Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les zones économiques exclusives ultramarines.

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Dépôt de documents

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010–237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, l’avenant n° 2 à la convention du 27 juillet 2010 entre l’État et l’Agence nationale de la recherche relative au programme d’investissements d’avenir, action « valorisation des instituts Carnot » et une note sur les redéploiements effectués dans le cadre de l’avenant à la convention « instituts Carnot ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.

Mes chers collègues, avant de passer au point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-huit heures.

(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Dossier législatif : proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié
Discussion générale (suite)

Procédure applicable dans le cadre d’une rupture du contrat de travail

Adoption définitive d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié
Article unique (début)

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste et apparentés, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié (proposition n° 410, texte de la commission n° 599, rapport n° 598).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat se penche aujourd’hui sur la proposition de loi déposée par Thierry Braillard, alors parlementaire, et relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte.

Je tiens à vous présenter les excuses du ministre du travail, retenu par un sommet européen, et qui ne peut être présent cet après-midi pour faire valoir la position du Gouvernement sur cette proposition de loi.

En son nom et au nom du Gouvernement tout entier, je veux d’emblée apporter mon soutien à ce texte du groupe radical, et dire pourquoi.

D’abord, parce que cette proposition de loi comble un manque juridique certain.

La prise d’acte consiste, pour le salarié, à prendre l’initiative de la rupture du contrat de travail, tout en en imputant la responsabilité à l’employeur. Après avoir pris acte de la rupture, le salarié doit saisir le conseil de prud’hommes, qui appréciera le bien-fondé des griefs invoqués à l’encontre de son employeur.

La prise d’acte est une situation heureusement rare, mais puisqu’elle existe, elle ne peut être ignorée.

Je veux cependant redire ici que, majoritairement, la relation de travail se passe dans de bonnes conditions. Nous ne devons jamais avoir une approche trop négative du travail et des relations de travail, même si nous traitons des situations abusives – et c’est bien notre rôle.

Oui, les conflits sont là. Oui, les risques existent. Ils doivent trouver des réponses. Toutefois, il ne remonte pas du monde économique et social que de la violence et des abus ; il en ressort aussi tant de belles histoires, des histoires d’hommes et de femmes, de travail bien fait, reconnu, qui porte des droits et rend fier de soi. Partout, c’est cette approche du travail que nous devons porter !

Mais il est en effet parfois des circonstances qui rendent impossible la poursuite de la relation de travail.

Dans certains cas, cette rupture est bien « balisée ». La cessation de la relation de travail par l’employeur a une forme juridique : le licenciement, forme que l’on ne connaît malheureusement que trop bien. Pour le salarié, l’interruption du contrat peut prendre la forme de la démission. C’est un choix, un choix de vie, le choix d’un autre emploi, d’un autre projet. Là encore, le droit encadre la forme et la procédure applicables.

Mais il est un cas particulier qui ne relève, au moment où il se matérialise, ni de l’un ni de l’autre, ni du licenciement ni de la démission : c’est la prise d’acte de la rupture du contrat de travail. La jurisprudence montre des exemples bien souvent douloureux : salarié laissé sans travail, « mis au placard » comme l’on dit ; conflits ouverts pouvant aller jusqu’aux violences ou aux insultes...

La prise d’acte est ainsi une situation extrême. Une solution doit être trouvée pour que le salarié comme l’employeur connaissent leurs droits et obligations. Tel est l’objet de cette proposition de loi et tel est le sens du recours au juge prud’homal. Je souhaite, au passage, redire l’attachement du Gouvernement à la justice prud’homale.

La proposition de loi que nous examinons pose un principe simple : lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail, sur l’initiative du salarié et en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire se trouve directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.

De fait, passer par l’étape de la conciliation, comme c’est le principe général devant les prud’hommes, n’a pas de sens. Les situations de prise d’acte n’appellent pas, ou plutôt n’appellent plus, de conciliation, elles appellent un jugement, la capacité de dire droit, de régler définitivement l’affaire et de permettre à chacun de tourner la page.

Et il faut aller vite. Car derrière la rupture du contrat de travail se pose la question de l’indemnisation du salarié par l’assurance chômage. Cette indemnisation est possible si la rupture du contrat de travail est assimilée à un licenciement ; elle est impossible si le juge requalifie la prise d’acte en démission. C’est pourquoi le délai d’un mois est pertinent ; c’est le même que pour la requalification de CDD en un CDI.

En posant cette règle simple de procédure, cette proposition de loi fait progresser les droits des salariés concernés, tout en donnant des garanties en termes de sécurité juridique aux différents acteurs. Elle offre ainsi à tous de la lisibilité et un cadre clair.

C’est une œuvre utile d’approfondissement de notre état de droit. Et ce n’est pas jouer les salariés contre les employeurs. Tous ont besoin de cette clarté. C’est une position de bon sens, une position qui peut faire consensus. C’est une position réaliste, ancrée dans la réalité, dans des situations concrètes et vécues.

J’y reconnais la sensibilité des parlementaires du groupe radical, leur lien avec le monde économique et social et leur effort reconnu pour dégager des positions équilibrées. Le courant radical a fait beaucoup pour le droit du travail depuis sa création. C’est dans le fil de cette histoire que s’inscrit cette proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement donne un avis favorable à ce texte et soutient également l’option que vous avez retenue : voter un texte conforme à celui qui a été adopté par l’Assemblée nationale. Là encore, choisissez la méthode que promeut la proposition de loi : la clarté, la simplicité et la rapidité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Corinne Bouchoux et Muguette Dini applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gilbert Barbier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, contrairement à ce que son intitulé pourrait laisser penser, la proposition de loi dont nos collègues députés sont à l’origine n’est pas destinée aux praticiens les plus chevronnés du droit du travail.

Déposée à l’Assemblée nationale par le député Thierry Braillard et les membres du groupe RRDP – Radical, républicain, démocrate et progressiste – en juin 2013, cette proposition de loi y a été adoptée le 27 février dernier.

Elle concerne potentiellement tous les salariés et employeurs puisqu’elle vise à accélérer le traitement, par les conseils de prud’hommes, d’un contentieux très spécifique : celui de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié.

Ce texte nous incite à faire un bref rappel des différents modes de rupture du contrat de travail. Historiquement, ils étaient de deux ordres : soit à l’initiative du salarié, avec la démission, soit à l’initiative de l’employeur, avec le licenciement. Depuis 2008, cette rupture peut se faire également d’un commun accord des parties, en convenant d’une rupture conventionnelle, qui doit être homologuée par l’autorité administrative.

Par ailleurs, en dehors du cadre fixé par le code du travail, le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun des contrats, qui figurent dans le code civil. Il s’agit d’un contrat synallagmatique, c'est-à-dire qu’il contient des obligations réciproques entre le salarié – la réalisation d’un travail – et son employeur – la rémunération. En application de l’article 1184 de ce code, sa résiliation peut donc également être demandée par le salarié au juge compétent, en l’occurrence le conseil de prud’hommes, chargé de régler les différends qui surviennent lors de l’exécution d’un contrat de travail.

À côté de ces types de rupture du contrat de travail, la Cour de cassation a progressivement bâti les contours d’un mode autonome de rupture supplémentaire sur l’initiative du salarié : la prise d’acte. Par des arrêts fondateurs du 25 juin 2003, elle a établi que, lorsqu’il reproche à son employeur des faits commis par celui-ci, le salarié peut prendre acte de la rupture de son contrat de travail, c’est-à-dire mettre un terme définitif et immédiat à leur relation contractuelle.

Il appartient alors au juge prud’homal de qualifier les effets de cette rupture. Si les faits invoqués la justifient, elle produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire que l’employeur est redevable de l’indemnité compensatrice de préavis, de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse – soit au minimum les salaires des six derniers mois – et, le cas échéant, de dommages et intérêts supplémentaires en cas de préjudice distinct. Si tel n’est pas le cas, la prise d’acte équivaut à une démission et l’ancien salarié peut être amené à verser l’indemnité compensatrice du préavis non effectué à son employeur.

La prise d’acte est donc la possibilité reconnue à tout salarié qui se trouve confronté à un employeur dont les actions sont de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail d’y mettre un terme. Construction prétorienne, elle s’est éloignée du « droit à l’autolicenciement » dont elle avait été qualifiée à ses origines pour devenir l’ultime recours en cas de manquement suffisamment grave auquel, du fait du lien de subordination qui unit le salarié à son employeur, le salarié ne pourrait pas se soustraire autrement.

C’est pour cette raison qu’aucune rétractation n’est possible ; de même, la réintégration ne peut être envisagée. Seul un salarié peut prendre acte de la rupture du contrat de travail ; l’employeur, lui, doit obligatoirement respecter la procédure de licenciement.

Bien que ce ne soit pas l’objet de la proposition de loi, il me semble important de préciser brièvement dans quelles circonstances la jurisprudence a établi qu’un salarié avait pu, à bon droit, prendre acte de la rupture de son contrat de travail : il en va ainsi d’une modification significative du contrat de travail imposée au salarié, du non-respect des clauses du contrat – non-paiement de la rémunération de base ou des primes – ou encore du manquement à l’obligation de sécurité de résultat à laquelle tout employeur est tenu envers ses salariés.

La prise d’acte de rupture du contrat de travail n’est pas une procédure sans risques pour le salarié. Cessant son activité du jour au lendemain, celui-ci ne peut prétendre à bénéficier de l’assurance chômage que s’il se trouve dans un cas de démission considéré comme légitime par Pôle emploi, c’est-à-dire en cas de non-paiement du salaire ou à la suite d’un acte susceptible d’être qualifié de délictueux, à condition qu’une plainte ait été déposée. Dans le cas contraire, c’est seulement si le juge estime, au terme de la procédure contentieuse, que la prise d’acte était fondée que la personne pourra bénéficier de l’indemnisation de sa période de chômage.

Par ailleurs, la charge de la preuve repose sur le salarié : c’est à lui de démontrer que les agissements de son employeur sont d’une telle gravité que l’exécution du contrat de travail est devenue impossible. En principe, le doute ne lui profite pas. Par trois arrêts rendus le 26 mars dernier, la Cour de cassation a renforcé son contrôle sur les motifs invoqués par le salarié à l’appui de sa prise d’acte, en écartant les motifs anciens n’ayant pas conduit à l’interruption immédiate du contrat de travail. Il ne semble donc plus possible de faire valoir des faits trop éloignés dans le temps, remontant à plusieurs mois, voire à plusieurs années. De même, le bien-fondé de la prise d’acte en cas de manquement à l’obligation de sécurité de résultat a perdu son caractère automatique.

Deux arrêts rendus le 12 juin 2014, soit jeudi dernier, dont je ne pouvais par conséquent avoir connaissance lors de la présentation de mon rapport devant la commission, sont venus accentuer cette évolution de la jurisprudence. Dorénavant, la prise d’acte ne pourra plus être justifiée par la seule modification unilatérale du contrat de travail par l’employeur. Le juge du fond devra donc s’attacher à évaluer les effets de cette modification sur la poursuite du contrat afin de déterminer si la prise d’acte était justifiée, y compris lorsqu’il est question de la rémunération du salarié.

La prise d’acte de rupture du contrat de travail existe donc bien dans notre droit. À cet égard, la présente proposition de loi ne crée pas de nouveau droit. Mais, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, les salariés contraints de recourir à cette procédure doivent attendre que le conseil de prud’hommes statue sur ses effets, voire que les voies de recours – devant la cour d’appel, puis éventuellement la Cour de cassation – soient épuisées. Or chacun d’entre nous connaît la longueur des procédures prud’homales : si, en moyenne, un jugement est rendu en 13,7 mois, il est rendu en plus de 25 mois lorsque le départage est nécessaire. Comme 58 % des décisions font l’objet d’un appel, la procédure peut être prolongée d’un an, voire de deux ans devant la cour d’appel de Paris.

Dans ce contexte, la proposition de loi vise à accélérer le traitement de ce contentieux devant le conseil de prud’hommes en transposant à la prise d’acte une procédure qui existe déjà pour la requalification d’un CDD en CDI et qui sera probablement très prochainement applicable aux demandes de requalification d’une convention de stage en contrat de travail. Son article unique prévoit qu’en cas de prise d’acte le bureau de jugement du conseil de prud’hommes devra statuer dans un délai d’un mois.

J’ai été interrogé, en commission, sur l’importance du contentieux concerné. S’il n’existe pas de suivi statistique aussi fin de l’activité des conseils de prud’hommes, il est possible d’extrapoler à partir des arrêts des cours d’appel pour obtenir un ordre de grandeur. D’après le ministère de la justice, 2 465 d’entre eux faisaient référence en 2013 à la prise d’acte. Comme environ 60 % des arrêts des prud’hommes sont frappés d’appel, on peut estimer que quelque 4 000 recours prud’homaux ont été déposés l’an dernier au titre de la prise d’acte. Cela représente à peine 2 % du contentieux prud’homal, ou moins de vingt affaires en moyenne pour chacun des 210 conseils de prud’hommes que compte notre pays. Quant à la chambre sociale de la Cour de cassation, elle a rendu, l’an dernier, 169 arrêts dans lesquels il est question d’une prise d’acte, ce qui correspond à environ 5 % de son activité totale.

Pour accélérer le traitement de ces affaires, la proposition de loi supprime l’étape de la conciliation dans la procédure prud’homale pour en saisir directement le bureau de jugement. Ce choix est aisément compréhensible puisque la prise d’acte traduit un désaccord irréconciliable entre le salarié et son employeur et, très souvent, un comportement en contradiction avec les principes fondamentaux de toute relation de travail. Qui plus est, avec un taux de succès qui a chuté en dessous de 10 %, la conciliation générale est devenue purement formelle dans la grande majorité des cas. Elle sert même parfois d’outil d’obstruction pour retarder l’instance.

Il est donc dans l’intérêt du salarié, mais aussi de l’employeur de prévoir la résolution de ce différend grave dans les meilleurs délais. L’employeur est soumis à de fortes incertitudes, notamment financières, tant qu’un jugement n’a pas été rendu. Il peut être amené à provisionner des sommes importantes pendant plusieurs années consécutives et être confronté, au fil des différentes étapes de l’instance, à des décisions contradictoires qui peuvent fragiliser son entreprise.

J’ai souhaité interroger les partenaires sociaux sur ce texte, car la justice prud’homale repose sur le paritarisme. Les organisations représentatives des salariés y ont apporté leur soutien, tout en déplorant le manque de moyens alloués aux juridictions prud’homales. Les organisations représentatives des employeurs m’ont fait part de leur opposition, en raison de la suppression de la phase de conciliation et de leur hostilité au principe même de la prise d’acte. Cependant, force est de constater que celle-ci existe dans notre droit : nous ne pouvons pas en faire abstraction. Au contraire, en tant que législateur, il est de notre devoir de faire en sorte que ses spécificités soient prises en compte de manière appropriée.

Il n’est pas ici question de débattre de l’organisation des conseils de prud’hommes ou des moyens dont ils disposent : le moment viendra peut-être lorsque nous examinerons la réforme du mode de désignation des conseillers prud’homaux. La présente proposition de loi ne vise pas à apporter une réponse à ces questions, qui doit s’inscrire dans le cadre d’une réflexion plus générale. Elle apporte un aménagement procédural spécifique, qui me semble bienvenu dans les cas où, malheureusement, le comportement imputé à l’employeur par le salarié ne permet pas à ce dernier de continuer à exécuter son contrat de travail dans de bonnes conditions.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à suivre la commission des affaires sociales et à adopter ce texte sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Isabelle Pasquet, Corinne Bouchoux et Muguette Dini ainsi que M. Roland du Luart applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, c’est mon éminent collègue Jean Desessard, expert de ces questions, qui aurait dû intervenir pour le groupe écologiste. En déplacement à l’étranger, il m’a proposé de le remplacer… sauf qu’on ne remplace pas Jean Desessard ! (Sourires.)

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est bien vrai !

Mme Corinne Bouchoux. Je vais néanmoins tâcher, pendant les quelques minutes qui me sont imparties, de vous faire connaître la position qui est la nôtre aujourd'hui.

Comme l’a dit le rapporteur, si l’on regarde les statistiques, la prise d’acte peut, à certains égards, ne concerner que 5 % des personnes engagées devant la justice prud’homale. On peut s’imaginer que c’est peu, mais, en réalité, beaucoup de salariés sont concernés par cette question. C’est la première raison pour laquelle nous avons abordé ce texte avec intérêt et, même, avec beaucoup de bienveillance.

Par ailleurs, derrière la procédure qui fait l’objet du texte, il y a le plus souvent des histoires extrêmement dramatiques de personnes au bord du burn out, voire du suicide, pour lesquelles la prise d’acte représente un ultime recours, presque un sauvetage, en leur permettant de s’extraire d’un milieu professionnel particulièrement pathogène. Par conséquent, quand bien même elles ne seraient que très peu nombreuses, les personnes concernées par ce texte méritent toute notre attention.

Vous le savez comme moi, les relations du travail sont devenues beaucoup plus « stressogènes » et pathogènes qu’auparavant. On a inventé des mots, des concepts, des PowerPoint… En l’occurrence, la solution envisagée dans la proposition de loi s’apparente à un coupe-file : on va mettre en place un dispositif qui distinguera celles des urgences qui sont les plus dramatiques et permettra aux personnes concernées de passer devant les autres.

Dans l’ensemble des salariés confrontés à des difficultés professionnelles extrêmes, si certains sont, et c’est heureux, défendus par des syndicats, d’autres connaissent une situation de plus grande fragilité. À cet égard, le dispositif de la proposition de loi tendra à mettre en concurrence des cas différents pour favoriser les personnes méritant le plus notre attention. Ce procédé nous a interpellés.

Cela étant dit, ce texte est juridiquement satisfaisant : il est court, ramassé, clair. Il ne porte préjudice à personne. Au contraire, il permettra de résoudre des situations extrêmes.

Néanmoins, j’aurais aimé, monsieur Barbier, que votre rapport me délivre des informations « genrées ». En effet, je souhaiterais vivement savoir si, statistiquement, les personnes concernées par la prise d’acte appartiennent davantage à un sexe qu’à l’autre. Sur ce point, je suis tentée de formuler des hypothèses – encore que je puisse me tromper. En tout état de cause, il me semble extrêmement important de savoir de quoi il retourne. Dès lors, je suis demandeuse d’observations statistiques nous permettant de connaître un peu plus finement les populations concernées.

Enfin, vous savez comme moi que les prud’hommes sont actuellement extrêmement embouteillés. Nous sommes nous aussi très attachés au système paritaire, à sa logique et à l’amélioration de ses conditions de fonctionnement. À cet égard, nous pensons que le dispositif de la proposition de loi, s’il constitue un mieux pour les personnes concernées, ne réglera en rien la question de l’engorgement en général des prud’hommes ni leurs conditions matérielles de fonctionnement.

À ce sujet, je voudrais vous faire part d’une anecdote extrêmement symptomatique. À Paris, les prud’hommes manquent tellement de moyens que la lettre par laquelle on informe les salariés du renvoi de leur situation devant le juge départiteur précise qu’on ne peut leur indiquer quand leur affaire sera jugée, en raison de délais d’attente trop longs. Ce type de formulation, à l’égard de personnes en souffrance et impatientes de voir leur cas jugé, me semble pour le moins maladroit. Si la justice prud’homale est encombrée, il serait important de pouvoir donner aux justiciables un délai approximatif, ce que nous devrions être en mesure de faire puisque nous disposons de moyennes.

Compte tenu de ce que nous avons pu observer du fonctionnement des prud’hommes, en tout cas en région parisienne, et de l’embouteillage dont ils souffrent, nous soutiendrons le texte, même si nous considérons qu’une petite amélioration pour une petite catégorie de personnel ne résout en rien le problème de fond.

À cet égard, ce texte confirme la pente du marché du travail qui se dessine depuis quelques années : à défaut d’apporter une solution pérenne au chômage de masse et aux dysfonctionnements des relations au quotidien, au lieu d’une réforme structurelle profonde, qui permettrait d’avancer, nous sommes obligés de mettre des cautères sur des jambes de bois. En l’occurrence, nous aidons une catégorie de personnes sans aider les prud’hommes en tant que tels, alors que ces derniers auraient cruellement besoin de moyens pour améliorer leur fonctionnement. Dans le droit du travail comme ailleurs, une justice trop lente est injuste.

Je le répète, nous soutiendrons la proposition de loi de nos collègues, même si, hier soir, sur un autre texte, relatif à un tout autre domaine, nous aurions aimé bénéficier d’une telle compréhension et d’un tel soutien… (Mmes Michelle Meunier et Muguette Dini applaudissent.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Husson.

M. Jean-François Husson. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons vise à modifier le traitement judiciaire de la prise d’acte de rupture du contrat de travail, procédure fixée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts de juin 2003 et dont la définition n’a pas varié depuis.

Cette procédure permet au salarié de cesser son travail à tout moment, sans effectuer de préavis, comme dans le cadre d’une procédure de démission, en raison de manquements graves de l’employeur, qu’il fera reconnaître comme tels ultérieurement devant le juge.

La jurisprudence a distingué différents types de comportements de l’employeur pouvant donner lieu à une prise d’acte de rupture par le salarié : harcèlement ou mesures discriminatoires, atteinte à la dignité du salarié, manquements aux obligations de sécurité, non-paiement du salaire ou encore modification de la rémunération, autant d’actes d’une gravité telle qu’ils font effectivement obstacle à la poursuite du contrat de travail.

Si les griefs invoqués à l’encontre de l’employeur sont considérés comme fondés, la prise d’acte sera qualifiée de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Si, au contraire, le conseil de prud’hommes estime les griefs infondés, la prise d’acte produira les effets d’une démission.

Au fond, quel est l’enjeu ?

L’enjeu est le versement de multiples indemnités par l’employeur s’il est donné droit au salarié, et par le salarié s’il est donné droit à l’employeur. Or, comme l’a souligné M. le rapporteur, il faut tenir compte des délais d’attente de la décision du juge. En effet, à partir de la date de rupture de la relation contractuelle, le salarié ne perçoit plus son salaire et peut donc se retrouver dans une véritable situation de précarité financière.

Or, dans ce cas, le salarié, parce qu’il a pris l’initiative de la rupture, ne peut prétendre à des indemnités et n’est pas éligible à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Notre législation du droit du travail considère, en effet, que le salarié a perdu volontairement son emploi tant que la justice ne s’est pas prononcée.

La proposition de loi pointe ce problème, car la procédure de prise d’acte de rupture entraîne parfois de longs délais. Ainsi, la moyenne de traitement d’un dossier devant la juridiction prud’homale est actuellement de dix mois ; elle atteint parfois seize mois dans la région parisienne, voire plus dans certaines villes, ainsi que vient de le souligner notre collègue Corinne Bouchoux.

L’objet de cette proposition de loi est donc de limiter au maximum ces délais, afin que le litige soit rapidement réglé et que les salariés connaissent une situation financière difficile la plus courte possible.

Pour ce faire, le texte prévoit la suppression de la phase de conciliation lors du déroulement de la procédure et un délai légal court, à savoir un mois, pour le traitement de ces litiges.

L’intention des auteurs de cette proposition de loi est bien évidemment louable, car il n’est pas acceptable qu’un salarié, dans l’attente d’une décision judiciaire, puisse se retrouver sans aucune ressource durant plusieurs mois. Cependant, la solution proposée appelle, de notre part, plusieurs réflexions.

Tout d’abord, regrettons que la pertinence de la phase de conciliation soit remise en question de façon aussi radicale.

Certes, la conciliation n’a pas pour objet d’aboutir au règlement du litige puisque, dans le cas de la procédure considérée, quelle que soit son issue, l’affaire sera nécessairement portée devant le bureau de jugement. Cependant, cette phase représente, à mon sens, une étape importante dans le processus judiciaire : elle permet, d’une part, l’information des parties, le dialogue et la recherche d’une sortie de crise et, d’autre part, la constitution du dossier, en vue de l’étape du jugement.

N’oublions pas que les actes de l’employeur sont gravement mis en cause et que le traitement de l’affaire en un mois ne permettra pas nécessairement un examen approfondi, d’autant que l’on connaît la charge de travail des conseillers prud’homaux, confrontés à près de 200 000 demandes chaque année !

On peut également craindre qu’une procédure permettant une issue aussi rapide ne déclenche une multiplication ou, à tout le moins, un accroissement du nombre des actions en justice sur ce fondement, afin d’échapper aux délais plus importants de la procédure ordinaire. Ce serait en quelque sorte une forme de « détournement » par rapport à l’objectif de cette proposition de loi.

Plutôt que de chercher une solution dérogatoire, ne vaudrait-il mieux pas examiner la question de l’encombrement des conseils prud’homaux ?

Faut-il le rappeler, un rapport de Mmes Guillonneau et Serverin soulignait la nécessité de modifier en profondeur l’organisation et le fonctionnement des conseils de prud’hommes, afin que la justice soit rendue plus rapidement.

Les juridictions prud’homales souffrant déjà d’un engorgement préjudiciable aux requérants, est-il tenable et, pour tout dire, réaliste de prévoir un délai aussi resserré - un mois ! - pour statuer ? Je ne le crois pas.

Notre rapporteur a procédé à diverses consultations, notamment de différents conseils prud’homaux, qui lui permettent d’estimer que, concernant cette procédure de prise d’acte, le nombre de recours annuels devant les prud’hommes s’élève aujourd'hui à 4 000 environ. À cet égard, il serait intéressant de connaître votre estimation sur le sujet, madame la secrétaire d'État.

L’interprétation de ces chiffres est sujette à débat : ils semblent rassurer certains d’entre nous, alors que je ne les trouve pas, pour ma part, mineurs. En revanche, il est sûr que le dispositif proposé sera source de grandes difficultés pour les juges, qui devront désormais se prononcer sur ces dossiers dans le mois de leur saisine.

Si le service public de la justice ne dispose pas ou ne dispose plus des capacités d’absorption suffisantes pour répondre aux exigences d’une société qui engage davantage de procédures, redéfinir le déroulement des procédures en réduisant leur durée ne rendra que plus incohérente, je le crains, ou, du moins, plus difficile, la manière dont la justice est rendue.

En outre, d’une certaine manière, le texte créerait une forme d’inégalité d’accès au droit en fonction de la nature de l’acte ayant conduit à la rupture du contrat de travail.

Plutôt que de créer un nouveau délai accéléré, il conviendrait peut-être de repenser la manière dont la justice est rendue en France et de prendre des mesures que je qualifierais, même par ces temps difficiles, d’« ambitieuses », afin de réduire véritablement et, espérons-le, définitivement les délais de traitement des recours.

Notre groupe estime que ce serait plus respectueux des droits de la défense ainsi que des conditions de travail des conseillers prud’homaux.

Il n’en demeure pas moins vrai que l’on doit trouver une solution satisfaisante pour régler les situations visées dans cette proposition de loi. Et, parce que la solution proposée par notre collègue Gilbert Barbier ne présente pas toutes les garanties durables et suffisantes pour remédier au mal, le groupe UMP s’abstiendra. Comprenez, chers collègues, qu’il s’agit d’une abstention positive ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)