M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous avons fait savoir à notre partenaire, les États-Unis, que nous ferons preuve de la plus grande vigilance dans nos relations.

M. Billout est lui aussi intervenu sur les recommandations par pays pour déclarer qu’il n’accepterait pas que soient imposées à travers ces dernières des politiques de restriction sociale, de remise en cause des droits à l’assurance maladie ou des droits à la retraite. Sachez, monsieur le sénateur, qu’il n’en est pas question ! La Commission européenne n’a d’ailleurs pas le pouvoir d’imposer de telles restrictions à un pays comme la France.

Je l’ai dit, nous considérons que ces recommandations ne mettent pas en cause la politique qui est la nôtre. Nous soutenons, à la fois au plan national et au plan européen, que l’on ne sortira pas de la crise par des politiques d’austérité, par des politiques restrictives. Sur ce point, nous nous rejoignons. Il nous faut à la fois régler nos problèmes d’endettement – comme je l’ai indiqué, il y va de notre souveraineté – et soutenir l’activité.

Vous m’avez également interrogé sur la taxe sur les transactions financières.

Une étape décisive dans la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières vient d’être franchie lors du Conseil Ecofin du 6 mai dernier. L’accord, passé à dix États membres, est ambitieux. Nous parlions de cette taxe depuis une dizaine d’années, sinon plus ; elle devient désormais une réalité.

Tout d’abord, un calendrier a été fixé : un texte sera adopté avant la fin de l’année, en vue d’une mise en œuvre de la taxe avant le 1er janvier 2016.

Ensuite, le champ d’application de la taxe concernera non pas seulement les actions, ce qui ne posait pas de problèmes, mais aussi un certain nombre de produits dérivés. L’assiette a donc été élargie. Si l’on en juge par les réactions très négatives que cette décision du Conseil Ecofin a suscitées chez les États membres qui ne veulent pas prendre part à cette coopération renforcée – je pense en particulier au pays abritant la plus grande place financière de l’Union européenne –, il me semble que l’on a la confirmation qu’il s’agit bien là d’une percée.

Cette taxation sur les transactions financières internationales, dont la mise en œuvre vient de connaître une première étape, sera donc un outil de régulation et de redistribution, qui permettra de financer des politiques aussi bien européennes que de solidarité internationale.

Mme Khiari a insisté à son tour sur la nécessité d’abandonner les politiques d’austérité et de donner la priorité à la croissance et à l’emploi. Elle a également appelé à une nécessaire harmonisation fiscale à l’échelle européenne et mentionné en particulier les règles qui devaient s’appliquer aux grandes entreprises multinationales, dans le domaine du numérique par exemple.

Depuis son entrée en fonction, le Gouvernement agit de manière très déterminée sur le plan européen pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales. C’est dans cet esprit que la France, aux côtés du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Espagne et de l’Italie, a demandé au printemps 2013 la mise en place d’un projet multilatéral d’échanges de renseignements, de type FATCA, ou Foreign Account Tax Compliance Act, qui puisse s’étendre ensuite aux autres États membres.

Depuis lors, de nettes avancées ont été obtenues. Le Conseil européen du 22 mai 2013 a endossé le mandat de négociation pour réviser les accords sur la fiscalité conclus entre l’Union européenne et cinq pays tiers : la Suisse, Saint-Marin, l’Andorre, Monaco et le Liechtenstein. Le Conseil européen de mars 2014 a appelé à la conclusion de ces négociations avant la fin de l’année. Des progrès ont d’ailleurs été enregistrés récemment, puisque ces pays semblent désormais prêts à accepter non seulement les amendements à la directive sur l’épargne, mais également l’échange automatique de données fiscales.

Nous avons également obtenu, grâce à une pression assez insistante, que l’Autriche et le Luxembourg lèvent leur réticence et n’usent pas de leur droit de veto pour la réforme de la directive sur la fiscalité de l’épargne. Ce faisant, ils permettent la coopération administrative, qui était jusqu’à présent bloquée. Ce texte a donc été adopté lors du Conseil européen du 24 mars, après six ans de négociations.

En outre, les ministres européens des finances ont adopté, lors du Conseil Ecofin qui s’est tenu vendredi dernier, une disposition renforçant la législation européenne de lutte contre l’optimisation fiscale pratiquée par certaines entreprises pour échapper à l’impôt, en France en particulier et en Europe en général. La directive européenne dite « mère-filiale » sera modifiée en conséquence et transposée dans les législations nationales d’ici au 31 décembre 2015.

Forte de ces avancées, l’Union européenne sera d’autant plus fondée à promouvoir, dans les instances internationales, la généralisation de l’échange automatique d’informations.

Vous avez également insisté, madame la sénatrice, sur la garantie jeunesse. Je tiens à vous informer que mon homologue italien m’a fait savoir cette semaine que la conférence sur l’emploi des jeunes, qui devait se tenir à Turin le 11 juillet prochain, serait non pas annulée mais reportée, pour pouvoir se tenir en présence des instances européennes nouvellement désignées. La conférence pourrait s’en trouver plus opérationnelle et donner lieu à un prolongement des réflexions, au-delà du seul bilan de la mise en œuvre de la garantie jeunesse, sur l’apprentissage, la formation en alternance, le soutien aux jeunes créateurs et à la mobilité des jeunes. La lutte contre le chômage des jeunes est plus que jamais une priorité absolue.

Enfin, plusieurs orateurs – M. Chevènement et M. le président de la commission des affaires européennes, notamment – ont souhaité revenir sur la situation en Ukraine.

Cette situation a commencé à évoluer avec la rencontre entre le Président Poutine et le Président Porochenko, qui a eu lieu le 6 juin dernier en Normandie, sur l’initiative de la France. Une dynamique positive de négociation a alors été enclenchée. La situation demeure néanmoins très préoccupante et instable dans l’est de l’Ukraine, en particulier dans le Donbass.

Nous attendons donc de la Russie qu’elle use de son influence auprès des séparatistes et nous appelons Kiev à faire usage de la force de manière proportionnée. La priorité, c’est la mise en place effective du cessez-le-feu, auquel a appelé le Président ukrainien, qui implique l’octroi de gages par chacune des parties : pour Kiev, l’appel au cessez-le-feu ; pour Moscou, de manière concomitante, l’appel à l’arrêt des attaques des séparatistes. Les deux parties doivent également s’engager à renforcer le contrôle des frontières, et la Russie doit retirer sa décision d’autoriser le recours à la force en Ukraine.

M. Chevènement l’a rappelé, le règlement durable de la crise passera non seulement par le dialogue entre la Russie et l’Ukraine, mais aussi par un dialogue interne à l’Ukraine, indispensable pour permettre d’engager un processus de réconciliation nationale. Ce processus a débuté le 14 mai dernier, avec la tenue de tables rondes inclusives. Malheureusement, il a été arrêté, c’est un fait, après l’élection de M. Porochenko, le 25 mai dernier.

Notre position est claire : ce processus de dialogue national doit reprendre et viser à une réforme institutionnelle, laquelle sera l’un des éléments de la stabilité du pays et devra se faire dans le respect de toutes les composantes de la population ukrainienne.

La France, vous le savez, est convaincue que son rôle, qui est aussi celui de l’Union européenne, est d’aider à l’émergence de relations de bon voisinage entre l’Union européenne et la Russie, ainsi qu’entre la Russie et l’Ukraine.

Je vois, monsieur le président, que vous m’invitez à conclure (Sourires.) ; je veux donc remercier, encore une fois, les orateurs pour leurs interventions et leur indiquer que je me tiens à leur disposition pour la phase de débat à laquelle il est de coutume que le secrétaire d’État chargé des affaires européennes soit invité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Débat interactif et spontané

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif et spontané, dont la durée a été fixée à une heure par la conférence des présidents.

Chaque sénateur peut intervenir pendant deux minutes au maximum. S’ils sont sollicités, la commission des affaires européennes ou le Gouvernement pourront répondre.

La parole est à Mme Colette Mélot.

Mme Colette Mélot. Je souhaite profiter de l’occasion qui m’est offerte pour aborder la question de la crise ukrainienne et de la relation entre l’Union européenne et la Russie. Ce sujet a déjà été évoqué, mais je souhaiterais qu’il puisse être approfondi.

Cette relation doit être, me semble-t-il, dépassionnée et objective.

Pour comprendre la position russe, il importe de se remémorer le discours du Président Poutine, tenu en 2007, dans lequel il déclarait que « la Russie a été et restera une grande puissance ». Depuis lors, il n’a cessé de créer les conditions lui permettant d’afficher aux yeux du monde une Russie indépendante et indispensable au règlement des crises internationales.

Jusqu’à la crise ukrainienne, nous pouvions penser que les relations entre l’Union européenne et la Russie reposaient sur le consensus, sachant que, parallèlement, la Russie continue de souhaiter bâtir son projet d’union douanière avec la Biélorussie, le Kazakhstan et à terme, peut-être, l’Arménie. Cependant, la géopolitique nous rappelle que l’Ukraine est, pour la Russie, un enjeu politique majeur. C’est une fenêtre non seulement sur l’Europe, mais aussi sur la mer Noire ; c’est une zone tampon de l’influence russe en Europe, à proximité des « conflits gelés », comme en Transnistrie, en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Enfin, l’Ukraine est un pays de transit pour 60 % du gaz russe acheminé en Europe.

Dès lors, la vision occidentale des événements et la gestion de ces derniers par les responsables européens peuvent nous laisser dubitatifs. L’accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne fut, dans un premier temps, la partie émergée de l’iceberg. En toile de fond, une crise politique intérieure a provoqué des manifestations, de la violence et un état de quasi-guerre civile.

Aujourd’hui, force est de constater que la Russie a annexé la Crimée.

Cette crise doit nous conduire à nous interroger sur la capacité de l’Union européenne à être une puissance diplomatique et militaire à même d’aider à résoudre les difficultés financières, énergétiques et économiques de l’Ukraine, sans parler de celles liées au maintien de son intégrité territoriale.

Dans ce dossier, nos amis allemands ont semblé prendre le leadership européen. Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, ma question est triple : où en est le dialogue entre l’Union européenne et la Russie ? Dans quelle mesure la France entend-elle y participer ? Enfin, comment la France peut-elle affirmer son amitié à l’Ukraine sans altérer ses relations avec la Russie ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Harlem Désir, secrétaire d’État. Madame la sénatrice, je vous remercie de cette question très importante, qui a trait à la situation en Ukraine.

Je l’ai indiqué il y a un instant, depuis le début de cette crise, la France déploie tous ses efforts – vous n’êtes d’ailleurs pas sans savoir que le Président de la République française et la Chancelière allemande ont eu des contacts avec le Président Poutine et le Président Porochenko pas plus tard qu’à la fin de la semaine dernière – pour que l’intégrité et la souveraineté de l’Ukraine soient respectées. La France ne reconnaît d’ailleurs pas l’annexion de la Crimée.

Nous avons également fait en sorte que l’Union européenne reste unie – même si, au départ, les positions des différents États membres n’étaient pas spontanément les mêmes – et adopte une ligne de fermeté, laquelle est allée jusqu’à l’adoption de sanctions visant un certain nombre de personnalités et d’entités. En parallèle, nous avons toujours affirmé que l’objectif était de parvenir à une solution diplomatique, politique et négociée.

L’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine, lequel résulte de la volonté de l’Ukraine de nouer un partenariat avec l’Union et de l’envie de l’Union de contribuer, au titre du partenariat oriental, dans le cadre de sa politique de voisinage, à la stabilité, au développement et à la démocratisation de l’Ukraine, ne doit pas être un élément de confrontation avec la Russie.

Nous ne demandons pas à l’Ukraine de choisir entre son voisin européen et son voisin russe. L’Ukraine doit pouvoir vivre en paix à l’avenir et entretenir de bonnes relations, aussi bien politiques qu’économiques, avec l’Union européenne et la Russie. C’est pourquoi nous avons demandé que soient examinées les conséquences de l’accord d’association, dans son volet commercial, sur l’économie ukrainienne comme sur l’économie russe.

Nous enjoignons – c’est tout le sens des efforts déployés par le Président de la République et ses partenaires européens – l’Ukraine et la Russie à rétablir, par la voie du dialogue politique, des relations pacifiques, y compris dans le domaine économique, notamment sur la question de l’approvisionnement gazier, qui soient de nature à profiter aux deux pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.

M. Jean-Yves Leconte. La Banque centrale européenne a récemment annoncé un relâchement très significatif de sa politique monétaire. Le Japon et les États-Unis avaient fait de même auparavant, avec des résultats peu opérants, qui ont eu pour effet de fragiliser le bilan des banques centrales tout en permettant, en réalité, aux opérateurs financiers de disposer de moyens pour se livrer à plus de spéculation financière et de financer les pays émergents. D’ailleurs, lorsque la Réserve fédérale américaine a annoncé un petit changement de sa politique, les effets sur ces pays ont été immédiatement visibles.

Avoir une politique moins laxiste permettrait de voir l’euro devenir, petit à petit, une monnaie de référence mondiale, ce qui éviterait des désagréments tels que ceux que rencontre aujourd’hui la BNP.

Le changement de politique de la BCE impose plus de détermination et de cohérence dans notre politique de redressement de l’économie et de l’industrie. Il faut absolument renforcer l’intérêt de l’investissement en France, dès lors que des moyens financiers nouveaux existent.

En outre, à l’heure des échanges automatiques d’informations, peut-on accepter une Union européenne à vingt-huit membres où la mobilité pour les personnes physiques et les entreprises est gérée par vingt-sept conventions fiscales ? Cette situation n’est favorable ni à la mobilité ni à l’efficacité des échanges automatiques d’informations.

Enfin, à la veille de la désignation de la nouvelle Commission européenne, la mise en place, dans la zone euro, d’un projet de grands travaux profitant des taux actuels de la BCE est absolument indispensable. Ce projet doit être engagé par la zone euro dans son ensemble, pour répondre aux enjeux ayant trait à l’avenir de l’Union européenne. En effet, des investissements en matière d’énergie, de transports ou de logements sont indispensables pour assurer la compétitivité future de la zone euro.

Une telle politique de grands travaux au niveau européen doit être le pendant des politiques d’ajustement budgétaire des États membres. Elle est indispensable non seulement pour soutenir la croissance, mais également pour permettre à la puissance publique européenne de prendre toute sa place alors que les États membres n’ont plus suffisamment de forces pour y parvenir seuls.

Comment s’assurer que la nouvelle Commission européenne mette cette politique de grands travaux en œuvre au moment où la BCE lui en donne les moyens ? Si nous ne le faisons pas, l’argent aujourd'hui mis à disposition de la BCE quittera l’Europe, ce qui nous affaiblira encore plus.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez souligné à juste titre l’importance des décisions que la Banque centrale européenne a annoncées le 5 juin dernier. Mario Draghi a en effet rendu public un paquet de mesures d’assouplissement monétaire d’une ampleur sans précédent. Il s’agit de dispositions à la fois conventionnelles, comme la baisse de plusieurs taux directeurs, et non conventionnelles, comme l’octroi de liquidités aux banques conditionné au financement de l’économie.

Nous avons salué une telle politique monétaire, qui répond à la fois au risque de déflation pointé par M. Chevènement – sans doute la Banque centrale européenne, qui avait fixé un objectif d’inflation de 2 %, constate-t-elle que l’inflation est aujourd'hui beaucoup plus basse dans la zone euro – et à un problème de liquidités des banques ou, plus exactement, de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle, dans une phase où la croissance en zone euro a besoin d’être consolidée.

C’est donc une politique qui apporte un soutien bienvenu à la croissance en Europe et en France, d’autant que le niveau de l’euro, à nos yeux trop élevé, a un peu baissé après les annonces de la BCE. Cette politique favorisera également notre compétitivité et notre commerce extérieur.

L’action de la Banque centrale européenne sert ainsi les efforts de réorientation des politiques européennes vers plus de croissance et d’emploi. Cependant, elle doit s’accompagner d’autres dispositions. À cet égard, vous avez raison de souligner que nous devons avoir des mesures de soutien à l’investissement dans des grands projets communs ; je l’ai moi-même indiqué.

Dans les domaines de l’énergie, avec le financement des interconnexions, du numérique, en particulier avec l’équipement en fibre optique, ou des économies vertes, nous voulons davantage utiliser les instruments du cadre financier pluriannuel de la Banque européenne d’investissements. Je pense notamment à la mobilisation de l’épargne, comme je le soulignais précédemment.

M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.

M. Christophe-André Frassa. Ce débat préalable à la réunion du Conseil européen intervient à un moment opportun, puisque l’actualité nous rappelle régulièrement les limites actuelles de la politique européenne de sécurité et de justice. Bien évidemment, je n’oublie pas la liberté, notamment la liberté de circulation, qui est aussi un acquis essentiel de l’Europe, mais prenons les choses comme elles sont et reconnaissons que, ce qui nous préoccupe aujourd’hui, ce sont davantage les conséquences que le principe en lui-même.

Je mentionnerai deux conséquences qui, bien qu’indiscutablement distinctes, trouvent leurs causes dans ce qui peut être considéré aujourd’hui comme une défaillance de l’Europe à contrôler efficacement à la fois ses frontières extérieures et la circulation sur son territoire.

La première est l’incapacité à gérer les flux migratoires, notamment lorsqu’ils sont exceptionnels, comme c’est encore le cas dans certaines zones méditerranéennes depuis l’éclatement des « printemps arabes ».

La seconde conséquence est l’incapacité à gérer la circulation d’individus dits « à risque », se déplaçant de manière préoccupante dans l’espace européen ; nous l’avons constaté encore récemment. Des ressortissants européens partent combattre à l’étranger, par exemple en Syrie ou au Mali, ou rejoignent des camps d’entraînement pour perpétrer un certain nombre d’actes à leur retour sur le sol européen.

Nous sommes aujourd’hui dans une phase décisive. Je dis cela parce que le programme de Stockholm est en voie d’achèvement, mais également parce que les événements que j’ai évoqués démontrent malheureusement que beaucoup d’actions restent encore à mener pour renforcer notre sécurité au niveau européen.

Les solutions, nous les connaissons, et elles font consensus : d’abord, une simplification, une consolidation et une application effective des textes existants ; ensuite, une augmentation du budget consacré par l’Union à la sécurité de ses frontières, qui représente actuellement seulement 0,4 % du budget que les États-Unis dédient au même objectif ; enfin, un renforcement des échanges d’informations au niveau du recueil des données personnelles des passagers aériens, du système d’information Schengen et de l’agence Europol.

La question du devoir de réciprocité lorsqu’un des pays membres est défaillant se pose également, à la condition, désormais admise, d’être solidaires des pays les plus exposés. Je pense notamment à l’Italie, qui, du fait de sa situation géographique, supporte des flux migratoires récurrents à Lampedusa.

Les pistes, nous les connaissons ; pour la plupart, nous les approuvons. Mais, aujourd’hui, et en vue de la réunion du Conseil européen, il est indispensable que le Gouvernement puisse nous éclairer sur les positions et les propositions qu’il entend défendre dans l’intérêt de la France sur tous ces sujets.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous soulignez à juste titre l’importance qu’auront les débats du Conseil européen sur l’espace de sécurité, de liberté et de justice, ainsi que sur l’adoption du programme post-Stockholm, en particulier s’agissant de la politique de migration et de la lutte contre le terrorisme, même s’il n’y a pas forcément de lien direct entre les deux sujets.

En matière de migration, vous avez raison, on ne peut pas laisser l’Italie ou d’autres pays de la rive nord de la Méditerranée, nos voisins du sud, seuls face aux drames qui se jouent dans cette zone. La Méditerranée ne devant pas être un cimetière à ciel ouvert, l’Italie et d’autres pays ont donc pris des mesures – je pense notamment à l’opération Mare nostrum – pour venir au secours des personnes qui se retrouvent sur des bateaux.

Nous devons à la fois assurer la sécurité de nos frontières extérieures et éviter de créer un appel d’air. C’est pourquoi la réponse doit être européenne. En particulier, la montée en puissance de l’agence Frontex doit permettre, en lien avec une politique de stabilité vis-à-vis des pays de la rive sud de la Méditerranée, une mise en œuvre réelle des dispositions de retour, la conclusion d’accords avec les pays de provenance et une intensification de la lutte contre les filières et les réseaux de trafic d’êtres humains. C’est cette approche d’ensemble qui doit nous permettre de consolider l’espace Schengen, à la fois un espace de liberté de circulation et un acquis pour les citoyens, tout en assurant mieux ensemble la protection des frontières extérieures de l’Europe.

L’autre volet de la problématique migratoire, ce sont les migrations régulières, qui doivent également être bien organisées.

J’en viens à la lutte contre le terrorisme. Je vous rejoins totalement : nous devons adopter des mesures de contrôle renforcé, en particulier un PNR européen, ou Passenger name record, un système de contrôle des voyageurs du transport aérien, et rendre les échanges d’informations des fichiers des différents services beaucoup plus opérationnels qu’aujourd'hui.

La situation internationale – je pense notamment à la Syrie ou à l’Irak – ne peut que nous renforcer dans cette détermination. Vous le savez, les ministres de l’intérieur, sur l’initiative notamment de Bernard Cazeneuve, ont pris des décisions en la matière ; elles seront confirmées lors du Conseil européen.

L’Europe doit s’organiser de manière beaucoup plus opérationnelle et ferme dans la lutte coordonnée contre le terrorisme.

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez bien fait d’évoquer l’Ukraine, qui est une question essentielle. En cette matière, il me semble nécessaire de faire preuve de bon sens et de réalisme.

D’un côté, on considère que la doctrine Monroe est tout à fait normale aux Amériques ; de l’autre, on ne s’émeut guère de l’installation en Tchéquie de fusées dirigées vers nul autre pays que la Russie… On ne proteste pas non plus contre la volonté de faire entrer la Moldavie et la Géorgie dans l’OTAN. J’ai l’impression que nous sous-traitons la politique étrangère européenne aux États-Unis. Nous nous laissons totalement guider par les Américains quant à nos positions en Ukraine.

Lorsque Mme Victoria Nuland dit « Fuck Europe »,…

M. Jean Bizet. C’est choquant !

M. Aymeri de Montesquiou. … est-ce que Mme Ashton proteste ? Lorsqu’il y a une conversation entre le ministre des affaires étrangères Paet et Mme Ashton avec quelques interrogations sur ce qui se passe en réalité sur la place Maïdan de Kiev, on n’en fait pas état !

J’ai vraiment l’impression que nous sommes aux ordres des Américains. Je ne fais pas preuve d’un anti-américanisme de principe, mais je veux souligner que, vis-à-vis de l’Ukraine, nous avons une position qui n’est pas européenne.

Nous sommes incapables de nous substituer aux Russes, parce que l’économie ukrainienne est totalement imbriquée avec celle de la Russie. Je comprends parfaitement les aspirations d’indépendance de l’Ukraine vis-à-vis de la Russie, mais il y a une réalité des faits. Et ce ne sont pas les 2 milliards que l’Union européenne donnera tous les ans à l’Ukraine qui résoudront le problème ! Comment réglera-t-on la question du gaz ? Prendra-t-on en compte à un moment quelconque l’hétérogénéité dans ce pays, où tout le monde ou presque parle russe et ukrainien ?

J’ai l’impression que nous subissons totalement le diktat américain s’agissant d’une sphère qui devrait être uniquement européenne. M. Snowden nous a d’ailleurs révélé des faits démontrant que le comportement des Américains vis-à-vis des divers pays européens était inacceptable. Pourtant, nous avons murmuré quelques protestations au lieu d’affirmer avec force que de telles pratiques n’étaient pas acceptables !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je le répète, tous les efforts qui ont été déployés par la diplomatie française depuis le début de la crise ukrainienne visent à faire émerger une position commune des Européens et à aboutir à une résolution politique du conflit entre l’Ukraine et la Russie.

L’Ukraine est un pays indépendant. Elle a fait le choix de la démocratisation, d’un accord d’association avec l’Union européenne. Dans le même temps, elle doit avoir des relations de bon voisinage avec la Russie, y compris sur le plan économique.

Vous m’interrogez sur les rapports entre l’Ukraine et la Russie au sujet du gaz. Vous le savez, l’Ukraine a accumulé une dette considérable vis-à-vis de Gazprom ; elle devra l’honorer progressivement.

Il est dans l’intérêt de la Russie, de l’Ukraine et de l’Union européenne qu’un accord équitable soit trouvé. C’est ce à quoi œuvre, de manière totalement indépendante de quelque autre partie, la Commission européenne dans ses discussions avec la Russie et l’Ukraine ; nous ne sommes sous la tutelle ni des États-Unis ni de qui que ce soit d’autre !

En outre, et je l’ai déjà indiqué, nous sommes également favorables à des consultations trilatérales entre l’Union européenne, l’Ukraine et la Russie sur les implications de l’accord d’association vis-à-vis de l’économie russe. Nous ne souhaitons pas opposer les bonnes relations que l’Ukraine souhaite établir avec l’Union européenne à celles qu’il nous faut évidemment maintenir, ne serait-ce qu’au nom de la stabilité internationale et de la paix, avec la Russie, un grand voisin, de surcroît membre du Conseil de sécurité de l’ONU. Aussi, tous nos efforts concernent, je l’ai évoqué, les relations entre la Russie et l’Ukraine.

Nous sommes également très attentifs à ce que toutes les composantes de la population à l’intérieur de l’Ukraine, y compris les populations russophones de l’Est, soient prises en compte. Mais cela suppose tout de même que nous rappelions un certain nombre de principes : le respect de la souveraineté et de l’intégrité de l’Ukraine, l’arrêt et la condamnation des actes violents des séparatistes et la mise en œuvre effective du cessez-le-feu. C’est le sens de tous les efforts déployés par le Président de la République.

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Le paquet climat-énergie 2020 fera l’objet d’une discussion importante lors du Conseil européen des 26 et 27 juin. À cette occasion, le président Herman Van Rompuy présentera un état des lieux global reprenant les analyses de chaque État membre.

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai deux séries de questions à vous poser.

La première est la suivante : quelle feuille de route la France a-t-elle adressée à la Commission européenne ? Quels efforts cette dernière compte-t-elle réaliser ? Quel en sera le coût ? Quelle répartition sera choisie pour atteindre l’objectif de réduction des gaz à effet de serre ?

Par ailleurs, vous avez évoqué la pertinence du choix effectué voilà quelques décennies en faveur de l’énergie nucléaire. Devons-nous aller plus loin dans les énergies décarbonnées ? Si oui, comment cela est-ce possible sans nuire à la compétitivité de nos entreprises ? En effet, les choix qui seront faits en la matière seront lourds de conséquences, qu’il s’agisse des coûts ou des infrastructures de réseaux, en France et même en Europe, comme on l’a vu au travers d’un rapport que j’ai eu l’occasion de rendre au nom de la commission des affaires européennes sur la coopération énergétique franco-allemande. Réduire trop vite et trop fort la part du nucléaire dans notre mix énergétique présente un double risque : une flambée des prix et une hausse des émissions polluantes. En ce domaine, précisément, l’exemple de l’Allemagne n’est pas à suivre.

Ma seconde série de questions est donc très claire : comment assurerez-vous l’harmonisation de notre bouquet énergétique national avec les orientations de la Commission européenne et les choix de nos partenaires ? Quels seront votre calendrier, votre méthode et vos objectifs ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous le savez, nous attachons la plus grande importance à ce que le Conseil européen de juin approuve les objectifs proposés par la Commission européenne pour le paquet énergie-climat, de telle sorte qu’une décision puisse être prise lors du Conseil européen d’octobre.

Nous faisons nôtres les propositions de la Commission : réduire de 40 % les gaz à effet de serre à l’horizon de 2030 et porter à 27 % la part des énergies renouvelables dans l’Union européenne. Dans le projet de loi de programmation sur la transition énergétique, qui a été présenté en conseil des ministres et sera bientôt débattu au Parlement, nous allons même au-delà pour ce qui concerne les énergies renouvelables.

Si nous pouvons nous fixer de tels objectifs, c’est parce que nous disposons d’un bouquet énergétique adossé sur une forte composante d’énergie nucléaire pour ce qui concerne l’électricité. De notre point de vue, cette composante doit maintenant être plafonnée. Cependant, la filière nucléaire continuera à jouer un rôle absolument majeur, puisqu’elle représentera à l’avenir 50 % de notre bouquet énergétique pour la production d’électricité.

Une telle situation nous permet, peut-être plus que d’autres, de développer les énergies renouvelables, qui sont toujours soumises au problème de l’intermittence. Je pense au solaire, à l’éolien et aux énergies hydroliennes, qui sont très prometteuses, et pour lesquelles la DCNS déploie des technologies de pointe.

Nous estimons donc que notre projet de loi de programmation sur la transition énergétique est totalement en cohérence avec les objectifs de l’Union européenne. Il nous permettra de réussir cette transition, qui doit se traduire par une montée en puissance des énergies renouvelables, une baisse des émissions de CO2, sans que les coûts des entreprises et des ménages augmentent. À cet égard, l’efficacité énergétique constitue, vous le savez, la meilleure des réponses. Elle passe par un renforcement de nos actions pour ce qui concerne le bâti, les procédés industriels et les transports.

Nous voulons que, grâce aux indications qui devront être fixées très tôt par la Commission, le Conseil européen et chacun des États membres, l’ensemble des acteurs économiques puissent se préparer à la transition énergétique.

Nous consommerons moins d’énergie ; nous consommerons une énergie plus renouvelable ; et nous développerons des technologies créatrices d’emplois, qui feront de l’Europe un continent pionnier en ce domaine, au moment où tous les pays, y compris les pays émergents, sur tous les continents, s’efforcent d’effectuer une telle transition.

Telle est la ligne de notre politique en la matière.

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014.