non académiques. On apprend par l’expérience, par le jeu ou le sport et par la rencontre avec les autres.

Comme le précise le dernier ouvrage publié par le conseil scientifique des Francas, intitulé Éducation populaire, enjeu démocratique, les colonies de vacances favorisent « l’émancipation de tous, par tous et pour tous, en citoyens-acteurs qui peuvent, dès lors, contribuer, par leur puissance sociale, à la transformation de notre société républicaine vers plus d’équité et d’humanité ». La meilleure illustration de la volonté des acteurs de l’époque est la formidable et ambitieuse expérience de la colonie des Mathes, en Charente-Maritime, dont la commune d’Ivry a été à l’initiative, appelée aussi « la République des enfants ». Ces derniers étaient appelés à appliquer durant leurs séjours les principes démocratiques, en élisant parmi eux leurs représentants chargés de travailler avec les encadrants à la résolution des petits conflits et des questions d’organisation.

On voit comment, à travers un projet éducatif ambitieux, se conjugue un partage complémentaire entre « savoirs établis » et « savoirs démocratiques » avec l’objectif de faire participer activement des jeunes à la construction d’une société respectueuse de chacun et de son environnement.

Compte tenu de cet objectif ambitieux, vous comprendrez, mes chers collègues, que le groupe communiste républicain et citoyen ait souhaité inscrire à l’ordre du jour du Sénat la question de l’avenir des colonies de vacances. D’une part, l’ambition des colonies de vacances nous semble plus que jamais d’actualité ; d’autre part, la question de la pérennisation des colonies, confrontées à une logique marchande qui s’oppose au tourisme social, dans un contexte marqué par la réduction des aides financières allouées par les pouvoirs publics, se pose de plus en plus.

Si les facteurs sont variés, le constat est clair : malgré l’apport singulier pour les jeunes, le nombre de colons est chaque année en nette diminution. Si l’on recensait 100 000 enfants ayant séjourné en colonie de vacances en 1913 et 1 million en 1955, l’ensemble des observateurs constate la réduction de leur nombre depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Le rapport d’information de l’Assemblée nationale sur l’accessibilité des jeunes aux séjours collectifs et de loisirs souligne deux réalités : premièrement, les jeunes sont moins nombreux à partir, singulièrement dans les classes populaires ; deuxièmement, les séjours sont plus courts.

Force est de constater que ce déclin est d’abord d’ordre économique. Lorsque l’on interroge les familles, la première raison donnée au fait de ne pas envoyer leurs enfants en colonies de vacances est majoritairement celle du coût du séjour. Ce déclin coïncide avec la période de crise économique qui pèse non seulement sur les familles, mais aussi sur les municipalités.

Les acteurs du tourisme social – municipalités, associations, comités d’entreprise – qui veillaient à ce que les centres de vacances soient des lieux de rencontre des différentes réalités sociales sont aujourd'hui concurrencés par une offre marchande plus coûteuse, plus spécialisée et élitiste. Comme le précise Laura Lee Downs, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, auteur de l’Histoire des colonies de vacances de 1880 à nos jours, ce déclin coïncide avec l’arrivée d’une offre marchande sur ce secteur qui va concurrencer la colonie classique avec son projet éducatif construit autour de la mixité sociale de la communauté enfantine et le vivre ensemble. Pour ces organismes, la rentabilité passe avant le projet éducatif.

Le prix d’une semaine de vacances en colonie coûte entre 400 et 600 euros par enfant, avec un coût moyen à la journée de 63 euros. Selon M. Jean-Louis Deroussen, président de la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, un séjour de douze jours dans un centre de vacances agréé par les caisses d’allocations familiales revient en moyenne à 574 euros. Il s’agit d’une somme importante, trop lourde pour des familles modestes pour lesquelles, malheureusement, les préoccupations quotidiennes – se loger, se nourrir, se vêtir – l’emportent sur le droit aux vacances, et ce d’autant plus que la participation de la caisse d’allocations familiales aux séjours en colonies a nettement diminué au cours des années ; j’y reviendrai ultérieurement.

Pour autant, ce n’est pas la seule cause. Les colonies associatives, communales ou gérées par des comités d’entreprise connaissent également un accroissement important des prix, de telle sorte que la vocation sociale est de plus en plus difficile à exercer.

L’autre constat que nous pouvons faire est le raccourcissement de la durée des séjours. Au summum de la fréquentation des centres de vacances, en 1995, toutes périodes confondues, le ministère comptait 28 millions de nuitées. Depuis lors, ce nombre n’a cessé de diminuer, à un rythme beaucoup plus rapide que la diminution du nombre de départs. En 2011-2012, le ministère ne comptait plus que 14 millions de journées enfants en centre de vacances. Cet effondrement de la fréquentation est dissimulé par une moindre baisse du nombre de départs, évaluée à 15 % durant la même période. La durée moyenne des séjours de plus d’une semaine n’a cessé de se réduire, passant de dix-sept jours en 1994 à moins de dix jours aujourd’hui, les durées les plus pratiquées étant désormais de cinq à huit jours. Les séjours de deux semaines complètes représentent encore 20 % de l’offre. En revanche, les séjours de trois et quatre semaines, qui étaient la norme pendant l’âge d’or des colonies, sont en voie de disparition.

Reconnaître ces deux réalités, c’est de fait s’engager dans la voie de la réflexion pour retrouver le succès populaire des colonies d’hier, dans l’intérêt des enfants et de notre société. Toutefois, les réponses sont parfois plus complexes qu’elles ne semblent l’être de premier abord.

Bien entendu, personne ne peut nier que le coût de l’organisation des colonies de vacances a augmenté, et dans des proportions importantes. C’est une conséquence de l’augmentation du coût de l’hébergement, des prix de l’alimentation ou encore de l’énergie. C’est également une conséquence de l’accroissement du nombre et de la qualité des équipes encadrantes.

À la suite d’une décision rendue le 14 octobre 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que si l’activité de moniteur pouvait bien figurer au nombre des dérogations au repos quotidien de onze heures admises par la directive sur le temps de travail, le système français ne comportait pas les mesures de compensation ou de protection appropriées exigées par cette même directive pour qu’une telle dérogation puisse être admise. Afin de mettre en conformité la législation nationale avec le droit européen, la proposition de la loi Warsmann de simplification du droit, définitivement adoptée le 29 février dernier, organise pour les animateurs et directeurs occasionnels de séjours de vacances un régime dérogatoire au droit du travail adapté aux contraintes organisationnelles du secteur. Son article 124, introduit par le biais d’un amendement du député UMP des Hauts-de-Seine, Pierre-Christophe Baguet, permet de déroger à la règle du repos quotidien pour les titulaires d’un contrat d’engagement éducatif, ou CEE, intervenant dans le cadre de séjours avec hébergement.

Cette solution est contestée, notamment par des associations d’employeurs, dans la mesure où elle contribuerait à augmenter le prix des séjours. D’où la proposition, que l’on retrouve dans le rapport remis à l’Assemblée nationale, de remplacer le statut de salarié par celui de bénévole indemnisé. Selon le rapporteur de l’Assemblée nationale, « ce volontariat s’adresserait à toute personne d’au moins dix-sept ans qui veut s’engager dans une mission d’intérêt général à finalité éducative auprès d’une personne morale à but non lucratif agréée pour l’accueillir. Selon les termes posés par la plateforme du volontariat de l’animation, "tout au long de la vie, le volontaire peut s’engager pour une durée annuelle limitée et fractionnable". »

Cette proposition, tentante a priori parce qu’elle aurait pour effet de réduire le coût des colonies de vacances, nous paraît, au groupe CRC, constituer une solution trop simple, voire simpliste au regard des enjeux – le rétablissement d’un droit effectif aux vacances pour tous et dans la mixité sociale – et des difficultés réelles qui excèdent de loin la question de la rémunération ou des règles d’encadrement.

Je voudrais, avant d’aller plus loin dans mon raisonnement, rappeler quelques évidences. Ce qui a contribué au succès des colonies de vacances, c’est le fait que les enfants gagnaient en maturité, en autonomie, que l’expérience de la vie en collectivité autour d’adultes référents, formés aux besoins spécifiques des jeunes enfants et adolescents, disposant de savoirs pédagogiques, permettait aux jeunes de se développer dans le respect des règles communes.

Mais les parents veulent également avoir la certitude que les activités s’effectuent en toute sécurité et que la vie ou la santé de leurs enfants n’est pas en danger lorsqu’ils participent à une colonie de vacances. Ces préoccupations sont légitimes, mes chers collègues, vous en conviendrez. C’est la raison pour laquelle je ne pense pas qu’il faille, au prétexte d’une réduction de coût, réduire nos exigences en termes de qualité des prestations « hôtelières », des activités proposées ou de l’encadrement. Le débat sur les colonies de vacances ne se limite pas à un problème de coût. Plus largement, nous avons à nous interroger sur le modèle social dans son ensemble que nous voulons pour nos enfants.

Cela étant, le rapport de la mission commune d’information semble faire du statut des animateurs une question cruciale. Paradoxalement, il souligne également, et cela me paraît extrêmement important, que le « repli des classes populaire et moyenne sur les séjours en centres de loisirs ou sur les vacances familiales serait moins dû, selon les organisateurs de séjours, à la hausse des prix qu’à la réorientation des aides sociales au départ en colonies ». Le rapport précise, et c’est à mes yeux un élément central, que « la diminution de ces aides directes et indirectes a augmenté le coût résiduel du séjour pour des familles qui n’ont plus les moyens d’envoyer leurs enfants en colonies sans une aide substantielle ». On ne saurait mieux dire !

Au titre de cette réorientation des subventions publiques, comment ne pas souligner la diminution notable des aides accordées par la CAF et notamment la suppression des « bons vacances » ? Selon une étude de l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes parue dans son bulletin de décembre 2005, dix ans après le début de la crise des colonies de vacances, il y aurait une relation directe et déterminante entre la disparition des bons vacances auparavant distribués par les caisses d’allocations familiales et la baisse de fréquentation des colonies.

Cette réorientation de la participation financière de la CNAF est en réalité la conséquence d’une circulaire d’orientation des dépenses d’aide sociale publiée par la CNAF. La Caisse, constatant la stagnation de ses recettes et la faible efficacité sociale des bons vacances, a choisi de revoir l’usage des ressources affectées du Fonds national d’action sanitaire et sociale, le FNASS, comme celui des fonds laissés à la discrétion des conseils d’administration des caisses.

Ces réorientations dans les priorités de la CNAF apparaissent dès le début des années quatre-vingt et s’accentuent au fur et à mesure que les mécanismes d’exonération de cotisations sociales croissent. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises, notamment en ma qualité de rapporteur de la branche famille, cette branche, à travers sa caisse, est la principale victime de cette politique.

Alors que nous nous apprêtons à examiner le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, qui entérinera sans doute le pacte conclut entre le Gouvernement et le MEDEF, avec à la clef plusieurs milliards d’euros d’exonérations de cotisations patronales supplémentaires, je veux redire que toute suppression de ressources a des conséquences sur les familles, singulièrement sur les familles modestes. La politique de réduction des cotisations sociales à la charge des employeurs menée en continu depuis plus de vingt ans a un prix : celui de la réduction du champ de la solidarité nationale, celui de la perte d’ambition d’un système formidable et émancipateur né à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, celui du sacrifice d’un droit pourtant fondamental des vacances pour tous et entre tous.

De surcroît, comme le rappelle en substance le Haut Conseil de la famille, c’est sans compter l’impact de la réforme des rythmes scolaires.

Mme Isabelle Pasquet. Dans son avis, adopté le 5 février 2013, il attire l’attention sur la croissance des besoins de financement des accueils de loisirs et des autres activités périscolaires qui découlera de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires.

À l’opposé des coupes envisageables à la suite de l’application du pacte de responsabilité, le Haut Conseil invite le Gouvernement à renforcer le financement de la CNAF à hauteur de 1 milliard d’euros simplement pour faire face aux besoins issus de cette réforme. Nécessairement, de nouveaux choix devront être opérés. Comme M. Philippe Didier-Courbin, adjoint à la directrice générale, chef du service des politiques sociales et médicosociales, nous l’explique : « Nous souhaitons que les caisses soutiennent ces départs, mais il y aura sans doute, de leur part, une prédilection en faveur des centres de loisirs en raison de l’aménagement du temps scolaire. »

Tout cela me conforte dans l’analyse qui est celle de mon groupe : il est urgent de rebâtir un nouveau pacte social, ambitieux et solidaire, capable de renforcer la sécurité sociale plutôt que d’assister à son délitement progressif. C’est ce constat qui nous conduira prochainement, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative, à nous opposer à la réduction des cotisations patronales et à proposer un financement alternatif, solidaire, faisant enfin de la satisfaction des besoins de notre population la ligne conductrice des politiques que nous avons à mener.

Autre source d’inquiétude pour notre groupe : le mauvais sort réservé aux communes. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler que, dans le passé, avec le Front populaire, et plus encore au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les communes avaient largement investi le champ des loisirs et n’avaient pas hésité à acquérir des terrains et des structures pour construire leurs propres colonies de vacances. Certaines d’entre elles, je pense par exemple à la mairie de Gennevilliers, n’avaient pas hésité à instaurer une modulation des prix en fonction de la situation financière des familles, introduisant pour la première fois un quotient familial dans la fixation des tarifs des colonies. Cette décision du maire, faut-il le rappeler, avait été attaquée par le préfet au motif qu’elle était discriminatoire, contraire aux principes régissant les services publics. Le recours fut cassé par la juridiction administrative, ouvrant ainsi le chemin à une pratique aujourd’hui répandue dans les communes qui conservent des colonies. Cependant, force est de constater que celles-ci sont de moins en moins nombreuses. Là encore, il s’agit clairement d’une question de choix politique et de détermination des élus locaux à assurer, pour leur population, un droit effectif aux vacances pour tous, des vacances qui ne sont pas uniquement un lieu de détente, mais un lieu de construction culturel, un lieu d’épanouissement, un lieu qui apprend à vivre ensemble.

À l’avenir, la question du maintien de ces lieux se posera nécessairement, y compris pour les plus déterminés des élus locaux. Le gel des dotations, le recul de la solidarité nationale ne sont pas sans conséquence sur les communes les plus modestes qui, demain plus encore qu’aujourd’hui, seront contraintes d’opérer des choix et de réaliser des coupes, y compris en supprimant des postes qu’ils estiment essentiels, sans compter l’impact sur l’activité économique dans les communes à vocation touristique.

Vous le voyez, mes chers collègues, l’avenir des colonies de vacances est étroitement lié à la question de l’évolution de notre pacte social. Pour notre part, nous sommes défavorables aux mesures préconisées par certains, tendant à réduire plus encore les droits et les rémunérations des moniteurs ou à en rabattre sur les conditions d’encadrement des jeunes colons. Je pense notamment à la mesure, proposée par la mission d’information de l’Assemblée nationale, consistant ni plus ni moins à substituer au statut actuel des moniteurs un statut de bénévoles.

Je n’ai plus guère de temps pour évoquer, comme je souhaitais le faire à ce stade de mon intervention, l’accident survenu à l’étranger dans lequel deux adolescentes ont trouvé la mort. Cet accident, extrêmement grave, doit nous interroger sur les conditions d’accueil et d’organisation des séjours, notamment lorsqu’ils ont lieu hors de France. Je souhaiterais avoir votre sentiment, madame la ministre, sur ce sujet.

Pour conclure, je voudrais dire que nous sommes convaincus qu’il faut de toute urgence prendre une mesure forte, de nature à assurer la pérennité financière des colonies de vacances. Le rapport de l’Assemblée nationale préconise l’instauration d’une taxe sur l’hôtellerie de luxe, dont le produit pourrait être affecté à un fonds national. Cette mesure nous semble pouvoir apporter un bol d’air salutaire au dispositif des colonies et aux familles. Je voudrais également connaître la position du Gouvernement quant à cette proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le temps des « jolies colonies de vacances » chères à Pierre Perret, qui ont illuminé notre jeunesse, semble, hélas ! terminé. En effet, selon les chiffres fournis par l’Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes, l’attrait pour les colonies de vacances ne cesse de diminuer depuis près de deux décennies, le dernier pic de fréquentation remontant à 1995. La fragmentation des séjours, apparue dans les années quatre-vingt-dix, a compliqué le comptage, mais le nombre de nuitées est un indicateur très parlant ; or ce sont 28 millions de nuitées qui ont été recensées en 1995, contre 14 millions pour les années 2011 et 2012. C’est dire l’effondrement de l’attrait pour les colonies de vacances !

Cette baisse très significative a bien sûr remis en cause l’engagement financier de l’État, des collectivités locales et des comités d’entreprise, qui étaient les principaux soutiens aux associations organisatrices de séjour.

En tant qu’élu local, il suffit de se référer aux réalités de terrain pour s’en convaincre. De nombreuses communes, qui avaient acquis des centres de vacances en bord de mer ou à la montagne, les ont revendus ou reconvertis. Le site Belles demeures de France propose des annonces de petits châteaux indiquant clairement « colonie de vacances à vendre ». Mon département des Hautes-Pyrénées est naturellement affecté par ce phénomène d’extinction des centres de vacances, lié au coût croissant des réparations, qui, de ce fait, ne peuvent être effectuées.

L’âge d’or des colonies de vacances est donc derrière nous, en particulier cette période de l’après-guerre durant laquelle on voyait des trains remplis d’enfants partant en « colo » se diriger vers des lieux de séjour dont le nombre, en 1951, atteignait près de 13 300 centres.

Devenus adultes, tous n’ont sans doute pas gardé la nostalgie des « colos », mais celles-ci ont globalement rempli un rôle social, qu’il convient de saluer et de perpétuer.

Si, à l’origine, leur organisation était guidée par des considérations hygiénistes, voire confessionnelles, elles ont ensuite été massivement récupérées par des associations laïques. Elles ont alors intégré des enjeux éducatifs, les ayant rendues beaucoup plus attrayantes pour toutes les classes sociales, ainsi que pour les autorités publiques qui leur ont longtemps apporté un soutien prioritaire.

Toutefois, plusieurs facteurs ont porté un coup d’arrêt à cette évolution, et l’adaptation aux nouvelles périodicités de vacances, avec le développement des « mini-camps » de moins d’une semaine dans les centres de loisirs communaux ou les camps de scouts, n’a malheureusement pas compensé ce phénomène.

Nos collègues députés Annie Genevard et Michel Ménard ont recensé ces facteurs dans leur rapport d’information datant de 2013, dans lequel ils avançaient « 21 propositions pour les "colos" du XXIe siècle ». Nous ne pouvons bien entendu que partager leur constat.

Précisons tout de même que, si certains éléments sont mesurables, d’autres ne le sont pas. Ainsi, l’attrait décroissant des enfants pour les colonies de vacances peut s’expliquer par une raison toute simple : on est tenu d’y respecter des horaires, notamment de lever, alors que les familles font parfois preuve d’un grand laxisme dans ce domaine.

Reste que le coût est l’une des raisons souvent avancées par les familles. En effet, pour s’adapter aux nouvelles exigences de la société, les organisateurs de colonies ont dû proposer des formules plus coûteuses. L’enfant du XXIe siècle n’est plus celui du milieu du XXe siècle, que l’on faisait marcher dans la campagne au seul rythme d’« un kilomètre à pied, ça use les souliers » ! Aujourd'hui, avec ce genre de propositions, vous ne risquez pas d’attirer le chaland… (Sourires.) Certes le développement des séjours thématiques, souvent orientés sur un sport ou l’apprentissage d’une langue étrangère, a répondu à une nouvelle demande. Malheureusement, cette offre s’adresse aux milieux sociaux favorisés, que ce soit sur le plan matériel ou sur le plan culturel. Les milieux les plus modestes en sont exclus ou, du moins, n’affichent pas un attrait considérable pour ce genre d’activités.

Comme cela a déjà été indiqué, il faut désormais compter 400 à 600 euros par semaine, soit un coût moyen de 63 euros par jour. On est loin des 10 à 15 euros par jour demandés pour les séjours de scoutisme, et même des 35 euros exigés pour une journée en centre de loisirs sans hébergement, du type des centres aérés. Il semblerait que cette hausse s’explique en partie par la réorientation des aides sociales. Prenant acte de la désaffection des enfants pour les colonies, dans leur format traditionnel, les caisses d’allocations familiales ont favorisé les aides aux séjours de proximité, à travers le soutien aux accueils de loisirs et aux familles. On peut difficilement le leur reprocher, car elles ont inscrit leur politique dans une tendance, qui, certes, a peut-être accentué le phénomène de désaffection pour les colonies, mais a laissé progressivement entrer celles-ci dans une logique commerciale.

Le même phénomène s’observe au niveau des comités d’entreprise, qui privilégient les aides financières directes aux familles, par le biais des chèques-vacances, par rapport au maintien de grands centres. Ainsi, si la SNCF a conservé ses 45 centres et propose encore des départs en vacances pour 15 000 enfants, La Poste, quant à elle, a cédé tout son patrimoine et n’a plus de colonies de vacances.

J’ajouterai que la multiplication des normes d’encadrement imposées par l’État a ajouté aux difficultés des associations, alors que, contrairement à une idée reçue, les colonies sont moins accidentogènes que le milieu familial ou amical.

En schématisant un peu, il résulte de tous ces éléments un système à deux vitesses comprenant, d’un côté, un secteur associatif et caritatif qui propose des garderies d’été très demandées en milieu périurbain ou des « journées à la mer » pour les enfants des quartiers fragiles et, de l’autre, une offre commerciale de colonies thématiques réservées aux enfants les plus favorisés. Dans ce contexte, les enfants des classes moyennes sont souvent écartés.

J’évoquais précédemment le moindre attrait pour les colonies de vacances du fait d’une discipline plus difficilement acceptée. À l’approche des vacances d’été, ce débat, fort opportun, doit sensibiliser le Gouvernement sur la nécessité de donner une nouvelle ambition à la politique d’aide au départ en vacances. C’est en tout cas une préoccupation pour nous, radicaux de gauche. Les inégalités persistantes dans l’accès aux vacances constituent une brèche du pacte social républicain. Parce que les vacances contribuent à la cohésion des liens familiaux et sociaux, elles doivent devenir un droit fondamental.

Je rappellerai à ce titre l’action de Sylvia Pinel, qui, lorsqu’elle avait en charge le secteur du tourisme, se proposait de « lutter contre la fracture touristique ». Compte tenu de la permanence de l’État dans ce pays, madame la ministre, mes collègues et moi souhaitons ardemment que vous repreniez ces idées à votre compte. Le départ en vacances des enfants est une grande cause, qui, indépendamment de nos sensibilités, doit nous rassembler tous !

Face à ce problème d’importance, il faut essayer de trouver des solutions pour redonner aux enfants le goût des colonies de vacances, et cela ne passe pas forcément par des moyens financiers supplémentaires. D’autres leviers sont nécessaires, que je n’hésiterais pas à préciser si je les connaissais ! Je me contente donc simplement de faire l’observation suivante : lorsque les travaux de modernisation sont réalisés, l’offre peut intéresser les adultes qui, enfants, ont fréquenté les colonies de vacances – ceux-ci savent que l’on trouve beaucoup de plaisir dans ces séjours, moins onéreux qu’en hôtellerie traditionnelle, à la montagne, à la mer ou à la campagne –, mais cette solution est insuffisante pour relancer le dispositif. C’est pourquoi, madame la ministre, il nous faut faire collectivement preuve d’imagination. Mais vous avez pour vous un argument que je n’ai plus, celui de la jeunesse ! (Applaudissements.)