Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Je comprends à la fois les arguments de M. le rapporteur et ceux de Mme la garde des sceaux.

Pour ma part, j’ai également beaucoup de mal à accepter l’idée selon laquelle la disposition en question permettrait à toute une série de collaborateurs de justice d’être moins efficaces dans leur travail.

À mes yeux, ces erreurs proviennent d’une perversité de l’action de justice. Même si elles sont effectivement rarissimes, elles ont sur l’opinion un effet totalement calamiteux.

C’est la raison pour laquelle je m’abstiendrai.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 95 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 19 A
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'individualisation des peines et renforçant l'efficacité des sanctions pénales
Article additionnel après l'article 19 B

Article 19 B (nouveau)

I. – L’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifiée :

1° L’article 2 est ainsi modifié :

a) Les mots : «, le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

b) Les mots : « et le tribunal correctionnel pour mineurs» sont supprimés et les mots : « ne peuvent » sont remplacés par les mots : « ne peut » ;

2° À l’article 3, les mots : «, le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

3°L’article 6 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

b) Au deuxième alinéa, les mots : « le juge des enfants, le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs » sont remplacés par les mots : « le juge des enfants ou le tribunal pour enfants » ;

4° L’article 8 est ainsi modifié :

a) Au huitième alinéa, les mots : «, le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

b) Le dernier alinéa est supprimé ;

5° À l’article 8-2, les mots : « soit devant le tribunal correctionnel pour mineurs, » sont supprimés ;

6° À l’article 9, la deuxième phrase du cinquième alinéa est supprimée ;

7° À l’article 10, les mots : «ou devant le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

8 °À l’article 12, les mots : « ou du tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

9° Le troisième alinéa de l’article 13 est supprimé ;

10° Le chapitre III bis est supprimé ;

11° Les articles 24-1, 24-2 et 24-3 sont supprimés ;

12° À l’article 24-5, les mots : « ou le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés ;

13° À l’article 24-6, les mots : «, le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs » sont remplacés par les mots : « ou le tribunal pour enfants » ;

14° À l’article 24-7, les mots : « ou le tribunal correctionnel pour mineurs » sont supprimés.

II. – Le code de l’organisation judiciaire est ainsi modifié :

1° Le chapitre Ier bis du titre V du livre II est supprimé ;

2° Les articles 251-7 et 251-8 sont supprimés.

III. – Les affaires dont les tribunaux correctionnels pour mineurs ont été saisis avant la promulgation de la présente loi sont transférées aux tribunaux pour enfants compétents.

Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.

L'amendement n° 21 est présenté par MM. Hyest, Bas et Buffet, Mme Troendle et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.

L'amendement n° 31 rectifié est présenté par MM. Détraigne, Capo-Canellas, Bockel, Marseille et Roche, Mme Férat, MM. Amoudry, J.L. Dupont et Deneux, Mme Gourault et MM. Zocchetto et Merceron.

L'amendement n° 96 est présenté par le Gouvernement.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour présenter l’amendement n° 21.

M. Jean-René Lecerf. Les auteurs de cet amendement s’opposent à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, la loi qui les a mis en place est très récente et il faudrait peut-être laisser du temps au temps pour juger de leur pertinence, même si je reconnais que les premières années de fonctionnement ne plaident pas en faveur de leur efficacité.

Deuxièmement, cette disposition intéresse les mineurs, lesquels ne sont pas concernés par ce projet de loi. Selon moi, une telle suppression a donc difficilement sa place dans ce texte.

Troisièmement, enfin, nous attendons tous une réécriture de l’ordonnance de février 1945, qui est aujourd'hui devenue quasi illisible, après les dizaines de modifications dont elle a été l’objet. Si évolution il doit y avoir, elle trouverait davantage sa place dans cette réécriture de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour présenter l’amendement n° 31 rectifié.

M. Vincent Capo-Canellas. Après avoir débattu de la rétention de sûreté, nous ouvrons un autre dossier symbolique et important, à savoir l’éventuelle suppression du tribunal correctionnel pour mineurs

J’observe, madame la garde des sceaux, que nous nous rejoignons sur ce sujet, sans doute pour des motifs différents. Quoi qu’il en soit, notre convergence, avec ces trois amendements identiques de suppression, montre que le sujet n’est pas mûr, en tout cas dans le cadre de ce texte.

La question de la délinquance des mineurs est tellement prégnante que l’on ne peut pas, selon moi, la traiter par petits bouts. Sans doute faut-il l’examiner dans un cadre plus global, notamment celui d’une réflexion sur l’adaptation de l’ordonnance de février 1945.

Il s’agit bien sûr d’un sujet particulièrement sensible. Toutefois, outre le fait que la création de ces tribunaux correctionnels pour mineurs est relativement récente et qu’il est difficile d’en dresser un bilan aujourd'hui, je veux rappeler que, pour un mineur, passer devant un tribunal revêt une charge symbolique et une solennité qui peuvent paraître nécessaires à sa compréhension de la réalité des actes qu’il a commis.

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 96.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La commission des lois a adopté la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Le débat à l’Assemblée nationale avait été long et vif, des députés ayant souhaité également les supprimer.

Ces tribunaux, vous le savez, constituent une excroissance procédurale. Ils s’inscrivent dans la dynamique d’un rapprochement de la justice des mineurs et des majeurs décidé à une époque où toute la parole politique consistait à faire de la délinquance des mineurs une délinquance en explosion, de plus en plus grave, violente et massive.

Or les statistiques ne confirment pas ce discours, ce qui ne signifie pas qu’un certain nombre de mineurs ne se livrent pas à des actes graves, qu’ils ne récidivent pas ou ne réitèrent pas. J’observe simplement que, quand on prend un exemple, c’est toujours le même !

Ainsi la délinquance des mineurs a-t-elle au contraire légèrement diminué sur les dix dernières années, si l’on en croit les statistiques : le nombre de mineurs incarcérés est resté stable, tandis que la part de la délinquance des mineurs dans l’ensemble de la délinquance a légèrement baissé, s’établissant aujourd'hui à 18 %.

C’est cependant à la faveur d’un certain discours sur les mineurs - les jeunes d’aujourd'hui ne seraient pas comme ceux d’hier - que furent créés les tribunaux correctionnels pour mineurs.

Je rappelle le contexte sans porter le moindre jugement de valeur, quoi que j’en pense. Pour ma part, lorsqu’il s’agit d’agir au nom de la puissance publique, je ne me contente pas de mes convictions personnelles ni de mes propres élans : je veille à vérifier la réalité des choses.

Je suis donc allée interroger les chefs de juridiction sur le fonctionnement de ces tribunaux : tous, du moins tous ceux qui se sont exprimés, ont souhaité leur suppression.

Certains se fondent sur leur conviction, considérant que la justice des mineurs doit rester spécialisée, conformément à la tradition française, qui a vu la création du juge des enfants en 1912 et l’ordonnance relative à l’enfance délinquante en 1945.

D’autres avancent des raisons pratiques, estimant que la nature collégiale de ces tribunaux correctionnels pour mineurs complique la gestion des juridictions en les encombrant. Ils notent également que les condamnations sont à peu près identiques à celles que prononcent les tribunaux pour enfants, ni plus sévères ni plus massives.

Telle est la réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, et j’ai eu l’occasion de le faire vérifier régulièrement dans les juridictions.

Tous les praticiens, tous les professionnels, même de sensibilité différente, plaident donc pour la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, certains, je le répète, par conviction, d’autres simplement pour des raisons pratiques tenant à l’organisation de leur juridiction.

Toutefois, le Gouvernement ne souhaite pas procéder à cette suppression dans le cadre de ce projet de loi, relatif aux délits. Il convient autant que possible d’écarter tant les dispositions relatives aux longues peines que les dispositions relatives aux mineurs.

Je le répète, il est souhaitable, pour le bon fonctionnement des juridictions et pour la bonne administration de la justice, que les tribunaux correctionnels pour mineurs soient supprimés. Je vous le dis très clairement – je ne me cache derrière aucun paravent ! –, je pense, par conviction, à l’instar de certains magistrats, que la justice des mineurs doit rester une justice spécialisée. Je crois que la plupart d’entre vous partagent cet avis.

L’ordonnance de 1945 est née à un moment de grande unité nationale,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … à l’époque du Conseil national de la Résistance, quand les forces de la Résistance étaient composées de sensibilités de droite, de gauche et du centre. Dans les gouvernements qui se sont succédé, je pense, notamment, aux deux gardes des sceaux François de Menthon, qui était, me semble-t-il, centriste – il était en tout cas républicain – ou encore à Pierre-Henri Teitgen.

Cette production législative est donc le fruit d’une époque où il y avait une convergence politique sur la façon dont la société devait traiter les enfants délinquants. Je suis animée de la même conviction.

En outre, en qualité de garde des sceaux, sur un plan pratique, pour la bonne administration de la justice, j’estime que, conformément à la demande de nombreux chefs de juridiction, il est souhaitable de supprimer ces tribunaux. Toutefois, je vous demande, c’est le sens de l’amendement du Gouvernement, de ne pas maintenir dans ce texte la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. C’est ce que l’on appelle « la bipolarité ». (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission a – fort heureusement ! – rejeté ces trois amendements identiques de suppression. En effet, pourquoi remettre à plus tard ce que l’on peut faire aujourd'hui, même dans le cadre d’un texte qui concerne la justice correctionnelle ?

Vous aviez demandé, madame la garde des sceaux, à M. le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, de me confier une mission sur la Protection judiciaire de la jeunesse et, plus largement, sur les mineurs. Les magistrats que j’ai rencontrés sont tous – tous, j’y insiste –, de la tête aux pieds, contre cette nouvelle juridiction et demandent l’abrogation de cette disposition le plus rapidement possible, et ce pour deux raisons.

D’une part, cette nouvelle juridiction désorganise les tribunaux. D’autre part, les condamnations ne sont pas plus sévères, contrairement à l’objectif qui était, semble-t-il, recherché.

Supprimons donc dès aujourd'hui ces tribunaux.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pour ma part, je tiendrai bon en commission mixte paritaire. J’espère que vous ferez de même, mes chers collègues, car vous avez souvent montré la voie en matière de libertés publiques !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour ma part, je suis, bien sûr, très attaché, comme vous tous, au principe en vertu duquel, dans la République française, on est jugé et condamné pour des faits, et non pour des virtualités. Cette idée très forte a été évoquée précédemment à propos de la rétention de sûreté.

L’ordonnance de février 1945, cet héritage dont vous avez magnifiquement parlé, madame la garde des sceaux, instaure une justice spécifique pour les mineurs, considérant à juste titre que le mineur est un être en devenir.

Or certains multiplient les arguties pour convaincre que l’idée d’une telle spécificité serait surannée et ne correspondrait plus à la réalité de la jeunesse d’aujourd’hui. Bien sûr, la société a évolué. Mais enfin, qui va désespérer du cas d’un jeune ou, d’ailleurs, d’un adulte, mais a fortiori d’un mineur ?

Je n’ai donc pas grand-chose à ajouter à votre beau plaidoyer, madame la garde des sceaux. Vous avez relevé, comme M. le rapporteur, que tous les magistrats que vous avez rencontrés estiment qu’il convient de supprimer le tribunal correctionnel pour mineurs.

Dans le rapport de notre collègue Jean-Pierre Michel, on peut lire, à la page 185 : « La création de ces tribunaux relevait clairement d’une logique tendant à rapprocher autant que possible la justice des mineurs de celle des majeurs. Cette logique ne reçoit pas l’approbation de votre commission, qui considère que la spécificité de la justice des mineurs doit perdurer, conformément au principe qui a guidé la rédaction de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. »

J’ai bien compris la force de votre conviction, madame la garde des sceaux, ainsi que l’explication que vous donnez à votre refus de voir la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs intervenir dans le présent texte. Ce n’est pas de la bipolarité ; ce sont deux éléments. Peut-être est-ce de la dialectique ?

Quoi qu’il en soit, j’ai lu avec soin – comme toujours ! – l’objet de l’amendement n° 96 du Gouvernement. Je vous lis, madame la garde des sceaux : « Le Gouvernement n’est pas hostile à la suppression du tribunal correctionnel pour mineurs, mais il estime que cette question doit être examinée dans le cadre d’une réforme d’ensemble de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. »

Voilà qui est bien dit, madame la garde des sceaux. Aussi, je me permets ici simplement d’appeler cette réforme de mes vœux. (Mme la garde des sceaux s’exclame.)

Madame la garde des sceaux, de nombreux sujets sont inscrits à l’ordre du jour du Parlement, matin, midi et du soir ! Il y a aussi des procédures à n’en plus finir. (Mme la garde des sceaux réagit.)

J’en parlais avec Philippe Kaltenbach à l’instant, nous avons assisté cet après-midi à la mise en œuvre d’une procédure particulière, et nous respectons les procédures. Mais, dans l’emploi du temps, il y a des priorités.

C’est dans ce contexte que je me permets de vous faire remarquer que la réforme d’ensemble de l’ordonnance de 1945, que vous appelez de vos vœux, devrait être examinée en priorité, dans les prochains mois, par le Parlement.

La question des mineurs dans notre société, et singulièrement de la délinquance des mineurs, est au moins aussi essentielle que beaucoup d’autres. On doit donc trouver le temps, dans les prochains mois, de la traiter.

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.

M. Vincent Capo-Canellas. Il ne faut évidemment pas stigmatiser les mineurs. Nous devons aborder cette question avec sérénité.

Je vous remercie, madame la garde des sceaux, des éléments d’analyse que vous avez bien voulu nous communiquer et de la réflexion d’ensemble que vous engagez avec nous. J’entends les arguments de fond et les arguments pratiques que vous avancez.

Vous estimez qu’il faut, à une échéance relativement brève, procéder à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, au nom de la bonne administration de la justice.

Ce débat n’est pas tabou ; on peut l’ouvrir dans le cadre de la réflexion globale que vous avez évoquée.

Concernant les statistiques que vous avez citées, vous me permettrez d’être dubitatif. Il est des territoires dans notre vieille France où la question de la justice des mineurs se pose avec une acuité particulière : un certain nombre de phénomènes ont, malgré tout, une réalité statistique.

Selon moi, il convient de traiter cette question dans un cadre global et, j’y insiste, avec sérénité. Je crains que la consécration ici de la suppression de ces tribunaux n’ait un double effet négatif. Je m’explique.

Premièrement, cette mesure ne prend pas en compte la question dans sa globalité.

Deuxièmement, si nous supprimons à ce stade, dans ce projet de loi, les tribunaux correctionnels pour mineurs, un certain nombre de contrevenants feront immanquablement l’addition, considérant que cette suppression vient s’ajouter au fait que, pour certains délits, la prison n’existe plus. Ce sera très clair pour eux. Ne leur adressons pas ces deux signaux en même temps. Il faut, au contraire, disjoindre les deux questions.

Soyons donc attentifs au signal que nous allons envoyer à un certain nombre de réitérants, pour lesquels on doit engager un travail de prévention dans le cadre de la lutte contre la récidive. Si l’on additionne ces deux mesures, je crains un effet négatif.

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.

M. Thani Mohamed Soilihi. La suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs ne signifie pas l’impunité pour les mineurs. Cela va certes de soi, mais il vaut mieux le préciser.

On peut remettre à demain certains sujets, mais il faut régler tout de suite la question de la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Compte tenu de l’importance du sujet eu égard à la place spécifique de la justice de nos mineurs dans notre droit répressif, je vous demande, mes chers collègues, de procéder immédiatement à cette suppression. Symboliquement, ce sujet ne saurait attendre.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.

M. Jean-René Lecerf. Je rejoins totalement l’argumentation développée par mon collègue Vincent Capo-Canellas.

J’ajoute que les dispositions essentielles de l’ordonnance de 1945 ont été constitutionnalisées, qu’il s’agisse de la primauté de l’éducatif sur le répressif ou de la minoration des peines. Cette constitutionnalisation protège aussi ces dispositions essentielles.

Je veux faire observer que la loi qui portait notamment – ce n’était pas la seule disposition ! – création des tribunaux correctionnels pour mineurs a été soumise au Conseil constitutionnel, qui en a reconnu la constitutionnalité.

Aussi, on ne saurait décider à dix – pardonnez-moi de le souligner ! –, à la sauvette, au terme de l’examen de ce texte important concernant les délits, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Certes, on peut déplorer le faible nombre de sénateurs présents à la fin de ce débat, mais nous avons eu également cette discussion en commission.

Un certain nombre de groupes parlementaires s’étaient fortement opposés à la création, il y a quelques années, sous le précédent gouvernement, des tribunaux correctionnels pour mineurs. La présente discussion s’inscrit donc en quelque sorte dans la continuité.

Bien évidemment, nous aimerions tous, à commencer même par vous, ai-je envie de dire, madame la garde des sceaux, trouver le temps, dans un calendrier parlementaire relativement contraint, de remettre à plat l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante, pour qu’elle soit au diapason du XXIe siècle, tout en lui conservant sa substantifique moelle. Pour l’heure, cela n’est pas possible.

Pourtant, supprimer les tribunaux correctionnels pour les mineurs constituerait un acte fort dans ce texte visant à mieux individualiser les peines et à prendre en considération la spécificité de chaque détenu. Cela s’inscrit dans notre volonté de mettre en place une autre justice et, plus largement, d’éviter les généralisations.

La suppression de ces tribunaux est plus qu’un symbole. Vous l’avez rappelé, ils ont été mis en place non pas pour répondre à un problème, mais pour satisfaire l’opinion publique dans l’immédiateté, ce qui ne résout pas forcément les maux de la société sur le long terme.

Pour toutes ces raisons, nous ne voterons pas les trois amendements identiques visant à supprimer la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.

M. Philippe Kaltenbach. Il est certain que nous aimerions tous débattre d’une grande loi sur la justice des mineurs, mais nous avons l’occasion de supprimer dès aujourd’hui les tribunaux correctionnels pour mineurs qui, à l’expérience, ne servent à rien.

Au bout d’un moment, il faut tout de même se pencher sur l’efficacité des dispositifs votés par le Parlement.

Depuis deux ans, tous les professionnels constatent l’inefficacité de ces tribunaux correctionnels pour mineurs. Dès lors, pourquoi les conserverions-nous, d’autant qu’ils entrent en contradiction avec l’ordonnance de 1945 ?

Devrions-nous avoir peur du qu’en-dira-t-on, de l’opinion publique, de l’exploitation que certains pourraient faire de cette suppression ? Non, ça suffit ! Nous sommes ici pour légiférer, les professionnels nous demandent de supprimer ces tribunaux correctionnels pour mineurs et il s’agit de surcroît d’un engagement pris par François Hollande durant sa campagne.

M. Vincent Capo-Canellas. Enfin un engagement qui sera tenu !

M. Philippe Kaltenbach. Cette suppression a été validée par les électeurs ; il faut le dire clairement et, si nous sommes tous d’accord pour reconnaître que ces tribunaux ne servent à rien, nous devons l’assumer et porter ensemble cette suppression en convainquant l’opinion qu’il est utile de les supprimer.

Je soutiens donc pleinement la position de M. le rapporteur sur ce point, et c’est aussi l’avis, me semble-t-il, de l’ensemble des sénateurs socialistes.

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.

M. Yves Détraigne. Lorsque nos collègues de la majorité étaient dans l’opposition, voilà quelques années, ils nous reprochaient souvent, notamment dans le domaine pénal, de légiférer au coup par coup en réaction à tel ou tel fait divers, sans vision d’ensemble des changements introduits. Et en effet, la justice des mineurs a fait l’objet de nombreuses modifications. Elles ont peut-être été introduites en fonction des circonstances, mais faut-il pour autant les détricoter de la même manière ?

Il faut sans doute repenser la justice des mineurs, qui date pour l’essentiel de la fin de la guerre, car la situation a bien changé depuis lors. Mais nous devrions poser la problématique dans son ensemble, en tenant compte des évolutions de la délinquance des mineurs, plutôt que de détricoter au coup par coup ce qui a également été tricoté, hélas, au coup par coup.

Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.

Mme Virginie Klès. Pour avoir fait pas mal de tricot dans ma jeunesse, quand j’en avais le temps, je reprendrai l’image employée par notre collègue Yves Détraigne pour dire que, malgré tout, lorsque l’on se trouve avec deux ou trois fausses mailles à la suite, il vaut mieux défaire tout le rang plutôt que d’essayer de les reprendre une à une ! (Sourires.)

Je pense effectivement que les tribunaux correctionnels pour mineurs étaient une mauvaise idée, et qu’ils constituaient une très mauvaise maille dans le tricot ! Nous avons l’occasion de les supprimer, sans pour autant que cela puisse être considéré comme un cavalier législatif.

Évitons surtout de dramatiser : avant l’existence de ces tribunaux correctionnels spécifiques, les mineurs délinquants étaient tout de même repérés et sanctionnés par des juridictions adaptées à leur qualité de mineurs. Ils le seront encore demain, quand bien même il n’y aurait plus de tribunaux correctionnels pour mineurs. Ce n’est pas parce qu’on les fait disparaître que l’on fait disparaître pour autant tout l’appareil juridique destiné à lutter contre la délinquance des mineurs.

Cet outil est peu utilisé, mal utilisé et il encombre les tribunaux ; tous les professionnels souhaitent qu’on le supprime.

Ayons donc le courage de la vérité. Ne nous cachons pas derrière des mots, en prétendant que cette suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs nous obligerait à reprendre tout de suite l’ensemble de l’ouvrage.

Oui, il faudra sans doute tout reprendre, mais cela ne nous empêche pas de supprimer dès aujourd’hui ces deux rangs qui ont été tricotés à l’envers !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On voit que c’est du vécu !

Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au risque d’énerver M. le rapporteur (Sourires.), je voudrais apporter quelques précisions supplémentaires.

Pour répondre tout d’abord à l’interpellation de M. le président de la commission des lois, je lui indique que nous travaillons depuis plus de huit mois maintenant sur l’ordonnance de février 1945, dont je rappelle qu’elle a été modifiée à trente-sept reprises. Elle est donc devenue illisible au fil du temps et tous les praticiens nous demandent de la rendre plus cohérente.

Nous avons reçu les organisations professionnelles et syndicales, ainsi que les associations qui interviennent dans ce domaine, et toutes pointent la difficulté de naviguer entre sanctions et mesures éducatives. Il faut donc simplifier les procédures. Nous nous y attelons, et nous avons presque abouti.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Maintenant, vous savez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que je ne suis pas en mesure de m’engager devant vous sur une date d’inscription de ce texte à l’ordre du jour. Je souhaite profondément, tout comme les professionnels concernés, qu’il soit examiné, afin de rendre la justice des mineurs plus juste et plus efficace.

J’en profite aussi pour communiquer certains chiffres, car il me semble nécessaire, au-delà du ressenti ou de l’effet que peut produire telle ou telle émission de télévision, d’éclairer la représentation nationale sur les réalités.

Or, la réalité, c’est que, je le répète, la part de la délinquance des mineurs a plutôt baissé, rapportée à l’ensemble de la délinquance.

On prétend que les mineurs délinquants seraient de plus en plus jeunes, de plus en plus violents, qu’ils commettraient des actes de plus en plus scandaleux et qu’ils seraient de moins en moins punis.

Je me contenterai de quelques chiffres, tenant à votre disposition des statistiques plus détaillées si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs.

Loin de nous l’idée de minorer la délinquance des mineurs. En revanche, nous la mesurons.

Entre 2004 et 2012, la part des mineurs dans le total des personnes interpellées est passée de 20 % à 18 %.

Le nombre de mineurs mis en cause par la police nationale a diminué de 12,6 % entre juillet 2011 et juin 2013.

Pour les mineurs délinquants, le premier contact avec la justice est fortement dissuasif. En effet, 65 % des mineurs qui ont eu un premier contact avec la justice ne récidivent pas – je précise que cette étude a été conduite sur six ans. Et l’on sait que, plus les personnes avancent en âge, plus elles sortent de la délinquance de manière générale ; c’est une tendance lourde.

Ensuite, les mineurs sont-ils vraiment de plus en plus violents ? Ils ne représentent que de 4 % à 7 % de l’effectif total des condamnés pour homicide volontaire et, sur l’ensemble des faits susceptibles d’être qualifiés de criminels, la part des mineurs est inférieure à 1 %.

Les atteintes volontaires à l’intégrité physique commises par les mineurs sont également en baisse, avec une diminution de 18 % entre 2010 et 2013. De même, les vols avec violence ont diminué de 13,9 %.

On prétend également que les mineurs délinquants sont de plus en plus jeunes. Les moins de treize ans ne représentent pourtant que 4 % des mineurs auteurs de délits, selon les chiffres de 2012.

On dit aussi que les juridictions pour mineurs seraient laxistes, ce qui aurait justifié la création de ces tribunaux correctionnels spécifiques. Mais le taux de réponse pénale pour les mineurs est de 93,5 %, contre 89 % pour les adultes.

Enfin, j’ai soutenu tout à l’heure que les tribunaux pour enfants étaient aussi sévères, voire parfois plus sévères, que les tribunaux correctionnels pour mineurs, qui ont pourtant été créés pour accroître la sévérité des peines prononcées.

Les tribunaux pour enfants se montrent en effet très sévères, puisque 61 % des peines qu’ils ont prononcées en 2012 comportaient de l’emprisonnement, ferme ou avec sursis, contre 52 % en 2010 et 53 % en 2011.

Ces chiffres méritaient d’être portés à votre connaissance, mesdames, messieurs les sénateurs, même s’ils ne modifient bien entendu en rien la position officielle du Gouvernement que je vous ai communiquée.